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Note sur le pèlerinage des .Sept-Saints de Bretagne.
Le pèlerinage des Sept Saints de Bretagne, dont il est ques
tion vers la fin du testament de Coëtanlem, fut très-populaire
en Basse-Bretagne, durant tout le moyen-âge. On ne sait pas
bien au juste à quelle date il remonte. On l'appelait aussi
Tro Breiz, c'est-à-dire le tour de la Bretagne. Malgré les
dangers de toute sorte ·que couraient les voyageurs, dans
ce's temps ou les routes étai en t généralement si mauvaises
et si mal hantées, l'affluence des pèlerins était considé
rable. Il a été possible d'évaluer à 35,000 environ le nombre
des personnes qui visitèrent, pendant une année, à ia fin
du XIVe siècle, l'église de saint Patern, à Vannes (1). Ce
pèlerinage se faisait à pied, en suivant une voie romaine
(dit M. Le Men), qui, partant de Vannes, se rend à Quimper,
en passant par Hennebont, la chapelle saint Pierre, en
Rédéné~ Quimperlé, Mellac, Le Trévoux, Bannalec, la Tri
nité, en Melgven, Locmaria-an-Hent, en Saint-Yvi, et
sainte Anne de Guélen, en Ergué-Armel. Tout près du
bourg de Lomaria-an-Hent, était une fontaine appelée
encore, au XVIe siècle, Fontaine des Sept-Saints, qui était,
au moyen-âge, tI'ès-fl'8quentée par les pelet'ins et dont,
pour ce motif, le prieur de Locamand, à qui elle appartenait~
tirait un certain revenu.
.Après avait' visité les reliques de saint Corentin, les pèle-
rins devaient se rendre, par la route de Pleyben et de
Morlaix, a Saint-Pôl-de-Léon, d'ou ils gagnaient succes
sivement Tréguier, Saint-Brieuc, Saint-Malo et Dol, siège
(1.) Voir sur ce sujet, dans le Hulletin de la Société archeologique cll.b
Morbihan,pour l'année 1874, un travail intéressant de M. l'abbé Lueo,
sur le pèlerinage des Sept Saints de Bretagne; voir également la Mono
graphie de ta C(tthédrate de Quimper, par M. Le Men, p. 1.90-1.91.-1.92 .
de l'évèché de saint Samson; en suivant la voie romaine la
plus voisine du littoral. Il existe encore, à peu de distance
de ce pal'cours, des chapelles ou des fontaines qui ont
conservé le vocable des Sept Saints.
Dom Lobineau nous apprend qu'en 1410, le duc . de
Jean V fit vœu d'entreprendre le pèlerinaBe des
Bretagne
Sept-Saints. « Ce fut à-peu -près dans le mesme temps, dit
« cet historien, que le duc fut malade de la rougeolle, à
« Rennes, et ce fut sans doute pour obtenir de Dieu la
c( guérison de cette maladie qu'il fit vœu de faire le voïage
c( des Sept-Saints de Bretagne, dont il s'acquitta en com
nie
c( pag du sire de Pûrhoët. Ce voïage estoit une dévotion
(c si en usage autrefois, qu'il y avait un. chemin tout au tra
(c vers de la Bretagne, fait exprès, que l'on appeloit pour ce
(c sujet le chemin des Sept Saints ... · dont on voit encore des
t( restes au Prieuré de saint George, près Dinan. » (1)
Le même Dom Lobineau dit encore, dans la préface de
son Histoire cle Bretagne: cc · En parlant du voïage des Sept
« Saints, autrefois fameux en Bretagne, et si usité, qu'il y
cc avoit mesme un chemin pavé destiné tout exprès, 'appelé
« pour cela le chemin d~s Sept Saints" dont j'ai veu des
« vestiges, aux envif'ons de Dinan, fai pu hésiter sur ces
« Saints, et n'ai osé assurer positivement si c'estoient les
cc premiers évesques des anciens sièges Bretons, en y joi-
« gnant~elui de Vannes, ; mais depuis .... j'ai trouvé que
« je pou vois me prononcer avec assurance, que les Sept
« Saints n'estoient autres que ceux-là; et qu)on voit encore ...
« dans l'église de Quimper, au côté méridional de la porte
« du chœur, un ancien autel dédié aux Sept-Saints, où ces
« sept évesques sont dépeints avec leurs attributs tirez de
« leurs principaux miracles, et leurs noms au bas, qui sont:
(1) Dom Lobineau, Histoire de Bretagne. tome l, p. 038.
« saint Paul, saint COl'entin, saint Tugdual, saint Patern,
« saint Samson, saint Brieuc et saint Malo. »
On ne sait pas d'une manière précise à quelle époque le
pèlerinage des Sept-Saints de Bl'etagne cessa d'êtJ'e en
dans notre pays, mais, comme on le voit par le tes
usage,
tament -de Nicolas Coëtanlem, il l'était encore en 1518,
nouveaux saints avaient remplacé deux 'au
seulement, de
moins des anciens, et ritinéraire avait dû être modifié, sur
certains points; le par'cours s'était étendu jusqu'à Nantes,
e~ saint Pierre, qui, comme on sait, n'était pas œorigine
bretonne, avait remplacé saint Patern, et à saint Brieuc on
avait substitué saint Guillaume, mais toujours à Saint
Brieuc.
Brest une chapelle des Sept-Saints,
Il y avait autrefois à
et une des rues principales de la ville s'appelle encore rue
des Sept-Saints. Mais, selon M. Levot, l'historIen de la ville
de Brest, cette chapelle était dédiée~ non aux sept premiers
évêques de Bretagne, mais, aux sept enfants martyrs, c'est
à-dit'e aux sept enfants de sainte Félicité .. et la fête patronale
se célébrait le 10 juillet.
Il existe dans la commune du Vieux-Marché, autrefois
Plouaret, arrondissement de Lannion, une chapelle des
Sept-Saints, qui présente cette partic'ularité curieuse et
rare d'être bâtie en partie sur un ancien dolmen, qui forme
transept méridional. Là encore, comme en
crypte sous le
autres lieux, le christianisme a sanctifié et détourné
maints
à son profit le culte qui s'attachait à un monument payen,
Sept
dont il ne pouvait éloigner la dévotion populaire. Les
Saints que l'on vénère dans cet oratoire préhistorique ne
sont plus les sept premiers évêques de Bretagne, mais bien
Dormants d'Éphèse, et ' aucun doute n'est per
les sept
car leurs noms sont inscrits .. en toutes
mis à cet égard,
sur les socles de leurs statues: Constantin, Sérafein
lettres,
(sic), Jean, Denis, Martineau, Marcet Maximilien. Or,dans
la Légende dorée de Jacques de Voragine, il est' dit que les
sept victimes de l'empereur Decius sJappelaient: Maximilien,
... Jean, Serapion et Constantin.
Malchus, Martinien, Denis
Malchus, seul, ne figure pas dans la liste bretonne, car
Martineau et Martinien, Serafein et Sérapion,- Maximilien
et Maximien sont les mêmes noms, légèrement altérés.
On sait que l'empereur Decius fit murer les sept frères,
dans une caverne du Mont Célion, près d'Ephèse, où ils
s'étaient cachés, pour fuir la vengeance du tyran} outré de
d'adorer ses idoles. Ils restè
colère de ce qu'ils refusaient
rent, dit la tradition, 372 ans dans la caverne, plongés
léthargique,et en sortirent, au bout de plus
dans un sommeil
aussi jeunes et aussi bien portants que quand
trois siècles,
ils y étaien t entrés. J. de Voragine remarque à. ce suj et: « 0 il
« dit qu'ils avaient dormi trois cent soixante-douze ans,
« mais, cela n'est pas certain, car ils ressuscitèrent l'an
« du Seigneur quatre cent quarante-huit, et Decius règna
« un an et trois mois, en l'an 252, de sorte quJils ne dor
« mirent que cent quatre-vingt seize ans; » ce qui est déjà.
un fort joli sommeil, il faut en convenir!
Comment le culte des Sept Dormants s'est-il ainsi im
planté en Basse-Bretagne? Voici, je présume, à. peu-près .
comment les choses se seront passées: lorsque le dolmen,
débarrassé du tumulus qui devait le recouvrir ... à l'origine,
à. une époque inconnue, on y découvrit,
fut ouvert et fouillé,
nous assure la tradition orale du pays, sept statuettes
gl'o3siéres. Ces statuettes, qui étaient en pierre ou en terre
cuite et n'avaient par conséquent aucune valeur réelle, pour
des paysans qui n'étaient pas archéologues, furent rangées
sur une pierre, au fond de la caverne et y devinrent bien
tôt l'objet d'un cuIte et d'un pèlerinage po·pulaires. Le
clergé, impuissant à. détruire l'adoration rendue à. des
idoles payennes, pmcéda ... comme en tant d'autL'ds lieux,
l'on voit des croix gravées ou entées sur des menhirs, et
des images de sain t8 ou de Sain tes Vierges placées dans des
niches, au-dessus des bassins de fontaines d'origine payenne,
et dont les eaux sont encore réputées posséder des vertus
curatives pour certaines maladies du corps ou afflictions
morales. Les pèlerins laissaient toujours leur obole dans le
sanctuaire, avant de se l'eti1'er, et, au lieu de le détruire on
trouva plus opportun et plus . profitable de le conserver, en
L'on bâtit donc dessus une chapelle chré"-
le sanctifiant.
tienne, et, comme la légende des Sept Dormants d'Ephèse,
introduite en Gaule par Grégoire de Tours, au commen
cement du VIe siècle, était connue de quelque curé du voi-
sinage, peut-être celui de Plouaret, et qu'il voyait quel-
qu'analogie entre les sept fr'ères d'Ephèse et les sept sta-
tuettes conservées comme eux 'dans une caverne, pendant
plusieurs siècles, ' il dédia la nouvelle chapelle aux Sept
Dormants d'Éphèse, sous le vocable des Sept-Saints.
Une foule de places saintes d'aujourd'hui ont une origine
analogue.
F.-M. LUZEL .
Vice-Président de ln Société nrchéologique
du Finistère •