Responsive image
 

Bulletin SAF 1885


Télécharger le bulletin 1885

Transaction entre le seigneur de la Porte-Neuve et le seigneur de Kermagoer, touchant les prééminences et droits honorifiques en l’église paroissiale de Moëlan (1494-1495)

M. Luzel

Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes


XVI
TRANSACTION
ENTRE LE SEIGNEUR DE LA .PORTE-NEUVE ET LE SEIGNEUR DU KERMA- . .
GOER TOUCHANT LES PRÉÉMINENCES ET DROITS HONORIFIQUES EN
L EGLISE PAROISSIALE DE MOELAN.

Notre ancien et toujours regretté vice-président, M. Fran_
Audran, dans le premier volume du Bulletin de la So­
çois
ciété \1874, page 115 et suivantes), nousa 'déjà entretenus
d'un curieux débat et procés entre le recteur de Moëlan et
seigneur ou la dame du Kermagoër (1) (car c'était alors
une dame), au sujet d'une paire de gants que le premier
devait présenter au dernier, à son banc, chaque année,
pendant la grand' messe du jour de Pâques, entre l'épître
et l'évangile. Le procés dura de 1703 à 1740 et se termina
au désavantage du recteur.
En. 1703, la terre du Kermoguer, en Moëlan .. appartenait
à Louise du Pou (prononcez du Paou), dame douairière du
Fresque et héritière bénéficiaire de messire Allain du Pou,
chevalier, seigneur du Kermoguer, son frère En 1740, elle
lle
avait passè, par acquisition, entre les mains de d Perripe
de Keronic, avec tous les droits et prîvilèges y attachés.
remontait à 1708 et avait été faite par son
L'acquisition
Eudo, chevalier, sieur de Keronic, conseiller au
père
Parlement de Bretagne.
Le l'ecteur de Moëlan, en 1703, messire Marc Dubois, s'ex-

cusait de refuser le droit et hommage de la paire de gants,
qui semblait froisser son amour-propre bien plus que
ses sentiments religieux, en disant: « qu'il est inouy
« qu'un prestre ou recteur interrompît le Saint Sacrifice de
(( la messe, le jour le plus solennel de l'année, et quittât

(1 ) Kermagoè'r est une forme archaïque devenue aujourd'hui Kermo­
guer et signifie Ii.ttél'alement village de la mura-ille.

« l'autel avec tous les or'llements sacerdotaux, comm e pou:'
« aller sacrifier au Seigneul> et demander' a Dieu ' les lll'­
« miéres du Saint-Esprit, pour aller chef'chcI' dans une
• « église une dame, lui faire la révérance et lui présanter

« une paire de gants. »
Le curA n'avait peut-être pas tort, au fond, et au point
de vue où il se plaçait; mais le droit du seigneur était
formel, la coutume établie de vieille date et il fallait se
soumettre, non pas lui toutefois, mais, ses successeurs.

De nouveaux documents, venus nouvellement à notre
connaissance, nous permettent aujourd'hui de reprendre
cette affaire de plus haut et de r'emonter à son origine,
Notre 'savant confrère, M. Anatole de Brémond d'Ars, qui est
aussi président de la Société archéologique de N'antes, me '
communique, pour en être fait part à notre Société et donné
un résumé dans son Bulletin, une belle charte de la fin du
XVe siècle, relative à une contestation et à une transaction
survenùes, en 1494-1495, entre le seigneur de la Porte-
neuve, en Riec, et le seigneur du Kermoguer, en Moëlan
au sujet de prééminences et de droits honorifiques, dans
l'église paroissiale de cette dernière commune.
Ce document est trop étendu pour être reproduit intégra-
lement; c'est un beau parchemin de un mètre quinze centi­
mètres de long, sur cinquante-cinq centimètres de large; il -­
provient des archives du château de la Porte-Neuve, possédé
anciennement, et jusqu'au XVIIIe, siècle par la famille de
Guer, et qui appartient aujourd'hui à M. A. de Brémond
d'Ars. Comme il contient, outre l'origine du procès dont
nous avons parlé plus haut, des renseignements intéres­
sants sur d'anciennes familles du pays, sur certaines rede~
vances et coutumes seigneuriales, sur les anciennes sépul­
tures de l'église paroissiale de Moëlan, et enfin sur les ma-
gistrats de la cour royale de Quimperlé, en 1491-1495, j'ai
cru devoir en faire une analyse pour notre Bulletin, en re-

produisant textuellement quelques-uns des passages les
plus saillants.
Le pénultième jour d'octobre 1494, Marguerite de 'Hir-
garz, veuve de Guillaume du Kermoguer et tutrice de son

fils, mineur, Pierre du Kermoguer, seigneur pour lors de la
seigneurie du Kermagoer ou Kermoguer, en MOëlan, fit
publier, au prône de la grand' messe de cette paroisse, en
présence de Yvon de Guer, seigneur de la Porteneuve, en'
mandement royal de maiQ,tenue, du 3 septembre
Riec, un
de la m,ème année, touchant une ceinture et lisière armoyée
aux armes du Kermoguer, en blason de gueules à trois

, molettes d'argent « que celle tutricze avoit mis et faict mec-

« tre tout autour de ladicte esglise parroichiale, tant par
« dehors que aussi par dedans. ») C'était réclamer, par une

marque visible, le titre et les priviléges de fondateurs de
l'église de Moëlan pour les sejgneurs du Kermoguer.
Le seigneur de Guer, qui avait aussi des prétentions aux
mèmes titres et privilèges, protesta et mit opposition,
disant: « qu'il estoit noble homme, yssu et extroict de
« noble et grande extracion acteugnant (atteignant) de lig­
« naige à plusieurs grans seigneurs, chevaliers et es cuy ers
« de ce païs et duché ... et qu'ilavoit et à lui appartenoit en
« ladicte paroisse ung manoir noble et ancien nommé vul-
« geaulment (vulgairement) Kergoët, appartenancze de
« boays ancien et revenant et de plusieurs hommes et sub­
« gectz, 'terres, héritaiges et fiez (fiefs) en ladicte paroisse
« et ou (au) bourg d'icelle, adjaczens quasi au circuit et
« environs ladicte esglise et cymitiere, quel manoir ancien­
« nement av oit eu demouranze de nobles gens queulx por­
« toint les armes dudict lieu de Kergouet, queulx (lesquelles)

.« sont en blason: d'argent à un croissant de gueules à cinq
« -étoilles de mesmes, dont à pnt (présent) ledict de Guer,
« par moyen de ses prédécesseurs est loir (l'héritier) prin­
« ciral, quelles armes sont en la grande vitre de ladicte

« esglise. cl u costé de leval1gille et en pl us haut et emynant
« lieu que n'a pas ledict du Kennagoel', ains (m ais), si
« auchunes ya, sont (-\il lieu et plus bas et inférieur que les
« armes dudict de la Porteneuffve, anssus (de plus) mesmes
« celuy seignem' de le Porteneuffve a trois tombes et enfeuz
« en ladicte esglise, ànciennement et de tout temps, armés,
« scavoir: deux d'icelles, desdictes armes du Kergouet, et
« l'aultre, d'aultres armes appartenantes audict de la Porte-
« neuffve, au cueur et chanzea u de ladicte esglise, dudict
« costé devers levangille, au-dessus et en plus émynant
« lieu que na pas ledict de Kermagoer, et que, sans avoir
« esgard ad ce, ladicte tutricze audict nom s'estoit efforczée
« de nouveau faire lesdictes saincture et lisiére armoyées

« desdictes Ilrmes, autour de ladicte esglise, dehors et
« dedans, et tant au cueur et chanczeau que aultrement, et
« par le moyen desdictz. mandement et maintenue vouloir,
« au préjudice dudict de Guer, y aïant ses dictes tombes et
« armes .• comme dict est, les y tenir, neaulmoins que ladicte
. « esglise en fust et estoit caran te, par tout temps par avant
« deux ans encza, et voyant celuy porter préjudice, avoit
« faict ladicte opposicion, sesdictz confessés, dont avoit ...
« quis et quérait le respons, disoit qu'il avoit eu cause
« et matiere d'avoit' faict ladicte opposicion et la povoit
« soutenir.... » . __ ~- -
A cela Marguerite de Hirgarz, veuve du dernier seigneur
du Kermoguer, ripostait avantageus-ement, disant que « le

« seigneur du Kermagoël' estoit noble homme, ys su et
« extroict de noble et grande extracion et que en ladicte
« paroisse est situé ledict manoir du Kermagoër et y a celuy
« du Kermagoër grand numbre de héritaiges et hommes,
« et 'dès oncques mays luy et ses prédécesseurs, scavoir:
« ses pères, ayeul et bèsayeul~ont demouré et résidé et faict

« leur demourance et mansion, chacun d'eulx en son temps,
« ~n !adicte paroisse, oudict manoir dudict Kermagoër, dont

« ( ilz pOl,toint le nom, et ont esté et sont fondeurs et dota-
« teul'S de ladicte esglise, avecques des cymitières et maison
« rectoralle" jardrinz et courtilz d'icelle, telz nomez, tenuz
«( censez, reputez notoirement, et y. ont plusieurs terres et
.« fiez audict bourg parroichial, qu'ilz cernent et envyran­
« nent lesdictz esglise, cymitiére et presbyttère et y ont
« leurs armes en 1adicie grande vitre, ou (au) costé devers
« l'espitre, en plus haut et émynant lieu que celles dudict
« de la Porteneuffve, et y a celuy du Kermagoër ses tumbes
« et enfeuz, au cueUl' et chanczeau de ladicte, esglise pareil-
S( lement en plus haut et émynant lieu que celles dudict de
« la Porteneuffve, et en signe de ce, 1edict du Kermagoër et
« sesdictz prédécesseurs, chacun en son temps, ont esté et
« sont en possecion et saesine d'estre payez, par chacun
c( an, a chaque jour et feste de Pasques, durant la grant
« me1:se d'iceluy jour, et avant dire lévangille d'icelle
« messe, d'une paire de gans blancs, bons et compétensj et
« ou deffau1t dudict payement, de saisir et prandre le missel ,
cc dessur le grant autier (autel) et le retenir et garder juc-
« ques poyement desdictz paire de gans, et a~ssy en faisant
« les prières" ou (au) pronsne de ladicte grande messe dom-
(1 minicalle de ladicte paroisse, font expressément prière
« (les prêtres) pour lesdictz seigneurs du Kermagoër, fon-
« deurs surdictz, et que après le déceix dudict deffunct
« Guillaume du Kennagoër, quel a esté puix quatre ans
' « derrains, ladicte tutricze fist faire lesdictes saincture et
« lisière armées desâictes armes, en dehors et dedans la­
« dicte esg1ise, a veu et sczeu (su) dudict de Guer et illec­
« ques (au lieu) et de la forme (dont) avoint esté tenucz
« et possédez par mois deux trois jour et an et plus et
« q IJeq uefois par temps suffisant et par raison le povoir

« ainsi licitement faire et ainsi trouvé par grant et suffisant
« numbre de tesmoigns maintenue et gardée en celle po­
«. cession par mandement de maintenue et aultrement; ainsi

c( que dessur est touché, et que depuix, sans avoir esgard
c( a ce que dessur, ledict de Guer, ses complices et adhérez, '
c( l'un agent et participant a raultre, avoint rompu, dilac­
« zéré et effaczé Iesdictes saincture et lisière et armes, de
« quoy ladicte tutricze avoit faict dolience âudict conseill,
« queulx avoint depputé et baillé commissaires pour réin-
c( tegrer et remectre ladicte tutricze en po cession desdictes
« saincture et lisière et les remectre en leur lieu, de la
(c forme et estat où ils estoint au temps dudict desmolisse­
« ment, sauff a passer de l'interest et amande en plustarge
« envers les desmolisseurs et en faire réparacion à l'esgard

«( de justice, comme a plain est fait mancion par ledict
c( mandement sur ce donné ... en dabte du tiers jour d'aougst
« lan de grace mil quatre centz quatre vingtzquinze, et
« estant lesdictz faictz et chacun notoires, et en avoit esté
« ledict seigneur de la Porteneuffve congnoissant et con-

« fessant, Et eust quis et quéroit ladicte tutricze respons de
c( sesdictz et conclut comme devant et que pour tout ledict
« de Guer ladicte tutricze devoir jouir de ladicte saincture
« et lisière armées desdictes armes et icelle maintenir,

« sauff droict d'aultre conclusion. »
La veuve de Kermagoër maintenant son droict et refu­
sant d'enlever la ceinture et la lisière armoyées, le seigneur
de Guer envoya à Moëlan des hommes à lui, qui l'enlevèrent. -
de force et la lacérèrent. . ,
Plainte et recours de Ma.rguerite de Hirgarz devant le

Conseil royal, qui envoya des commissaires sur les lieux
pour la réintégrer et remettre en possession de- la ceinture
et lisière, objet du débat et les faire rétablir par le seigneur

de Guer, comme devant.
Renvoi des parties devant la cour royale de Quimperlé,
donner satisfaction aux deux par­
qui, voulant concilier et
ties, leur propose un arrangement ou appoint~ par lequel
l'église de Moëlan est partagée en deux parties égales, de

l'est a l'ouest, entre de Guer et de Kermagoër, le .côté de

l'évangile appartenant à de Guer, et le coté de l'épître, a
Kermagoër; les laissant libres « d'avoir, aposer, mectre, .
« tenir et posséde~ saincture et lisière armoyée à leurs
armes, » et d'av.oir tombes et sépultures, chacun respecti­
vement dans la moitié de l'église qui est reconnue lui
appartenir. .
seigneur de Guer et la dame du Kermagoër acceptent

l'appointé, mais, ~ette dernière, sous la réserve de consulter

préalablement les plus proches parents et amis de son

pupille, pour a voir leur avis et -décider s'il y a honneur et
pour ce dernier à y consentir définitivement.
profit
Un Conseil de famille se réunit donc à la Cour royale de
Quimperlé, le 25 septembre 1495, pour se prononcer sur

cette question. Nous donnerons in-extenso le procés-verbal
qui en fut dressé, à cause des renseignerpents qu'il contient
sur la famille du mineur de Kermagoër et aussi sur la

la Cour royale de Quimperlé, ses avocats,
composition de
notaires et autres gens de lois, en 1495.
«( Et depuix ledict jour en jugement audict audictoire,
« la dicte Margarite Hirgarz, tutricze surdicte, suplia à
« saiges et pourveuz maistre Guillaume Dubouyer et Jehan
« du Leslé, lieutenant et procureur respectivement de ceste
« court, queulx avoint esté sur le lieu, à voir l'évidence et
« le préjudice que chacune desdictes parties disoint avoir,
«à cause desdictes saincture et lisière déclerez en l'ap-
« poincté cy-devant aux parents et amys dudict myneur
« cy-aprés nommez et aux' assistans, l'effect, teneur et

« substance dudict 'appointé avecques les interoger, scavoir
« si c'estoit l'onneur et prouffict dudict myneur tenir ledict '

« appoincté; sur quoymçmdict seigneur le lieutenant
« remonstre scavoir : à vénérable et dév6t _ religieux,
«. Yves du Kermagoër, prieur de Lanvennec (Landéven­
« nec), oncle paternel dudict Pierre du Kermagoër, sei-.

i< gneur à pEt (présent) du Kel'magoër, Jehan . de Kergoët,
« seigneur de Kergoët, cousin germain du pere dudict my­
« neur, et Jehan de Kergoët, son fils; Henry de Kerémel et

« Jehan Ansquer, parens du di ct myneur, ainsy qu'ilzdisoint,
« dedans le quart degré de lignaige; Mahé de Kerlouarnec,
« quel est marié à tante dudict myneur, seur de son père;
' « Pezronnelle du Kermagoër, tante dudict myneur, pareil­
« lement seur de son père; Jehan Bodrimon, parent dudict
« myneur" et Jehan de Kerémel, fils dudict Henry de Keré-

« mel, et chacun deulx l'effect et contenu de point en aultre
« de l'appoincté ci-dessus escript; Et après que par mon-
« di ct seigneur le lieutenant ont esté interrogez si c~estoit
« l'onneur et prouffict dudict myneur de tenir ledict
« appoincté queutx et chacun successivement" l'un après
« l'aultre, ont recordé par leurs sermens avoir congnois­

« sance du plect et débat quy avoit esté entreulx et avoir

« esté sur le lieu pour voi.r le préj udice que chacune des-
« dictes parties disoint avoir, et par ce et plusieurs aultres
« raisonnables causes, qu'ilz ont dict et rendu, ilz ont
« recordé chacun deulx que c'estoit le prouffict, honneur et
« utilité dudi,ct myneur de tenir ledict appoincté.
« Entendu lesquelles depposicions et en mesme [temps]
« lavis dudict procureur maistre Guillaume de Pluvyé,
« maistre Jehan Le RestaI, maistre Jehan 'Giquel, Thomas
« Le Bailly, ,Pierres Le Picart, Guillaume Dubot et plu­
« plusieurs aultres soJempnes et notables avocn-tz, Francoys
« du Cambout, seigneur de Kerguyamarch, Henry et Jehan
« Juzel, queulx ont recordé, entendu ledict appoincté et le
« préjudice que chacun deulx povoit avoir à conduire ledict
« plect avec les records des parens devant dictz que ces toit

'« le prouffict dudict myileur: et par tant mondict seigneur
« le lieutenant a autorizé et décrété ledict appoincté et y
« ajouxta le décret de la Court.
« Faict par la CÇ)urt de Kemperellé, dj?vant mondict sei-

« gneur le lieutenaut, juge commis et délégué de l'audic­
c( toire du Conseil du Roy, notre Sire en Bretaigne pour
« congnoistre et décider en ceste juridiction de Kemperellé
« de toutes matiéres crimynelles que mesmes pour faire les '
« provisions des myneurs. »

« Ledict vingt-cinquiesme jour de septembre, lan surdict
« mil quatre centz quatre-vingtz-quinze. »
« O. DE LARLAN, passe.
(C GIQU~L, passe. »
On vient de voir qu'un prieur d~ l'abbaye de Landéven-

nec, « vénérableJ et dévot religieux Yves de Kermagoër, »
assistait à ce conseil deJamille, comme oncle paternel du
mineur Pierre;de Kermagoër. Nous trouvons en eff~t, dans
le fonds de Landévennec, aux' Archives du département,
qu'un Yves de Kermagoër était prieur de cette abbaye,
dans les derniéres années du quinzième et les premières
années du ;seizième siècle; nous y voyons de plus que la
présentation au vicariat perpétuel de Moëlan appartenait à
rabbé de Landévennec, lequel jouissait encore de certains
bénéfices1et revenus dans cette paroisse.
La ceinture ou lisière armoriée qui fut l'objet du débat
entre les seigneurs de Guer et de Kermoguer s'appelait de
son vrai nom litre. Ce mot vient de lithra, qui signifie
couronne, en grec, ou de listra, qui signifie une bande
d'étoffe, longue et étroite. (Diction. de TRÉVOUX.) Le droit de
litre était un des droits honorifiques dont jouissaient les
seigneurs hauts-justiciers et les patrons des églises. Il
consistait à . placer, aux obsèques de ces s~igneurs, leurs
armoirIes dans l'église, sur une bande de velours noir, dont'
la longueur variait selon la dignité du personnage. Souvent
aussi cette bande ' ou ceinture était simplement peinte sur
les murs de l'église, dont~elle faisait le tour il. l'intérieur et
parfois ~.aussi, à rextérieur. Cet usage ne fut d'abord intro­
duit que pour les patrons et fondateurs; mais" dans les

deux derniers siècles, il était devenu général poùr tous les
seigneurs . Ordinairement, ]e deuil de Péglise ne devait
durer qu'un an, au bout duquel, la litre était enlevée ou
effacée par une couche de badigeon. "
Cette pratique de mettre ainsi une église en deuil fut

par le clergé de certains pays comme un abus
considéree
et même quelquefois comme un scandale, lorsque les ar-\
moiries, par exemple, portaient des objets indécentes.
On trouve, en effet, dans le Pédagogue chrétien, impri­
mè en 1671, la formule que les missionnaires proposaient
ft la signature des seigneurs et patrons des èglises. La
pièce est rare et nous croyons qu'on la lira avec intérêt;
la voici:
« Acte de déclaration de plusieurs gentilshommes chré-
« tiens, sur l'abus des litres et ceintures funèbres. »

« Par devant les notaires et témoins, sont comparus

« N. N. ' tous Gentilshommes, Patrons, FOn'dateurs, Bien-
« faiteurs, Seigneurs justiciers, Féodaux et Censitaires des
« paroisses de . . .. Lesquels considérant que dès 10'ng- '
« temps la rage insatialle du démon attaquant sans cesse
« la sainte Eglise et employant toutes les ruses et les
« forces de l'enfer ft dess'ein d'en ébray;ller les fondements,

« il avait enfin débauché quelques malheureux supposts qui,
« sous ombre d'un faux hon'neur, ont entrepris de salir et
« de souiller la face de Celle dont le fond et la base étaien -
« hors de ,leurs atteintes. Que ceulx principalement qui,
« par la grâce de leur naissance, doivent s'intéresser ft la

« gloire de cette mère, pour laquelle leurs ' ancêtres ont
« , tant versé de sang, étaient les premiers ft la diffamer et '
« ft la noircir, aux endroits les plus visibles et apparents,
. « commettant en cela un.e indignité dont ils n'auraient osé
« outrager le visage, les meubles ou le logement, non pas
« même les moindrès valets de leurs plus familiers amis.
« Qu'ensuite de ce, ils y avaient encore scandaleusement

« arboré les trophées de l'orgueil de ce monde avec tout
« son appareil, c'est-à-dire des $cussons garnis de tigres,

« de lions, de léopards, de dragons, de satyres, et jusqu'à
« des sales nudités et autres spectacles horribles plus con­
« venables aux temples des idolâ tres qu'à l'habitation des
« fidèles et aux palais de l'Oraison. Que, pour ajouter le
« mépris à l'injure, ils avaient, a vec une pareille insolence,

« placé telles difformités plus haut, et au-dessus des croix
« consacrées par les prélats à la bénédiction des églises ...
« Toutes ces raisons et plusieurs autres justes . motifs
« ayant excité le zèle des soussignés, ils ont cru être de
« leur religion d'en laisser des marques publiques et de
« rendre témoignage exemplaire et authentique du ferme
« repentir où ils sont d'avoir contribué aux anus et irrévé-

« rences pareilles. à celles cy-dessus spécifiées, pour répa-
« ration de quoy ils ont présentement, tous promis et so-
(~ lennellement juré de faire biffer, corrompre et supprimer
«( les peintures vulgairement appelées litres et autres
« ceintures indécentes dont eux ou leurs prédécesseurs
« avaient souillé., noircy et diffamé, comme ,dit est, le
« dedans et le dehors des églises, lesquelles ils feront au
« plustôt rétablir' et restituer en leur premiére blancheur
« et candeur originelle, sans néanmoins que 'par le présent
« acte lesdits soussignés, tant pour eux que pour les leurs
« et ayant cause, prétendent en aucune manière déroger
« aux droits appartenant aux seigneurs des paroisses
« au dedans des églises qui demeureront en leur force
« et vertu, conformément aux· titres anciens et valables,
« en la possession qu'ils en pourront avoir. Dont et de ce

« . que dessus a esté délivré acte auxdits seigneurs sous­
« signez, ' pour leur servir et valoir de ce que de raison, paJ;'
« moi notaire soussigné, présent. . :. curé de..... et
« habitant dudit lieu, le jour de. . . .. »)
Il faut convenir que, si le pére missionnaire qui a rédigé

cett.e . formule a peut-être raison dans le fond ... dans la
forme, il pèche par défaut' de mesure et de modération. .
L'usage des litres a complètement .disparu aujourd'hui, a
moins qu'on ne veuille en voir un souvenir et un débris
dans les tentures funèbres qu'on suspend, dans les jours
d'enterrements et de services anniversaires, aux portes des
églises; encore, n'y voit-on figurer que bien rarement, .
a Paris, les armoiries de la famille du défunt' (1).
excepté

F. -M. LUZEL.

, (1) Notre vice-président, M. Trévédy, me fait remarquer quelesjuris­
consultes du dernier siècle protestaient, et très-vivement, contre cet
usage ('( de faire porter à la Maison de Dieu des marques profanes et
« séculières de la noblesse des morts. . . .. »
(DENISART, VO Litre. 2, appelle cet usage « très-indécent. » Voir

aussi Claude FERRIÈRE, VO Litre, p. 232.