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LES JOCULATORES BRETONS (Suite) *
Par M. DE LA VILLE MARQUÉ .
§ III. - Ergat .
Encore un nom sauvé de l'oubli par la reconnaissance
populaire. Mais Ergat ou Argat (1) attend qu'un nouveau
Lobineau lui donne place dans l'histoire. {( C'est toujours
un grand bien, remarque l'illustre bénédictin, dans ses
Vies des Saints de Bretagne, que IJoubli n'ait pas enveloppé
tous leurs noms .... De deux fins que l'on se propose dans le
culte des Saints, qui est d'employer leur intercession au-
près de Dieu~ et de nous exciter à la vertu par la considé
ration de leurs exemples, leur nom conservé nous assure la
première, et à l'égard -de l'autre, que le temps nous a
nous pouvons nous consoler en disant avec le prince
envié,
Apôtres: {( Nous avons les parotes des Prophètes, et
des
de Jésus-Christ même, encore plus sûres que les exemples
des hommes .... Naus avons les mêmes Écritures et les
mêmes.1oix qui les ont sanctifiez. Au défaut de leurs exem
ples, profitons de leur crédit auprès de Dieu. »
Le crèdit de saint Ergat a pour garant la foi de trois pa
roisses bretonnes qui portent son nO.m.
La première est Tréou-Ergat, ou le village d'Ergat (2),
• Voir p. 3, 27, 86 et l73.
(l) Du radical irlandais ARG (.HÉRos) = apXbç, sanse. arh(t's
Wh. Stoke." Cormac's glossary 4 et Celtic declension (1.886), p. 7.
(2) Treb, vicus, (Zeuss, 1.21, Cartu!. roton. ad ann. 834) pl. trebou
(gl. turmœ) bandes = lat. tribub. ombr. tri(us. W. tref(W. Stokes; Celt.
declension, p. 46) Arm. moy. tl'eff. (Catholicon) bret. modo trev et
treo. Cf. M. J. LOTH, vocabul. vieux breton, p. 223. La comœune de
Tref-Iès est dite in tribu Lisiœ par INGOKAR (D. MORIeE, I. col. 204).
dans le doyenné de Plabennec, en Léon, de l'ancien archi
diaconéd'Ack,pagi Achniensis. Elle possède une relique de
son saint patron; c'est un débris de son crâne. La tête
entière existait encore il y a moins d'un siècle. On la véné
enfermée dans un reliquaire d'argent. Si mince que
rait,
la \·aleur matérielle de fobjet, il excita la convoitise des
fût
détrousseurs de nos édifices religieux, en 1793; ils l'enlevè
rent, et ajoutant le sacrilège au vol, ils brisèrent le crâne du
saint contre le pavé de l'église, où le sacristain pamassa
pieusement les fragments qu'on e~pose aujourd'hui à la
vénération des fidèles. .
L'abbé de Garaby, dont le témoignage a plus de valeur
que la critique, a recueilli ces faits, vers 1830, de la bouche
même des paroissiens (1). Que ne lui a~t-il été donné de
retrouver l'authentique; mais en existait-il un dans le reli
quaire volé 1
La statue de saint Ergat, qui n'était qu'en bois, a été
plus heureuse que la tête d'argent où l'on gardait son chef;
mais elle ne paraît pas antérieure au XVIe siécle; il est
représenté en vêtements sacerdotaux, un livre à la main;
nous verrons si l'iconographie a eu raison d'en faire un
, prêtre. .
distance du bourg, il y a une fontaine appelée
A quelque
en breton Feunteun sant Ergat : elle est bâtie en granit et
l'on attribue sa construction il un ancien seigneur de la
paroisse qui l'a scellée de ses armoiries, en mémoire de sa
guérison.
Il était affligé du genre de maladie. pour laquelle on invo
que particulièrement le saint, de douleurs rhumatismales:
les eaux de la fontaine reçoivent du Ciel une vertu spéciale
. contre ces douleurs .
(t) Vies des Bienheureux et des Saints de Bretagne, p. 480. i vol.
in-i2. Saint-Brieuc, Prud'homme, éditeur, i839 .
Au-dessus de la fontaine une croix étend les bras; son
est touchante: elle passe pour avoir été dressée
origine
par la mère d'un pauvre enfant perclus de tous ses membres,
l'avait voué à saint Ergat, et baigné dans la fontaine.
qui
11 août de chaque année .
Le pardon a lieu le
Tl'éou-Ergat justifie bien son nom; ce n'était qu'un vil- .
lage, à l'origine; ce n'est encore qu'une tl'ès-petite paroisse j
elle ne. comptait, au XVIIIe siècle,.d'après d'Ogée, que
« trois cents communiants. »
La seconde paroisse où saint Ergat est invoqué, comme
est beaucoup plus considérable; le diction
protecteur,
Bretagne du même auteur lui donne
naire géographique de
dix-huit cents habitants; c'est Pouldergat, en Cornouaille,
ou pour mieux dire Plou-t-el'gat, « la peuplade de Saint
Ergat. » (1).
On la trouve nommée sans altération dans un acte de
l'année 1126, publié pour la première fois par dom Morice;
et reproduit in extenso dans le BùlLetin de la Société
arehéologique du Finistère (T. XI, p. 47). Cet acte fait
mention de deux parts de dîme à payer par les gens de la )
peuplade de saint Ergat (plebis sant El'gadi), laquelle en
(illa Zingua) est appelée (dieitul') PLODERGAT.
breton
On remarquera que le t du qualificatif sant (saidt) s'était
déjà adouci en d au XIIe siècle, dans le nom breton, et le
t final d'Ergat en d dans le latin.
La troisiéme paroisse de Basse-Bretagne, placée sous
l'invocation du saint, est celle -de Plumergat, dans l'évêché
de Vannes, où son culte n'est pas moins vivant qu'en Léon
. et en Cornouaille. .
nom a même conservé, dans les anciens actes lo
Son
caux, la forme primiti ve : il est 'écr:it A l'gat, dans un titre
(1) Du latin plebs, d'où: 1° Ploi (Ploi-Lan .. plebs Lan) Cartut de
Redon), anno 862. 2 PIoe; Plueu (Cart. de Landévennec, avant l'an iO~7) .
de l'abbaye de Lanvaux, daté de l'an 1205, et· non Ergad;
et du plebem latin, aujourd'hui changé en plum, dans Plu
megat, on a fait ploim, co'mme les Gallois du moyen-âge,
selon la remarque de Davies, devaient faire Plw!Jil du
même vocable éteanger (1).
M. Rosenzweig, a qui nous devons la découverte du titre
où l'on constate cette forme intéressante de Ploim-Argat (2),
sisnale au milieu du bourg le fait rare d'üne église accos
tée de deux chapelles, l'une dédiée a la Sainte-Trinité, l'au
tre a saint Servais (38(!), fondations antiques. Elle a été
av moyen·âge, sous le patronnge de l'évèque saint
mise,
Thuriau ou Thurianus (733), qu'on a substitué, comme en
beaucoup d'endroits, au grand martyr do la cause religieuse
et bretonne, D rbgen ou Drien, traiteusement assassiné au
siége de Medcaud (579).
Le cimetière de la paroisse répond, par ses monuments,
a son ancienneté. C'est la que M. Ch. de Keranfiech'
a le premier signalé ces lec)h ou pierres tombales debout,
si cùrieuses â étudier .
. Le plus remarquable, a moitié enfoui en terl'o, présente
quatre faces, l'une qui porte en creux une croix grecq ue,
autre une courte inscription, où l'on a voulu voir un nom
propre, la troisième une épitaphe plus longue, mais telle
ment fruste qu'on n'y lit bien que le vieux mot celtique
ART, répondant a « pierre tombale », corn me l'ont établi
M. Whitley Stokes (3) et M. d'Arbois de Jubainville (4).
On a montré, sur une lande inculte, auprès du bourg de
Plumergat, a M. de Keranfiec:h, remplacement supposé de
(1) W. S. (mi. 1560), sic sœpe reddit Populum, in Novo Testamento,
et D. Ddu (an. 1.340), Plebem, in psalmis. (Diclionn. Wall).
(2) Diction. topogr. de la France, déplrtement du Morbihan (p. 206
et Répertoire archéologique, p. 10).
, (3) Three irish Glossaries, préf. p. XXVIII.
(4) A propos de l'inscription bilingue de Todi (Rev.ue celtique,
vol. VII, p. 126.) . , ...
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. Tome XIII. (Mémoires). 22
l'église primitivement dédiée a saint Ergat, laquelle aurait
remplacé un sanctuaÏI'e payen. Le moine (car on en fait ici
un moine) venait chaque semaine, lui a-t-on dit, par un
sentier encore visible, apporter les secours spirituels au
peuple qui conserve son nom en souvenir de ses bien
faits (1) .
Il Y a plus de quarante ans un autre chercheur infatiga- ..
-ble, qui sortait de l'École des Chartes, M. Vincent Audren
de Ker'drel, attiré par les sairds inconnus dont M. Robert
Oheix nous a appris depuis a retrouver les traces (2), s'oc-:
cupait aussi de saint Ergat. Jugeant, sur l'autorité de quel
ques anciens Canons, que la sainte rusticité (sancta rus ti
citas) ' de la tradition chrétienne pouvait plus ou moins
suppléer aux documents écrits, il voulut l'int.erroger in
situ, et se rendit a Pouldergat.
- Quel est le nom de votre saint patron, demanda-t-il
a un paysan de la paroisse.
- ' Saint El'gat, lui fut-il répondu.
Et comme le curieux questionneur insist~it pour saVOIr
la profession du personnage dont on fait un abbé en Léon
et un moin 3 en Vannes :
Barz a ioa, l'épliqua le paysan breton.
- Barz, dites-vous ~ répéta M. de Kerdl'el, qui craignit
de n'avoir pas bien saisi le mot, dont l'usage vulgaire lui
semblait douteux; et qu'est-ce que vous entendez par la?
Un den pehini a gane evit ann dut, dit son interlocu- .
teur : «( Un homme qui chantait pour .le peuple. » .
Dans l'opinion du paroissien de Pouldergat, le patron
(1) Bulletin de l'Association bretonne, 1.858, t. VI, 339.
(2) Ibidem, 1880, p.158. Réponse à la question du programme: Est-il
utile de faire des recherches sur les Saints bretons qui n'ont pas d'his
toire écrite? Quelle méthode adopter dans ces recherches pour arriver à
des résultats satisfaisants. Belire ce mémoire excellent dans le charmant
~ et solide ouvrage de M. Oheix, intitulé Bretagne et Bretons, 1.886,
Prud'homme, éditeur.
du pays avait dOllC consacré sa vie à charmer par ses
chan ts les gens de la peu plade.. .
Voilà pourquoi' j'ai rangé sans crainte le barz EI'gat.1
à côté de saint Hervé, parmi les Joculatores bretons (1) .
Quel que fût l'instrument dont s'accompagnait lejoculator,
il n'im porte: jusqu'au dix-huitième siècle) la pqpularité en
Basse-Bl'etagne de la harpe et de la viole a trois cordes
était attestée par ce proverbe qu'a recueilli le frère capucin
Grégoire de Rostrenen :
Goude ann telenn e teu ar rebed,
« Après la harpe vient le violon» (2).
Qu'il ne chantât que son Pater, selon le dire naïf des
nourrices de Pouldergat, comme Salaün le fol du bois, si
« expert en rhythmes bretons, » selon la légende, ne chan
tait qu' « Ave l11aria»; c'est pen probable, quoique nul sujet
assurément n'eût été mieux choisi et ne convint plus à un
saint.
Ce que la tradition ne dit pas, c'es.t quand il a vécu.
Nous remontons bien, grâce sux textes, jusqu'à l'an 1126,
. mais au-delà? rien que ténèbres!
J'ai demandé des lumières à l'homme le plus instruit que
je connaisse en matièred'hagi0graphie celtique, M.le Major
Faty; parmi les documents dont je suis redevable à son
obligeance ct ui égale son érudition, je trouve une note
d'après laquelle saint Erg'at aurait vécu au sixiéme siècle,
et semit originaire d'Hibernie. Sur quels fondements
s'appuie cette note? je l;ignore ; mais pour procéder du
connu à l'inconnu, j'ai cru .devoir passer la mer, et faire
des rechct'ches loin du pays où le culte du saint est resté
populaire.
(1) Le témoignage de M. de Kerdrel a été rapporté dans le Bulletin de
l'Association bretonne, dont il est président (1884, p. XXIV).
(2) Dictionnaire françois-celtique, (t732), p. 486 aux mots HARPE,
JOUER DE LA HARPE, Son gad an telenn) .
L'Irlande pl'Oprement dite 'ne m'a fourni aucun renseigne-
ment; mais l'Ecosse, qu'elle colonisa; mais la Bretagne du
Nord, cette langue de terre bornée par l'Océan, des deux
côtés, défendue à ses extrémités pal' les murs fameux de
Sévère et d'Adrien et s'étendant mème au-delà, en confi
nant à ce que de vieilles cartes nomment la « frontière des
Hiberniens » (margo Hybernensium) (1), cette Priten, pour
l'appeler par son nom celtique, m'a mieux servi.
Elle se divisait au VIe siècle, en quatre ou cinq petits Etats,
parmi lesquels, 1° les Cornovii des Romains dont la capitale
s'appelait Corisopitum, comme M. de la Borderie l'a cons
taté, et qu'il donne pour ancètres à nos Kernéviz d'au
jourd'hui; 2° les hommes de l'Arcluyd ou les « Vénètes du
Nord », gouvernés par le père de l'historien Gildas; 3° les
montagnards de Réghed ou Rigodunum, qui avaient pour
roi l'héroïque U rien, nommé précédemment; 4° les habi-
tants du pays des Bois, ou de l'Argoët, nom commun à un
ancien comté du diocése de Vannes.
Ces demiel's obéissaient à un petit chef appelé Loumarè,
c'est-à-dire le cheval-lion, auxiliaire du roi Urien dont les
Généalogies saxonnes, précieux document du VIIo siècle,
font le général des BreLons chrétiens confédérés contte les
Anglo-saxons payeps, et leur maître à tous par le génie
militaire (2). Témoin do la mort cl'Urien, Loumarc l'a
chantée en des vers touchants ou il se représente emportant
du champ de bataille, pour la conserver à la vénération des
fidèles, la tète du martyr.
« Je pOI'te, à mon côté, une tète, la tête d'U rien, qui douce
ment commandait l'armée: sur sa poitrine blancho un cor-
(1) Skene, the IV ··~mc. Books of Wales, 173.
(2) In ipso prœ omnit)us regibu~ virtus maxima erat in instauratlOne
belli (Monum. hist. briL p. 70 et 76) Il Y a lieu de placer ces I3vène
ments vers 078 ou 079, selon M. de la Borderie, (Les Bretons insulaires
et les Anglo-saxons, du Vc au VlIe siècle, p. 146).
beau noir! ... Sur sa poitrine blanche les corbeaux se gor
gen t. »
Penn a bo1'tha{ a1' vyn tu,~
Penn Urien llary llywei Uu :
Ac ar y vronj~ wen vran du ...
Acar y vronn wen vrein ac hys.
!( Je porte sur ma cuisse une tête qui était un bouclier
pour son pays, une colonne dans le combat, une épée de
bataille pour ses libres compatriotes ... une citadelle pour les
vieillards .
« Mon bras n'est point affaibli, m9is mon bonheur est
perdu! Mon cœur~ ne te brises-tu pas ~ La tête que je porte
m'a porté. »
Ny thyrvis vym breivh, 1'ygardwys vy eis !
Vyg callon~ n'eur dorres?
Pen a bortha{ am porthes (1) •
Àinsi le vieux chrétien espagnol, Gonzalo Gustios de Lara.
devait apostropher les têtes de ses fils, coupées par les
Mores (2).
Mais Urieu ne f~t pas le seul martyr de la cause nationale,
par le barde-roi; d'autres héros vaincus, mais plus
pleuré
glorieux que les vainqueurs, ont encore mieux inspiré le
t ses propres fils.
poëte : ce son
n en avait vingt-quatre qui formaient à leur vénérable
garde d'honneur, en même temps qu'ils
père commè une
étaient le boul eval'd de leur pays.
« Vingt-quatre fils gardaient mon COI'pS, dit-il; tous
étaient des homme de cœur; tous ont été tués. »
(1.) The four ancient books of Wales, ed. by William Skene, Edinburgh,
1.868, vol. II, p. 267 et suiv. . .
(2) Primavera y flor de romances, t. l, p. H. Petit romancero, choix
de vieux chants espagnols traduits et annotés par le comte de Puymaigre,
Et il les nomme par leur nom, avec un mot d'éloge pour
chacun d'eux.
Or, dans le plus ancien manuscrit de ses poëmes, qui
n'est malheureusement que du XIIe siècle; au folio 54, sous
Enweu meibon LLywarch-hen (al. Lou
le titre gallois de
marc-hen), c'est-à-dire « noms des fils du vieux cheval-lion» ;
je trouve à leur tète l'aîné qu'il appelle Gwenn:
« Doucement chantait l'oiseau sur l'arbre odorant, au
dessus du front de Gwenn, avant qu'il fut couvert de gazon;
il brisa le cœur du vieillard! »
Et immédiatement après l'aîné, il cite comme un des
trois défenseurs les plus vaillants du pays, un de ses fils
nomme ARGAT.
qu'il
Voici le texte breton rajeuni au XIIesièéle par les Gallois:
Goreu try wir in eu gulad,
y amdiffin eu trmtad :
Eithir ae Erthir ae ARGAD (1) .
Les trois hommes les meilleurs dans leur pays,
Pour défendre leur village :
ARGAD •
Eithir et Erthir et
Que cet ARGAT, proclamé par ,son père le plus ferme
soutien de son tréouacl, c'est-à-dire de son village, de sa
bourgade, soit devenu le patron de notre Tréou-Ergat;
qu'il ait été choisi pour protecteur par les fils émigrés des
hommes de son clan, rien de plus natueel. Le fait de sa pro
tection, aussi réclamée Gal' la 1Jlebs nombreuse des Coriso-
pites et par les gens de l'Argoët vannetais, ajoute encore à
la vraisemblance. On ne doit pas oubliér de quelle manière
se firent les émigrations bretonnes : M. de la Bordel'ie,
après Dor)] Le Gallois, et M. Loth iL lour suite, a montré
(1) The four ancient Books of Wales, vol. II, p. 60,
les bandes fugitiv~s, peu nombreuses :d'abord, procédant
par gradation, ét formant des agglomérations ou parois-
ses de plus en plus considérables: -
Gens magis al que magis cl'escit et arva replet,
a dit Ermold-le-Noir, au IX siécle.
Si le plou a été la paroisse bretonne primitive, consi
dérée à la fois comme société religieuse et comme société
civile, le tréou aurait été la molécule élémentaire (pour em
prunter le mot de IV1. de la Borderie) de la société bretonne
du contÎ'nent.
Je rappelle le chiffre de la population de Tréou-Erga t,
au XVIIIe siécle : 300 habitants; Pouldergat, 1,800 ; Plu
mergat: J,700. Si ce chiffre remontait à l'émigration, il
nous donnerait approximativement le nombre des person
nes composant les familles venues de la Bretagne du Nord
dans les cantons d'Armorique où elles portèrent le culte
de saint Ergat. -
A quelle époque eut lieu la translation de ses reliques ~ Il
serait difficile de le dire. M. Loth pense que « le fort de
l'émigration à dû ' être entre les années 509 et 577 » pour
les Cornovii insulaires; qu'elle a cc dû même se prolonger
jusqu'au commencement du septième siècle » (p. 158). Je
crois qu'on peut la faire descendre jusqu'à I-'an 682, date
d'une grande mortalité dans la Bretagne du Nord, laquelle
emporta Catgualart, fils de Catgualon, selon les Annales
cambriennes, ou qui le fit fuir en Armorique, d'aprés une
var'iante (1). Elle aurait été suivie, durant quelques années,
d'épouvantables fléaux, tels que tremblements de terre,
de sang, changement du lait et du beurre en sang, et
pluie
même de la lune, La peste et l'invasion! c'état plus qu'il
(i) Monumenta hist. Britannica, p. 833.
n'en fallait, toute exagération a part, pour causer un grand
affolement et l'émigration considérable attestée par l'His
toire.
Les reliques des s~ints étant la sauvegarde des popula-
tions éperdues, je ne m'étonne 'pas que les BretonE; aient
agi devant la peste et les envahisseurs anglo-saxons,
comme leurs fils devaient agir en face des invasions nor-
mandes; of!. sait que le roi Salomon de la Petite-Breta
gne (871) ne crut pas payer trop. cher un bras de saint
Léon, par le don d'une statue d'or de sa grandeur, de
sa hauteur et de sa largeur, couronnée d'cm diadème d'or,
enrichi de pierl>es précieuses. L'illustre Pape Adrien, l'ami
Charlemagne, l'accepta, envoyant en échange aux « Fi
« dèles habitants de la Bretagne» la sainte relique,
« pour illuminer, protéger et défendre leur noble pays »,
ad inluminationem et adjutorium et clefensionem honoriflcœ
regionis (1). »
Lumière, assistance et défense, n'est-ce pas la, en effet~
la triple force que Dieu donne aux saints les plus obscurs
aux plus grands?
comme
(A suivre):
(1) Dilcctissimo filio, amantissizilogue 'Salomoni, BritannÎe duci,omni
busque suis fidelibus, Adrianus nutu Dei Papa. (Cm'tu!. roton., p. 68) ..