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Bulletin SAF 1885


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Des monuments celtiques dans l’Inde (article 2)

Mgr Laouénan

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DES MONUMENTS CEL TIQUES- DANS L'Il\J DE
(Suite) (1). '.

étrangères de Paris, vicaire apostolique
Par Mgr LAOUËNAN, des
de Pondichéry.

Les dolmens, mais surtbut les kist ou dolmens fer'més

sont extrêmement communs. Ils sont assez rarement isolés;
on les rencontre par agglomérations plus ou moins nom-
breuses. Les uns sont entièrement. enfoncés dans le sol, de
manière qu'on en reconnait seulement la pl'ésence par le 1
cercle de pierTes beutes qlli les entouee. D'autres sont SUt-
montés d'un monticule de terre ou tumulus, dont la base

est également environnée d'un cercle de pierres .. Nous en
avons vu ' quelques-uris dont la table est à une grande élé­
vation au-dessus du sol; mais la plupart des. dolmens

sont placés au somnwt d'un barrow ou tumulus.
découverts
La chambre, formée par les dolmens fermés n'a guère
plus de qUfttl'e ou cinq pieds de longueur', sur trois ou
quatre de largeue et autant de hauteur. Elle est faite
de quatre tables de pierres, posées su!' un de leurs côtés,
et la couverture se compose d'une ou deux tables sem­
blables. La pierre qui ferme une des extrémités est souvent
percée d'un ou deux trous circulaires. Dans l'intérieur, on
t1'OU ve des ossemen ts, en général de petites dimensions,

comme ceux de jeunes enfants, soit calcinés, soit à leur
état naturel; des urnes en poterie, dont quelques-uneF; sont.

peintes et ornées, renfermant des cendl'es; des fers de

flèches .ou de lances; des ustensilès de ménage; des o1'ne-

(1) Voir ci-dessus p. Ml.

BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. 'rome XII. (Mémoires). 7

ments en fer, quelquefois en or ; des instruments en pierres,
polies ou taillées.
La pl'ésence, dans les cromlec'hs, de ces instl'uments de
pi81'reS polies ou taillées, ne s,emble nullement indiquer que
les monuments dont nous parlons remontent a ce qu'on
appelle l'âge de pieree; si toutefois il a existé un âge de ce
nom; car, aujourd'hui encore, on trouve dans l'Inde des
tribus forestières et sauvages qui, soit par fidélité aux usages
transmis par leurs ancètres" soit parce qu'elles n'ont pas les
moyens de s'en pl'Ocurer d'autres, se servent d'instl'uments
de pienes préparées pal' elles-mêmes: D'ailleurs, le mélange
d'instruments de fer et même d'or, avec ceux de pierTes,
démontrent que l'usage des métaux n'était pas inconnu aux
peupll3s qui ont élevé les cromlec'hs .
en soit, dans l'Inde" les dolmens sont incon­
Quoi qu'il
testablement des tombeaux, peut-être des habitations, et la
tradition populaire leur donne ce nom partout et sans

hésiter. On les appelle Pandyars, ou ViUyars , ou VaLyars
Vidous (maisons), ou Callarcis (tombeaux ) ; c'est-a-dire.
« demeures ou tombeaux des Pandyars, .des Villyars ou
« des Valyars. »
Mais jusqu'a présent on n'a pu découvrir quelle est la
tribu ou race à laquelle appartiennent ces dénominations.
Les premiers européens qui observèrent des constructions
celtiques sur les montagnes appelées NiLaghiry (les
neilgherries des anglais), les attribuèrent aux l'odas ou
l'odavars, qui forment la tribu dominante de ces mon­
tagnes. Remarquant que ce peuple présente une stature
européenne, des yeux bleus, un nez aquilin, ils pensèrent
que ce pouvait être une colonie gallique qui avait apporté
dans l'Inde l'usage de ce!:> monuments, Mais, au fur et
a mesure qu'on découvrit que le pays entier, la plaine
comme la montagne, en était couvert, il fallut cher-
cher une autre explication; d'ailleurs, les Todas eux-

mêmes, interrogés à cet égard, répondent in variablement
que ces constructions appartiennent a un peuple antérieur
a eux et qui a entièrement disparu. Quelques-uns, cepen­
dant, ayant indiqué les !{ouroumbal"s, autt'e tribu abori­
o'ène qui habite aussi les N ilaghiry 0 et les Ghàtes, on a

examinè cette assertlOn.
Kouroumbars passent pour avoir été les premiers
Les
habitants de la plaine appelée autrefois Dravicla au pays
tamoul, qui s'etend au sud de Madras ju~qu'au cap Comoein,
entre les montagnes et la mer. C'étaient des pasteut's
nomades, petits de taille et faibles de constitution. Il paraît
q1,l'a une époque reculée, ils formaient diverses principautés
répandues dans la presq1l'île; mais qu'ils furent chassés et
dispersés par les populations qui ont constitué ensuite le
royaume de Chola, ou Soja, ou Chora (le Chola ou Chora
Madalam, le Coromandel). On n'en l'encontre plus aujour­
d'hui qu'un assez petit nombre, disséminés dans les mon-
tagnes et tombés a l'état sauvage. Ils vivent dans les
forêts, sans se fixer nulle part, s'abritant dans les cavel'lles,
d,ans les fentes des rochers, le Cl'eux des vieux arbres, ou
même sur des branches; ils , vont presque entiérement
nus: les femmes elles-mêmes n'ont d'autre vêtement que
quelques feuilles cousues ensemble et attachées autour de
la ceinture. Ils vi vent de fruits sauvages, de racines, de

reptiles, d'ani_ maux qu'ils prennent au pIège ou attrapent a
la course, de miel qu'ils trouvent dans les creux des rochers
ou des arbres. On dit qu'ils font des offrandes aux Crom­
lec'hs et aux Cairns et les ont en grande vénération; mais
cela n'est pas prouvé. Il est certain, d'ailleurs, qu'ils ne
construisent plus de tels monuments et ne s'en servent pas;
ils reconnaissent eux-mêmes qu'ils ont été érigés par un

peuple étranger et qui a disparu.
On dit que les Mala-AT'asars (rois de la mont:1gne),
tribu sauvage du Travancore, ont encore la coutume d'en":

fermer les cendres de leurs morts dans des espèces de crom­
, lec'hs en miniatU!'e, et que ces monuments sont très-
communs chez eux. Ils empol'tent dans les bois, réputés
sacrès, les COt'pS de leurs défunts, constl'uisent avec de
petites dalles de pierTe des espèces de caveaux, brûlent les
cadavres, et en déposent les cendres dans ces caveaux avec
une petite pierre, puis ayant fait à l'esprit du mort, qu'ils
supposent rôder autour, des offrandes d'araclc et de sucre­
ries, pour le déterminer à résider , dans cette pierre, ils
recouvrent le tout en grande cèrémonie. ,
Nous avons vu qu'à l'autre extrémitè de l'Inde, les
Khassyas ont encore l'habitude d'érige!' des menhirs;

ils ont également celle de renfermer les cendres de leurs
morts, après les avoir brûlés, dans de petits monuments en
piel're ou en maçonnerie, de forme circulaire, assez sem­
blables à des siègesgmssiel's, tels qu'on Rn voit quelque­
fois dans les jal'dins.

Si J'on interroge les habitants de la plaine sur les Pan-

dyars, Villyars ou Valyars (les trois noms sont usités selon
les provinces), qui, d'après eux, auraient construit les
cromlec'hs et les dolmens, érigé les 'menhirs et les pierres
branlantes, 'ils répondent invariablement que c'est un
peuple extrêmement ancien, ~ antérieur à tous ceux qui
existent aujourd'hui dans l'Inde, et qui a disparu. La taille
ordinaire de c~s hommes. n'excédait pas, disent-ils, une

coudée; mais ils pouvaient à leur gré prendre des propor­
tions gigantesques. Leur force était prodigieuse; d'une main
ils arrachaient sans efforts un palmier dans toute la vigueur
de l'âge et s'en servaient comme d'un cure-dents; ils trans-

, portaient en se jouant les rochers les plus énormes, . et ce
sont eux qui ont accumulé ces masses de roches qu'on
rencontre à chaque pas et dont on ne peut s'empêcher

d'admirer l'arrangement étrange. Mais, pour rentrer dans

ces demeures et surtout pour mourir, ils devaient reprendre

leur taille de nains. En fait, ainsi que nous l'avons déjà
remarqué., les ossements qu'on trouve dans les caisses sont
o'énél'alement de petites dimensions.

. Une chose frappe dans cette légende, c'est la, ressemblance
qu'elle offre avec les traditions de la Basse-Bretagne tou­
chant les monuments celtiques, et les korriket ou nains
qui sont encore censé les habiter. En Bretagne anssi,
d'aprés la croyance popnlaire, ces monuments auraient été
. érigées par des nains d'une derni-coudée de hauteur, demi­
hommes, demi-esprits, qui les habitent encore, qui en sor­
tent la nuit~ pour danser sur' la lande à la clarté de la lune.,

et les transportent d'un lieu en un autre en cedaines cir- .
constances.
trouve-t-on pas encore une réminiscence de cette race

douée d'une force herculéenne, dans les exploits merveil­
leux que le poème épique, le Ramayana, attribue à l'armée
des singes qui assistèrent Rama dans son expédition contre
Ravana, pour la délivrance de Sita? Ils ll'ansportaient des
montagnes ct des rochers énormes avec la plus grande

facilité, et ils cornblèrent de cette manière le détroit de

Manar par une chaussée qui c'onserve encore aujourd'hui
le nom de Pont de Rama . .
Mais enfin qu'étaient ces Pandyar~, ces Villyars, ou ces
Valyars, auxquels la tradition populaire attribue la cons-
truction des dolmens et des menhirs?
Les anciennes épopées de l'Inde racontent qu'il a existé
autrefois dans les plaines arrosées par lé Gange et la
Dj umna une famille de race royale, connue sous le nom de
Panc/au ou de Pandavas, qui eut avec les Kourous ou les
!(ouravas, la grande guerre chantée dans le poème intitulé
1I1ahabharata. On suppose qu'un de ces Pandous ou Pan­
davas, .ou un de leurs descendants, fit Une incursion dans
le sud de l'Inde, peut-être avant Rama, {Yeut-être avec lui,

et y fonda le royaume de Maduré, qui, de son nom, fut

appelé le royaume de Pandyal', et que les anciens historiens
et géogTaphes grecs ont nomrné royaume de Pandyan. Mais
il est bien plus probable que le titre de Pandyar fut donné
aux souverains du Maduré par le sage Ayastya, ou pal'
Rama lui-même, pour' les l'écom penser d'avoir embrassé le
brahmanisne. Les traditions rapportent qu'Ayastya vint
dans le sud à l'époque où régnait le premier roi du Maduré,
vers le Ve siècle avant J.-C., qu'il gagna sa confiance et lui
enseigna l'art de régner. L'expédition de Rama n'eut lieu, .
d'après la chronique du Maduré, que sous le dixième roi,
c'est-à-dire vers· le IVe siècle. L'un ou l'autre peut fort
bien avoil' décoré ces rois du titre de Pandyar ou Pandyan :
les Brahmes ou Aryas, pour attirer les souverains abori­
gènes, leur décel"naient, en effet, des titres empruntés a
leurs légendes, et les élevaient au rang de Kshatrya. On
en trouve nombre d'exemples dans l'histoire de l'Inde. En
tout cas, Pandyar était uniquement le titre de la dynastie
royale, comme Pharaon en Egypte, et nullement le nom

du peuple; et c'est évidemment par erreur que la tradition
attribue aux Pandyars l'origine de ces monuments.
Les ' Viltyars (archers, chasseurs), connus dans l'Inde
centrale sous le nom de Bhills ou de Bhillélas, sont une tribu
très nombl'euse de pillards sauvages, que beaucoup d'auteurs
regardent, avec leurs congénères, les Koles (qui portent la
lance ou la pique)~ comme les aboi'igènes de l'Inde centrale
et mème des plaines de l'Indoustan. Ils ont de nombreuses
affinitès avec les Koles et les Ghouds ; avec les Minas et
les Mhairs du Rajpoutana; avec les Bhanghis -et les
Maghis de l'Inde centrale; les Paukhas et les Ghassyas
du Chatisgurh ; et il est très probable que ces tribus diverses
ne sont qu'un même peuple avec des noms différents et
quelques particularités propres. Les Ramousies, voleurs
et pillards du Maharojtan (pays Maratte), se prétendent
de la même origine qu'eux. A la même race paraissent

appartenir les Callars (voleurs), et les Maravars du sud de
l'Inde. La classe la plus nombreuse parmi les- habitants du
Canara porte le-titre' de Bhillavars; ils sont, par profession,
cultivateurs du palmiel' et en extraient le jus, comme les
tayars du Malabar et les Shanars de Tinnevelly ; comme
eux ils adorent directement le démon. Le nom de Villyars
est encore donné aujourd'hui a diverses tribus sauvages du
sud. .

C'est probablement avec ces Bhills ou Villyal's que
Rama fic alliance pour délivl'er son éponse Sita, enlevée
par Ravana', l'oi ' de Ceylan. Les ayant conduits dans le
'sud, il les y établit; les Callars et les Mal'avars du Maduré
se. glorifient d'être les descendants de ses compagnons.
Quoi qu'il en soit, on ne trouve aujoued'hui absolument.
rien dans les traditions et les usages des Bhills, Villyars,
et des autres tribus congénères, qui indique qu'ils aient
érigé les menhirs et le$ dolmens, ou qu'ils en aient usé.
Le mot Vali ou Vally-av, en langue tamoule, signifie a
la fois homme jeune, fOl't, robuste. Gall (en celtiques) signi­

fie également homme fort, puissant, valeureux. Le chan­

gement du G en V, on le sait, ne présente aucune difficulté;
cette tranformation existe déjà dans les 1'110ts V\Tall ,
ons
Welches; Wall (Col'n-wall) , qui désignent incontestable­
ment des l'aces celtiques ou galliques. Les anciens Pourânas
(chroniques légendai l'es de l'Inde), mentionnent des peuples
appelés Vallalhas ou Vallaras (racine sanscrite, bala, force),
dont la signification est la méine; mais on n'a pu jusqu'à
pl~ésent identifier ces peuples avec des tribus actuellement
existantes, et l'on est porté à croir'e qu'ils ont disparu.
En résumé, la question est encore indécise. Ce qui la
rend peu t-êtl'e pl us difficile à résoudre, c'est l'identité
qui existe entre les monuments celtiqués de l'Inde et ceux
qui couvrent le sol de l'Ecosse, de l'Irla-nde, de l'Angle­
terre, de la Scandinavie, de la France, d'une partie de

l'Espagne et du Portugal; monuments qu'on retrouve en
Italie, dans les îles de la Méditerloanée, sur les côtes-sep­
tentrionales de l'Afrique, dans l'Asie mineure, la Circassie,
l'Asie centJ'ale et l'Afghanistan. Cette maniére d'inhumer
les morts, cette forme identique des tombeaux~ ces menhirs,
quelle que soit leur destination, le culte qui .leur était rendu,

n'indiquent-ils pas que ces monuments appartiennent a

une nième famille humaine? Et si la réponse à cette q ues­
tion était affirmative, quelle serait cette famille, et à quelle
. époque aurait-elfe occupé des contrées si éloignées les unes
des autres ?,
Nous nous arrétons sur ces questions, auxquelles nous
sommes incapable de répondre autrement que par des
conjectures, qui ne servi l'aient très probablement qu'à
embrouiller davantage une matière déjà si obscure . .