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Bulletin SAF 1884


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Les cloîtres du Finistère (Daoulas, Quimper, Pont-l’Abbé, Landévennec, Plounéour-Ménez, Clohars-Carnoët, Quimperlé)

M. Bigot

Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes


XIII.

LES CLOITRES DU FINISTÈRE

Par M. BIGOT, Architecte diocésain (t).

Dans tous les monastères, il existait un cloître autour

d'une cour centrale (peristylium) .
Cet édicule était considéré pour son utilité comme par-

tie inhérente à ce genre de constructions . . Il servait de
promenoir pendant les heures de récréation et de galerie
et reliant les quatre ailes contre
desservant séparément
il était adossé. Sa hauteur était peu élevée de
lesquelles
manière à permettre de laisser à Pair libre les fenêtres du

pr~mier étage. Sa grandeur était presque toujours en rap-
PÇll't avec le personnel du couvent. Sa forme était carrée ou
~ectangulaire. . .
, Dans le diocèse de Quimper les moines n'avaient que de
faibles ressources; . ils n'ont pu, pour cette raison, conl5-
truire leurs bâtiments claustraux qu'en simple maçonnerie
posée avec mortier d'argile; mais à l'exception de leurs
églises, ils ont voulu que leurs cloîtres ajourés fussent
empreints d'un cachet artistique, suivant le goût de l'époque '
ont édifiés .
où ils les
autour d)un atrium semé d'arbustes et de fleurs
Située
œune
cette galerie s'élevait. Il semblait que les privations

vie silencieuse avaient besoin de se récréer agréablement
en certains moments de la journée par le charme de l'odeur
et des yeux. La poésie inspirée par le sentiment du beau
s'élève toujours vers les cieux ... Pourquoi faut-il que le
'vandalisme, né de l'indifférence et de Youbli de l'art, soit
à une époque d'aveuglement, malheureu­
venu troubler,
sement renouvelé de nos jours, ces lieux délicieux, sans

(i) Notice lue dans la séance du :16 octobre t884 .

autre motif qu'un prétexte futile, qu'une pure fantaisie, ou

bien encore que l'appât d'un lucre misérable!
ont été vendus à des étrangers qui
, Quelques-uns d'eux
transportés mutilés dans leur pays. Hélas) en ce
les ont
débri~ de ces édicules,
moment, s'il reste encore quelques
n'appartiennent pour la plupart, qu'au XVIIe siècle,
ils
c'est-à-dire au temps qui offre le moins d'intérêt sous le
point de vue de l'art et de l'histoire:
Au nombre des plans des édifices religieux que j'ai

dessinés sur place dans ce département, je n'ai pu oublier
les quelques cloîtres qui sont encore debout, ni les débris
de ceux renversés qui portaient encore les indices ou
l'empreinte de leur position et de leur importance. .
graphiques que rai recueillis m'ont
Les documents
permis de préciser l'époque 0.e leU!' construction et d'en
et nouvelle. Je vais
faire l'objet d'une étude comparative
tenter de les décrire.
1. Le Cloître de r ancienne abbaye de paoulas.
Le plus ancien cloître est celui dé l'abbaye de Daoulas;
il appartient au XIIe siècle et P?rte le cachet de l'archi­
tecture romane. S'il a l'avantage d'être classé au premier
rang sous le rapport de l'art et de l'ancienneté, il est
l'un de ceux qui embrassent l'espace le moins étendu. Deux
des côtés de ses arcatures mesurent hors œuvre, 14 m. 60 c.
et les deux autres 12 m. 45 c. Ceux de l'est et de l'ouest
sont percés par douze baies; ceux opposés n'en contiennent
que di~. Toutes les arcades sont en plein-cintre extradossé ;
sont serrés et très étroits '; ils n'ont que
leurs claveaux
o m. 13 c. d'épaisseur sur 0 m. 23 c. de hauteur; les cin­
tres sont supportés par de simples colonnettes de 0 m. 15 c
et par d'autres géminées alternativement. Pour
de diamètre
prévenir la poussée au vide, chacun des angles du monu-

ment se trouve fortifié par un groupe de quatre colonnettes.
Le fût de celles-ci a 0 m. 90 c. dè hauteur, les bases sont
empâtées et les chapiteaux, tous variés, doivent leur orne-
mentation au règne végétal. Ceux-ci ont été traités avec
un talent artistique qu'on ne rencontre nulle part a celte
époque dans la Basse-Bretagne. En effet, leur sculpture n'a '
aucun rapport avec celle qui se voit dans le même siècle
dans les églises de Loctudy, de Fouesnant et de Perguet :
a cette époque et dans notre pays la sculpture était encore
à Pétat de l'enfance de l'art. Aussi est-on surpris heu­
reusement dans le cloître de Daoulas, en remarquant un
honneur a un artistA habile de nos jours.
spécimen qui ferait
C'est pourquoi ce cloitre est l'objet de la curiosité des étran- ,
gers qui 5e plaisent a l'admirer et a en dessiner le~ détails
Les chapiteaux sont recouverts par de larges tailloirs
présentant des dents de scie, des
presque tous ciselés
en losange. Les arcades ' sont
damiers ou des enroulements
simple's, a l'exception de l'une d'elles ornée d'un gros tore
Dans le cèntre de l'atrium est une vasque grani-
losangé.

tique et sculptée qui recevait primitivement un jet d'eau.
En 1793, lorsque les bâtiments de cette ancienne abbaye '
furent vendus aux enchères publiques, les deux ailes sud
et nord furent presque aussitôt après démolies, ainsi que la

charpente et couverture du cloître. Plus tard, les restes de ,
ces locaux devinrent la propriété du général Barbé qui eut
le bon esprit de les respecter; mais lorsqu'il reyendit celle-ci
a Mlle de B*"*, on se mit bientôt après a renverser deux
côtés et demi du cloître pour en vendre les matériaux.

Si le reste fut alors épargné, c'est probablement parce que

d'autres -acheteurs ne s'étaient pas présentés. Heureuse- ,

, ment qu en ce moment cette propriété passa de nouveau
d'autres mains. Ce fut dans celles de M. Francïs de

Goësbriant qui, non-seulement trouva très-mauvaise une
a ré'unir les quel-
telle destruction, mais encore se plut

ques débris renversés et disséminés ça et là. Enfin,en 1880,
la famille d'un de mes enfants devint propriétaire de ces
lieux.

Cette circonstance me permit de bien considérer la valeur
de ce cloître que j'aimais à contempler. Il ne restait plus
alors qu'un côté et demi resté debout, encore était-il ébranlé
et prêt à tomber par la violence du vent. Je le fis étançonner
d'abord pour prévenir sa chute. A raide des vestiges
la recherche de quelques autres et d'une cer­
recueillis, de
taine quantité de pierres manquantes que je fis extraire de
la même carrière, en Logonna, fai pu reèonstruire trois des
quatre côtés. Mais, pour compléter le dernier de ceux-ci, j'ai
à cause de la dépense
le regret de ne pouvoir l'entreprendre
qui en résulterait. Ce que j'ai fait suffira d'ailleurs pour en
faire apprécier la beauté et en perpétuer le souvenir. On
sait que la fondation de l'abbaye de Daoulas date de 1173.
L'église fut commencée en 1167 et terminée en ll73. Le

cloître a été édifié en même temps.
Je suis heureux de partager l'avis de M. de Fréminville
en répétant que ce cloître est incontestablement le plus joli
genre dans le Finistère. Dans
monument qui existe en ce
la courte visite qu'il y fit, le . nombre des. arcades qu'il
accuse dans son ouvrage des antiquités de ce département
n'est pa~ exact; il n'en a compté que onze d'un côté au lieu
l'autre au lieu de dix. Cè n'est là du reste
de douze et sept de
. qu'une petite erreur de détails.
M.de Fréminville ajoute qu'il est bien à désirer que le
propriétaire qui possédait ce cloître nren achevât pas la
démolition. Je ne puis passer sous silence un tel vœu, sans

rendre hommage au sentiment d'admirat1on exprimé par le
savant antiquaire dont l'amour pour les monuments .
à sauver plusieurs d'une ruine
anciens a beaucoup aidé
complète.

II. : Le Cloître de r ancien couvent des Cordeliers
à Quimper.

. Ce cloître, de la première époque ogivale, n'existe plus
qu'à l'état de souvenir. Il a été détruit presque entière­
ment par l'une des familles de Quimper qui acheta le fond
et les édifices de ce 'couvent vendu en 1793 sous le nom
de bien national. En 1845,10rsque la ville acquit une partie
du terrain et de l'église. de cet ancien rnonastère pour
établir un marché cou vert avec des rues avoisinantes, les
restes du cloître fur.ent vendus à des particuliers qui les on t
dispersés.
Avant leur disparition, j'en ai relevé le plan qui avait la
forme d'un rectangle. La longueur des arcatures sur deux
des côtés du parallélogramme avait 20 mètres, et les deux
autres 12 m. 30 c. hors œuvre, sans comprendre la largeur
, de là galerie qui était de 2 m. 45 è. Ce cloître bâti vers le
milieu du XIIIe siecle portait l'empreinte du caractère le
plus Pl}f et le plus simple du style ogival. Chacun des grands
côtès comprenait 19 arcades à tiers point dont le vide était
de 0 m. 80 c. en largeur; sur chacun des plus petits, il y
en avait Il autres. L'arcade centrale des qUG-tre faces était
èperonnée par deux' piédroits se détachant en saillie pour

donner de la résistance à l'ensemble de cette légère cons­
truction. · Dans chacun des angles du rectangle se trou­
vaient trois colonnes isolées reliées par un tailloir dont
l'assiette était combinée de manière à combattre la poussée
au vide. Celles-ci se présentaie\1t au nOInbre de deux sur
chaque face. Le diamètre des colonnettes avait 0 m. 17 c .
Leur hauteur était de 1 m. 01, savoir: pour le fût 0 m. 54c.,
la base 0 m. 18 c. et le chapiteau 0 m. 32~. Ces colonnettes
reposaient sur un muretin d'appui servant de banquette. Le
profil des bases s'accentuait par un demi-tore aplati; celu
BULLETIN ARCUÉOL. DU FINISTÈRE. - TOME XI. (Mémoire).

des chapiteaux avait la forme carrée par le haut venant
par une légère courbure s'amortir par le bas avec le fût
séparait. Presque tous ces
cylindrique dont une baguette le,
chapiteaux n'avaient pour ornementation qu'une simple
fieur peu saillante sur la face principale. Cette simplicité '

n'enlevait rien à la pureté des lignes de ce charmant édi­
sa légèretè, était tellement solide qu'il a
cule qui, malgré
rhomme pour le renverser.
fallu la main de
On sait que la fondation du couvent des Cordeliers date

1232. Depllis 4.0 ans, il n'existe plus de trace de ~on '

cloître ni de son église. A leur place un IrJarché couvert
s'est élevé et des maisons particulières se sont construites,
rues nouvelles.
avec des
est fâcheux que la municipalité n'ait pas eu la pensée
servant du
d'acquérir l'ensemble de cet immeuble en se
marché couvert, et de l'église comme halle au
cloître pour
blé. Certaine conscience scrupuleuse se scandalisera
peut-être d'une telle idée. Quant ' à moi je J'aurais pré- '
férée, car au moins on eut ainsi sauvé du naufrage deux
monuments historiques précieux pour l'art. La combinaison
parti pouvait donner lieu à un projet peut-être plus
d'un tel
heureux.

III. ' Le Cloître de l'ancien couvent des Carmes
à Pont-f Abbé.

Ce cloître portant les armes de Bertrand de Rosmadec
évêque de la Cornouaille, fut construit en 1382, d'après
M. Duchatellier qui en a vu les titres. C'est un de ceux qui
embrassent le plus d'étendue. Il offrait encore, il y a peu
, d'années, un ensemble aussi gracieux que complet. Ses
travées formaient des ogives trilobées inscrites dans une
série d'intersections d'arcs en plein cintre. Deux des côtés
la galerie mesuraient 24 m. 70 c. et les deux autres 21 m .

c. Le plan de ce bel édicule dérivait . ainsi du plein cintre
et de l'ogive. Cette combinaison très heureuse fut une inno­
vation dans l'architecture de cette contrée. La ' partie trian­
gulaire curviligne formée par le croisement des cintres .
était orné d'un trèfle a trois feuilles évidées. La moulure
des arcades a vait le méme profil que celle de leurs meneaux;
ceux-ci avaient 0 m. 30 c. de profondeur sur 0 m. 15 c.
d'épaisseur. La largeur intérieure des arcatures n'avait que
o m . . 67 c.; la hauteur du vide jusqu'a la pointe du lobe
mesurait 2 m. 07 c. Les meneaux reposaient sur un muretin
en pierre de taille de 0 m. 50 c. de hauteur formant ban­
deau de chaque côté et ' ayant 0 m. 78 c. d'épaisseur. Ainsi
disposée la saillie était suffisante pour pouvoir s'y asseoir .
Ce cloître était courpnnè par une corniche a cavet avec
baguette. Les arcades de chacune des façades étaient inter-
rompues par deux éperons de 0 m. 80 c. de saillie vers la
cour, et les quatre angles du quadrilatère étaient fortifiés

par deux légers éperons dans le sens diagonal. La largeur
de la galerie dans l'œuvre _ était de 2m. 90 c. La couverture
en ardoises formait deux pans coupés avec cintre lambrissé.
Dans le centre de ce vaste atrium se trouvait un puits 'de
1 m. 30 c. de diamètre intérieur surmonté de deux marches

très larges; il existe encore .

Il Y a peu d'années, ce cloître d'une grande pureté d'exé-
cution se trouvait être dans un état de padaite conservation .
Après la première Révolution, il tomba au pouvoir de
M. Huard, puis après son décès, en celui de M. D***, son
gendre, qui sut le respecter pendant son existence. Le fils
qui lui succéda vendit vers 1880 les bâtiments claustraux
à la commune de Pont-l'Abbé, pour la création d'écoles.
Dans l'acte de vente il se réserva les matériaux du cloître
avec l'intention de les vendre soit a l'administration des
Beaux-Arts, soit à des particuliers du pays ou à des Anglais .

Le délai convenu pour cet enlèvement étant ex piré, la pioche

du démolisseur se mit à l'œuvre. En vain, des voix accré­
et des rapports sont-ils parvenus au Ministére des
ditées
Beaux-Arts pour tâcher d'arrêter un tel vandalisme ou
d'acquérir les matériaux,le nouveau propriétaire ne voulut
pas consentir à les livrer au prix qui lui était offert par

l'Administration; il préféra attendre une enchére. Il fit alors
transporter les pierres ,de la démolition dans les allées de
sa maison de campagne, après les avoir fait numéroter
pour y réédifier le cloître; la mort l'en a empêché.
C'est ainsi qu'a disparu une belle page d'histoire visible
et de l'art du moyen-âge dans notre département. L'archéo­
logue ou l'amateur qui a pu contempler ce charmant cloître
et qui s'est plu à le dessiner ne pourra plus revoir les lieux
ont donné naissance, il ya plus de cinq siécles, sans
qui lui

une émotion pénible. Cet acte de destruction paraît
incroyable à notre époque. Quand donc le charme des yeux
inspiré par une belle œuvre pourra-t-il arrêter la main qui

ne sait que détruire ~
1 V. Le Cloître de l'abbaye de Landévennee .
'Que dire d'un cloitre qui n'est plus et dont on n'a pu voir
aucun!3 trace ni aucun vestige ~ Mentionnons du moins la
grandeur de l'espace qu'il occupait autrefois f Seul le puits
central est encore à sa place, parce qu'il sert au fermier qui
lieux et parce que le vendeur n'avait pas intérêt _
habite les
à l'enlever. C'était vers le midi de la belle église romane
que se déroulait ce vaste cloître dont on peut juger l'im-

portance par les, dimensions extérieures qu'il devait avoir,
en,y ' çOnlpr~nant la iargeur de ses galeries. Sa longueur
• . avait 36 mètréssurune profondeur de 30 mètres .
, . Dans les deux 'excursions que j'ai faites à Landévennec,
ai pu rèlever le plan de l'église ruinée et compléter le plan

de sa 'resfauration à . l'aide des fouilles effectuées, mais je . '
n'ai pu trouver aUcun fragment du cloître qui m'aurait

permis d'en indiquer la forme et le caractère. S'il avait èté
érigè à la méme époque que l'église ou pendant le siècle
suivant, sa destruction seran plus encore à regretter. Il
paraît , que cette œuvre avait un beau caractère, puisque
M. de Fréminville affirme que ses matériaux ont été trans­
portés à Brest dans le ten1ps de la première Révolution.
Comme dans cette ville on ne les retrouve pas, il est à pré­
sumer qu'ils sont devenus la propriété de quelque acqué­
reur national.
Les bâtiments claustraux ont · été mesurés ' et décrits en
1679 dans un aveu de Jacques Tanguy. Il ést fâcheux que
cet aveu ne fasse aucune mention du cloître et qu'aucun
document n'en.Jparle dans l'opuscule de M. Levot et dans
les citations de M. Aymar de Blois touchant l'abbaye de

. Landévennec.
En parcourant les belles ruines de son église et en voyant
la nudité du èloître qui n'est plus, une larme s'est échap-

pée de mes yeux.

Le Cloître de l'ancienne abbaye du Relec.

. D'après M. de Fréminville, l'ancienne abbaye 911 Relec
fut fondée par l'ordre religieux de Cîteaux. D'après 'Albert
qui l'habitaient dans son temps
Le Grand, les moines

étaient de l'ordre des Bénédictins. On lit dans La Bretagne ' ";.
contemporaine, qu'en 1132 l'un de ces ordres succéda a urt· .. . :'
. monastère plus ancien établi par sal'rit' P61-Aurelie"ndâns .,' ',"'.
le courant'du ' Vle siècle et dont le premier 'abhé: fùtsaint :·
. Tanguy, mort en 572. " '
. L'antiquité de ces dates était bien faite pour provoquer
ce lieu. Je m'y rendis l'année dernière;
mon envio de visiter
pour y parvenir, après avoir quitté le bourg de Pleyber-
Christ, je traversai une partie de la montagne d'Arrez', en

parcourant un site désert, très accidenté, presque aride et

couvert de r~chers gigantesques et informes : dans ce
trajet fatigant par sa longueur efla difficulté du sol, on se
demande comment un monastère a pu s'implanter dans une
telle contrée. Mais bientôt à la tristesse succéda lajoie que le
voyageur éprouve par la vue qui s'offre tout à coup à ses re­
gards. Comme un contraste frappant, une longue et riante val­
lée se déroule à ses yeux. Elle semble avoir été creusée dans
le sein de la montagne élevée qui l'abrite. Cette:vallée cou­
verte d'arbustes est sillonnée par un ruisseau qui alimen­
tait le moulin du monastére. Au moment où cette vuedélici­
cieuse m'est apparue, j'ai ressenti la méme impression que
celle exprimée par M. de Fréminville. L'heure de la journée
étant un peu avancée, j'employai celles qui me restaient à
relevel' le plan de l'église, d'une fontaine jaillissante dont
quatre filets d'eau s'échappaient d'un obélisque élevé et
tombaient dans un bassin sel'vant de lavoir. Ce qui m'avait
su l'tout donné le désir de visiter ces lieux, c'était la mention
d'un cloître en ruines, faite par !vl. de Fréminville et repro­
duite dans la Bretagne contemporaine. Ma déceptIOn fut
gl'ande quand je ne pus découvrir la moindre trace du
cloître prétendu. En effet, M. de Fréminville ne s'était pas
aperçu que ce qu'il croyait étre une construction claustrale
appartetlait à la salle capitulaire s'ouvrant sur le cloître.
La · propriétaire qui habite depuis longtemps une partie
de la seule aile encore debout des bâtiments claustraux
m'a .. assuré n'avoir jamais vu autre chose que ce que
je voyais moi-méme. L'erreur produite dans les ouvrages
mentionnés ci-dessus n'est point la seule. Dans la descrip-
tion sommail'e de l'église, il est dit que les arcades de la
nef sont à plein cintre, tandis qu'elles sont toutes ogivales
avec double archivolte. C'est encore à tort. que M. de Fré­
minville affirme que les coLonnes de la nef et des bas-côtés

ont des chapiteaux remarquables par le slyle de leurs orne-
ments, (taiLLeurs assez bizarl'es et fort grossièrement

sculptés. En effet, il n'existe depuis une époque qui se perd
dans la nuit du temps que deux grosses colonnes légèrement
méplates n'ayant qu'un seul t.ailloir, sans chapiteaux. Les
quelques rares chapiteaux qui existent sont ceux des colon­
engagées dans de lourds piédroits. Ils sont presque
nettes
tous accusés dans un cube perpendiculaire légèrement
arrondi dans les angles. Leur taiJle est presque unie. Il n'y
en a qu'un seul qui soit sculpté; il est grossièrement fait et
n'a pour toute ornementation que des volutes cordées. M. le
Cambry
chevalier de Fréminville a beaucoup accusé
d'avoir trop souvent parlé des monuments du Finistère
d'après les récits des mail'es de certaines localités et sans
les avoir visités. On serait tenté de croire que cette mème
critique pourrait lui être appliquée. Cepe.ndant, malgré
quelques notices erronnées, dues sans doute à l'imagi­
nation de l'auteur des A ntiquités du Finistère, je me plais
a rendre justice a son mérite et a sa science ... parce qu'il a
l'un des premiers a décrire les monuments de son
été
pays et a provoquer le respect de leur conservation.
Dans l'article publié en 1865 par la Bretagne contem­
poraine, on lit que le cloître ... alors ruiné, n'a conservé qu'un
seul côté dont les arceaux en lancettes annonçaient le
XIIIe siécle. Cette citation paraît être empruntée a M. de
Fréminville qui s'était ainsi exprimé en 1835.
n'y a pas un côté du cloître debout, mais
Non-seulement il

même aucun de ses vestiges n'existe par ' terre. La salle .
capitulaire s'ouvrait sur le cloître par trois baies ogivales
dontr l'évasement est orné d'un double rang de colonnettes .
Dans leurs trumeaux sont de larges éperons dont l'extré­
mité se trouve arrachée. Je pense que dans le centre de cet
arrachement se trouvait une .colonnette engagée ou un
corbeau mouluré donnant naissance a l'un des arcs dou­
bleaux du cloître, ainsi que j'en ai étudié le plan de restau-

ration. Depuis une époque déjà éloignée, ces baies légère-

ment mutilées se trouvent en partie recouvertes par des
plantes parasites qui ont pris naissance dans l'intérieur du
mur. Deux d'entre elles sont bouchées par une sinlple mu­
raille; celle du milieu est fermée par quelques mauvaises
planchettes; en poussant celles-ci devant soi, on pénètre
dans un poulailler. C'est là qu'était.la salle capitulaIre. En y
• entrant, je fus contrarié par la présence d'innocentes .
volailles qui se mirent à voltiger autour de moi et

à crier à qui mieux-mieux; mais quand ils virent quej.e
neleur en voulais pas etqùe je ne m'attachais qu)àdes pierres,
le calme se fit parmi .elles, ce qui me permit, sans être
étourdi, de dessiner et de mesurer le lieu. Indépendamment

des ü'ois baies déjà citées, il existe dans le mur perpendi-
culaire de droite trois arcades ogivales engagées reposant
. sur des corbeaux moulurës et sculptés dans le caractère du
XIIIc siècle. Dans le centre de chacune d'elles se trouve un
claveau d'amortissement donnant naissance à une arcade
détruite. Le côté paralléle à celui-ci a été enlevé dans la
partie artistique~ Le quatrième côté vers le nord est percé
par trois croisées dont l'axe correspond à celui des baies

hors le cloître. A l'aide des vestiges qui restent encore dans
cette salle, il est facile de compléter son plan primitif qui
recevait quatre colonnes centrales supportant des arcs dou­
bleaux donnant naissance à 9 travées de voùtes d'arête .
Depuis longtemps cette salle se trouve ruinée et à ciel
ouvert. Ce que la main de l'homme n'a pu détruire dénote
une grande pureté de style et une belle exécution rappelant

. ~xactement les salles capitulaires des abbayes de Saint-

Maurice et de Langonnet.
Quoiq u'il n'existe plus de trace du cloître, il est à pré-
sumer qu'il devait appartenir à la période ogivale du
XIIIe siècle. Des repères font supposer que sa longueur
mesurait 30 mètres et sa largeur 29 m. 70 c. L'espacement
des éperons des 3 baies de la salle précitée donne à penser

que chacune des travées du cloitre se composait d'une
grande arcade dans laquelle se trouvaient inscrites deux
arcatures géminée.s supportées par une colonnette cen traIe .
La disparition de ce type n'ayant aucun rapport avec les
autres cloîtres déjà. décrits et ceux qui vont suivre est d'au-
tant plus à. regretter. M. de Fréminville dit que cet édicule
datait de 1132. Je crois que cette date n'est pas véritable,
parce que le style ogival dans notre cont 'ée n'a pris nais­
sance qu'au XIIIe siècle .
. Avant de quitter Le Relec, qu'il me soit enCOl'e permis

un mot de son ancienne église. Elle fut · dédiée à
de dire
Notre-Dame; sous ce vocable elle est encore en grande
vénération dans la contrée. A droite du chœur se trouve
en renfoncement sur le transsept la chapelle renommée .
Au-dessus de son arcade j'ai remarqué une peinture murale
à. fresque qu'on venait de découvrir sous un épais badi­
geon. Elle représentait dans le cen tre la Vierge assise
tenant l'enfant Jésus sur ses genoux. A ses côtés sont
deux abbés, une crosse en main; l'un d'eux portait aussi des
instruments de la Passion. Il existe encore ailleurs quel- .
ques indices d'ancienne peinture qui apparais?ent a peine.
La nef de cette église a été tronquée vers l'ouest. La .
extérieure de son entrée porte le cachet du
façade
XVIIIe siècle. - .

VI. - Le Cloître de L'ancienne abbaye ie Saint - J1 aurice,

en Clohars- Carnoët .

Comme ceU:x du Relec et de LaL1dévennec, le cloître de
Saint-Maurice n'existe plus .... Seul le puits percé dans son

enceinte apparait. Il n'était point placé dans le centr'e, par
exception, mais vers l'un des côtés.
Parmi tous les sites délicieux que les moines savaient se
choisir pour demeures, on peut citer, comme l'un des plus

gra.cieux, celui de Saint-Maurice. D'un côté on aperçoit de
jardins ornés d'ifs séculaires en éehiq uier, dominant
vastes
un bras de mer, près duquel est un étang alimentant un
moulin. Sur les autres côtés se déroulent des vergers, des
prairies, des taillis d'où s'élèvent des arbres de haute futaie.
venant par Quimperlé on arrive à cette ancienne abbaye
en traversant la vaste et belle forêt de Carnoët appartenant
à l'Etat.
Que sont devenus tous les plans primitifs des anciennes
abbayes ~ Ont-ils été brûlés dans la première Révolution
monastères? Qu'il est regrettable de
avec les archives des
ne plus les posséder! actuellement il n'existe plus que
lambeaux d'édifices souvent métamorphosés pour leur
des
plan a pu échapper
nouvelle destination. Cependant un seul
au ravage, c'est celui de Saint-Maurice. Il date de 1737 et
a été-relevé par un nommé Gannepon. La date de ce plan
paraît être celle de la reconstruction des bâtiments claus­
traux et de la façade actuelle de l'entrée extérieure de
l'église. Ron échelle est très minime, parce qu'elle n'a été
faite que pour le relevé graphique de toute l'étendue de
propriété; mais elle suffit pour juger de l'importance et de
l'emplacement de chacune de ses parties. Je dois à l'obli­
geance de M. Lorois, qui en est propriétaire, la communi­
graci~use de ce plan dont j'ai recollé sur sa vieille
cation
toile les parcelles qui tombaient en lambeaux. Je le remercie
m'a donnée d'en prendre une copie.
de l'autorisation qu'il
Préalablement dans les deux visites que ' j'ai faites à
Saint-Maurice, j'avais relevé le plan des édifices encore
Le vieux plan d'ensemble m'a permis de compléter
debout.
les lacunes avec les indications de la destination primitive
chacun-des locaux. .

antérieurs au XVIIe siècle, il ne reste
De tous les édifices
que des sections de l'église dont la plus reculée, vers l'abside,
parait remonter au XIIe. La plus moderne, vers l'entrée

extérieure, ne date que du siècle de Louis XIV. Quoique
pour l'archèologue, elle a le
celle-ci soit moins intéressante
mérite"de porter le caractère artistique de son époque. On
sait que la fondation du monastère date de 1170 et qu'elle

est due à la gènérositè du duc Conan IV. L'église ruinée, à
l'exception d'un des bras du transept, n'est pas la seule qui

mérite de fixer l'attention de l'antiquaire. Je veux parler de
la salle capitulaire du XIIIe siècle, parfaitement conservée,
sauf la réfection des croisées de la façade vers la mer à
l'époque de la reconstruction des bâtip:16nts d'habitation.
Tout en laissant son aspect à la façade extérieure, il
serait facile de donner à l'intérieur de cette salle la même
physionomie qu'elle avait autrefois.

Je ne saurais m'étendre plus longtemps sur la description
sans sortir de la limite que je me suis
de tous les locaux,
proposée touchant les cloîtres principalement; mais il est
difficile de rester toujOUl'S dans un cercle étroit, en ne
parlant pas un peu d'une partie des monuments qui s'y
rattachent. Je reviens donc à mon sujet.
On ne saurait préciser le style du cloître puisqu'il n'en
reste plus de vestiges. Cependant tout fait supposer qu'il
appartenait au XIIIe siècle, parce que la salle capitulaire
sur le cloître et s'y rattachait, ainsi que l'inspec­
s'ouvrait
En y comprenant la largeur de la
tion des lieux le fit voir.
galerie, le cloître devait avoir 25 mètres sur 23 mètres .
Comme il y avait des artistes parmi les moines, ceux-ci
n'aimaient pas a copier servilement des exemples produits
avant eux, mais 'ils s'ingéniaient à trouver d'autres modèles .
C'est pourquoi si tous les cloîtres du Finistère étaient par­
venus jusqu'à nous, combien leur combinaison variée aurait­
elle été appréciée par les artistes! On eût été heureux de
faire une collection de leurs plans différents, plus simples
et du midi de la France. .
que ceux du centre

VII.
Le CLoître de r ancien prieuré
de Locmaria
à Quimper.
Ce prieuré des filles de l'ordre de Saint.,.Benoît fut fondé
en 1114. L'église seule est ancienne, elle date de' J030. La

portion du cloître qui reste sùr l'un des côtés ne remonte
pas au-dela du XVIIe ou XVIIIe siècle. C'est a tort que
quelques archéologues ont pensé que les trois arcades
romanes isolées qui on t pu échapper au temps ou plutôt a
la main du démolisseur appartenaient au ' cloître primitif.
Cette supposition tombe d'elle-même par le relevé du plan

d'ensemble des bâtiments. En effet, elles se trouvent non
pas en avant-corps du transept méridional, mais bien dans
l'alignement de son côté occidental en retour.

Une autre objection se présente, c'est celle de l'épaisseur

du Inur de ces trois baies (0 m. 75 c.). Nulle part une telle
épaisseur ne se rencontre dans ces sortes de constructions
légères. Je pense que ces trois baies qui devaient se pro­
longer appartenaient a une aile du couvent contre laquelle
l'un des côtés du cloître était adossé. Il est présumable que
le double rang de fenêtres au fond de ce transept n'existait

pas. Ce mur ayant été détruit par l'Administration de la

Guerre, après la Révolution, pour la création d'une bou-
langerie destinée a la manutention militaire, n'a été recons­
truit qu'il ya peu d'années . Je fus chargé de ce travail de

restauration, et si ce mur est percé de deux rangs de fenê­

tres, c'est pOUl' reproduire la même disposition qui existe

au fond du transept nord, puisque l'aile primitivement
adossée et peu élevée était détruite, sans espoir d'étre
jamais réédifiée, on n'avait plus a se préoccuper de cell~"':ci.
L'aile en retour eut le même sort; elle fut détruite a.la
même époque. Par suite des changements opérés pour les
besoins du serviee de la Guerre, il n'existe plus actuelle-

ment qu'une section d'un des côtés du cloîtl'e adossé à
l'église: Il n'en reste que six arcades en plein cintre de
lm. 60 c. de d'iamètre supportées par des piliers carrés de

o m. 35 c. La hauteur de ces arcades sous la clef a 2 m. 15 c.
sur , un muretin de 0 m. 50 c. de hau­
Les piliers reposent
teur. La galerie a de largeur 2 m. 55 c. Lorsque ce cloître
se trouvait complet, il devait avoir 22 m. 30 c. sur 21 m.
60 c., en y comprenant sa galerie. Les bases et les chapi-
teaux portent des moulures de l'ordre toscan. Leurs fûts et
les claveaux soht simples, sans aucune moulure. Cet édi­
saurait présenter un grand intérêt
cule assez moderne ne
sous le rapport de l'art. Il en a encore moins pour l'archéo­
logue. Néanmoins je,n'ai pas voulu le passer sous silence,
dans la classification générale. Il n'en est pas de même pour
anciennes arcades mentionnées ci-dessus. Dans
les trois
l'extrémité du dernier piédroit se trouve une colonnette
engagée semblable à celles q ui se trouvent dans les baies
précédentes. Cette construction porte le caractère de la fin
du XIIe siècle et devait appartenir à la salle du chapitre de
ce rnonastère qui avait le droit d'abbesse. La méme dispo-
sition se retrouve ailleurs, par exemple à Daoulas, à Saint­
Maurice et à l'abbaye du Thoronet, dans le département du
Var.

VIII. -,
Le Cloî(re de t'abbaye de Sainte-Croix,
.' à Quimperlé .

En méme temps que la reconstruction des bâtiments
d'habitation ' datant de 1694 'à 1705, le cloître actuel fut

édifié. Celui-ci se trouve inscrit dans un carré parfait '
ayant de côté 21 m. 50 C., y compris la galerie mesurant
3 m. 30 c. de largeur intérieure. Chacun de ses côtés est
percé par cinq arcades en plein cintre supportées par des
piliers de 0 m. 85 c. de largeur sur 0 m. 65 C. d'épaisseu'r .

Ceux-ci sont reliés a des contreforts de 0 m. 50 c. d'épais-
seur. Dans le centre de l'atrium est un puits. La largeur
des arcades est de 2 m. 45 c. sur 4 m. 35 c. de hauteur sous
clef a partir du sol. Dans leur intervalle, a l'exception de
deux portes d'entrée, il existe un muretin d'appui recou-
vert d'un dallage. Ce cloître est voûté en tuffeau, il est
bien conservé, :parce qu'il fait partie d'une propriété
départementale affectée a des services publics, depuis la
première Révolution .

-IX. ' Le Cloître de l'ancienne communauté des Dames
calvairiennes à Quimper .
Cette communauté date de 1634, suivant une inscription
au-dessus de la porte de la chapelle. Le cloître fut
placée

bâti vers le méme temps; c'est un des plus grands de ceux
décrits ci-dessus. Il mesure 31 m. 43 c. sur 30 mètres, en y
comprenant la largeur de la galerie (2 m. 63 c.). Il contourne
un atrium embelli par un charmant parterre au centre
jet d'eau tombant dans une vasque qui n'est
duquel était un
plus. Chacun _des côtés est percé pal' une série de 13 arcades
dans
en plein cintre avec piédroits moulurés légèrement
les angles. Ceux-ci ont 0 m. 4R c. de côté, a l'exception de
ceux angulaires qui présentent sur chaque face 0 m. 66 c.
sur la même épaisseur. Tous s'élèvent sur un muretin
d'appui couronné par une tablette à boudin. Dans le centre
quatre façades la baie donne issue dans l'intérieur du
des
parterre; ,de chaque côté de cettè ouverture le pilier, un peu
plus large que les autres, reçoit un contrefor ~ pour donner
à l'ensemble une résistance plus grande. Le vide des arcades '
sur 1 m. 92 c. de hauteur. Ce cloître n'est
. est de 1 m. 68 c.
ni voûté, ni lambrissé; sa charpente trés légère est appa­
rente. Il est en bon état. Sa conservation n'est due peut-être
qu'a ;ce que le couvent des anciennes calvairiennes est

occupé par le séminaire du diocèse.

Je termine ici ce que j'avais à dire sur les cloîtres des
anciennes abbayes ou communautés du Finistère. On ne
saurait visiter les plus anciens mutilés ou l'emplacement
de ceux détruits sans une impression pénible. En les
arrivera l'heure qui arrêtera
voyant, on se demande quand
la pioche du démolisseur. .
Ainsi que Victor Hugo l'a exprimé récemment, il serait à
désirer qu'une loi pût intervenir pour défendre de telles
car dans un monument d'architecture, s'est
démolitions,
écrié le grand poëte, « il y a deux choses distinctes : la
(( matière peut appartenir à un particulier, mais sa beauté
(( appartient à tout le monde. » .