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XIV.
LA LÉPROSERIE DE QUIMPER (1)
LES CAQUEUX DEVANT LE SÉNÉCHAL DE QUIMPER EN 1667
Par M. TnÉvÉDV •
Le Bulletin de la Société A rchéologique du Finistère a
publié, en 1877, une notice de M. Le Men, sur les Lépreux
et les Cacous de la Basse-Bretagne. L'année suivante
M. de la Villemarqué imprimait dans le même recueil la
.. traduction· de quelques poésies des · Cacous bretons em-
preintes du caractère le plus mélancolique (2).
M. Le Men, auquel je ne puis que renvoyer.,. expose
l'origine différente des lépreux et des cagots, nommés dans
notre Bretagne caqueux ou caquins en français et cacous
en breton. Les caqueux étaient, dit-il, d'origine gothe ou
Leurs pères avaient été chassés .d'Espagne
sarrazine.
au temps' de Charlemagne (3). Ils s~étaient répandus de
proche sur tout le littoral ouest de la France,
proche en
depuis les Pyrénées jusqu'en Bretagne. Les mandements
de nos évêques et les ordonnances de nos ducs avaient
souvent assimilé les caqueux aux lépreux: ainsi les uns
et les autres furent confinés au bas des églises, cantonnés
dans des villages isolés, et ne purent exercer qu'un seul
métier., celui de cordier. Le peuple, les voyant réduits au
même état d'abjection., confondit les caqueux et les lépreux,
et l'usage vulgaire finit par employer indifféremment les
deux noms l'un pour l'autre ..
Mais cette origine lointaine etcette odyssée des caqueux
ont trouvé des incrédules, et parmi eux M. de la Borderie:
(1) Notice lue dans la séance du 1.6 octobre j884.
(2) T. IV. P. i38 etV. P. i61. V. aussi dans le BARZAZ-BREIZ, le
Lépreux, 2 partie. VIII .
. (3) Ménage dit que les caqueux étaient peut-être des sarrazins restés en ·
France après la bataille de Poitiers .
« La vérité, dit notre éminent confrère, c'est que le nom
« de caqueux , en Bretagne, désignait originairement les lé
« preux; et qu'après la disparution de la lèpre, il demeura
« attaché aux descendants -des lépreux qui continuèrent .
« d'habiter les anciennes léproseries... » (1). M. de la
BOI'derie ajoute: « Resteà rechercher. l'étymologie du nom
« . de 'cacous donné aux lépreux par les Bretons. »
Ces . lignes ont été écrites en 1855; .et j'espérais que,
la Borderie aurait cherché ... et trouvé
depuis, M. de
il a l'heureuse habitude de trouver ce qu'il cherche. Mais
mon espoir a été déçu. Il est pourtant difficile de se con-
tenter de l'étymologie latine imaginée par Ménage; et il
est permis peut-être de signaler cette recherche aux mem
bres de la Société versés dans la langue bretonne (2).
Une objection et des plus graves s'élève contre le système
exposé par M. Le Men; elle doit, je crois, le faire rejeter;
la voici: .
Une nécessité de salut public avait fait admettre en
principe que les lépreux sont exclus du reste des hommes,
morts (3). Mais la séquestration,
comme s'ils étaient déjà
la séparation, ne pouvait être
ou, comme on disait alors,
qu'à la condition que la lèpre fut constatée. Ni
ordonnée
l'origine étrangère des caqueux, ni leur misère n'aurait
suffi au juge ecclésiastique pour justifier la séparation; or,
il n'est pas douteux, et M. Le Men le reconnait le premier,
que les caqueux étaient séparés. C'est donc qu'ils étaient
lépreux! Or comment supposer tout un peupfe atteint en
(f) Mélanges d'histoire et d'Archéologie bretonnes. 1. p. 217-23L
Notice sur le Régaire de l'évêché de Saint-Brieuc, d'après l'aveu de l'évê
que au roi, de 1690.
(2) Ménage propose le participe latin cacatus, mot intraduisible.
Fantaisie pour fantaisie, ponrquoi pas le glee cacos, mauvais, mé
chant, dangereua:, et qui fait à l'accusatif masculin pluriel cacous ?
Littré donne pour étymologie le bas-latin cacosus. .
(3) Leprosi ab hominibus excluduntur quasi mOl'tui. Citation d'un vieux
Jurisconsulte dans DHNISART, Vo Lépreux. .
même temps de la lèpre f On répond: « Le préjugé popu
laire les considérait comme lèpreux » (1). Mais la séparation
n'était pas prononcée par la voix du peuple. L'official en
était seul jnge; et il rendait sa sentence, non en consul-
. tant l'opinion publique, mais après une constatation médi
la lèpre.
cale de
M. Le Men ènumère cinq de ces tristes procès suivis à
Quimperlé (1453); à Morlaix (1465, 1470, 1475, 1481). Il
cite, comme dernier document constatant la présence de
lépreux en Basse-Bretagne, une ordonnance du 8 jan-
vier 1605, par laquelle l'abbé de Sainte-Croix de Quimperlé
« fait défense à tout lépreux d'eritrer parmi les gens sains,
« et leur enjoint de porter la marque, » qui dôit les signaler
de loin et écarter d'eux les passants. Cette marque « est
«( une bande de drap rouge a droite, de drap bleu à gauche,
« ou une crojx rouge au côté droit (2). » .
Mais, ajoute M. Le Men, qui emprunte ces dètails a u
dictionnaire de Trévoux, la lèpre était au commencement
du xyne siècle une exception , Les hôpitaux destinés aux
lépreux ne tardèrent pas à être supprimés; et leurs reve
par édits de 1664 et 1672, furent unis à l'ordre de N.-D.
nus
du Carmel et de Saint Lazare; puis en 1693, ils en furent
détachés pour être réunis aux hôpitaux ordinaires.
Les lépreux étaient le plus souvent nommés ladres, du nom
patron saint Lazare ou saint Ladre par abrévia
de leur
tion ; d'autres fois on les nommait mézeauœ, mezels .. méseLs.
Chacune de ces dénominations fournit un 'nom à leurs
(1) MÉNAGE Vo Caqueux.
(2) Rapprochel' la déclaration du roi de 1612, qui ordonne que les
séparés avec les cérémonies ecclésiastiques accoutumées
lépreux soient
et reçus dalls Ip.s léproseries. Des vagabonds nullement lépreux
avaient obtenu l'entrée des léproseries, sans jugement de l'officia.!.
L'ordonnance a pour but de prévenir cet abus.
En 1690, il Y avait encore vingt-deux léproseries dans le diocèse 'de
Saint-Brieuc. (Notice sur le Regaire de Saint-Brieuc,. V. lIoLe page pré·,
cédente). Il faut sans doute lire anciennes léproseries.
hôpitaux qui s'appelèrent léproseries, ladreries, mala
dreries, mezelleries (1); en Bretagne, du nom de caquins,on
fit quelquefois eaquinneries (2). Enfin en quelques lieux, et
notamment à Quimper, un asile de lépreux se nomma Laza- .
ron ; et, de nos jours, le nom de Lazaronan, au village de
Poulgoazec, sur la rive gauche du Goyen, devant Audierne,
marque la place d'une a-p.cienne léproserie (3).
Chaque agglomératio~ avait eu sa maladrerie. D'après
Mathieu Pâris, qui écritait avant 1250, la chrétienté en
comptait déjà 19,000, et, depuis, elles se multiplièrent. Dès
le commencement du XIIIe siècle, il y en avait en haute
et Basse-Bretagne (4) .
Pour les villes, la maladrerie était quelquefois un hôpital
plus ou moins vaste, situé à l'extrémité d'un faubourg;
mais plus souvent un groupe de maisonnettes formant un
village distinct avec chapelle et cimetière. C'est ce qu'on
peut inférer d'un décret du concil e de Latran dont nous
aurons à parler, et des textes de ritue-ls anciens que nous
étudierons plus tard (5), Nul doute que, en Bretagne,
l'usage général ne fut de cantonner les lépreux dans un
village distinct, où chacun d'eux avait sa maison dont
en certains lieux. Cet usage est
il devint propriétaire
formellement attesté par un aveu de révêque de Saint-
(1) Le nom de maladrerie a survécu le dernier dans l'usage vulgaire.
DICT. de TRÉVOUX. Vo Léproserie. .
(2) Notice sur le Regaire de Saillt-Brieuc, V. ci-dessus, note· p. 2157 •
(3) On peut rapprocher du nom de Lazaron celui de Lazar'et, encore
usité de nos jours (du latin Lazaretta, léproserie.
(4) En 1206, il Y avait untl léproserie à Tinteniac (lle-et-Vilaine) ; et
elle était pourvue d'une dotation el) terres. Mél. d'hist. et d'arch, Bre
tonnes, T. I. p. t9!. .
En 1223, Guillaume Le Borgne, sénéchal de Goello,léguait 40 livres à
partager entre les 'léglisfls eL ponts du Goello et la léproserie de Châte·
laudren (évêché de Saint-Bl'ieuc), chef-lieu du Goello. Collectionneur
T. III, p, 2152. .
breton.
Si ces petites villes avaient des léproseries, à plus forte raison les villes
plus importantes.
(15) Cette étude trouvera sa place dans une notice qui fera suite à
celle-ci, SUl' la séparation des lépreux ~
Brieuc de 1690. Les vingt-deux caquinneries qu'il men
tionne comme existant encore forment des villages ; et la.
plupart des caquins qui les habitent sorit propriétaires do
leurs maisons (1).
Pour les bourgs ou villages, la maladrerie était souvent
sur un point écarté. Dans le diocése
une maisonnette isolée
nom de Clandiforme moyenne de Clan-ti, trés
deTréguier,le
répandu dans les campagnes, et ceux de Pont-ar-C'hlan
(Pluzunet), Roz-ar- C'hlan (Plouaret), la maison, le pont,
la colline du malade, conservent le souvenir et marquent
la place de ces tristes asiles. C'est là qu'ont vécu, souvent
de longues années, des malheureux que l'église avait, en _
pleurant sur eux, séparés du reste des hommes, mais
qu'elle avait couverts de sa protection maternelle en les
revêtant d'une sorte de oonsécration religieuse, et pour
gardait une
lesquels, à l'exemple de son Fondateur, elle
touchante pitié.
Lorsque, dés l'origine, l'Église faisant ce que l'antiquité
n'avait pas songé à faire ... ouvrit des asiles à toutes les
misères humaines, elle n'eut garde d'oublier les lépreux.
Elle leur bâtit des hôpitaux; et leur donna pour patron,
au ciel, saint Lazare ... un lépreux!
pour protecteur
Deux Lazares son~ nomm és dans l'Evangile. Le plus
connu est l'ami si tendrement aimé de Jésus (2), frère de
Marthe et de Marie-Madeleine, et que le Seigneur ressus
cita. C'était un homme riche, un des principaux de Béthanie,
et on n'aperçoit aucun rapport entre lui et les lèpreux.
Mais l'Evangile nomme un autre Lazare, le mendiant,
terre devant la porte du Mauvais-Riche, le
couché à
corps couvert d'ulcères comme un lé_ preux, sollicitant en
la table du riche, objet
vain les miettes qui tombaient de
(1) V. ci-dessus, p. 257, note.
(2) St-Jean, chap. IX.
3ll. Jésus (en approchant du sépulcre) pleura;
36. Et les Juifs dirent: « Voyez donc comme il l'aimait! ))
de dégoût pour tous et dont les chiens venaient lécher les
plaies, comme si déjà il eût été un cadavre (1).
C)est lui que, dès les premiers siècles, l'Eglise a donné pour
patron aux léproseries et à l'ordre hospitalier de St-Lazare;
voué dans sa primitive institution, au soin des lépreux (2).
Ce n'est que plus tard, et par une évidente confusion des
noms, que Lazare le ressuscité a été pris pour patron des
lépreux et des léproseries. Du patronage du frère a dérivé le
. patronage des sœurs.
Dans notre ·Bretagne, les maladreries étaient, pour la
plupart, placées sous le patronage de la Madeleine et plus
rarement de saint- Lazare. Les villages portant le nom de
la 111 adeleine ne sont pas rares, et chose remarquable, plu
sieurs sont de temps immémorial habités par des cordiers (3).
Une qhapelle, sous ce vocable, aux abords .d'une ville, indi
que d'une manière à peu près certaine, la place d'une
ancienne léproserie. Ainsi, pour n'en citer que quelques
exemples: Nantes, Rennes, Vannes, Morlaix (4), et., d'après
MM. de Blois et Le Men, Quimper (5).
(1) V. St-Luc. Chap. XVI, v. 20 et suiv.
(2) CORNELIUS A LAPIDE: « Ulcerihus plellus instar Ieprosi: unde
« multi ceDsent Lazarum vere fuisse leprosum ; quâ de causâ leprosi et
« leprosoria hune S.-Lazarum quasi patronum colunt et invocant ; ab eo
« que Lazari et Lazaretta nUllcupantur. Il
Lazare le pauvre n'est pas; comme on .l'a dit, un personnage para
bolique. mais bien un homme ayant vécu. Cornelius à Lapide donne
cinq motifs de cette croyance. Il rappelle notamment que l'Eglise a très
anciennement rendu un culte à Lazare le pauvre. Cette croyance est pro
fessée par Tertullien et Origènes, et par les saints Irénée, Chrysostôme,
Grégoire, Clément d'Alexandrie, Ambroise. COLIN. A LAPIDB. COMM. IN
LUCAM. VI, p. 220 et suiv. Ed. Vivès, 1.866.
L'Eglise affirme chaque jour cette c,royance dans la prîère qu'elle
chante aux obsèques: « Et cum Lazal'o quondam pau pere eternam habeas
reqUlem. »
(3) Je cite comme exemples la Madeleine, près de Morlaix, la Made
leine, près de Corlay (Côtes-du-Nol'd), La Madeleine, près de Vannes.
(4) A Vitré, une chapelle dédiée à saint Etienne, subsiste seule aùprès
de la ladrerie (route d'Argentré) ; mais originairement, il y avait pres.que
accolée à St-Etienne, une autre chapelle dédiée à St-Lazare. Collection
neur Breton, T. J, p. 253. (M. de la Borderie) .
(5) M. DE BLOIS. V Quimper. Dict. d'Ogée.
M. LE MEN. Monog. de la Cath. p. t 07 •
Quelques-uns avaient cru pouvoir placer la maladrerie
notre ville à Saint-Julien, à peu pl'ès à l'endroit où l'ande
Concarneau rencontre l'ancienne route de
cienne route de
Lorient. Mais il ne semble pas douteux que Saint-Julien
un hôpital ordinaire, comme les autres hôpitaux de
ne fût
sous les vocables de saint Antoine, sainte
la ville, placés
Catherine et saint Yves.
M.le major Faty, dans son intéressante Histoire des hôpi-
tauœ de Quimper, a exprimé un doute au sujet de la situation
de la léproserie. Il écrit: « En 1479, il existait une maison où
« l'on recueillait les lépreux .... Cet établissement fut dé
« truit à l'époque de la Ligue. » On lit, en effet, au compte
Rolland Ledenic : « Paya aussi le dict Ledenic ...
du miseur
« à deux hommes envoyés par commandement du capitaine
« de la ville, mettre le feu aux maisons du Lazaron, prez
« des fossés de la dicte ville pour empescher le logement
« des gens · de guerre» (1). Ce fait se rapporte au 5 sep
au moment où l'on attendait à Quimper l'ar
tembre 1594,
mée du duc d'Aumont venant · de Morlaix et arrivant par
Kerfeunteun.
Des mots « près des fossés de la ville, » M. Faty infère
avec raison que le Lazaron brûlé n'était pas au lieu dit la
Madeleine; en effet, la Madeleine est à plus de 250 mètres
de l'angle sud-est des remparts, dont elle est séparée par
la rivière d)Odet. Notre confrère conjecture avec toute vrai
semblance qu'il faut placer le Lazaron à l'endroit voisin du
cimetière Saint-Louis, et ·qui garde le nom de la Santé,
peut-être par souvenir de son ancienne destination. Les
constructions édifiées en cet endroit étaient sur la contres
carpe et séparées du mur de ville seulement par le fossé;
en abritant les assiégeants, elles pouvaient nuire à la
défense. Il faut, d'ailleurs, remarquer que les Quimpérois
(1 ) Bull. de la Société. 1883, p. 30L
s'attendaient à être « attaqués par échelles » de ce côté;
et c'est là qu'ils prenaient surtout leurs précautions (1).
La conjecture de M. Faty semble donc plausible; mais, de
l'existence du Lazaron au lieu de la Santé, en 1594, on
ne peut rigoureusement conclure à la non-existence d'une
léproserie 3;U voisinage de la Madeleine. Une pièce inédite
je viens de trouver lèverait au besoin tous les doutes.
que
en effet, que, dans la première moitié
Nous allons voir,
XVIIe siècle, il y avait à la chapelle de la Madeleine
auprès de la chapelle, un cime
. des fonts baptismaux, et,
et cimetières réservés exclusivement aux habi-
tière, fonts
tants des maisons voisines réputés caqueux. L'hôpital, -
tant est qu'il y ait Jamais eu là un hôpital, ce que je ne
crois pas, avait disparu dès cette èpoque; mais la cha
pelle, qui subsiste jusqu'a nos jours, restait comme le té
de l'ancienne maladrerie.
moin
Ce document nous permettra aussi (je le crois, du moins)
une assertion trop absolue de M. Le Men. Cet
de rectifier
auteur dit, dans la Monographie de la Cathédrale (p. 186)
que « la chapelle de la Madeleine, au rez-de-chaussée de
« la tour sud, » où se voit aujourd'hui un sépulcre, «( était
« la seule partie de l'église où il fût permis aux lépreux
« de se tenir pour entendre la messe et assister aux céré
« monies religieuses. » Il semble résulter de la que cette
était réservée aux lépreux pour les baptêmes,
chapelle
mariages et enterrements. Nous allons voir au contraire
que, même après la disparition de la lèpre, à plus forte
auparavant,les baptêmes et inhumations des familles
raison
prétendues lépreuses se faisaient, sans e~ception, à la cha
pelle et au cimetière de la Madeleine. Je ne puis rien affir
mer des mariages dont les anciens registres sont perdus .
(1) Chan. MOREAU, p. 211. ire édition. j
Le hasard est, dit-on, la providence des chercheurs.
Depuis que j'ai des loisirs dont je ne puis pas dire avec
le poëte qu'un Dieu me les ait faits, ' je me sUIS fait
chercheur .... et je finirai par croire au hasard.
Il y a quelques mois, je cherchais dés documents concer-
nant notre compatriote Fréron, dans une liasse de papiers
m'étaient complaisamment remis. Je ne trouvai rien de
qui
relatif à Fréron; mais ... en pareille occurrence, on se con
sole et on n'a pas perdu son temps quand on trouve ce
qu"on ne cherchait pas. Or, j'ai mis la main sur une sen
tence du sénéchal de Quimper, rendue le 24 septembre 1667,
antérieure par conséquent ~e neuf ans aux plus vieux
,registres du présidial conservés aux Archives du Finistère.
Et voici la cause curieuse portée devant le Sénéchal:
Douze habitants de la rue Neuve ont assigné douze
habitants (( dont ils ont le malheur d'être les voisins » ,
et qui sont groupés autour de la chapelle de la Made
Les demandeurs disent que leurs voisins sont
leine.
eacquins;' et, pour ce motif, concluent qu'il leur soit fait
défense de baptiser leurs enfants dans l'église de Saint
Corentin et de porter leurs morts au cimetière de Sainte
Catherine; qu'il leur soit ordonné au contraire de faire
leurs baptêmes et leurs inhumations aux fonts baptismaux
et au cimetiere de la Madeleine.
demandeurs, la ré
Voici du reste les conclusions des
ponse de$ défendeurs, les réquisitions du Procureur du roi
et la sentence du Sénéchal. Cette curieuse pièce vaut
bien qu'on la reproduise en entier.
Pour le dire en passant, la compètence du . Sénéchal me
semble bien douteuse ; mais, puisque cette compétence
pas été déniée, il y a deux cents ans, il serai t bien oiseux
aujourd'hui de soulever et de discuter cette question de
procédure. . ,
Extraict des Registres du greffe du siége présidial de Qu,impe1'Hn
(24 septembre 1667).
ffio
cc Du vingt et quatt soptembre mil six cents soixante .
et sept, au logis et par devant Monsieur le Sénéohal dudict
siége, et oe sui vant le ronvoy de l'audiance de ce jour heure
d'une heure de rellevée appurée être sonnée et passée, ct
ant
ayant avec nous pour adjoint le soubs commis au greffe
juré au cas requis. Présent Monsieur le Procul'eur du Roy .
cc Yvon Goavinc, Yvon Maubrée, Sébastien Piriaut,
Allain Laudren, Hervé Le Bot et autres demandeurs,
« Contre Jean CEllvez le vieil, Jean le Becquam,
Jean Calvez le jeune, Pierl'e Calvez, Julien le. 'l'en, Ambroise
Calvez, Adelice Hervé, veuve de feu Jean Capuchon, et
autf',;S deffan'cleurs présants ayant Me Corentin Le Franc
a procureur.
cc LedlCt Le Franc ·au dict nom supplie le deffault luy
estre adjugé; par le pr'offit demande 8, ce que les deman
deurs soient débouttés des fins et conclusions de leur
demande et que deffensès leur soient faites de .rescidiver
'aux invectives qu'ils ont couchées par escl'it, .8, peine de
cinq cents livres damande, esgard que les dicts deffandeurs
sont aussi bons catholiques qu'eux; ainsi l'ecognus par
tous les habitants de la dicte ville, par le Sieur Recteur de
la rue Neufve ct mesme par le Seigneur Evesque de Cor
nouaille, c.om me ils le font voir par son soubzsigné le second
de ce mois. A quoy le dict Lefranc conclud avec despans.
Signé: Corentin Lefranc, procureur.
cc En l'androit a comparu Maistre Nicolas Le Rouyer (1)
lequel conclud aux fins de sa requeste, et par exprès soutient
(1) Nicolas le l'louyer, ~r du V~rger, procureur al! présidial çt
notaire royal, maria en i6ilO, sa fille Yvonne. dame de Trérnaria. il
Hené Laennec, quatdème aïeul ,tu docteur Laennec. ' Nicolas Le
Houycr est m :lrt le 9 novernJ.lre 170C (La Chandeleur). .
BULLliTlN AucnÉOL. DU FINISTiŒE. (TOl\'IE XI). (Mémoire). 17
que les deffandeurs appellés vulgairement Cacquins sont si
audieux et pel'nicieux que dans tout le royaume et mesrne
hors dicelluy ils ont en chacque ville leur demeure et leur
chapelle en lieux séparés, afin d'empescher qu'ils ne com-
mercent avec le peuple; bien davantage ils ont séparé et
nozent fréquenter leurs fontaines ou les autres habittants
ont de coustume de puiser de l'eau, ce qui a été exactement '
en ceste ville, fors depuis quelques années que les deffan
deurs ont eu assez- d'effronterie de desmolir le fond baptis
mal qui leur estoit dedié dans la chapelle de sainte Magdel
laine, affin par lapz de temps de pouvoir faire baptiser leurs
enfants en l'église Sain t-Corentin ; bien davantage ils veulent
enterrer les corps de ceux qui meurent d'entreux
faire
dans la dicte cathédralle et dans le semittière de Sainte
Catherine quoy qu'ils ayent leur chapelle et semittière
séparés. Il~ sont encore si ozés qu'ils manient et gouttent les
et la viande et autres vivres quoy qu'ils
denrées, le pain
n'y doivent toucher que d'une baguette jusqu'à ce qu'ils.
demeurés d'accord du prix, ainsy qu'il a etté ci
soient
devant observé et que l'on,observe encore en toutes les villes
bien règléès (où) il y a des gents de leur sorte, et comme
il est de l'intérest publicque et particulièrement des deman-·
deurs qui ont le malheur d'estre leurs voisins; ils ont
notable intérest de conclure: .
« En premîer lieu que deffense leur soit faite de faire
inhumer les corps de ceux d'eux ailleurs qu'en la chapelle .
la Magdelaine ou dans le semittière qui leur a esté pour'
cet effect destiné, de toucher ni goutter le pain, beurre, lait
autres denrées que au préalable ils n'ayent fait leur
. marché, et en second lieu de puiser de l'eau dans la fontaine
de Saint-Corentin fors en celle qui leur est d~stinée proche
dè la Magdelaine, qu'ils porteront une houlletteou gaule
es laquelle ils toucheront les vivres qu'ils achetteront;
en troisième lieu qu'ils feront rebâtir le font baptismal en
la dicte chapelle de la Magdelaine dans le mois; pass'é
temps que deffense leur soit faite de baptiser leurs
lequel
enfants en l'esglise de Saint-Corentin et en outre que deffense
, leur soit faite de modire ou mesfaire aux demandeurs à
peine de cent livres d'amande.
« En cas que le dit Lefranc conteste les faicts que le dit
Le Rouyer a soustenu et se soubzrpet à la preuve que les
dicts deffandeurs observaient entiennement et depuis peu
terilpS les mesmes formalittés qu'il allègue et demande
despans tant du deffault que les dicts demandeurs ont
obtenu que du présentincident. Signé: Le Rouyer, procureur.
« Ledict Lefl'anc au dict nom dit que tous les faits advan-
, ces par · ledit Le Rouye)' sont abusifs et scandaleux à
l'esglise au gil'Ol1 de laquelle les parties sont receues comme
, bons catholiques ~t sont receues comme tels il y a plus de ,
deux à trois cents ans, et dans Saint-Corentiil il y a fort
longtemps qu'on baptise .leurs enfants et qui sont receues
à la table de communion, que'Dieu ne dédaignant pas leur~
societtes il est honteux de souffrir les parties du dict
Le Rouyer, qui sont les moindres de larueNeufve, de vouloir
les sequestrer des autres; et au moyen conclud à déboutte
rnent avec deffense de molester, ny. maltraicter ses partyes
sons peine de cinq cen ts li vres d'am ende sans prej udice de
, ses autres droits et actions. Signé: Corentin Lefranc,
, procureur.
« T .e dit Le Rouyer au dict nom conteste qu'aucune des
partyes du dict le Franc qui sont présentes au nombre de
plus de douze ayent été baptisées en aucune église de
tin
soit cathédrale ou parrochialle, et conteste en
.Quim per
outl'e tous les autres faicts soutenus par le dit Lefranc
ne luy selivant de ~ire qu'ils sont chrétien et catholiq ne, car
quoy qu'il le soit ils sont cependant exempt des privillèges
que les autres particuliers jouissent" et se refférant à son
, 'précédant pIédé. Signé: Le Rouyer, procureur.
-(( Veu les raisons desduictes par leurs plédés insérés
Jo comparant cy dessus avec un soubzsigllé du Révé
pal'
randissime et Illustrissime Messire René du Louet, évesque
de Cornouaille, par lequel il permet que le corps de Jean
Capichon soit inhumé dans le sémittière de Ste-Catherine
datté du second de ce mois.
(( J'adhère pour le Royaux conclusions prinses par les
à ce que les, demandeurs soient déboutté des
deffandeurs
fins de leur requeste et que deffenses leur soient faictes
d'user de rigueur à l'encontre ' des deffandeurs sur les
peines qui eschoient conclud les dicts jour et an. Signé:
P(ierre L'honoré) (1), procureur du Roy, qui a signé
sous son nom avoir receu six livres.
(( De quoy nous avons donné acte et en conséquence, eu
esgard aux conclusions du Procureur du Roy et au brevet
s~igneur Evesque de Cornouaille en date du deuzième
de ce mois, signé René du Louet, lequel avons ordonné
qu'il demeurerait au greffe pour y dellivrer coppie à quy il
, appartiendra, Avons déboutté ét débouttons le dict Le Rou
yer des fins par Iuy prises par sa requeste et condamné aux
dépens du présent comparant avec deffance au d. Le Rou-
yer~ audict nom, de mesdire ny mesfaire sur les peines qui
(eschoient) faict les dicts jour et an. Signé : Bernard
C['Quezé, sénèchal. » (2). ' ,
(:1) Le coin de h feuille sur lequel était écrit le nom manque; mais
. nous avons pu compléter le prénom et écrire le nom du procureur du
Roi: -Pierre L'honoré, seigneur de Penfrat, ù'une famille ancienne qui a
donné plusieurs administrateurs à Quimper et plusieurs ma~istri:lts au
Présiùial, dont un sénéchal. Il fut nommé procureui' du Roi, en décembre
1664, quand son parent Gcrmain L'honoré, seigneui' de Kerambiquctte,
se démit des fonctions de sélléehal. Piene et Germain L'honoré ont été
admis tous les deux à la réformation ùe 1670 .
, (2) Bcrnard de Crouezé, seigneur de Kervily. et Germain L'honoré
avaient ôpousé les deux sœurs (demoiselles Pégasse). En décembre
1664, Germain L'holloré se démit de la charge ùe sénéchal qu'il occupait
depuis le mois de décembre i 662 ; et fut remplacé par
seulement
Iiernard de Crourzt'. Ctl:ui·ci a rempli ces fonctions pendant vingt ans
envlI'on.
Il ne faut pas d'illusion: Il est clair que les demandeurs,
en énoncant que les défendeurs sont caquins, c'est-à-dire
lépreux, n'entendent Fas soutenir qu~ils sont actuellement
atteints de la Lèpre. Les demandeurs veulent seulement
dire que les -défendeurs sont descendants des caqueux. Le .
fait ne semble pas douteux: les défendeurs · continuent
d'habiter l'ancienne léproserie, le village ou les lépreux
d'autrèfois ont vécu séparés de la population saine; et nous
allons voir, entre autres détails caractéristiques, que deux
au moins exercent le métier de cordiers. .
Aussi Me Le Rouyer, après un long exposé des faits,
sem ble-t-il réduire sa del1)ande d,e preuve aux deux. faits
suivants: loQue les formalités qu'il demande (les baptêmes
et enterrements à la Madeleine) ont été anciennement
• observées, ce qui n'était pas niable.
2 Qu'elles l'ont été depuis peu de temps, ce q~'il
n'aurait pu démontrer, au moins en ce qui concerne les
: baptêmes.
Les défendeurs, j'ai regret -il le dire, avaient mal choisi
leur procureur. Nous -verrons bientôt combien Me Lefranc
est faible !. .. Heureusement, le Procureur du Roi vient à .
, la rescousse. •
Ce magistrat n'avait qu'à consulter (précaution que
Me Lefranc ne semble pas avoir prise), les registres de .
baptêmes, de mariages et d'inhumations de la paroisse du
Saint-Esprit, qui comprenait la Madeleine. Cette recherche
m'était toute indiquée et je l'ai faite après mon vénéré collè-
gue. Malheureusement ces registres sont moins complets
que lorsque ses mains les compulsaient, il y plus deux
siècles. Toutefois les indications qu'ils fournissent nous
suffisent pour conclure et juger l'affaire à notre tour.
La paroisse .dn Saint-Esprit comprenait la rue Neuve, la
rue Sainte-Cathel'ine, la rue Sainte-Thérèse ou des Lavan-
diers (1) et une partie rurale. C'était une des cinq parois
ses desservies en la cathédrale: son autel est aujourd'hui
l'antel du Sacré-Cœur. Les registres des anciennes paroisses
de Quimper ont été réunis et reliés en gros volumes, et
la conservation en est désormais assurée; malheure.use
ment ce soin a été pris trop tard, et la collection n'est pas
complète. Toutefois, il existe ui1e série de registres relatant
les baptêmes du Saint-Esprit célébrés a Saint-Corentin,
de 1619 a 1642 : les noms des défendeurs au procés de
1667 n'y appal'aissent pas une seule fois .
A la suite de ces registres viennent deux petits cahiers
constatant « les baptêmes faits au font baptismal de la
Madeleine, au haut de la rue Neuve », de mars 1633 a
juin 1643. Ces documents méritent une étude particu
liére.
Quatre des sept défendeurs dénommés a la sentence de
1667 y apparaissent; savoir:
Jean · Cal vez, le vieil, Jean ·Calvez le .jeune, Jean Bec-
cam, cordier', comme présenÜimt des enfants, au baptême;
Ambroise Calvez, comme baptisé, fils de Jean Calvez le
vieil.
A uprés d'eux apparaissent d'autres Calvez, un autre
Beccam, un Pi'iol, deux · Cappuchon, Cappichon ou Cabi
chan; enfin deux femri1es Calvez et Priol portent le nom
de Le Ten .
Ainsi voila retrouvés dans ces registres de la Madeleine
les noms de tous les défendeurs de 1-667; et pas un de ces
se trouve au registre des baptêmes de Saint-Co
noms ne
rentin pour la période correspondante ni auparavant. Est
ee assez significatin
Ces cinq familles Calvez, Beccam ... PrioI, Capichon, Le
Ten s'allient seules entre elles. Les actes de mariages de la
paroisse du Saint-Esprit manquent jusqu'a 1652; mais les
(1) Aveu de l'É"êq~le au Roi dui4 jui:let 1682. .
actes de baptêmes nous apprennent le nom des parents qui
présentent leurs enfants à l'église; et cela nous suffit. Les
r-egistl'es de la Madeleine, de 1633 à 1643, nous révêlent les
suivantes: .
alliances
1° Jean Calvez le vieux et Guillemette
3 enfants
Le Ten.. . . . . . . .
4 enfants
2° Jean Beccam et Aliette Cal vez .
de 1637 à 1641
3° Jean Cal vez le jeune et
Marie Bec-
2 enfants
cam. . . " . . . . . . ' "
de 1636 à 1639
2 enfants
4° Charles Cabichon et Marie Beccam.
5° Louis Capichon et Mar'guerite Cal-
1 enfant
vez.. . " " . . . " " . " . . . . " "
6° Mathieu Le PI'iol, cordier, et Marie
2 enfants
Le Ten . .. "". ~ .. ,," .... "
Le Beccam et Laurence 2 enfants
7° Guyon
Cal vez. . .
. 2 enfants
8° Thomas Cal vez et Laurence Lozach.
Laurence Lozach semble seule étrangère aux familles
réputées caqueuses.
De ces huit unions sont nés dix-huit enfants qui seuls ont
été baptisés à la Madeleine de 1633 à 1643. Je me trompe:
les registI'es constatent un autre baptême: c'est celui de
Alain, fils d.e Salaun Julien ( le maistre ès hautes justices
tin
(( de Quimper » le bourreau! Comme les caqueux, le
bouneau est un nuwdit; et, comme eux, le malheureux se
cache quand il a à faire baptiser son premier né!
cependant de rien exagérer. Si les descen
Gardons-nous
dants des caqueux font baptiser leurs enfants à la Made
leine, des personnes étrangères . à leurs familles leur 8er-
vent de parrains ou de mal'raines: C'est ainsi que le
mars 1637 (( honoI'able homme Jean Lespa,ignol fut
parrain d'un enfant do 'Jean Lo 'Beccam, ayant pour mal'
« raine Jeanne Autrou, compaigne d'hon. homo -Jean de la
« Ville, messaiger du Roy de ceLte ville à Nantes. » Jean
de la Ville est en relation avec Beccam, qui sans doute lui
fournit les cordes de ses attelages. .
Bien plus! des habitants de la · ville ne dédaignent pas,
je dirai plus, n'ont pas peur, de tenir l'enfant sur les fonts
avec un membl;e d'une des familles maudites. Ainsi font
, pour des enfa~ts du même Jean Beccam,J acques Quintin,
porte-croix de la cathédrale (1638) et honol'able homme
Jean de la Ville (1639).
Il eL t clair que le pr~jugé terrible qui séparait du reste
des hommes les descendants des caqtieux va s'affaiblis
san t; il va bient~t disparaître. L'église a préparé la réha
bili tation en les admettant à la Pàq ue dans la cathédr'ale. II
semble aussi qu'elle y célébrait les mariages des caquins,
puisque les demandeurs n'alléguent pas que les mal'iages
aient jamais été bénis à la Madeleine. Elle allait fail'e.
plus et supprimer toute différen ce entre les caquins et les
autres cOlnmuniants en admettant leurs enfants au bap-
tême dans les fonts ordinaires et leurs mOl'ts au cimetière
G-Qmmun .
L'admission au baptême dans l'église de Saint-Corentin
date de 1643; et nous pouvons en in'diquer la date pl'éeise :
le 2 juin de cette annêe~ Guillemette Capichon, fille de
Loùis et de Marguerite Le Calvez, est baptisée à la Nlade-
leine; et, le 8 septembre suivant, Jean Calvez le jeune fait
baptiser un enfant à Saint-Corentin.
Ses deux aînés avaient été baptisés (comme nous l'avons
vu) à la Madeleine; mais, depuis 1639,. Jean Calvez ... devenu
veuf de Marie Beccam, a épousé Annq L c Berre. Celle-ci
'n'appartient pas à une des familles prétendues caqueuses;
il semble même que sa famille a des relations avec des
bourgeois de la ville. Elle va avoir sept enfants (entre 1613
et 1658) et au nombre des pahains et mal'raines on re~ar
que noblo Me Jean Prouhet, procureur au Présidial, Jeanne
Nicolas, femme de noble Allain Rochel, Mtre chirurgien,
Allain Guesdori, sr de l(prsugar, eto. Peut-être l'allianco
contractée par Jean Calvez n'a-t-elle pas été étrangère à
cette" heureuse révolution 1
Je m"e figure ces nombreuses familles faisant joyeusement
cortège au petit enfant devant lequel s'ouvre pour la pre
mière fois la pode de la cathédrale de Cornouaille .. et que
noble Ivpre Jean Prouhet, procureur au Présidial et Lau-
rance Guégant, femme de noble homme Philippe Pérard,
tiennent sur les fonts baptismaux.
Des pages blanches restent au registre des baptémes de
la Madeleine: elles ne seront pas remplies et le registre
est olos pour toujours!
Les fonts de la Madeleine sont désormais inutiles: ils
vont un jour disparaître. Sont-ce les caqueux qui les ont
détruits '(, Calomnie de leurs indignes adversaires! A quoi
bon cette inutile profanation 1 Est-ce que renversés ' par _
eux les fùnts 11'eu8seùt pas été relevés le lendemain par
l'autol'ité ecclésiastique., si elle n'avait pas renoncé à y
baptiser? Non! ces pauvres gens a"mient le respect et
l'arl:1our de l)église. La plupart avaient été baptisés à la
Madeleine : ils n'auraient pns porté une main saorilége
sur les fonts auxquels avait été puisée 'l'eau de leur bap
tême, pas plus qu'ils n'eussent abattu l'église ct détruit le
cimetière où dormaient leurs pères. .
Virigt-quatre ans se passent et nous sommes à 1667.
Dans cet intervalle, les ~ix premiers ménages mention-
nés plus haut ont présenté des enfants au baptême à Saint-
Corentin:
1° Jean Calvez le vieil, 2 (1645-16" 17) ;
2° Jean Be"ccam, 3 (1644-1657) ;
seconde femme Anne Le
3 Jean Cal vez le jeune, de sa
Berre, 7 (1613 ft 1658) ;
4 Charles Cabichon, l (1615) ;
5° Louis Cabichon, 3 (1645-1(!49) ;
6 Mathieu Priol, l (164i).
Enfin, le registre des baptêmes du Saint-Esprit. nous
fournit pour cette périoùe l'indication de nouvelles alliances
entre les cinq familles. .
Julien Le Ten et Françoise Hervé font baptiser 4 en
fants de 1644 à 1658.
Yvon Cal vez et Marie Salaun en font baptiser 5 de 1644
Jean Capuchon et Adeline Hervé font baptiser un enfant
Enfin Pierre Calvez, marié à Marie Salaun a deux en-
fants en 1655 et 1657.
Ainsi, dans cette période, 29 enfants 'ont été présentés au
baptême a la cathédrale et pas un a la Madeleine. Est-il
clair que l'église a renoncé à baptiser dans cette chapelle ~
et cette longue possession non interrompue n'est-elle pas
la preuve du droit officiellement reconnu?
Voilù, J\laître Lefranc, ce que vos clients n'ont pas pu
vous laisser ignorer, et ce qu'il fallait dire! Votre cause
était excellente et vous n'avez pas su en tirer parti. Heu
reux sont-ils· que le procureur du roi mieux avisé que vous
ait dit c.e quo vous n'aviez pas su dire, etqu'il sesoit opposé
même à la preuve des faits articulés!
- époque précise ont cessé les inhumations obli
. A quelle
gatoires a la Madeleine? C'est ... .eB que nous ne pouvons
dire. Le plus ancien règistre de decês de ]a parQisse du
Saint-Esprit est seulemeut de 1668. Je me persuade que le
permis d'iuhumer à Sainte-Catherine délivré par l'évêque
René du,. Louet le 2 septembre 1667, a été le peemiel'. C'est
cette innovation qui a déterminé l'assignation des deman-
deurs. Jean Cabichon, mari de Adelice Hervé, serait donc
le premier membre des cinq familles caqueuses inhumé au
cimetière commun. Ce que nous savons du moins avec cer-
titude c'est que, postérieurement, les inhumations conti-
nuèrent à se faire à Sainte-Catherine. Le 27 février 1670,
Jean Calvez, le vieil, vint y prendre sa plaée. Le vénérable
patriarche méritait son surnom: il avait près de cent ans.
Dans cette longue vie, il avait vu s'abaisser successive
ment les barrières que la loi ou l'usage avait élevées entre
les hommes flétris comme lui du nom de caqueux et leurs
frères plus heureux. Baptisé à la Madeleine .. Cal vez le vieil ,
avait vu un de ses petÏis .. fils ba ptisé le premier dans la ca
thédrale, et les fDnts de la Madeleine supprimés comme
inutiles. II avait vu Cabichon, son allié, reposer 'le premier
au cimetière commun. Il pouvait mourir tranquille:
Il pouvait se promettre que le procès qu'il avait soutenu
en 1667 et. la sentence du Sénéchal défendant de molester
-les prétendus caqueux avaient mis fin pour toujours à ces
scandaleuses actions. N'était-ce pas assez que des infor
tunés eussent pendant des siècles subi une séquestration
cruelle, même quand elle était nécessaire? et fallait-il en-
core ftiire peser sur leurs c :escendants quelques-unes des
mesures d'exception que la nécessité absolue pouvait seule
j llstifier ~ " _
Mais le préjugé public devait ètre plus fort gue les sen
tences des juges. Longtemps après la ' disparition de la
lèpre, il réprouvait les descendants des lépr'eux comme une
raçe dégradée. Le nom maudit de cagueux s'attachait à
eux comn::e la lèpre s'ètaitattachée aux membres de leurs
pèl'es; et je ne répondrais pas qu'aujourd'hui en coré, sans
beaucoup chercher, on ne trouvât en Basse-Bretagne quel
ques traces de ce mépris cruel qui a traversé les siècles .
P.-S. Les pages qui précèdent étaient livrées à l'impressionlorsqu3
notre vice-président, M. Luzel, m'a communiqué une notice sur les
Cagots, imprimée dans le tome 57 de la Revue de Paris, :1.833 (1) •
L'auteur, M. Alexandre Teulet, dit « qu'on ne sait rien de cer{ain sur .
. « l'origine des cagots » (p. 46), mais il se refuse à y voir les restes des
Sarrasins vaincus à Poitiers (p. 52). « L'histoire du Béarn en parle pour
« la première fois au Xe siècle (p. 46). Ils paraissent, dès les premiers
« t~mps du moyen-âge, avoir formé une sorte de corporation en
« Béarn, corporation proscrite ..... Telle était la rage aveugle qui ani-
«( mait le peuple contre les cagots que les Etats de Béarn furent sollicités
« de requérir contre cette race toute la rigueur des prescriptions imposées
«. aux lépreux» (p. (8). Les princes de Béarn étaient disposés à la tolé
les Etats au contraire se montraient sans pitié pour ces malheureux.
rance;
cite les articles IV et V du titre 55 de la coutume de Béarn
L'auteur
réformée en W6i :
« Art. IV. Les cagots ne se doivent mêler avec les autres hommes
« par familière conversation. Ils doivent avoir des habitations séparées ....
« et ne doivent se mettre devant les hommes et les femmes à l'église, ni
« aux proceSSIOns, sous peme maJeure ....
« Art. V. Il est prohibé à tous cagots de porter des armes autres
« que celle dont ils ont besoin pour leurs offices (la cognée) sous singu
« lières peines majeures .... saisie et confiscation des armes. »
Enfin, il une époque que l'auteur n'indique pas, mais assurément
après la réformation de la coutume, Noguez, Béarnais, « médecin du roi,
« se constitua le champion des cagots. Il analysa leur sang et démontra
« qu'il avait trouvé ce sang bon et louable; mais ces généreux efforts furent
« inutiles (p. 5:1.). »
Sur ce dernier point, .on peut remarquer que si le médecin prenait soin
d'analyser le sang des cagots, c'est apparemment pour répondre au préjugé
populaire qui accusait les cagots de n'étre pas sltins. Ce point de vue
1eR cagots du Béarn des caqueux bretons considérés comme issus
rapproche
d,.~s lépreux .
et c;est surtout ceci qui nous intéres~e) :
En terminant l'auteur dit (
, « Ce que N'oguez avait entrepris 'pour les cagots de Béarn, Hévin, célè-
avocat, voulùt l'exécuter aussi pour les cacous de Bretagne : il
bre
(1) Cette notice fait partie d'une série d'articles compris sous ce titre
général: Le Moyen-Age français .
s'adressa au Parlement, et remontra combien il était odieux que, sous un
prétexte vague de judaïsme ou d'insanité, on en vînt à frapper des
hommes d'une réprobation semblable.... et après plusieurs années de
sollicitations, de soins et de démarches, il parvint à obtenir un arrêt du
Parlement qui remettait les cacous en grâce. Tant qu'il vécut, Hévin
s'efforça de faire respecter une décision à laquelle il attachait sa gloire, à
juste titre; mais il n'eut pas plutôt fermé les yeux, que les cacous pm'di
rent avec leur bienfaiteur la protection du Parlement.. .. »
Cela mérite vérification; et cet arrêt de règlement, s'il a existé, sera
retrouvé .
Pierre Hévin, né en 1623 (et non 1621 comme le dit la Biographie
bretonne) avait 44 ans et était en haute situation devant le Parlement au
temps où le sénéchal de Quimper rendit la sentence que nous avons rap
, portée. Il est clair qu'a ce moment l'arrêt dont on nous parle n'avait pas
encore été rendu; car les caqueux n'auraient pas manqué de s'en préva
de Quimper a-t-il été le premier saisi d'une
loir. Peut-être le sénéchal
cause de cette nature? ..
que je désirais vient d'être faite avec autant de soin
La vérification
qu~ d'obligeance .
Il exÏste deux tables des Arrêts du Parlement, l'une â la bibliothèque,
l'autre au greffe de la cour: aucune ne contient rien de relatif aux lé
preux ou caqtleux. Il y a plus: c'est en vain que la mention de cet
arrêt a été cherchée dans les œuvres d'Hévin. Comment admettre que le
jurisconsulte, s'il eût obtenu cet arrêt auquel, dit-on, il attachait sa
gloi.re, n'eût pas pris soin de l'imprimer dans quelqu'un de ses ou-
vrages? . '
Commént admeUre aussi que, si l'arrêt eût été rendu, il eût suffi de la
mort du jurisconsulte pour en arrêter l'exécution?
Tout considéré, pour ces motifs et ceux que j'ai consignés dans la note
précédente, je ne puis croire à l'arrêt attribué à la g'énéreuse interven
tion cl'Hévin.
J. TRÉVÉDY,
Ancien Pr~sident du Tribunal civil.