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Bulletin SAF 1885


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Légendes chrétiennes de la Haute-Bretagne. La Mort en voyage

M. Sébillot

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XIV
Légendes chrétiennes de la Haute-Bretagne.
LA MORT EN VOYAGE
En Bl'etagne, aussi bien dans les pays de langue fran- " .
dans ceux de langue celtique, la Mort n'est point
çaise que
une abstraction, un mot qui désigne la cessation de la vie;
c'est un véritable personnage, une sorte de divinité secon­
daire. Elle est toujours en mouvement pour exécuter les
ordres du Dieu suprême qui lui a imposé une tâche quoti­
dienne; elle semble éprouver en certains cas une sorte de
joie méchante, dans l'accomplissement de sa besogne
funèbre, et les paysans lui mettraient volontiers dans la
bouche l'exclamation triomphante que l'artiste inconnu
qui a sculpté la danse macabre de ,la Roche-Maurice
(Finistère), a gravée au-dessous de l'image de la l\10rt :
c( je vous tue tous! »
Cette croyance. à l'anthropomorphisme de la Mort est
mieux conservée en Basse-Bretagne que dans la partie
française.:de la péninsule: elle y a un nom qui est particulier,
c'est l'A nkou, littéralement: l'angoise ; ce nom est mascu-
lin, et la Mod est une divinité mâle. En Haute-Bretagne,
la Mort personnifiée n'a point en général de nom propre,
et comme elle est femme, elle est presque toujours marraine;
une seule fois, dans un des contes qui sui vent, je l'ai en­
tendue nommer Compère La Mort; et alors, comme en
Basse-Bretagne, elle était parrain. Ces personnifications
de la M01't ne sont point particulières à la Bretagne 11
mème à l'Europe; on les retrouve chez les peuplades de
civilisation rudimentaire. Une tribu de la Sénégambie, pour

ne citer qu'un exemple, celle des Temne, personnifie la
Maladie et la Mod; le missionnaire anglais Schlenker
(i Collection 0] Tenme t"aditwns, p. 29), a employé
M. Death, M. MOl't, pOUl' rendre l'expression en usage
chez les nègres .
La Mort voyage toujours sur la terre, sans prendre de
repos; elle est quelquefois visible, mais la plupart du temps
elle se glisse furtivement, et on ne s'aperçoit de sa visite
qu'après qu'ello a frappè. Plusieurs dictons de la Haute­
Bl'etagne font assez clairement allusion à la croyance au
passage de la Mort; s'il y a un décès « la Mort a passé
par la. » Lorsqu'une personne, malgré tous les soins qui •
lui ont été donnés, vient à mourir, les paysans disent:
« Il n'y avait rien à faire, la Mort y était. » A un étranger
qui arrive dans une maison où quelqu'un vient d'expirer,
• on dit: « La Mort est chez nous. »
On se la figure généralement décharnée, couverte d'un
sU8ire terreux, et armée d'une faux, comme dans les
Danses Macabres; bien des gens n~oseraient rester seuls
auprès d'un mourant ... au moment où il expire, de peul' de
voit· entrer cette lugubre apparition. Cette forme de sque­
lette n'est pas toutefois invariable: au moins dans les
lègendes, la Mort ressemble assez, suivant le sexe qu'on
lui attribue, à un homme ou a une femme.
Comme la Mort est pressée et qu'elle ade longues routes
a parcouril', elle est souvent montée sur la Charrette­
Moulinoire, qui va comme le vent, et fait entendl'e un bruit
analogue a celui d'un essieu mal graissé. Bien des gens
affil'ment l'avoir entendue, surtout à l'entrée de la nuit;
quelques-uns même l'ont vue, à ce qu'ils assurent. Parfois,
comme si la ' Mort voulait s'assurer si l'heure de faucher
est venue, la charrette passe, une quinzaine à l'avance,
à la porte de ceux q ni « sont pour mourir. » Souvent le

char est rempli des trépassés décédés dans la journée;

BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. Tome XlI. (Mémoires). 29

quelquefois alors le conducteur est, non la Mort, mais le
Diable.
Cette mission de transporter les mor-(s au lieu où ils
doivent recevoir leur récompense ou leur punition, semble
plus spécialement réservée à une autre Charrette cIe la
Mort qui se nomme la Grand' Cherrée (la Gl'ande char;'ot­
tée). (Cf. pour les détails et les similaires fl'ançais mes
Traditions et superstitions de la J-Iaute-F,'ctagne, t. l,
p 208, et mes Con.tes des Paysans, n. 53).
Dans les légendes qui suivent, la· Mort se promène comme
une personne ordinaire, généraJement à pied) quelquefois
montée sur un cheval. Elle a les mêmes passions que les
hommes .. ct elle semble même parfois compatissante aux
pauvres gens : en certains cas, elle joue presque le rôle
d'une fée ou d'un. saint descendu sur la ter!,e pour y
voyager. Si sa puissance est gr'ande, son intelligence
paraît bornée, témoin les ruses assez grossières auxquelles
elle se laisse prendre, aussi bien dans les légendes relatives
li ses voyages que dans cedaines versions de la Légende
du bonhomme Misère. A ce point de vue, elle joue un rôle
de dupe analogue a celui du diable, auquel les contes popu-
laires attribuent une dose de naïveté peu ordinaire.
I.. Le Vrai Juste.
II Y avait une fois un homme pauvre qui ne pouvait
trouver personne pour nommer son enfant nouveau-né. Il
se mit en route pour cl18rcher un parrain et une marraine,
et, après avoir marché qu ;lque temps, il rencontra SUl' le
grand chemin le Bon Dieu qui lui dit:
- Où allez-vous, mon ami ~ Vous avez la mine triste.
- Ah ! répondit l'homme, il vient de me naître un petit
garçon, et nous sommes si pauvres que personne dans le
pays n'a consenti à le nommer; c'est pourquoi je cherche
d~!% âmes._~h~rl~t}.l?!.~s~l? ... our l'assister à son baptême .

-- Voulez-vous, demanda le Bon Dieu, que je sois le
panain de votre enfant ~
_. Oui, répondit l'homme; mais auparavant je voudrais
savoir comment vous vous appelez, car je veux pour mon
petit gars un par'l'ain juste.
- Je me nomme le Bon Dieu.

- Oh ! puisque c'est vous qu'on appelle le Bon Dieu,
vous ne serez pas le parrain de mon enfant; car vous
n'ètes pas juste: vous faites mourir de bons travailleurs
gagnent du pain à leur famille, vous faites mourir des
qui
mères dont les enfants marchent à peine tout seuls, et vous
. laissez vivre des gens qui n'ont jamais fait que de la honte
et du chagrin à. leurs parents. Vous tuez des jeunes hommes
dans la force de l'âge, et vous oubliez des vieux qui ne sont
plus bons à rien. Vous n'êtes pas juste .

L'homme.laissa le Bon Dieu continuer sa promenade, et
se remit en route: un psu plus loin, il rencontra Saint
Jean, -qui voyageait aussi sur terre. Le Saint lui demanda
où il allait.
- ' Je cherche, répondit-il, des âmes charitables pour
nommer mon petit garçon. .
Voulez-vous que je sois son parrain ~
- Oui, volontiers, répondit J'homme, mais auparavant
dites-moi qui vous êtes, car je veux pour mon petit gars
un parrain juste.
- Je me nomme Saint Jean.
. Oh 1 puisque c'est vous qu'on appelle Saint Jean, vous
pas le parrain de .mon enfant, car vous êtes le
ne serez

et le Bon Dieu n'est pas juste.
complice du Bon Dieu,
L'homme continua sa route, et un peu plus loin, ' il ren­
cOJ;ltra Saint Pierre, qui lui demanda où il allait.
- Je cherche, répondit-il, des âmes charitables pour
nommer mon petit garçon.
- Voulez-vous que je sois son parrain ~

SOCJETE ARCHEOt.l)GIQUE:
, DU P~NtSTERE

Hôtel ct.

-' Oui, volontiers; mais auparavant dites-moi qui vous
êtes, car je veux pour mon petit gars un parrain juste.
- Je me nomme Saint Pierre.
Ah 1 puisque c'est vous qu'on appelle Saint Pierre, vous
ne nommerez pas mon enfant, car vous n'êtes pas juste:
vous avez reniê votre maître trois fois, et depuis quo vous
êtes portier du Paradis, vous ouvrez plus volontiel's votre
porte aux riches qui ont de l'argent pour se faire dire des
messes qu'aux pauvres qui n'ont pas de quoi payer des
prières. Vous n'ètes pas juste.
L'homme se remit en route, et, après avoir encore che­
miné quelque temps, il rencontra la Mort qui lui demanda
où il allait.
- Je cherche, répondit-il, un parrain et
une marrame
pour nommer mon petit garçon.
- Voulez-vous que je sois sa marl'aine ~
- Oui, volontiers, mais auparavant dites-moi qui vous
etes, car Je veux pour mon petlt gars une marrame Juste.
, Je me nomme la Mort.
En ce cas, je veux bien que vous soyez la marraine de
mon enùmt ; car vous. au moins, vous êtes juste: vous pre­
nez les riches aussi bien que les pauvres, les jeunes aussi
bien que les vieux. Vous êtes juste .
Et la Mort fut la marraine de l'enfant du bonhomme .
Conté en 1.883, par J. M. Comault, du Gouray.

Dansle conte de M. LUZEL intitulé l' Homme Juste (Légendes Chrétiennes
de la Basse-Bretagne, t. 1. p. 335), les épisodes ci-dessus se retrouvent,
en grande partie; saint Jean toutefois n'y figure pas; le récit breton,
beaucoup ..-plus développé que celui-ci, se continue après le baptême.
Dans son commentaire,M.Luzel cite comme similaires trois contes allemands
des collections GRIMM, S. W: WOLF, PROEHLE, un conte hongrois de
GAAL HIER, un conte provençal (Armana prouvençau 1876), un conte
sicilien du recueil GONZENBACH où la Mort est aussi Marraine enfin
un conte littéraire de Gueulette, dans les Mille et un quarts d'heures .

G. GRIMM cite aussi, da ns ses commentaires, une farce allemande de
XVIIe siècle, et tm petit poème alle­
Jacques Ayras, commencement du
mand de Hans Sachs (ilJlJ3).
donnée, qui rappelle de certains fabliaux, devait être populaire
Cette
il est vraisemblable qu'en cherchant bien, on en trou-
au yen Age, et
verait les traces.
Aux références ci-dessus, il faut ajouter La Morti e so figghiozzu,
conte de PITRÉ n. CIX, et BERNONI, Tradiz. pop. venez. El giusto. Cf.
aussi sur le rôle de la Mort, GRIMM D. M. ch. XXVII.
II. Le Compère de la orto
Il Y avait une fois un homme qui n'était pas riche, et il
. ne pouvait trouver de parrain pour un fils qui venait de lui
naître. Comme il s'en allait par les chemins pour en cher-
cher un, il rencontra l~ Mort qui lui dit:
- Tu as la mine chagrin, bonhomme, que cherches~tu ~
- Un parrain pour mon enfant qui vient de naître; mais
je n'en trouve point. -
-- Si tu veux, je nommerai ton fils: je ~suis le Compère
la Mort; mon nom n'est pas joli, mais je puis faire du
bien à ta famille et enrichir mon filleul.
Le bonhomme accepta, et Compère la Mort devint par­
rain de son fils; après le baptême, il dit au père:
- Voici comment tu pourras t'enrichir. Il faut te faire
médecin. Il te sera facile, quand tu iras en visite, de savoir
si le malade doit guèrir ou succomber. S'il est pour mourir,
tu me verras au chevet du lit; si au contraire, son heure
n'est pas encore venue, je me tiendrai au pied. Aussi tu ne
te tromperas jamais, et comme tu auras bien vite la répu-
tation d'un, habile homme, tu gagneras de l'argent autant
que tu en v'oudras.
Le Compère de la Mort se mit médecin, et, comme il
disait toujOUI'S sans se tromper si 1(3 malade devait guérir,
il ne tarda pas à être connu. On venait de tous côtés le

chercher,etil emportaitchaquefoisde bonnes pièces d'argent.
Cependant le roi tomba malade, et, comme il avait en­
tendu parler du médecin qui ne se trompait jamais, il l'en­
voya chercher, lui pro"mettant une riche récompense s'il le
guérissait. Le bonhomme vint au palais, et, en entrant
dans la chambre où gisait le roi, il vit Compère la Mort
qui se tenait au chevet de son lit. Il en était bien marri,
car il aurait bien voulu guérir le roi, et toucher la gresse
..somme qui lui avait été promise. Il se gratta roreilIe, puis,
après un moment de réflexion, il ordonna de prendre le
Roi, et de lui placer la tête,où il avait auparavant les pieds.
De cette façon la Mort se trouva au bas du lit au lieu. d'être
au chevet et le roi fut guéri._
En sortant du palais, les poches remplies d'or, le bon­
homme rencontra son compère qui lui dit:
. Tu m'as trahi, et tu m'as fait tort, compère; mais tu
vas mourIr.
- Non, répondit le bonhomme, je me cacherai si bien
que tu ne pourras me trouver.
Je t'atteindrai partout où tu seras, il n'y a nul endroit
où je ne puisse pénétrer.
Bah! dit le bonhomme en tirant de sa poche une
petite bouteille; si j'étais caché là-dedans, est-ce que vous
iriez m'y chercher ~
Oui, certes ... répondit la Mort.
Non, compére, cela, je ne le croirai jamais.
- Hé bien, tu vas voir.
Compère le Mort se fit tout petit et entra dans la bouteille;
mais aussitôt le bonhomme qui tenait un bouchon tout prèt
boucha la bOHteille et la mit dans sa poche. Il rentra ensuite
chez lui, et la ramassa dans son armoire; mais il réfléchit
et pensa que quelqu'un pourrait la déboucher ou la casser
par mégarde. 11 alla creuser dans son jardin un trou, y mit
la bouteille et la recouvrit de terre .

Pendant que Compère la Mort ètait emprisonné, per­
sonne ne mourait; le roi se portait comme un charme, et
le bonhomme aussi. Cela dnraquelque temps, mais un jour
les cochons entrèrent dans le jardin, et s'ètant mis à gratter
la terre avec leur grouin, ils découvrireüt la bouteille et
firent sauter le bouchon avec leurs dents.
Alors Compère la Mort sortit, et il recommença à voya­
ger 'sur terre. Cette fois il frappa son compère et le roi, et
'il leur fallut tous les deux mourir. .
(Conté en 1.881, par I. Lucienne;de Trébry) .
partie de ce conte, plus longuement développé, se trouve
La première
dans l'Ankou et son compère. Légendes Chrétiennes de la Basse-Bre­
tagne, (t. l, p. 3~6). A partir du moment où la Mort rencontre son
compère, au sortir du palais du roi, chacun des deux récits suit une
voie différente.
Misère, Contes des Paysans, n. 52, se sert pour faire entrer Plâtus
et ses diables dans sa blague à tabac, d'une ruse analogue à celle em­
ployée par le compère de la Mort. Dans le récit qui suit, on retrouve une
ruse semblable.

III.
La Mort ,et le Bonhomme.
Il y avait une fois un homme qui était très vieux, et la
Mort fut envoyée pour le chercher. Il s'attendait à la voir
venir, car, autrefois. on savait à quel jour et â. quelle heure
on devait mourir. Le bonhomme boucha de son mieux les
portes et les fenêtres de sa maison, mais il oublia la
cheminée . .
Quand vint l'heure où la Mort devait passer, le bon­
homme fut très inquiet, car bien qu'il .fùt le plus âgé de sa

paroisse, il n'avait pas envie de mourir. Toutefois, il pen­
sait que la Mort ne pourrait entrer chez lui, et que, comme
elle avait bien d'autre besogne, elle s8rait obligée de s'en
retourner, sans l'emmener.
Comme il y songeait, il vit la Mort qui descendait par la
cheminée. Elle vint se planter devant lui, la faux â. la main .

Il eut bien peur, mais il se mit à causer avec elle, pour
essayer de gagner 'du temps.
.. Par où êtes-vous entrée? lui demanda-t-il.
- Par la cheminée répondit la. Mort.
- Vous n'êtes donc pas bien grosse, pour avoir passé
par un si peti t tro u ~
Non, dit-elle, je ne suisf pas grosse, quand je veux,
car je puis prendre toutes les formes. -
Bah! s'écria le bonhomme; est-ce que vous pourriez
vous fourrer dans cette mèt-la (1) ~
Mais oui.
- Mettez-vous y donc un peu, pour voir, car si je ne le
vois de mes yeux, je ne le croirai jamais .
La Mort se rapetissa et entra dans la mèt; dès qu'elle y
fut, le bonhomme ferma vivement le couvercle et s'assit
dessus, de sorte que la Mort se trouya prise. .
L8:isse-moi partir, dit-elle, ou tu t'en repentiras.
Non, rèpondit. le bonhomme, car si je te laissais
soulever ce couvercle, tu me tuerais avec ta faux.
Hé! bien, dit la Mort, je t'accorde encore dix ans
de vie.
Non, je ne te tiens 'pas quitte pour si peu; il me faut
cent ans, ou tu ne sortiras d'ici qu'au jour du jugement.

_. Cent ans soit, dit la Mort, qui était pressée d'achever
sa journée.
Le bonhomme vécut cent ans: il était vieux, vieux comme
tout; mais il n'avait pas encore envie de mourir. Aussi, le
jour où la centième année fut accomplie, il boucha avec
plus de soin encore que la première fois toutes les ouver­
tures de la maison; il n'oublia pas la cheminée, ni même le
trou au chat. .

(1) Huche.

Mais la Mort entl'a par le teou d(la serruee et se planta
devant lui. .
- Tiens! dit le bonhomme, . par où êtes-vous donc
entrée ~
Par le trou de la serrure.
-'" Vous êtes donc bien petite; mais est-ce que vous
pourriez vous foul'rer dans cette bouteille ~
Facilement, dit la Mort.
Elle se rapetissa et entra dans ' la bouteille, qui était si
petite qu'on n'y aurait pas mis pour un sou d'eau-de-vie.
Le bonhomme se hâta de la boucher; et la J\foet lui dit:
_. Vilain bonhomme ... tu m'as encore prise; je t'avais
pourtant accordé cent années de grâce. Laisse-moi partir .
ou bien vous me donnerez
- Non, vous resterez ici,
encore cent annees a VIvre.
La Mort, qui était pressée d'aller faucher, lui accorda
encore ce delai; elle repartit et je ne sais si au bout des
cent ans elle revient le chercher.
(Conté en 1882 par I.-M. Comault, du Gouray).
On trouvera dans le conte ci-après un autre exemple de la croyance
de laquelle les hommes savaient jadis le jour de leur mort.
en vertu
IV. Les deux Haies.
n y avait une fois deux laboureurs qui étaient à hayer
un champ (1) ; l'un faisait son talus de son mieux avec des
pierres et de la terre ). mais l'autre se contentait d'entasser
des fougères. Un homme qui passait pal' là leur demanda
pourquoi ils travaillaient d'une manière si différente. •
Oh ! dit celui qui bouchait sa brèche avec de la fou­
gère, ~l n'en chaut (2) guère comment hayer, nous mour­
rons demain.
(1.) Entourer de clôture.
(2) Il importe peu .

Le lendemain les deux hommes étaient à attendre la
Mort: un beau chien blanc vint chercher celui qui avait
bien travaillé jusqu'au dernier jour; mais l'autre homme
, qui n'avait point persévéré jusqu'à la fin fut emporté par
un vilain chien noir, et sans, doute ils furent récompensés
chacun suivant son mérite.
Dans une légende parallèle, mais encore plus courte, recueillie par
M. CERQUAND (Légendes du Pays Basque nO IV), c'est Jésus-Christ
lui-même qui demande à l'homme pourquoi il haye si mal. Cfr sur ce
thème une note de M. REINHOLD KOEHLER clans l'Archivio, PER LE TRA­
DIZIONI POPULAUI, t. l, p. 70. M. Millien a aussi recueilli en Nivernais
une version de ce petit conte.
Le chien noir figure assez fréquemment dans les légendes, où il re­
présente le diable; le chien blanc qui joue ici le rôle du bon ange, se
rencontre beaucoup moins souvent.

V. La Mort à l'Église.
Il Y avait une fois une femme qui s'en allait la nuit de
Noël à la messe de minuit. Sur son chemin elle' rencontra
un cheval sur lequel était monté une femme dont elle ne
pas la figure" parce qu'elle était encapuchonnée. La
voyait
femme, voyant que le cheval ne marchait pas très vite,
hâta le pas pour l'attraper, et quand elle fut sur la route
auprès cre lui, elle se mit à geindre comme si elle était
rendue de fatigue, et elle disait:
- Ah ! mon Dieu, quel temps! il n'y a pas moyen de
marcher!
Eh bien! ma brave femme, lui dit celle qui était sur
le cheval, montez avec moi, puisque vous ètes lassée.
- Je ne demande pas mieux, répondit la femme.
Elle monta en croupe sur le cheval; mais dès qu'elle eut
touché la cavalière, elle s'écria:
. . Comment! vous êtes froide comme la Mod.
- ' Ce n'est pas étonnant" ma brave femme, c'est moi qui
suis la Mort.

La bonne femme fut s;:1isie de frayeur, et elle fit un grand
nom bl'e de signes de croix en se recommandant a tous les
saints du Paradis. Toutefois, elle s'enhardit et dit a sa
compagne:

- Où allez-vous comme cela ~
• -- A la messe, répondit la Mort; et vous ~
Je vais aussi à la messe; mais puisque vous êtes la
MOl't, pourquoi y allez-vous?
_ .. Vous' verrez pourquoi, répondit la Mort; regaedez­
moi quand je serai entrée dans l'église; il n'y aura que vous
seule à me voir; tous ceux que je toucherai avec cette
baguette sont pour mourir dans l'année qui vient.
Tout en devisant ainsi, le cheval s'arrêta devant l'église,
et les deux femm es descendirent; mais personne, si ce
n'est la fermière qui était montée en croupe derrière elle,
ne voyait la Mort. Pendant la messe la femme la, regarda
avec attention, et elle la vit toucher de sa b~guette plusieurs
personnes, et même quelques amis et voisins. Mais la Mort
continuait à se promener au milieu des assistants .. effleu­
rant de sa baguette tantôt l'une tantôt l'autre, sans regarder
au sexe ni a l'âge; quand la femme la vit étendre sa
baguette vers son propre père, elle ne put 's'empêcher de
CrIer : _
- Ah ! pour l'amour de Dieu, ne touchez pas celui-la: __ ?_--­
Mais la Mort n'écouta pas sa voix et laissa tomber sa
baguette; puis, quand elle eut achevé sa tournée, elle dis­
parut. Le père de la femme mourut dans l'année, et ils
moürurent aussi tous ceux qu'elle avait marqués.
On dit que maintenant encore tous les ans, le jour de
la Mort vient a l'église désigner ceux qui doivent
Noël,
mourir l'année qui vient.
(Conté en 1.881 par J. M. Comault, du Gouray). .
Grèee (MAURY, La .Magie, p. 291), on raconte que lorsqu'une épI­
démie édate, le génie de la Mort a été rencontré monté sur un cheval
funèbre et répandant autour de lui la désolation. .

Dans le pays de Tréguier, on croit, d'après une note que me commu­
nique M. Galabert, que dans la nuit de la Toussaint une voix se fait
entendre dans le cimetière ou dans l'église, proclamant les noms de ceux
de la paroisse qui doivent mourir dans l'année. Un homme, qui se
moquait de cette croyance, y alla par bravade et le premier nom qu'il
fut le sien. Epouvanté, il rentra chez lui et le lendemain on le
entendit
trouva mort dans son lit. En Belgique celui qui se rend au portail de
l'église le jour saint Marc entre minuit et une heure voit les esprits de
ceux qui nlourront dans l'année. (REINSBERG-DuRINGSFELD, Traditions .
de la Belgique, t. 1).
Uue autre tradition bretonne (LA VILLEl\'IARQUÉ, Barzaz Breiz, La
Peste d'Elliant) rapporte que la Peste, au moment ou éclata cette épidé­
mie entra dans l'église, invisible comme la Mort, et toucha de sa baguette
tous ceux qui devaient être atteints par le fléau.
PAUL SÉBILLOT .