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Bulletin SAF 1886


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Groupe équestre de Saint-Mathieu, commune de Plouaret

M. Trévédy

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XIII

OUPE EQUESTRE DE SAINT-MATHIEU·

(COMMUNE DE PLOUARET, CÔTES-DU-NORD)

is de juillet 1885, j'eus l'heureuse chance d'offrir
d'un
ée archéologique du Finistère le fragment
~questre trouvé à Guélen, commune de Briec. Ce
gure un cavalier nu montant un cheval porté par
ime dont les cuisses se continuent en deux ser-
l). Cette sculpture était la première de ce genre
1 en Bretagne; mais, pendant que yen faisais l'étudè.,
oupes similaires me furent signalés.
miel' se voit au lieu de KerIot, commune de Plo-
à six kilomètres de Quimper: c'est une grossière
une imitation du groupe de Guélen; je l'ai décrit
e temps que ce dernier groupe (2).
re m'a été signalé par M. Luzel, archiviste du dé- '
ent du Finistére et Vice-Président de notre Société
ogique (3). Il se trouve dans la commune de Plouaret,
age de Saint :Mathieu, en breton et vulgairement

1aho. J'ai pu, les jours derniers, visiter ce groupe;
'a paru que sa description s'imposait à moi, comme'
ment de mon précédent travail.
est l'explication et, j'espère, l'excuse de cette seconde

. ce lue à la séance du 20 novembre 1.886.
ans le langage savant, ces monstres à pieds de serpents sont
du grec, o)OtbnoooO', et, du latin, anguipèdes .
oir ci-dessus page 38 et sui v.
tte notice a été d'abord destinée à l'Association bretonne dont
n a eu lieu en septembre dermer, à Pontivi.
N ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. Tome XIII. (Mémoires). t9

des images de sain ts ou de Sain tes Vierges placées

nich es, au-dessus des bassins de fontaines d'origine
dont les eaux sont encore réputées posséder de
curati ves pour ceetaines maladies du corps ou ail
morales. Les pèleeins laissaient toujours leur obole
sanctuaire, avant de se l'etil'er, et, au lieu de le dét.
üouva plus opportun et plus profitable de le conse
le sanctifiant. L'on bâtit donc dessus une chapel
tienne, et, comme la légende des Sept Dormants d'
introduite en Gaule par Grégoire de Tours, 2~U c~
cement du VIe siècle, était connue de quelque curé
sinage, peut-être celui de Plouaret, et qu'il voya
qu'analogie entre les sept fl'ères d'Éphése et les s
tuettes conservées comme eux :dans une caverne, J
plusieurs siècles, ' il dédia la nouvelle chapelle al
Dormants d'Éphèse, sous le vocable des Sept-SainU
Une foule de places saintes d'aujourd'hui ont une
analogue. 1
F.-M. LuzEt

Vice-Président de III Société nI'
du Finistère .

XIII

LE GROUPE ÉQUESTRE DE SAINT-MATHIEU *
(COMMUNE DE PLOUARET, CÔTES-DU-NORD)

Au mois de juillet 1885, j'eus l'heureuse chance d'offrir
au Musée archéologique du Finistère le fragment d'un
groupe équestre trouvé à Guélen, commune de Briec. Ce
groupe figure un cavalier nu montant un cheval porté par
un homme dont les cuisses se continuent en deux ser-

pents (1). Cette sculpture était la première de ce genre
Bretagne; mais, pendant que yen faisais l'étude"
. signalée en
deux groupes similaires me furent signalés.
se voit au lieu de Kerlot, commune de Plo­
Le premier
melin, à six kilomètres de Quimper: c'est une grossière
copie ou une imitation du groupe de Guélen; je l'ai décrit
rhème temps que ce dernier groupe (2).
L'autre m'a été signalé par M. Luze1, archiviste dudé- '
padement du Finistère et Vice-Président de notre Société
archéologique (3). Il se trouve dans la commune de Plouaret,
au village de Saint :Mathieu, en breton et vulgairement
Sant-l11aho. J'ai pu, les jours derniers, visiter ce groupe;
et il m'a paru que sa description s'imposait à moi, comme'
complément de mon précédent travail.
Telle est l'explication et, j'espère, l'excuse de cette seconde

* Notice lue à la séance du 20 novembre 1886.
(1) Dans le langage savant, ces monstres à pieds de serpents sont
nommés du grec, o (2) Voir ci-dessus page 38 et suiv.
(3) Cette notice a été d'abord destinée à l'Association bretonne dont
session a eu lieu en septembre dermer, à Pontivi.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. Tome XIII. (Mémoires). 1.9

excursion dans ce domaine de l'A rchéologie monumentale
pour moi au~si fécond en surprises que cette verdoyante
commune de Plouaret, dans laquelle j'ai dû chercher le vil-
lage de ,Saint-Mathieu. .
Je dis chercher, car le village de Saint-Mathieu et sa cha­
pelle ruinée ne figurent pas sur la carte de l'État-Major. Ce
village est situé sur l'ancienne route de Loguivy-Plougras
à Lannion, à 500 mètres de l'angle que cette route forme
avec l'ancienne route de ' Plounèvez-Moédec à Plouaret,
dans le voisinage du château, de GU,ernanchanay.
J'ai pour compagnon de route M. Y. Vallée, armé de son
il se sert en maître. Je le
'appareil photographique, dont
soupçonne de n'être pas un adepte très convaincu de Yar-
chéologie, et de sourire in petto de cette ardeur juvénile qui
vieux magistrat. Que voulez-vous ~ Je suis, à mon
anime un
.. En route, et comme pour convertir
âge, un néophyte. .

mon aimable compagnon, je résume le résultat de mes
à propos des groupes de Guélen et de Kerlot, et
recherches
nous tombons d'accord sur ce point: que l'étude comparative
des dive)'s groupes finira peut-être par éclairer la question;
c'est pourquoi, chaque fois qu'on en signale un, il est à
propos de le dessiner et de le décrire avec soin. Nous allons
le faire, de compte à demi, mon compagnon et moi, pour le
groupe de Saint-Mathieu.

Nous sommes au village ........ De la route même on
nous montre, à mi-côte, vers le sud, la' chapelle ruinée;
auprès de la chapelle est le groupe équestre, et à quelques
pas, une fontaine monumentale au fl'onton de laquelle nous
déchiffrons l'inscription et la date suivante: 1581 M . LUCAS
GOVERNEUR POUR LORS (1).

(f) Il Y avait au sommet un écusson; mais il a été martelé, comme

Pendant que mon compagnon se prépare à photographier
la statue, je Pexamine en tous ses détails.
Le groupe de Saint-Mathieu est de moindres dimensions
et de Kerlot. Il est comme eux mutilé.
que ceux de Guélell
Le cavalier est brise au-dessus des reins. Le cheval n'a plus
ni tête, ni cou, ni jambes antérieures. Le monstre angui­
péde est sans tête. Ce fragment est lourdement sculpté, sur­
tout dans sa partie postérieurè (1); cependant il mérite une
description détaillée.
et le cavalier sont taillés
Le socle, l'anguipède, le cheval
dans un seul bloc de granit. Ses , dimensions principales
lm 33 de longueur, de la poitrine de l'anguipède à
sont de
la croupe du cheval, et 88 cent. de hauteur, de la base aux
reins du cavalier. La jambe et la cuisse du cavalier mesu-
rant ensemble environ 50 cent., le corps ne pouvait avoir
davantage: c'est donc 50 cent. à ajouter à la pauteur. Le
groupe intact devait avoir une hauteur d'environ 1 m. 38 .

Le socle, large de 45 à 50 cent., long de 1 mètre, a
hauteur,
12 cent. de

tous ceux de l'église de Plouaret, avec un soin qui fait honneur aux
iconoclastes de i 793. Voir aussi au bord de la route, ' contre le talus
du champ au bas duquel est la chapelle de Saint-Mathieu, ' un trollC
ancien assez singulier sur lequel on lit l'inscription suivante:
F: F: P:
OLIE­
(Fait faire par
VIER. C
, Coatmel, gouverneur,
Ollivier
OATM

EL.G.V:
La chapelle, vendue nationalement, fut rendue au culte, et un sieur
Madec en fut le dernier gouverneur, jusque vers i830. A cette épo ue,
le propriétaire de la chapelle bâtissant une maison, a pris. dans cette c a­
pelle quelques pièces de ch~rpente et les pierres dont il avait besoin. Le
pardon survit iJ. la chapelle; mais il n'a plus aucun caractère religieux .
(i) On dirait que le groupe est l'œuvre de deux artistes. L'avant-corps
et le bras gauche de l'anguipède révèlent quelques indices d'art, dont il
ne reste rien dans les autres parties du groupe. .

Le monstre figure une femme couchée sur les cuisses'
l'avant-cOl~pS se redresse; les bras sont rejetés en arrière'
la main gauche soutient le pied gauche du cavalier; la
main droite, l'épaule droite du cheval (1). Les cuisses se
serpents; mais chacun 'des serpents ne forme
prolongent en
pas un anneau unique circonscrivant, comme à Guélen
à Kerlot, l'évidement qui se voit sous le ventre du che-

val. Les serpents se relèvent sous le cheval qu'ils semblent
soutenir, puis s'enroulent sur eux-mêmes, en sorte que
l'évidement est circonscrit en avant par la courbure des ser-
pents, en arriére par les jambes postérieures du cheval.
L'extrémité des serpents est peu apparente, et on ne peut
voir, avec certitude, s'ils se terminent par une tête ou par
une queue (2).
Le cheval est lourd et massif comme ceux de Guélen et
de Kerlot. Sa croupe arrondie est identique à celle figurée
groupes; d'une cuisse à l'autre, elle
dans le premier de ces
97 cent. de tour. L~encolure est énorme. Le cheval
ne se cabre pas comme ceux de Guélen et de Kerlot, il
galope comme celui de Portieux et la plupart des autres .
Les jambes postérieures reposent à terre; les pieds de de-
vant étaient portés par les épaules de l'anguipède. Le ventre
s'appuie sur les courbes des serpents. La queue, hors de
est figurée par un renflement de la pierre
toute proportion,
uniforme de haut en bas; elle est collée à la croupe et aux
jambes, l'artiste n'ayant pas eu rart de l'en détacher. Le

(i) Cette main droite ne pourrait atteindre le ied droit du cavalier:
nous verrons plus loin pourquoi. -- Au lieu e main, il serait plus
exact de dire le bout d1L bras. Le sculpteur se sentant (modestie trop jus­
tifiée) incapable de modeler une main, n'a même pas tenté l'épreuve.
C'est par erreur que j'ai écrit dans mon études1tf le groupe de Guélen:
que les deux mœins soutiennent les deux pieàs du cavalier.
(2) Je crois cependant que c'est une tête. L'usure de la pierre :re per­
met de voir qu'une sorte de S. Il semble qu'une queue devrait être plus
pointue.

cheval n'est pas sellé; mais,sur les flancs et en avant de la
CL'Oupe, on remarque une sorte de bourrelet figurant sans
doute un tapis (1). .
pas; la cuisse gauche est à
Le corps du cavalier n'ex.iste
demi cachée par un pan de vêtement; un manteau tombant
des épaules, comme à Kerlot et à Portieux, expliquerait
trèS bien ce dètail. Les genoux sont nus; les pieds sont
chaussés de bottines ou de caliges montant jusqu'a mi-jam­
les jambes et les cuisses sont grossièrement dessinées.
bes;
est de 8 centimètres en arrière du genou
Le genou droit
gauche (2). La jambe et le pied droits pressent le flanc du
cheval et le rangent à droite. ,
On le voit, a Plouaret, comme toujours, le mouvement
général de la statue est le détour sur la droite J' et, comme
à Portieux, Guélen et Kerlot, le mouvement est donné par
le monstre anguipède. Nulle part cette impulsion n'est plus
dans le groupe de Saint-Mathieu.
clairement indiquée que
Voyez plutôt! L'anguipède tourné vers la droite supporte
des épaules, de la partie postérieure, de la main droite,
ar lui ne peut
diverses parties du cheval. Le cheval porté p.
qu'aller à droite. Mais ce n'est pas tout: la main gauche
de l'anguipède tient le pied gauche du cavalier, les deux
serpents supportent ses pieds. Le cavalier suit le mouve­
ment imprimé à son cheval et a lui-même, puisqu'il range
le cheval à droite .

Tel est ce curieux fragment. Si on rapproche ma des­
cription de celles des groupes de Portieux, de Guélen et de
Kerlot, on reconnaîtra que ln groupe de Plouaret diffère

(1) On sait que la selle est d'invention relativement moderne, de même
que l'étrier. .
(2) Voilà pourquoi la main droite de l'anguipède ne peut atteindre le
pied droit du cavalier.

des autrés par plus d'un détail; mais il laisse la même im-
pression générale, et il exprime la même pensée: ce n'est
pas la lutte du cavalier contre le monstee couché sous le
cheval; c'est le triomphe du cavalier accepté, par le mons­
tre qui semble lui servir de guide,
III
Voilà ce que nous avons vu à Saint-Mathieu. On trou­
ve'ra peut-être cette description trop longue, puisque la
photographie la suppléerait au besoin. Peut-être surtout
devrais-je m'arrêter ici ~ Ma tâche n'est-elle pas finie? Je
n'ai pas.la prétention de révéler ce que de plus savants
ignorent encore : le nom et l'âge de ce cavalier mysté­
rieux, retrouvé d'abord en Auvergne, puis aux bords du
Rhin; et qui fait inopinément une triple apparition en
Basse-Bretagne.
Mais, l'année dernière, en étudiant les groupes de Guélen
et de Kerlot, je disais ce qu'ils n~étaient pas. Il est utile de
répéter pour le groupe de Plouaret, comme pour ses congé­
nères de Cornouaille: ce n'est pas saint Georges terrassant le
dragon de la Cappadoce; ni saint Michel terrassant l'Ange
rebelle (1) ; ni le chevalier Derrien triomphant du monstre
de l'Élorn. Ce n'est pas un héros breton, puisque cette
image se retrouve presque identique à · des centaines de
la Bretagne.
lieues de
A Plouaret, il faut combattre une autre supposition, je
pourrais dire une. autre affirmation. Le groupe a été trouvé
dans un pourpris servant autrefois de cimetière à la cha­
pelle Saint-Mathieu. Les voisins concluent de là que le

(1) Voir la Caractéristique des Saints, par le P. Ch. CAHIER. Pour
plus de détails, voir le Groupe équestre de Guéten .

cavalier représente le saint, patron de la chapelle. Osez
manifester un doute sur ce point, et l'on vous dira: « Beau­
« coup de personnes empêchées de la marche, par exemple
« par des rhumastimes) ont enfourché le cheval et monté en
« croupe derrière le saint; et quand elles sont descendues,
« leurs jambes avaient repris leur vigueur et leur agilité.
« Autrefois, on venait à Saint-Mathieu de plusieurs lieues
« à la ronde, et même de la Cornouaille, c'est-à-dire de Cal­
« lac et de Carhaix. Aujourd'hui, les pèlerins sont moins
« nombreux; mais tout dernièrement encore un homme

« étranger au pays est venu; et sa dévotion a reçu sa ré-
« compense. )
Fallait-il rire de la légende? Fallait-il combattre cette
superstition ~ A quoi bon contrister, sans espoir de les
gens qui nous accompagnaient et
convaincre, les braves
nous aidaient avec tant de complaisance ~ Pourtant j'essayai
de leur persuader que l'Évangéliste, patron de la chapelle,
n'a jamais été représenté à cheval ~ A quel propos, leur
disais-je, eût-on fait chevaucher Mathieu, le publicain,
d'impôts? Lui-même ne se montre-t-il pas à nous
receveur

dans son Evangile, assis à son bureau, quand le Seigneur
passant devant sa porte" lui dit: c( Suis-moi ~ » et qu'il

se leva aussitôt pour le suivre
-« Mais" m'a-t-on répondu: saint Mathieu était commis

à cheval des droits réunis » (2).

(1) Saint MATHIEU. Chap. IX. Vidit Jesus hominem sedentem in
telonio Mathamm nomine, et ait illi c( Sequere me » et surgens secutus
est eum.
(2) Je n'invente rien: la réponse est textuelle. ' Vous ne persuaderiez
pas plus facilement au?C habitants du'village qu'il n'y a pas dans le voisinage
de la chapelle, un lièvre placé sous la protection spéciale de saint thieu.
Il se rit des chiens et du plomb des chasseurs. Tout réoomrnent, il se
promenait sur la route « en paix, comme un chien. » Des chasseurs de
Plouaret reviennent quelquefois bredouille; on leur a signalé le lièvre : '
ils répondent: « Nous ne pouvons rien sur celui-là! »
Ce prodige se perpétue depuis un temps immémorial; le seul point
qui fasse doute, c'est de savoir si c'est toujours le même lièvre.

Voilà donc ce que n'est pas le cavalier de Plouaret .
Qu'est-il f qu'un autre nous le révèle. J'ai le regret de vous
le présenter sans pouvoir vous dire- son nom, mais du
compatriote. C'est assez, j'espère
moins vous présenté-je un
pour lui assurer un bon 3;.ccueil.
Nul doute, en effet, que ce personnage ne soit né sur les
lieux où nous le trouvons. Le pays est plein de roches gra­
nitiques semblables à celle qui 1aillée autrefois est devenue
tout près de
cavalier, cheval, anguipède. De plus, il y a
Saint-Mathieu, une carrière où se taillent aujourd'hui en-

core des blocs de grande dimension .
La tradition des lieux s'accorde avec ces observations.
D'après le dire des anciens, le groupe équestre aurait été
trouvé dans un pré dit Prat-ar-Peliter, à l'endroit mème
où se trouve une source, au pied d'une roche granitique. Là,
on avait commencé à bâtir une chapelle .à_ Saint-Mathieu;
mais on fut averti, d'une manière mystérieuse, de
bâtir un peu plus haut, au lieu même où sont les ruines de
la chapelle. En même temps on transporta la statue de
saint 111 athieu .

La chapelle, avec sa fenêtre encore un peu ogivale, et sa
porte principale en plein cintre, peut être contemporaine de
la fontaine voisine, qui -porte la date de 1581. C'est donc
cents ans que le groupe a été transporté du
depuis trois
Prat-ar-Peliter clans le pourpris de la chapelle.
Le groupe de Plouaret n'est · pas., comme celui de Por­
tieux, au Qord d'un fleuve. Le modeste ruisseau, sans nom, .
qui coule et fait tourner plusieurs moulins au -fond de la
vallée, en courant vers le Guer, ne mérite pas même le
nom de rivière. Mais la voie romaine n'est pas loin; et
nous allons la trouver sans la chercher.
Notre visite et notre informat.ion ont pris du temps; il

faut songer au retour: on nous indique la route qui longe
l'ancien endos du château de Guernanchanay. Nous des­
rampe rapide jusqu'au ruisseau; nous en re­
cendons une
montons une autre, et nous tournons brusquement au
sud. Devant nous s'ouvre une route droite, large, d'aspect
particulier. C'est la route déclassée aujourd'hui de Ploua­
ret à Plounévez-Moëdec. C'est un fragment de la voie ro­
maine que M. Gaultier du Mottay, de savante mémoire, a
entre Carhaix et Coz-Yaudet.
tracée
Cette voie est encore visible entre le bourg du Vieux­
Marché, distant de 2,000 mètres de Saint-Mathieu, et le point
où nous sommes. DuVieux-Marché ... M. Gaultier l'a reconnue
de proche en proche; et aujourd'hui encore chacun peut la
reconnaître, bien mieux la suivre, comme nous avons fait,
sa rencontl'e ' avec la route de Paris à Brest, à
jusqu'à
700 mètres environ à l'ouest de Plounévez-Moëdec.
la route porte pendant
Vers le lieu où nous sommes,
1,000 mètres environ, le nom significatif de pavé dir, (pavé
d"aeier). Un peu plus loin, elle longe une métairie nom­
mée pénan vern; sur une longuent' de 300 mètres les
n'accèd~nt pas a la route; ils en sont séparés par
champs
une bande de terre large, de six à huit mètres et parallèle à
la route, dont elle est évidemment un relais (1).
Au-delà, la route continue à courir en ligne droi,te,
vers le sud, jusqu'au point où elle coupe la route de Brest;
et, de l'autre bord de cette route, dans la traverse de la
forêt de Beffou, la tradition lui conserve encore le nom de
vieille voie romaine (hent coz Roman). '
Voilà trouvée sans aucun doute une de ces voies antiques
genre de
au bord desquelles se dressent les monuments du

. '(i) Ce r~lais étant de 8 mètres et la route actuelle de 6, la route an­
Cl~nne ~va~t U m~tl'es de largeur, sans comprendre le talus qui sépare
aUJourd hru le relcns d~s champs voisins.

celui que nous étudions. Or, le pavé dir
est à environ
1,500 métres du village de Saint-Mathieu. '

Mais, ce voisinage autorise-t-il à attribuer aux Romains
eux-mêmes la paternité 'de ces statues ~ Un scrupule me
vient et je l'exprime ici: Si , les Romains conquérants de
toute l'Europe moyenne et occidentale sont les auteurs de
ces monuments, on devrait en trouver des fragments dans
la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Italie, dans toutes les
parties de l'Empire romain. En a-t-il été signalé ailleurs
que dans l'ancienne Gaule? C'est ce que je n'ai pu savoir.
Jusqu'à ce que ce point soit établi, n'est-il pas permis de
voir dans ces statues des œuvres gauloises, ou, si l'on veut,
gallo-romaines, et représentant un type particulier à la
Gaule.
Autre question: A quelle date rapporter ces monuments?
dit: « Ils sont contemporains de l'établissement du
« Christianisme, et ils sont la représentation du triomphe
« d~ la religion nouvelle sur le paganisme .. »
Faut-il s'arrêter à cette opinion 1
Comment les prêtres chrétiens auraient-ils sinon encou­
ragé" du moins toléré que l'on figurât le paganisme vaincu
servant de guide au christianisme vainqueur? Comment les
destructeurs des idoles,pleins d'horreur pour les statues re­
présentant la nature humaine unip, à la brute, auraient-ils
accepté pour leur propre compte un type analogue, et per­
pétué ce symbole ordinaire de l'idolâtrie?
Je croirais plus volontiers que ces monuments sont 'anté­
rieurs au triomphe du Christianisme dans les Gaules; que
les prêtres chrétiens les ont trouvés entourés d'hommages
et de vénération idolâtriques; et que, pour couper court à

ces pratiques sacriléges., ils les ont systématiquement mu-
tilés. Ce n'est pas le hasard qui peut expliquer la mutila-
tion de toutes les têtes des cavaliers et surtout des mons­
tres anguipédes (1), pas plus qu'il n'expliquerait la décolla­
statues de quelques cathédrales.
tion de toutes les
Heureux si, en signalant ce débris à la cu­
Je m'arrête.
riosité des archéologues ... je pouvais en assurer la conser­
vation ! Cette conservation n'a pas moins d'intérêt que
celle des monuments dits mégalithiques, auxquels on
accorde trop tardivement une protection assez exclusive.
Peut-être aussi cette publication aura-t-elle un autre résul-
tat ~ Je veux dire la révélation de monuments perdus au
fond de nos campagnes, connus de beaucoup d'indifférents,
aux regards des archéologues. Com­
mais qui échappent
~(erlot et Saint­
ment croire que les groupes de Gnélen,
Mathieu soient seuls de leur espèce en Bretagne?
Nous supplions tous ceux qui connaissent quelques
aux sociétés archéo­
sculptures similaires d'en donner avis
logiques de leur voisinage; et nous ne serons pas démentis
par elles, si, nous ajoutons, selon la 'formule des crieurs
publics des objets perdus: « Il y aura récompense honnête. »
J. TRÉVÉDY,
Ancien Président du Tribunal civil
de Quimper

(1 A Guélen, la tête du cheval et celle du cavalier subsistaient en
1.82 . Celle de l'anguipède avait disparu de temps immémorial.

NOTE ADDITIONNELLE

J'écrivais la notice qui précède au mois d'août dernier .
j'ai reçu diverses communications dont il est utile
Depuis,
de faire mention. . .
M. le Commandant Mowat, auquel j'ai d'autant plus
d'obligation que je n'ai pas l'honneur d'être connu de lui,
a bien voulu m'écrire.
Il m'a signalé une communication faite pal' lui à la So­
ciété des Antiquaires de France, en 1882, et une note qU'lI
a publiée, depuis, dans le Bulletin de cette société. 1885,

Le 10 décembre 1882, à propos de statues équestres de
Luxeuil et de Limoges .. M. Mowat avait rappelé « une tra­
« dition d'après laquelle Constantin, vainqueur de Licinius
« à Ciballe, en Pannonie, aurait fait passer son cheval sur
« le corps d'un des généraux ennemis »; et il avait conclu
rattachant le type de ces deux statues à cet évènement

historiq ue.

Voici la note additionnelle de M. 'Mowat (1885) :
« En parcourant dernièrement les papiers de Peyresc (1)
conservés à la Bibliothèque nationale (fonds latin, ms.
8957), je lus' dans les notes relatives aux antiquités de
passages suivants:
Riez (Basses-Alpes) les

(1) Fabri de Peiresc (1580-1637) était conseiller au Parlement d'Aix.
été un des fondateurs de l'Arc-héologie en France. Il employait sa
Il a
à entretenir des correspondants en di vers lieux. Cette
grande fortune
lettre est sans doute d\m de ces correspondants •

Folio 16, rO Inscription VI.
« Rex Constantinus, leprosus, vil' que benignus,
« Est faetus sanus sacro baptismate tactus. ,
Folio 88, rO.
« Quand a l'image du grand Constantin qui paroissoit., a
« la mosaïque dans la vieille église de Riez SUl' un cheval
« foulant des pieds la figure d'un homme, elle est toute
« brisée depuis que vous ne l'avez veüe. Pas moins je me
« suis peiné d'en ramasser fidèlement les deux vers qui es­
« toient autour de cette image que j'ay descrite au bas de
« ces inscri ptions, 1)
« La statue de Luxeuil, ajoute M. Mowat, a été décrite
par Caylus (1) ; celle de Limoges est décri te dans les Chroni­
ques manuscrites de Limogès. Rien n'indique que les per­
sonnages terl'assés fussent des anguipèdes. »
Cette dernière phrase nous démontre que ces groupes

n'appartiennent pas au type que nous étudions; mais la
communication de M. Mowat avait trop d'intérêt pour ne

pas et1'e Inseree ICI.
Un de nos confrères m'a montré dans Montfaucon (Anti­
quité expliquée, supp. T. 1, p. 23 et 28) deux statues : l'une
dite Cavalier trouvé à Lyon; l'autre dite Cavalier de
.lIlayence. Mais ces figures n'ont aucun rapport avec les
groupes équesÜ'es que nous étudions. Le cavalier trouvé a
Lyon est un jeune homme nu faisant de la voUige sur un
cheval nu ; l'autre serait, selon l'auteur, un ex voto élevé au
retour d'une expédition heu'l'euse. Quoiqu'il el1 soit, le
. monstre anguipède n'apparaissant pas dans ces sculptures,

(i) Voir t. III, page 367 et figure CXIX. Le groupe de Luxeuil
un cheval et un cavalier barbu, lus une femme presque nue
représente
appuyée sur la cuisse de l'homme. Les ]am es du cheval n'existent pas.
on a retrouvé seulement le pied droit portant sur une tête humaine. •

il n'y a aùcun rapprochement à faire entre ell11s et les
groupes que nous étudions .

M. Luzel me signale une note du savant Jules Quicherat,
, écrite en 1875, sur le groupe du Géant anguipède terrassé
par un cavalier (1).
A. propos du groupe de Portieux et de la notice de
M. Quicherat fait remarquer que la plupart des
M. Voulot,
genre ont été trouvées dans.la région vos­
sculptures de ce
et rhénane. Il semble disposé à voir dans ces
gienne
sculptures la représentation d~un mythe germanique intro­
duit en . Gaule et porté jusqu'en Auvergne. Nous dil'Ons
aujourd'hui venu même jusqu'au fond de l'Armorique. -
M. Quicherat refuse de voir dans le cavalier Hercule
Mais
Géants: « Hercule, dit-il, n'a jamais été
vainqueur des
« représenté couvert de la chlamyde. »
L'auteur ajoute qu'excepté la sculpture de la Jonchère
(Puy-du-Dôme), longue de 1 m. 60 c. et celle de Portieux, .
longue de 1 m. 30 c., ces sculptures ne sont que des
statuettes.
Mais M. Quicherat ne connaissait pas Je monument de
Merten, découvert depuis 1875.
Ce dernier monument a été décrit par M. Prost dans la
Revue Archéologique de-1879 (2). Il a été trouvé ... aux pre­
miers jours de janvier 1878, dans un champ auprès de

(i) OEuvres posthumes. Mélanges d'archéologie et d'histoire. Rapport
au Comité historique sur le groupe de Portieux.
(2) Le Monument de Merten. Description. Rapprochements et indi-
cations archéologiques. Considérations historiques. Janvier, p. 1, 20.
Février. p. 65, 83. ,
C'est cette notice que me signalait M. Mowat. Dans le même volume
de la Revue se trouve une statue d'Isis terminée en serpent; et une
. autre figure d'Isis jointe à celle de Sésostris, finissant en deux serpents
. entrelacés.

Merten, à 45 kilomètres N.-E. de Metz, deux cents frag-
ments environ. Ces fragments ont été rapprochés; et, bien
que plusieurs manquent, le monument a pu être restitué au
Musée de Metz. .
Il consistait en une colonne élevée sur un soubasse­
ment, composée de deux ét.ages (le premier carré, le second
surmontée d'un groupe en ronde bosse repré­
octogone) et
sentant un cavalier foulant aux pieds de son cheval un
monstre anguipède. L'ensemble avait 12 mètres de hauteur,
auxquels il faut ajouter un mètre ou deux pour le socle.
cheval se cabre : un des pieds repose sur la tête du
monstre. Le cheval et le cavaJier sont plus petits, l'angui­
pède est plus grand que nature; son visage exprime une.
extI'ème. Le cavalier est revêtu d'une armure
souffrance

romaine avec draperies flottantes.
avoir dècrit le monument de Merten, M. Prost en
Après
compte seize analogues trouvés sur .les deux versants des
Vosges, (ancienne Moselle, Meuse, Meurthe, Vosges et
Bas-Rhin). ' Il en mentionne, an outre, deux déposés aux
musées de Spire et de Dornach et trouvés apparemment
aux environs. Il faut ajouter celui de la Jonchère : total, 20, '
hors de la Bretagne.
Le groupe équestre de Merten est un peu moins gl'and
que celui de Portieux. Les autres, dit 11. Prost sont du
quart ou du cinquième de la grandeur naturelle.
Quelle interprétation donner à ces monuments f M. Prost
ne se prononce pas.
Il rappelle que l'anguipède est dans la mythologie anti­
que la personnification des Géants, fils de la Terre, enne­
mis des Dieux et vaincus par eux. Ils sont figurés avec des
corps d'hommes se terminant par des cuisses en corps de .
serpents. Cette particularité a pour' but, d'après Macrobe,
d'exprimel' l'abaissement de leurs pratiques
tortueuses.
Alllsi l'iconographie mythologique fait de
l'anguipède

la personnification du révolté ou de l'ennemi vaincu,
comme Ficonogl'aphie chrétienne fera plus tard de Satan.
M. Prost hésite à voir dans ce cavalier une divinité du
Panthéon grec ou romain. Les grands Dieux ne sont
. jamais representés combattant à cheval. Il y verrait
plutôt un dieu local, appartenant au Panthéon g.aulois ; .
et plus volontiers encore un homme, un chef, un vain­
à cette dernière, hypothèse M. Prost fait
queur. Toutefois
cette objection: la multiplicité de reproductions de ce genre
dans une région limitée est plus d'accord avec l'idée d'une
image mythologique qu'avec celle d'une figure historit{ue .
L'étude de M. Prost est très-intéressante et très-instruc­
tive; mais il y a un détail important sur Jequell'auteur ne
s'explique pas, sur lequel M. Voulot insiste au contraire,
dans sa notice relat.ive au groupe de Portieux,et que nous re­
trouvons dans nos trois groupes bas-bretons; c'est le
détour de l'anguipède, du cheval et du cavalier sur la droite.
J'ajoute qu'aucun de nos trois anguipèdes n'a de tête
aigüe que
Leur visage aurait-il l'expression de souffrance
marque celui de l'anguipède de Merten ~ J'en doute. Nos
pas l'anguipède résistant
trois groupes ne représentent
mais soumis et résigné, acceptant la sujétion du cavalier,
sel'vant de guide. Dans nos groupes bretons,
bien plus! lui
à l'anguipède.
on dirait que c'est le cavalier qui obéit
il ne paraît pas que dans aucun des vingt groupes
Enfin,
signalés par M. Prost, l'anguipède figure une femme,
à Plouaret. Le groupe de Plouaret serait donc à
comme
cet égard unique dans son genre; à moins que l'on ne
voie une femme dans le groupe de Ke1'1ot ; mais c'e~t
doive
douteux. .
f dira-t-on. Nous n'en sommes pas lâ.
La conclusion
L'enquête n'est pas finie, et la cause n'est pas en état de
recevoir jugement.

(Cô té gauche)

(Côté droit)

GROUPE ÉQUESTRE DE SAINT-MATHIEU

CÔTES-DU-NORD)
(COMMUNE DE PLOUARET -

Dessin il la plnme de M. l'abbé Peyron SUI' une photographie de M. Y. Vallée •