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Bulletin SAF 1886


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Vie inédite de saint Corentin (prolégoménes)

Dom Plaine

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VIE INÉDITE DE SAINT CORENTIN

:E AU IX SIECLE PAR UN ANONYME DE QUIMPER, PUBLIEE AVEC
tC:!~LÉGOMÈNES, TRADUCTION ET ÉCLAIRCISSEMENTS, PAR LE R. P. DOM
FRANÇOIS PLAINE, BÉNÉDICTIN DE LA CONGRÉGATION DE FRANCE, DE
L'ABBAYE DE LIGUGÉ.
PROLÉGOMÈNES

Saint Corentin, la gloire de la Cornquaille, le plus illustre
de ses thaumaturges, est un nom éminemment populaire en
Bretagne, comme dans une grande partie de la France. Vo­
lontiers méme les habitants de la Cornouaille assigneraient
à leur patron céleste un rang d'honneur entre tous les saints
de la Bretagne; ils ne craignent pas de dire qu'il a été entre
les p~us beaux astres de l'Eglise bretonne ce qu'est le soleil
parmi les planètes (1).
Mais si le nom de saint Corentin continue à juste titre à
être entouré de tant de gloire, si la renommée de thauma­
turge, dont il jouit toujours, lui a créé une telle popularité,
il s'en faut de beaucoup que sa vie et ses actions soient suf­
fisamment connues; il s'en faut de beaucoup que l'authen­
ticité de ses miracles ait été jusqu'ici dûment constatée. En
effet, l'histoire et l'hagiographie n'ont publié jusqu'à pré­
sent sur saint Corentin aucun texte ancien digne par lui­
même d'inspirer confianc?, et capabl~ de faire autorité. Elles
ont au contraire laissé son nom dans une sorte de demi­
obs.curité, dont la science pas plus · que la piété éclairée ne
sauraient se contenter. Nous sera-t-il donné de combler
(i) V.l'ancien office de saint Corentin dans le Sanctoral de i500 etl'é­
pitre du V. P. Maunoir à saint Corentin. Le Sacré Collège de Jésus

cette lacune, de mettre le premier dans une vraio lumière
, ]a vie et les miracles du gIor'ieux évèque de Quimper? Nous
le désirons vivement et nous ne sommes pas à cet ègard
sans espoir. Voici qu'èn effet nous avons découvert au Musée
Bollandien de Bruxelles (1) une ancienne vie latine de saint
Corentin, qu'aucun hagiographe n'avait encore utiliséè. 01>,
elle renferme a notee avis tout ce qu'on peut savoir authenti­
quement, non seuleme.nt do saint Corentin~ mais encore de
saint Primel et de saint Tudy, deux saints des plus vénérés
en Cornouaille. Il ya plus: elle est antér'ieurecommerédac­
tion, à la vie de saint Guennolé DèU' ''TV'i/rdisten et à celle de
saint Panl deLéon par vVrmonoc. On peut donc la regarder
comme le plus ancien monument littéraire de la Cornouaille
et du Léon arrivé jusqu'a nous. Mais il va sans chee que ce
que nous avançons ici a besoin d'étl'eprouvé. Aussi allons­
nous y consacre'r le premier paragraphe des présents pro­
légoménes.
U rI mot avant d'entrer en ma,!,ière sur la quesîion de
savoir' si Je siége de Quimper a eu deux titulaires du nom
de Corentin.
Deux auteurs (Deric et Garaby) à notre connaissance se
sont prononcés ici pour l'affirmative; mais ils sont moder­
nes, ils ne peuvent citer en leur faveue un seul document
ancien, un seul auteur antérieur à la fin du X VIno siècle (2).
Ils ont en outre contre eux le texte des anciennes Liturgies 10-
cales de Quimper, de Marmontiers et des au tres églises qui
célébraient la fète de saint Corentin avant 1789 (3) Que faut-il
(i) Biblioth. de Bourgogne, ms latins, n° 8,495. Ce texte avait été
envoyé de l'ancienne abbaye de Saint-Sauve de Montreuil, où se con-
servait alors une partie des restes mortels du Saint. '
(2) Ni Lobineau, ni l'abhé Gallet ne paraissent avoir admis cette opi-
\ mon.
(3) Il est bien fâcheux que cette opinion se soit glissée, subrept~cement
sans doute, à Quimper, dans l(nouyeau Propre de iSM (26 oct. III Lesto
Si Alori). '

de plus pour établir qu'une pareille opinion est radicale­
ment fàUSSe ? .. qu'elle avait dù être imaginée à plaisir pour •
concilier des traditions, dont on 'avait mal compris le sens et
la portée? Aussi, sans nous y arrêter davantage, nous allons
rechercher ce qu'il faut penser de l'antiquité et de l'autorité
de 18. vie latine de l'unique saint Corentin, qui ait gouverné
la. Cornouaille comme évêque.

~ 1 • _ ANTIQUITÉ ET AUTORITÉ DE LA VIE DE SAINT
CORENTIN •
La vie latine de saint Corentin, que nous publions au-
jourd'hui pour la première fois est-eHe~ un écrit original "1
Émane-t-elle d'un auteur suffisamment bien placé pour con­
naitre les faits qu'il raconte, d'un auteur assez embrasé du
la vél'Ïtè pour inspirer confiance ~_ Enfin cet écrit
zèle de
. est-il arrivé jusqu'à nous exempt d'interpo1ation? Telles sont .
les trois questions qu'il importe d'éclaircir pour établir que
nouS nous trouvons ici ei1 présence d'un document pleinement
digne de faire autorité.
Or, si nous devons avouer tout d'abord que la Vie latine de
saint Corentin n'existe plus à notre connaissance que dans
une seule copie, celle de Montreuil oU'du Musée Bollandien,

-et encore est-elle de date l'écente (1664), nous pouvons
affirmer en même temps que cette transcription avaitété faite
sur des marouscrits très-anciens et rongés de vétusté (1),
qui remontaient probablement au IXe siècle et provenaient
originairement de Quimper.
Ce qui prouve la vér'ité de cette derniè" re assertion, en
établissant simultanément que le texte du IXe siècle n'a pu
subir aucune interpolation au moins substantielle dans
le COUl'S des âges: c'est que la transcription de Mon­
treuil nous présente un texte parfaitement identique quant

(1) Lettre d'envoi adressée à Henschenius, mt 8~95, fol. 53.

au fond, quelquefois même quant a la lettre avec " celui
du Chronicon Briocense., du Sanciorale Corisopitense
(1500) (1) et des Légendaires de Quimper, de Saint-Pol-de­
Léon, de Marmoutiers, etc. Car cette identité serait abso­
lument inexplicable si' l'on n}admettait pas qu'a l'époque de
la translation du corps de saint Corentin, le texte prirriitif
de la vie du saint fut transféré simultanément et arriva
ainsi jusqu'à Montreuil, en Picardie. Il paraît, en effet,
que, postérieurement à cette date et jusqu'à la fin du
XVIIe siécle, il n'y eut -plus entre les deux pays aucun
échange de communications relativement au culte d" e saint
Corentin. Car la Bretagne en était alors a ignorer quela Pi­
cardie revendiquât l'honneur de posséder les restes mortels
d'unde ses plus illustres enfants; elle croyait que ces restes
sacrés se trouvaient uniquement a Marmoutiers (2) et c'est

là qu'elle s'adressait quand elle voulait en obtenir quelque
portion
Ne sait-on pas d'ailleurs que la translation d'un corps
saint., lors des invasions normandes, amenait assez ordi­
nairement le transfert simultané de la vie originale du
même saint, témoin ce qui se fit pour saint Léger d'Au­
saint Guennolé., saint Pol de Léon ~ Ceci soit dit uni­
tun,
quement pour rendre raison du fait} pour montrer qu'il
n'est pas isolé. Car, fût-il même le seul de ce genre, la
présence a Montreuil de l'unique exemplaire de la vie d'un
saint aussi illlustre que saint Corentin et ridentité substan­
tielle de ce texte avec celui des anciennes légendes liturgi-
" (i) Ce Sanctoral, dont on ne connait plus qu'un exemplaire, se conserve
au Musée Bollandien de Bruxelles. Quant au Chronicon Briocense} il est
encore inédit, mais on connait plusieurs copies, et Dom Morice en a pu­
blié quelques extraits, entre autres ce qui concerne saint Corentin (Pr.
de Bretagne, t. l, p. 7-1.02.
(2) V. Let Vie de saint Corentin, par Albert Le Grand.
(3) V. ce que nous dirons plus bas des reliques de saint Corentin,
en étudiant les derniers documents, ceux des années 1623 et 1646.

ues du même saint suffiraient à elles seules pour prouver
q b' . 1 Al" b t
u'il n'a su 1 a travers es ages aucune a teratlOn su s an-
faire autorité, la distance ne paraît pas considérable.
Si nOUS examinons maintenant la vie de saint Corentin en
elle-même, si nous recherchons minutieusement quels sont
les caractères intrinsèques et extrinsèques qui la distin­
aveux elle contient, queVes déclarations y
guent, quels
sont faites, on acquierr'a, croyons-nous, non plus une simple .
probabilité, mais la certitude que le document en qu~stion
est pleinement capable d'inspirer confiance.
examen, en effet, il résulte: lOque l'auteur était
De cet
clerc de l'Église même de Quimper (1), pal' conséquent des
mieux placés pour en connaître les vraies traditions. Qui sait
même s'il n'avait point à sa disposition certains documents
primitifs aujourd'hui et depuis longtemps perdus sans re­
tour? 2 qu'il a dû apporter le plus grand soin dans ses re-
cherches, car il s'était proposé pour but non de composer

un simple éloge ou un panégyrique, mais bien de retracer
dans son ensemble la biographie de son héros. Il nous le
déclare incidemment (2) et par là nous donne à entendre
qu'il n'aura rien négligé pour recueillir et grouper tous
les faits qui étaient de nature à mettre mieux en reliefla
physionomie. et le rôle de saint Corentin.
Il suffit également de parcourir avec un peu d'attention la
vie de notre EvêquedeQuimper, pour reconnaître que l'auteur
ne manquait pasde littérature. Il était en particuliertrés versé
dans les Saintes Écritures: il les cite à chaque page, et en
fo~d souvent les textes dans son propre l'écit avec assez
d'art. Il écrit en outre le latin avec une pureté, une correction

(1) Vi~ de sai!2t Corent~n, prologue, § 13, 1~ et passim .
Vw de saznt Corentzn, § 9. L'auteur s'y adresse non à des audi-
teurs comme dans un sermon, mais à des lecteurs. '

et une élégance au moins relatives? qui Je mettent sous ce rap­
port bien au-dessus 'de Wrdïsten et de Wrmonoc, les bio­
graphes de saint Guennolé et de saint Pol de Léon. On le
trouvera cependant sans nul doute un peu déclamateur
quand il parle des vices qui déshonoraient le clergé de son
temps (1); mais heureusement il rachète ce défaut par un
ton de bonne foi et de franchise, qui lui gagnera bien des
ne nous trompons.
suffrages, si nous
Un autre point plus important encore à constater, c'8st
la fixation de la date, au moins approximative, de la rédac­
la vie de saint Corentin. 01') sans prétendre contrH
tio.n de
toute vraisemblance que l'auteur fut contemporain et disciple
dli saint ~ui-même, on peut néanmoins affirmer en toute assu­
rance, appuyésur ses propres déclarations, qu'il vivait dans
des joues où les Francs avaient un empereur à leur tête (2),
dans des jours ou le clergé franc trop abondamment pourvu
des biens de la terre négligeait un peu ceux du ciel et le
soin des âmes (3), dans des jours ou l'autorité métropoli­
taine de Tours était contestée en Bretagne (4). De telles af­
firmations nous font penser de suite au règne de Louis
le Débonnaire et de Nominoé, c'est-à-dire à la pre- .
IXo' siècle. Mais ce qui est encore moins
mière moitié du
douteux c'est que cet anonyme écrivait avant J'année 878,
avant toute translation du corps de saint Corentin (5), par
conséquent avant les invasions normandes, et à une époque
ou les traditions primitives des âges anciens n?avaient subi
que peu d'altération .
Si vous joignez à cela que cet auteur est très sobre de
sur la vie du saint, et'gu'il n'appelle l'attention que
détails
1) Prologue et § 9, etc.
2) Vie de sC;tint Corentin, Prologue et § 3 •
(3) Ibid. On sait que l'évêque de Quimper, avec plusieurs autres, fut
, déposé par Nominoé comme simoniaque.
(~ Ibid., § 10. L'auteur est favorable à Tours.
(5 Ibid., § 13 et suiv. '

ur les points culminants de la biographie qu'ill'etrace (1),
source d'information il aurait trouvé dans la seule tradition
orale fidèlement conservée un sûr garant de tout ce qu'il
avance.
NoUS ne voyons donc plus sur quoi pourrait s'appuyer
li/. critique la plus méticuleuse pour mettre en suspicion
biographe d.e saint Corentin.
J'autorité du
pour notre propre compte noùs l'avons bien trouvé deux
fois en défaut, mais cette double erreur est sans consé­
quence. La première est purement scripturaire: elle con­
siste à attribuer à saint Paul des paroles qui sont sorties de
la bouche même du Seigneur (2). La seconde est chrono­

logique. L anonyme de Quimper moins versé, paraît-il, en
dans la langue grecque, en vient à supposer
chronologie que
que saint Corentin a ·pu être ordonné par saint Martin en
personne. Mais après tout, confondre saint Martin avec un
de ses successeurs, au IXo siècle ... à une époque où la chro­
nologie n'était guère cultivée, ne saurait être considéré
comme une erreur de conséquence, sinon pour le fait par­
ticulier qui est en cause, nullement pour l'ensemble ' d'un
récit ou d'une biographie. L'autorité de la Vie de saint
Corentin n'est donc nullement ébranlée par là; elle reste
pleine et entière, et peut défier, nous l'avons montré, toute
critique éclairée et exempte de parti pris .
Ce premier point éclairci, nous allons aborder en second
lieu . la question de la Chronologie de 'saint Corentin et
essayer en même temps de déterminer les grandes lignes
de sa biographie.
(1) I:'auteu; est très concis, ,en effet, pour ce qui touche la vie de saint
MalS, en revanche, Il raconte dans le menu les deux miracles
Corentm.
p~sthumes qui terminent son récit et qu'il devait tenir de témoins ocu­
laires et acteurs.
(2) Vie de saint Corentin, § 8.

~ 2. CHRONOLOGIE DE SAINT CORENTIN.
La chronologie de saint Corentin n'est pas 'plus exempte
d'obscurités et de difficultés que celles de saint Samson, de
saint Malo et des autres saints de l'Armorique, à cette
même que nous éditons, n'a
epoque reculée. Le biographe
pas peu contribué" semble-t-il, à l'embrouiller encore âavan­
tage, en affirmant, comme il vient d'ètre dit, que le patron
de la Cornouaille avait reçu des mains de saint Martin de
Tours la consécration épiscopale. Car c'est évidemment à
l'écrit de cet anonyme que doit remonter originairement
l'introduction dans les offices liturgiques du Moyen-Age de
cette tradition fabuleuse, qui a fait loi parmi nous jusqu'au
XVIIIe siècle (1), c'est - à- dire jusquJà ce qu'on eut un
peu débrouillé les ténèbres de la chronologie en rappro-
chant les temps et les personnages, les faits et les situa­
tions.
Ainsi, pour ce qui concerne en particulier saint Co-
. rentin, s'il est un fait saillant dans sa vie, et un fait d'une
certitude absolue, ce sont assurément ses relations avec
Grallon, la principale gloire militaire ' et politique de la
Cornouaille. Or Grallon n'est pas un personnage légen­
daire. L'histoire atteste qu'il a régné sur la Cornouaille,
peut-être même sur toute la partie de la Bretagne alors
par les Bretons venus de l'Ile. L'histoire atteste
occupée
aussi que Grallon a entretenu des relations avec le roi
Clovis et ses Francs. Son règne ne peut donc correspondre
qu'à la fin du Ve siècle et au commencement du VIe, ce qui
100 ans et plus après la mort de saint Martin. Il faut
donne
donc de toute nécessité que l'anonyme de Quimper ait fait ici
confusion, qu'il ait attribué à· saint Martin en personne, ce
qui était le fait d'un de ses successeurs. Mnis aussi, une fois
(1) BAILLET, Vies des Saints, t. VI, p. ~ .

cette explication donnée, il deviendra facile de fixer avec
assez de précision et de probabilité l'ensemble de la chro­
nologie qui nous occupe.
Voici à cet égard, les dates. que nous croyons pouvoir
proposer: .
10 Corentm prend naissance dans la Cornouaille (vers

20 Déjà prêtre, il se fait ermite à Plomodiern., dans les
environs de Châteaulin et du Ménez- Hom (vers 490) ;
3° Ses premières relations avec Grallon (vers 495) ;
4° Visite à l'ermite Primel (vers 495) ;
50 Il est ordonné évêque (vers 500) ;
6° Episcopat.
auteur en parle très brièvement; mais néanmoins
Notre
pour plus d'un ~otif} et particulièrement en raison des rela­
tions qui ont existé entre notre évêque d'une part, saint
Tugdual et saint Paul de Léon de l'autre, d'après la vie
encore inédite de saint Tugdual, nous pouvons affirmer que
cet épiscopat a été long et qu'il ne s'est pas terminé avant
les années 540-550.

7° Mort précieuse devant Dieu de saint Corentin (vers
550~) Cette date paraît ressortir d'un passage de la vie de
saint Téliau, évêque de Llandaff (pays de Galles) dans le­
quel il est dit qu'à l'époque de la peste qui désola le pays
de Galles, c'est-à-dire vers 549-5~5, Téliaupassa en Armo-
habitants de la
rique et fut demandé pour évêque par les
Cornouaille, qui n'avaient plus alors de pasteur à leur
tête (1). . .
8° Réputation de sainteté et de puissance miraculeuse de
saint Corentin (Vle-IX siècles).
9° Erection à Quimper d'une première basilique en l'hon­
neur de saint Corentin (800-845).

(1) Liber Landavensis, p. f05.

Nous venons de résumer chronologiquement en ces quel­
que nous savons authentiquement sur saint
ques lignes ce
Corentin, sur sa vie et ses premiers miracles posthumes.
la suite de l'histoire posthume du même saint n'a pas
Mais
moins besoin d~êtl'e éclaircie. C'est pourquoi nous avons
placé comme appendice à ce travail quelques documents
originaux qui nous ont paru de nature à jeter du jour au
milieu de ces obscurités. Ils ont trait à la translation de
saint Corentin, à ses miracles, etc. Mais il est indispensable
traiter brièvement dans ces prolégomènes afin de mon­
d'en
trer quelle lumière nouvelle nous apportent ces documents.

~ 3. DIVERSES TRANSLATlONS DU CORPS DE SAINT CORENTIN •
ETAT ACTUEL DE SES RELIQUES '
Le corps de saint Corentin fut enseveli avec honneur dans

sa propre église, probablement à rendroit même où s'élève
aujourd'hui la magnifique cathédrale de Quimper. Il y de­
meura longtemps honoré de la puissance miraculeuse, et
entouré d'une telle vénération qu'une superbe basilique fut
sur son tombeau dans la première moitié du IXe siè-
élevée
cle, aux · frais des fidèles et grâce à leurs généreuses
offrandes (1) .
Survinrent peu après les invasions normandes (années
876 et suivantes), qui couvrirent la Bretagne de sang et de
d'un siècle. Il devint nécessaire alors
ruines pendant près
d'emporter loin du pays les corps des saints, les vases
sacrés et tout ce qu'on avait de plus précieux, afin de sous­
traire tout cela à la profanation et à la destruction. Or, le
premier des corps de nos saints bretons qui fut ainsi mis en
saint Corentin (2); mais il fut,
lieu de sûreté, fut celui de
paraît-il, divisé en plusieurs parties, avant d'être em-

(f) Vie de saint Corentin, §§ f~-f6.
(2) Preuv. de Bret., 1. l, p. 342 .

orté loin de la Cornouaille. Car de fait Quimper paraît en
ue plusieurs autres localités ont revendiqué postérieure-
vénérable.
L'histoire de ces diverses translations a Lehon, a Tours,
iJ, Paris, a Montreuil n'a été retracée par aucun écrivam
ancien Mais voici comment elle parait pouvoir se résumer
a la lumière des faits et des docum.ents contemporains .
Et d'abord, en 876-880, lors de la première translation du
saint corps, il y a lieu de croire que quelques-uns des clercs
de Quimpee, qui cherchaient a soustraire cette sainte dé­
pouille à la profanation, ne s'avancérent pas au-dela du
monastère de Saint-Magloire de Léhon, près Dinan. Ce 'qui
nous porte à l'affirmer, c'est que Lèhon était à cette date
. l'une des principales forteresses de la Bretagne; c'est que la
plupart de nos autres corps saints y firent semblableri1ent
une première halte avant d'être emportés hors du pays
breton; c'est enfin qu'une partie notable des précieux restes
mortels de notre évêque de Quimper s'y trouvait indubita­

blement 30 ou 40 années plus tard, lorsqu'ent lieu (vers
910-920) ce tte translation simultanée a Paris de 18 corps
saints, qui joue un si grand rôle dans l'hagIOgraphie bre­
tonne (2).
Nous venons de dire -que, quelques-uns des clercs de
Quimper s'arrêtèrent a Léhon. Il y en eut d'autres du même
départ selon toute apparence, qui, dépassant Tour:s et Paris,
s'avancèrent jusqu'a Montrfjuil, sur les confins de la Flandre
et de]a Picardie. Ils y étaient sans doute attirés tant par
la.piété du comte du pays Hulgaed que par la renommée

(1) Cartul. de Quimper. Invent. de 121.9.
(2) Acta s.anctor. latina, t. ~ . . oct. .p. 791. La date proposée par
les. Bollanchstes (979?) est fautive. (V Oll' nos prolégomènes à la Vie de
samt Malo, p. 17).

de saînteté et de puissance miraculeuse dont jouissait dans
ces contrées un ancien prince beeton, le B. Josse, qui était
allé y cacher sa royale naissance et y servir Dieu dans
Fhumilité et la pénitence; Ce qui nous amène à penser que
transfert d'une pal?tie du corps de saint Corentin à Mon­
treuil a eu lieu de la sorte de prime abord et sans halte
préalable à Léh0D:, à Marmoutiers ou à Paris, c'est que
l'abbaye de Saint-Sauve de Montreuil, qui ne tarda pas à
devenir la gardienne de ce dépôt sacré, possédait également
l'unique exemplaire connu de la vie latine de saint Coren­
tin, et de plus le corps de saint Conogan." l'un des succes­
seurs du même saint sur le siège de Quimper (1).
Nous avons déjà montré plus haut que l'exemplaire de la
vie dè saint Corentin qui se conservait à Montreuil, devait y
avoir été apporté directement de Quimper. La chose est en­
corpsde samt Conogan, car ce
core moins contestable pour le
- saint n'a jamais reçu aucun culte à Marmoutiers et dans les
autres églises (Quimper excepté) qui se glorifiaientde possé­
der quelque partie des reliques de saint Corentin, tandis qu'à
Montreuil les reliques des deux saints étaient conservées
dans la même chasse, elles étaient journellement l'objet des
hommages de vénération (2), sans doute en souve­
mêmes
nir de ce que leur translation et leur arrivée à Montreuil
avaient été simultanées.
Revenons maintenant à Saint-Magloire de Léhon.
Les reliques de saint Co)?entin, nous l'avons dit, n'y firent
qu'une halte temporaire. Au commencement du Xe siècle,
(910-9201) les Normands ne cessant de gagner du terrain et
de multiplier leurs dévastations, Salvator, évêque d'Alet, et
Junanus, abbé de Saint-Magloire de Léhon, reçurent simul­
tanément avis du Ciel qu'ils devaient sans ratard emporter

(i) V. Acta sandor. t. 7 oct. p. ~2.
(2) Ibid.

hors de Bretagne, les corps saints dont ils avaient la garde,
s'ils voulaient les soustraire à la profanation. En consé­
quence ces deux saints personnages, obéissant aux ordres
d'en haut, franchirent les limites du pays breton, et arrivé­
rent jusqu'à Paris) après quelques nouvelles haltes succe .~:- ·
siv sur lesquelles nous manquons de l'enseignements. Ce
qui paraît assuré, c'est que leur trésor ne subit, chemin
faisant, aucune déperdition.
La translatîon à Marmoutiers d'une portion des saintes
reliques est donc postérieure à leur arrivée à Paris (1).
_ Voici comment s'explique cette troisiéme translation,
au sujet de laquelle les moines de Mal'moutIers n aVl;llent
eux-mémes que des traditions confuses (2). Le trésor de
Saint-Magloire de Léhon, qui était arrivé intact à Paris,
ne demeura pas semblablement dans le même état d'inté­
grité dans les années qui suivirent. Il y eut en effet cer­
taines restitutions et certains échanges dont la Bretagne
profita (3); il y eut aussi d'autres essais plus complets
de restitution, qui tournérent au profit de Beaumont­
sur-Oise, de Corbeil, d'Orléans et de quelques autres
localités (4), au nombre desquelles il faut, croyons-nous,
comprendre l'abbaye de Marmoutiers. Cependant Marmou­
tiers n'est pas nommément désigné dans le document sur
leq uel nous nous appuyons; mais ni Angers, ni Meaux ne
le sont non plus, et cependant il est constant que la premiére
de ces villes obtint pour . son lot le corps presque entier de
saint Guinganton, évêque de Vannes, et la seconde une
partie notable des reliques de saint Méloir, martyr (5). Aussi
nous regardons comme trés probable que ce fut alors que
(i) Acta sandor, t. X. oct. p. 791..
(2) Vie latine de saint Corentin. Appendice nO 1..
(3) CHASTELAIN, Martyrologe universel p. 800.
(~) V. le document déjà ci!é. A,cta, SS. 't. X, oct., p. 791..
(0) CHASTELAIN. Ouv. et heu CIté.

l'abbaye de Marmoutiers entra en possession de la tête
vénérable et de divers ossements de saint Corentin (1).
Il est possible que ces pieuses reliques n'aient pas tou­
jours été entourées à Marmoutiers d'autant d'hommages de
piété et de vénération que quelques autres dont ce monas-
'tère avait semblablement la garde. Un des miracles qui se
trouve relaté dans notre publication le donne assez claire-

ment à entendre, puisque les moines de Marmoutiers n'en
vinrent à recourir à la protection de ~aint Corentin dans un
danger pressant, qu'après avoir vainement imploré l'assis­
tance des autres saints dont ils avaient également des reli­
ques (2). Maisaussi l'efficactté dela protection de notre évê­
que breton n'en parut que plus évidente, puisque ce fut a lui,
et à lui seul, qu'on dûtladélivrancedanscettecirconstance.
Aussi, à dater de ce moment etjusq u'a la Révolution françai­
se,. saint Corentin fut-il considéré et honoré comme un des
principaux patrons de l'abbaye de Marmoutiers. Nous en
avons pour garants les documents que nous publions en cin-
quième lieu, et la solennité de la fête annuelle dont le saint
était l'objet (3). ,, '
U ne portion a~sez considérable des reliques de saint

Corentin était d'ailleurs restée a Paris et demeura long-
temps uniquement sous la garde des moines de Saint-
Magloire (4). Mais vers la fin du XIIe siècle ... Philippe-
Auguste en obtint une part pour un monastére de Vierges
qu'il fondait. alors près de Mantes ... au diocèse de Chartres (5).
Ce monastère prit le nom de Saint-Corentin, et plusieurs
du sang royal de France y ont choisi leur
princesses
sépulture. ,

(1) Vie latine de saint Corentin. Appendice nOS 11 et o.
(2) Ibid. Append. n° 2.
(3) Ibid. Append. nOS 11 et o.
(11) Acta ss. t. X. oct. p. 791.
Gall. Christ, t. VIII. c. 1300.

Une seconde part fut dérobée au trésor de Saint-Magloire
endant les guerres de religion et portée à l'abbaye de
blil' une fête annuelle en l'honneur de notre saint dans
cet illustre monastère (1).
Plus tard la portion restée à Saint-Magloire, fut cédée
aUX Oratoriens du P. de Berulle, lorsqu'ils prirent la place
des moines. Elle se conserve maintenant à réglise parois­
siale de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, mais pèle-mêle avec
d'autres reliques, à cause du peu de soin qu'on put apporter
à leur conservation lors des troubles religieux de 1789 et

des années suivantes (2).
Parmi les autres reliques de saint Corentin qui n'ont pas
péri pendant la Révolution, voici toutes celles sur lesquelles
nous avons réussi à obtenir quelques renseignements:
10 A Quimper, on vénère encore non Le bras aujourd'hui
perdu dont parle l'inventaire de 1219 et sur lequel on prê­
tait jadis les serments les plus solennels (3), m~-o..is un autre
ossement du bras qui, concédé par l'abbaye de Marmoutiers
en 1623, y fut reçu avec les plus grands honneurs, et déli­
vra la ville de la peste en 1638 (4).
M. l'abbé du Marc'hallac'h, vicaire général de Quimper,
vient en effet d'établir, avec preuves irréfutables, que cet
ossement vénéré donné en 1623 à Mgr de Lézonnet, comme
il vient d~ètre dit, fut porté il Ergué-Armel en1793, et ainsi
. sauvé de la profanation et de la destruction. Reporté à la
cathédrale en 1795, il y devint, jusqu'en 1825, l'objet des
mêmes hommages de vénération qu'avant la Révolution.
Mais, à cette date de1825, par suite d'un malentendu regret­
table, il cessa d'ètre exposé à la vénération des fidèles .

(i) Propre de s. Victor de Paris. 12 déeemb.
(2) V. Acta ss. t.X. oct. p. 779.
(3) Cartul. de Quimper, fol. i-5, etc.
(4) DE KERDANET, Vie de saint Corentin, p. 805, nO II.

Heureusement, pal' ordonnance du 12 novembre 1885, l'au_
tOI"'ité diocésaine vient de faire cesser un si fâcheux malen_
l'excellent mémoire que nous
tendu. Tel a été le fruit
venons d'analyser (1).
2° Une parcelle a été détachée de cette relique en 1819
et donnée à Yéglise de Plonévez-Porzay.
3° En 1809, Mr;r de Crouseilhes, évêque de Quimper, se
fit donnerà Tours, un petit ossement (ossieulUln) , qui était
conservé à l'archevêché.
Cet o&sieulum était tout ce qui restait alors à Marmoutiers
des reliques de saint Corentin, d'après les pièces publiées
tout récemment dans le savant mémoire de M. l'abbé du
Marc'hallac'h. Il fut offert spontanément par l'archevêché
de Tours.
~ 4. CULTE, PATRONAGE ET ICONOGRAPHIE
DE SAINT CORENTIN.
1. Culte de saint Corentin.
Le nom de saint Corentin jouissait dès le VIle siècle
d'une grande célébrité et son culte était en honneur en
plusieurs pays. Nous en avons pour garant assuré les Lita­
mœ anglieanœ qui remontent à cette date et ont été décou­
vertes et publiées par D. Mabillon (2).
Ce nom est cependant absent des anciens martyrologes
dits Hieronymiens, ainsi que de ceux de Béde, d'Adon et
d'U suard; mais, à partir des XIVe et XVe siècle, on le
trouve sur les exemplaires d'Usuard, qui ont été com­
plétés et grossis par l'addition de nouveaux saints (3).
Saint Corentin était en outre, avant 1789, l'objet d'une
(1) De l'authenticité d'une relique insigne de s. Corentin. Rapporl
présenté il 'Mgr Nouvel, évêque de Quimper et de Léon. Mai 1885.
(2) VETERA ANALECTA et MIGNE, Patrol. lat., t. 72, p. 623.
(3) SOLLIER CUNTARlA Usuardi, 1 mai et 12 décembre.

fête a nellf leçons a peu près dans toute la Bretagne (12 dé­
ombre, jour natal). Mais en Cornouaille, à titre de patron,
En dehors de la Bretagne, saint Corentin était également
solennité d'un rite plus élevé, a Angèrs, au Mans, a Tours,
à Chartres, a Marmoutiers, a Paris, a Saint-Sauve de
Montreuil, a Saint-Magloire (Paris), a Saint-Victor (Paris)
et a rOrâtoire (Paris), etc.
L'abbaye royale de Saint-Corentin, près Mantes, l'hono­
rait comme son patron principal en même temps que la
Sainte-Vierge.
II. Patronage actuel de saint Corentin.
Saint Corentin continue encore aujourd'hui d'être regar­
dé comme patron:
1 ° De la cathédrale et du diocèse de Quimper;
2° De la paroisse de Saint-Conan (olim Corentin), proche
Plésidy ~ elle fait aujourd'hui partie du diocèse de Saint­
Brieuc, mais avant 1789 elle appartenait a celui de Quini-
pel' et a la Cornouaille; -
3° De nombreuses chapelles de dévotion sises tant en
Cornouaille que dans le Léon, le Vannetais, etc. sont pla­
cées sous le mème vocable. Voici celles dont nous avons pu
relever les noms; mais plusieurs, sans doute., nous ont
échappé:
la Au diocèse de Quimper: 1° Berrien; 2° Briec; 3° Daou­
las; 4° Lanmeur; 5° Loperhet; 6° Plomeur; 7° Plomodiern;

8 Plogastel; 9 Pont-l'Abbé; 10° Poullaouen; 11° Rumen-
gol; 12 Scrignac; 13° Sein (Ile de). .
II. Dans le Léon: 1° Landerneau ;- 2° Saint-Renan.

III. Diocèse de Saint-Brieuc: 1 Bodéo; 2 .Carnoët-Callac.
IV. Diocése de Vannes: 1 Baud; 2° Le Faouët.

Iconographie.
III.
Saint Corentin est presque toujours représenté crossé,
mitré et prêchant, avec un poisson ~ ses pieds. Le poisson
son attribut distinct à cause du fait caractéristique
forme
dont il est parlé dans sa vie (1) ; il empêchera toujours de le
confondre avec aucun autre saint sous le rapport iconogra-
phique.
On trouve une fort belle gravure de saint Corentin dans
le P. Cahier (2).
Il Y a aussi de lui une statue ancienne à Lanmeur.
Dans "la cathédrale de Quimper, la chapelle de Saint­
Corentin vient d'ètre ornée de vitraux et de peintures où
sont reproduits les principaux actes de sa vie.
permis, en terminant, d'offrir mes vifs sen­
Qu'il me soit.
timents de respectueuse reconllaissance aux RR. PP .
Rémi de Buck (aujourd'hui décédé) et Charles de Srnedt, de
la Compagnie de Jésus, qui m'ont ôté d'un si grand secours
dans cette publication et dans plusieurs autres analogues
déja réalisées ou encore en préparation . . Ce sont en effet

ces dignes successeurs de Bollandus qui m'ont ouvert les
portes du riche trésor dont ils ont la garde, et m'ont permis
d'y puiser à pleines mains. On a vupar ce qui précède, que
musée Bollandien a fourni les quatre cinquièmes de ce
est publié ici. Les pP. de Buck et de Smedt se sont
qui
encore plu à m'aider des lumières de leur expérience en
hagiographie et de leur vaste érudition.
. Abbaye de Santo-Domingo de Silos (Espagne, province
22 août 1885. Octave de 1 Assomptiou de la
de Burgos)
Sainte-Vierge •

(1) Vie latine de saint Corentin, § 2, 3 et 4..
(2) Caractérist. des SS. t. II, p. 693.