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Bulletin SAF 1884


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Le congrès des sociétés savantes

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LE CONGRÈS DES SOCIÉTÉS SAVANTES
Compte-rendu par ~J. CANn:L, délégué (1).

MESSIEURS,
Votre collègue ètait peu fait pour représenter à la 801'-
bonne une Socièté qui compte dans ses rangs des hom-
mes d'un mél'ite éminent. Fort heul'eusement il n'était
pas seul. Un confrère plus digne de cet honneur, était
M. le conseiller Hardouïn, qui tient parmi nous un
rang si distingué, possède de hautes relations parmi les
sommités scientifiques de France; il est recherché de tous
et j'ai été heureux de l'empressement avec lequel il a été
entouré dès son entrée dans le grand amphithéâtre de la
Sorbonne. Aussi l'ai-je vu, sans aucune surprise, appelé à
au bureau, à côtê des illustrations de l'assemblée.
siéger
Votee humble délégué a bénéficié de cette situation, et
c'est à elle qu'il doit d'avoir été accueilli avec une bien..:.
veillance à laquelle il était loin de s'attendre. En renou-
velant ici à notre confrère l'expression de sa reconnais­
il est certain que votre approbation ne lui fera point
sance,
défaut. .
N'ayant eu conn'aissance du programme des questions à
traiter que la veille de son départ, votre délégué n'a pu
jouer, dans ces assises de la science, qu'un rôle tout-à-fait
effacé. Il se contentera d'appeler votre attention sur cer­
taines questions qui l'ont particulièrement intéressé.
La première séance a commencé par la lecture de deux
mémoires fort intéressants SUl' l'origine des noms de lieu en

(1) Notice lue à la séance du 24 juillet 1884 .

France. M. Le Hérichel', d'Avranches, auteur du premier,
signale le celtique comme source principale de la termino- ·
logie des noms de lieu. Il cite à l'appui de sa théorie des
n'ont soulevé aucune opposition. Un mémoire
exemples qui
- de M. l'abbé Arbellot, plus réservé sur ce point fait une
part moins large .à l'élément celtique. Votre délégué a eu
l'honneur de s'entretenir en particulier avec ces deux Mes­
sieurs et de hasarder quelques observations qu'ils ont paru
écouter avec intérêt. Persuadés que la connaissance du Bre-
ton eût contribué à féconder et à faciliter leurs recherches,

ils ont exprimé le regret que la question n'ait pas été trai­
tée par quelquJun de mes savants compatriotes. M. Joret, de
la Faculté des lettres d'Aix, a fait sur le même sujet une
communication verbale qui a été loin d'offrÎL' le même in-
térêt que les deux mémoires précédents. Sa théorie n'a pas
. paru basée sur les lois d'une critique sévère et a donné
à de nombreuses observations. Un grand nombre de
lieu

membres, y compris votre délégué, ont pris part à la dis-

cussion, à propos de quelques étymologies risquées. M. De-
membre de l'Institut, a principalement soulevé des
loche,
ont paru ruiner le système de
objections critiques qui
M. Joret.

Une autre question des plus intéressantes a été 1 traitée

dans cette même séance, en réponse à la troisième ques­
tion du programme. M. Jolibois, de la Société des sciences
Tarn, ~ exposé, dans un mémoire plein de révélations
l'importance des documents que renferment les
curieuses,

études de notaires, les greffes, et l'utilité des registres de
regrette que des pièces qui intéressent tout le
paroisse. Il
monde soient la propriété exclusive des notaires. Ces piè-

ces, selon lui, ont leur place marquée dans les archives des .

départements. Un membre signale le danger de ces ag-
' glomérations de pièces qu'un incendie pourrait détruire,
témoin l'incendie du Châtelet qui, en 1776, réduisit en cen-

dres les archives et minutes de plus de quinze cents études.
L'organisation actuelle des al'chives dépadementales, ré­
pond 'tvJ.' Deloche, est de nature à dissiper .toute crainte a,
cet égal'd. Deux pl'ojets de vœu ont été mis aux voix pal'
le Président. L'un, celui de M. Deloche, invite le Ministre
de la Justice et celui de Plnstruction publique a solliciter'
une mesure législative pour dégager la responsabilité des
notait'es. Cette mesure radicale, qui a rallié les voix de vos
deux. délégués, est restée en minorité. Le pl'ojet de M. Léo­
pold Delisle, qui a réuni la majorité des suffrages, se borne

à demander que des mesures soient prises pour la conser-
vation des minutes de notaires et en faciliter la communi-

cation dans l'intérêt de J'histoire. Comme vous le voyez,
Messieurs, c'est un vœu tout platonique et la situation
reste la mème. En effet, quelles mesures prendra-t-on ~
Quelle sera l'efficacité de ces mesures? On invitera proba­
blement MM. les notaires ft donne\' toute facilité aux ar-

cbivistes et aux savants de · pénétrer dans leurs études.
J'aime ft croire que quelques-unes tiendront compte de
cette invitation et ouvriront leurs portes, mais ft titre gra­
cieux seulement. Et les autres? Qui poul'ra les conhaindl'e
à livrer ft la curiosité des investigateurs des pièces renfer­
mant parfois des secrets de famille ~

M. Deloche, dans le courant de la discussion, nous a si-
gnalé â Tulle, l'existence de registres de notaires où l'on
trouve les 'renseignements les plus curieux sur les mœurs,
la vie civile, les transactions conlmerciales, le prix des
denrées, etc ... On y trouve aussi des marchés dans lequel
il est stipulé que les marchandises seront rendues ft desti­
nation dans un nombre déterminé de nuits et non de jours.
Ce singulier mode de computation, dit le savant, devait re­
monter ft une haute antiquité. A une haute antiquité, en
effet, et votre collègue aurait pu en four'nir la preuve li
M. Deloche. Il savait que ce mode de computation était

aussi usitée chez los Juifs et chez les Athéniens. Il avait
particuliérement sur les livres le texte si précis de César
clans le XVIIIe chapitre du livre VIc des commentaires sue
la gueree des Gaules: Galli se O7nnes ab Dite patre prog­
« natos prœdicant, idque ab Druiclibus proclitwn clicunt.

« Ob eam callsam spatia omnis temporis non numero die-
« r'um seeZ noctiwn flniunt et elies natales el mensiwn et
« annorum initia sic observant ut noctem dies subsequatur.»
« Les Gaulois se disent descendus de Pluton, d'aprés
« une tradition des Druides, et pour cela ils comptent pal'
« nuits et non par jours et, qu'il s'agisse du commencement

des mois ou dës années .. ou de la célébration du jour de
Jeur n'aissance) ils s'y prennent toujours de façon que la
. « nuit précéde le jour. »
L'antiquité de cet usage chez certains peuples n'a rien

d'étonnant. Les traditions des Grecs ' et des Romains, aussi

bien que le texte formel de la Genése, nous montrent l'u-
nivers sortant du chaos et la confusion et les ténébres pré-
cédant la lumière."
Votre délégué étaIt en mesure de développer verbalenlCnt
à la Sorbonne ce qu'il a l'honneur de vous exposer ici. Il
n\'t pu surmonter sa timidité. Il a fait comme tout le

monde; il s'est tû, se réservant, faute de mieux, de faire
le savant après la lettre .
. La séance du 16aété, àmonavis, unedes plus intéressantes.
M. Victor Duruy, avec l'autorité qui s'attache aux paroles
de l'éminent historien, s'est révélé sous un jour qui a sur-
pris quelques mmnbres de l'assemblée. Son discours, que
mes notes me mettent a même de condenser en quelques

rnots~ n'a été qu'une éloquente paraphrase du verset de
l'Ecclésiaste : Nihil sub sole novwn, . nec valet quisquam
elicere : ecce hoc l'ecens est; jam enim processif in sœ­
cuLis quœ fuerunt ante nos. « Rien de nouveau· sous le.
soleil et persom~e ne peut dire .: Voici qui est nouveau;

déjà, en effet, cela s'est vu dans les siècles précédents . . » Il
est douteux que le savant historien ~it so~gé à ce texte, et
cependant son discours n'en est que le développement.

Voici ·ce qu'il a dit, à propos de la 2 question: ELection et
étendue des pouvoirs des députés aux États généraux:
« Plus on étudie l'histoire et plus on reste pénétré de cette
« vérité que c.e que nous prenons pour du nouveau n'est
« que de l'ancien ressuscité. Le passé se cO,ntinue à travers
« ]e présent. On trouve dans les institutions modernes une
« similitude ft'appante avec les institutions anciennes. Il
« faut inviter les savants à rechercher le lien qui' pourrait
«( exister entre les anciennes assemblées provinciales sous
« J'empire romain et les états provinciaux de l'ancienne
« France. Un grand nombre de cités ont eu sous l'empire
« romain toutes les libertés nécessaires : assemblées pu
« bliques, magistrats élus, droit d'armet' les citoyens en
« guerre pour la défense commune. Une loi qui est au code
« théodo'sien autot'ise plusieurs départements à s'entendre
«( quand il s'agit d'un intérêt commun. Ces magistrats élus
« s'interposaient entre le pouvoir centr:;tl et les populations .
«( Ils rendaient impossibles les déprédations et les abus de
« pouvoir de nouveaux Verrès et forçaient les empereurs à
« agir avec circonspection, dans rintérêt de leur propre

« sécurité. Cet état de choses se continue jusqu'à Honorius .
« A paetil' de ce prince faible qui s'enfuit à Ravenne pen­
« dant qu"Alaric prend et pille Rome, la savante organi­
« sation du gouvernement impérial se disloque. Tout est
« livré au caprice de la violence et de la force; tout se tait
« jusqu'au onzième siècle. On souhaiterait qu'il fût possible
« de retrouver le lièn qui a dû rattacher ces assemblées
« aux États provinciaux et les savants du Midi devraient
« porter leur attention sur ce point. » .

A propos d'un travail sur les -associations rurales, sous
l)ancien régime, M. Duruy, restant dans le même ordre d'i-

dées, a exposé « que des associations semblables existaient
« dans l'ancienne Rome. Elles avaient, comme celles du
«( moyen âge, leurs usages, leurs patrons, et jusque des
« cotisations mensuelles. On « le voit, dit-il, les niêmes '
« besoins se font sentir à toutes les époqu.es de l'histoil'e
« et les hommes les manifestent sous des formes sensible-
« ment identiques. »
M. Deloche ne croit pas que le desideratum formulé pur
le savant président puisse jamais étre satisfait, parce que
les circonscriptions des XIVe et XVe siècles, dont les assem­
gél'aient les intérêts financiers et écono-
blées provinciales
, miques n'avaient point de rapport avec les provinces de la
période romaine. Quant aux institutions rnunicipales, elles
se maintinrent sur plusieurs points ou se rétablirent aux
XIe et XIIe siècles dans plusieurs centres où le s'ou venir des
anciens temps était plus vivace.
Votre collègue ne croit pas que de simples changements

dans les-divisions géographiques d'un pays puissent fournir
une raison plausible pour justifier la lacune historique que
M. Duruy. La .disparition d'une institution si im­
signale
portante ne saurait s'expliquer que par des causes autre­
ment sérieuses. Y a-t-il eu d'ailleurs une disparition réelle?
Quant aUx représentations provinciales telles qu'elles '
étaient organisées . sogs l'empire, le dou te ne paraît pas
possible. En ce qui concerne les attributions qui leur ètaient

dévolues, certaines du moins de ces attributions, c'est dif-
férent. Interrogeons les évènements.
La Gaule était déjà en pleine voie de désorganisation à

rarrivée des Barbares. Depuis un demi siècle Rome n'im~/
posait plus aux provinces que des protecteurs avares et
corrompus qui se laissaient facilement gagner par l'or des
barbares ou intimider par le fer. Du tem ps de Cicéron les

Verrè3 se comptaient. Pendant la crise où se débattait alors

la Gaule, les Verrès pullullent et opèrent avec impunité. Il

n'y a plus de Cicéron pour signaler leurs déprédations et
flétrir leur rapacité. Des voix, moins éloquentes, sans
doute, mais non moins indignées s'élèvent cependant avec
énergie. C'est saint Jérome d'un côté, Salvien de l'autre;
Salvien surtout nous fait le tableau le plus complet qui
nous reste de cette triste époq ne. Il nous peint les inj us-

tices et les rapines des ' administrateurs romains; il nous
les représente « rançonnant les particuliers et tournant les
« revenus publics en gain p'our eux. » Ce sont des bétes
féroces qui ont, non gouverné, mais dévoré ceux qu'on leu!'
livrait. » Aussi les pauvres, les veuves et les orphelins
émigraient en foule chez les Barbares pour chercher au
milieu d'eux l'huma:nité que Rome ne connaissait plus .
L'heure était venue où les Barbares allaient balayer toute
cette corruption, mais en semant parLout aussi la ruine et la
dévastation. Une Ü'iple invasion, celle des Germains, celle
des Slaves .et celle des Arabes inonde successivement les pro-
vinces et les recouvre pour ainsi dire de populations étran­
gères, faisant prévaloir d'autres langues et d'autres
mœurs. Durant les cinq siècles qui s'écoulent au milieu de
ces grands mouvements de peuples, les sociétés se· mor­
cellent. Institutions) lois, coutumes, langues, tou t devien t
local.
Cependant quelque ch,ose de général, d'universel, qui
porte eh tous lieux sa langue, sa législation, sa hiérae­
chie, subsisté, calme et inébranlable, quand tout est livré
à l'instabilité et au changement: C'est l'Église qui n'est
étrangére nulle rad, dont les membres s'entendent et se
répondent d'une extrémité à l'autee de l'Europe. Elle seule

est restée debout sans subir le contre-coup du bouleverse-
ment général qui changeait la face du monde ancien. C'es t
elle qui représente, dans ces temps de troubles et de vio­

lences, le protectorat des intérèts populail'es exercé jadis
à Rome par les tribuns du peuple et sous l'empire

par les assemblées pl'ovinciales. p'est une grande répu- 1
blique, ayant ses assemblées, ses magistrats, ses lois .
et sa j Uf·idiction. Elle pénètre peu à peu dans la société
civile. Dès le règne de Constan~in, on voit les chefs ·
du clergé infl'oduits dans la cUl'ie. Les évêques exer­
cent en partie l'autorité Judiciaire et sont investis d'une
sorte de suprématie sur les magistrats ordmaires. Ils con­
courent aux fonctions municipales, à l'administration des
fonds du municipe, à la perception des impôts, à l'inspec-
tion des travaux publics, etc. Bref, l'histoire nous le~ mon-
tre, dans les dernières années de l'empire, comme les chefs
vèritables des cités' sous le nom de défenseurs des villes.
C'est rÉgI,ise, en éffet, qui s'interpose entre l'oppresseur et
l'opprimé et. ose parler d'humanité ' à de$ hommes qui ne
reconnaissent que le droit de la force. C'est elle qui se
substitue à la Patrie qui n'existe plus. Le municipe devient
paroisse et les attributions des préposés de César passent
au clergé et aux èvêques; et quand les villes les plus éprou-

v~es par la tourmente commencent à sortir de leurs ruines,
la première figure que .l'on voit surgir; c'est encore celle de
l'évêque. C'est donc l'Eglise qui a hérité des institutions
e es
impériales. Elle a gardé des traditions romaines ce qu1.
avaient de bon et y est .restée fidèle à trave~s les âges. Le
moine Adhémar (1) nous montre Noménoé, victorieux des
troupes de Charles le Chauve, acclamé roi par son peuple.
Tout cède à son autorité, le clergé seul résiste. Son atta-
chement inébranlable à l'idée impériale, sa fidélité aux tra-
ditions romaines et sa persistance à placer à Tours le cen-

tre canonique de son obédience, désespèrent le roi breton

qui triomphe sur les champs de bataille et succombe dans
cette lutte de principes.
Concluons que l'Eglise a été la fidèle gar.dienne des tra-

(1) Recueil des historiens de France, tome VII .

ditions impé f'i ales, et qua nd vin t l'heure de les faire revi­
"Te sous leur forme antique, les nouveaux représentants
des pwvinces, au Pl'emier rang desquels siégeaient les -
évêques, ne durent pas être bien ernbarmssés pour trou­
ver la marche à suivl'e. Votre coll ègue croit qu'il serait
possible de trouvel', dans l'histoire de l'Église en France,
des indications précieuses pour la solution du pr'oblême
proposé, et il reste convaincu que la lacune signalée a été
comblée, sinon quant à la forme, du moins quant au fond.
Dans la journée du 17, M. Maggiolo, de l'Académie de
, Stanislas, de Dijon, donne lecture d'un travail du plus hR ut
intérêt, sur la pédagogie catholique en Lorraine, au
XVIe siécle. Il analyse et résume les vraies constitutions des
religieuses de la congrégation de Notre-Dame, écrites en
1539, de la main de Pierre Fourier, leur fondateur. Il régne
dans ces constitutions un esprit large, élevé, généreux.
Questions de local, de méthodes, de personnel, de disci­
pline, rien n'est oublié de ce qui peut contribuer à la bonne
éducation des jeunes filles, non pour le cloître, mais bien
pour le monde; et toutes les questions y sont traitées avec
une rare intelligence.
A la suite de cette lecture plusieurs membres échangent
des observations SUI' l'état de t'instruction' en France et

principalement dans les campagnes avant 1789. M. Maury
, fait remarquer qu'il y avait une grande inégalité, au point
de vue de l'instruction, si bien que les opinions les plus
contradictoires peuvent êtee exprimées. Certains centres
sont signalés comme ayant été beaucoup moins bien par­
tagés sous ce l'apport, par exemple la Bretagne. Votre col­
lègue a pris la parole pour communiquer ce qu'il savait sur
l'état de l'instruction dans son pays, avant la Révolution, et
sur la manière dont elle était donnée. Il a soutenu que
l'ignorance n'y était pas plus grande qu'ailleurs. Le dépouit-
lement des registres de paroisses dans certaines padies du

diocèse pal' un éminen t prélat autorise à soutenir cette opi-
nion, sans témél'ité. Il n'y avait, il est vrai, aucune ot'ga­
nisation, dans le sens rigolll'eux du mot; pas de pt'O­
grammes, pas de maisons d'école, pas d'instituteurs r.égu-
lièrement commissionnés par les pouvoirs publics; mais
l'instruction se dOlloait quand même. Les presbytères, les
prêtres habitués, les desservants des trèves, les commu­
nautés religieuses s'en occupaient, avec un dévouement
digne des plus grands éloges. C'étaient surtout les enfants
des familles les plus humbles qui bénéficiaient de leur
dévouement, leui's ressources permettant aux autres de
s'adresser a illeurs. Le clergé, alors com~ne aujourd'hui,
était dans la nécessité de combler les vides que la mort
faisait dans ses rangs, et il recrutait les futurs membres (le
sa hÏér~rchie parmi les enfants qui se groupaient autour de
lui. Son choix, comme de juste, s'adl'essait aux plus recom-
mandables par leurs vertus et leur aptitude naturelle a
apprendl'e. Ils commençaient leurs études sous la direction
des maîtres qui lBS avaient choisis,pui.5 on les envoyait à la
ville terminer leurs humanités, soit sous la férule de l'éco­

lâtre de la collégiale, soit plus tard dans les collèges; et on
peut dire que ces jeunes gens contribuèrent dans une large
mesure, à la prospél·itè des établissements qui leut' don­
naient asile et pl'incipalement au renom de ce vieux collège
de Quimper qui a jadis lll'illé d'un si vif éclat. Ceux qui
n'avaient pas été jugés dignes de la même faveur restaient
dans les carnpagnes et devenaient li leur tour autant de
maîtres d'école iPlpl'OVlSés, allant enseigner de village en
village ce qu'ils savaient, souvent sans autre rétribution

que le logement et le couvert. Ces maîtres ambulants
étaient des auxiliaires précieux pour les petites écoles dont
' parlent les statuts de nos anciens évêques, écoles par les-
quelles devait passer tout prêtre, nouvellement ordonné,
qui aspirait à des fonctions supérieures. Ici un membee

de l'asRemblée fit obseevee qu'on devait commencer, sans
doute, par la lecture du latin; et l'on s.e récria, sans motif
Férieux ... selon moi, sur l'anomalie d'une méthode, bien
p,'opre, disait.-on, a fl'appel' de stérilité les efforts des maîtres
et ceux des élèves~ Beef, la discussion dégénéra peu a peu
en simple causerie et finit par verser dans les impressions
de voyage. .
L'éminent historien Dul'uy qui nous présidait, est un
contem' plein de séduction. Le savant écrivain ne dédai­
gnant pas de mêler le plaisant a l'utile, nous servit alors,

avec une bonhomie pleine de charme, un épisode d'un '
Bretagne, voyage remontant, non aux temps
. voyage en
préhistoriques, mais à quelques années seulement. La
seène se passe dans une bourgade, à quelques kilomètres
d'un chef-lieu d'arrondissement du Finistère. Ce n'était pas
un dimanche et pourtant les cloches sonnaient a toute
volée. Sur la place publique ... c'était un fourmillement de
costumes bariolés d'un effet pittoresque; tout avait un air
de fète .. Le voyageur, grandement intriguè, voulut avoir le
fin mot de telles réjouissances, en un jour non férié. Il

s'adresse a droite, à gauche, dans toutes les directions, et
n'obtient pour toute réponse que des monosyllabes inintel­
ligibles. Enfin, la persévérance aidant, le savant touriste
parvient à découvrir un Breton ... parlant français. C'était
un gars de belle venue, haut en 'couleur, mais rustaud et
profondément ignal'é. Le malheureux ne savait pas distin­
guer les jours de la semaine! L'effet était produit et le
souri,'e errait sur presque toutes les lèvres. Blessé dans sa
susceptibilité de Breton, et voyant la plus qu'une accusation
de rusticité et d'ignorance, votre délégué n'a pas hésité à
lancer dans ce milieu, déjà sous le charme, la note discor-
dante qui change le courant. Il a dit en substance: (( qu'il
(( ne reconnaissait pas ses compatriotes dans le tableau
(( humoristique qui .. venait d'être fl'lit. Ils valent beaucoup

« mieux que leur réputation. La réserve qu'ils observent il,
« l'égard des étrangers à qui il plaît de les mettre sur la
« sellette n'est pas toujours une preuve d'ignomnce. Il est
« vrai que, tout en connaissant le français, j}s accueillent
« avec une bienveillance particulière ceux qui peuvent
« s'entretenir avec eux dans leur vieille langue bretonpe ;

« il est vrai encore que cette langue leur est chère et qu'ils .
« s'en servent de préférence à toute autre dans leul's tran,...
« sactions et le commerce ordinaire de la vie; mais, s'ils .
« se rattachent encore aux vieux souvenirs de nationalité
« bretonne par la langue et les coutumes, ils sont assez
« généreux pour savoir élargir, quand il le faut, les bornes
« de la petite patrie et montrer à la France, dont ils sont
« aussi les enfants, le dévouement le plus absolu. »

L'éminent historien ne se méprit pas sur la nature .des
sentiments de son obscur contradicteur. Aussi, loin de se
montrer blessé de cette intervention inattendue, it s'em-

pressa de calmer, par les paroles su~vantes la susceptibilité
B'reton froissé. « Monsieur, a-t-il dit, je
un peu vive du
« serais désolé que quelqu'un pùt se méprendre ici sur mes
« sentiments à l'égard des Bretons. Je tiens en haute
« estime vos compatriotes. Il suffit de les avoir vus à l'œuvre

« en 1870, pour ne leur marchander ni l'admiration, ni le
« respect.» Personne ne souriait plus et votre collègue
était désarmé, et fier d'entendre ces paroles élogieuses
tomber d'une bouche si autorisée .
Certes, Messieurs" si la discussion avait suivi son cours,
n'eût pas été difficile à votre collègue de prouver la soli-

dité de l'instruction donnée sous les auspices des maîtres
improvisés dont il vous a déjà entretenus. Il eùt montré
nombre d'ecclésiastiques bretons, atteints par la Consti­
tution civile du clergé" protestant dans des documents,
aussi remarquables par les qualités de la forme que
, modérés quant au fond. ' Il les eùt fait voir, exilés dans

tous les etats de l'Europe et accueillis padou t dans les
familles recommandables, non seulemen t il. cause de l'in­
térêt qui s'attache toujours .au malheur immérité, mais
, surtout parce quils offraient la' triple garantie de la vertu,
du savoir et du dévouement. Il eùt fait briller aux yeux de
ses savants collègues les médailles d'or et d'al'gent, en1e·­
vées de haute lutte par un simple recteur de campagne des
environs de Quimper, dans les concours annuels de l'Aca­
dèmie de Prague ~1), Il eût montré ce lauréat d'un con­
cours de poésie, consacrant les loisirs ·de son préceptorat,
dans une famille princière, à composer une grammaire
latino-celtique, à l'usage de s~s savants amis de Prague.
De tels hommes montrent que les études étaient en honnem'
dans ce pays avant 1789.
L'insteuction primaire, comme je l'ai déja dit, était donné
dans ce qu'on appelait alors les petites écoLes, et les évè-
ques considéraient comme le plus sacré de leur's devoirs de
stimuler le zèle de leurs collaborateurs pour assurer l'exis­
- tence de ces écoles.

. Lorsque Mgr François-Hyacinthe de PIœuc publia ses
statuts et règlements synodaux, en avl'ÎI 1710, il paraît que
Je zèle des jeunes prêtres, chargés de l'instruction des
enfants du peuple, s'éta,i t refroidi. Le saint prélat s'en
émeut, à juste titre, et donne les ordres les plus précis
pour assurel' le fonctionnement de ces centres d'instruction.
C'étaient les prêtres nouvellement ordonnés qui en
étaient chargés; rude noviciat, mais condition sine qua

non pour arriver plus haut.

Nous lisons en effet ce qui suit dans le statut IV :
« Nous désirons extrêmement rétablir les petites éco-
« les dans les villes, bourgades et par-oisses de notre dio­
«' cèse, principalement en faveur des pauvres. Pour cet

(1) Vie et œuvres de Mgr Graveran par l'abbé J.-~. TÉPHA.NY •

« effet, nous ordonnons aux recteurs et vicaires de charger
« de l'instruction de la jeunesse les prêtres le plus récem­
« ment ordonnés; et en cas qu'ils contreviennent aux

« ordres qni leur seront donnés de notre part, 'a ce sujet)
« les recteurs nous en avertiront afin que nous usions
« envers eux de notre autol'i té : déclarant que nous ne les
«admettrons à des fonctions supérieures que nous ne
« soyons assurés de la soumission qu'ilsaul'on t eu a cc:
« point a nos ol'dres. Les recteu rs auront soin qu'ils appren­
« nent a lire et a écrire autant qu'il se poul'l'a a tous les
« enfants de leurs pal'oisses, etc. )
Le v8nérable prélat prévoit les lieux où il serait possible
d'établir des maîtres et maîtresses de profession et ' en­
gage les seigneurs et fidè-Ies a y contribuer selon leuf's
facultés. Plus t.1rd, Mg' \" Conen de Saint-Luc, qui mOUl~ut
en 1790, regarde, lui aussi, la tenue des petites écoles

comme une chose si impodante que le zèh~ qu'apporte un
prêtre a remplir ces fonctions est à ses yeux la meilleure
des recommandations. Le cahier de ses tournées pasto­
rales, conservé dans les archives de l'évêché en fait foi (1).
Il en est qui se plaisent à répéter que le clergé de l'ancien
régime maintenait volontiers la lumière sous le boisseau.
Tout homme de bonne foi qui considérera ce qu'il a fait,
dans un temps où le budget de l'instruction publique ne
pouvait venir a son aide, et pour cause, s'empressel'a de
r'endre justice a ses efforts. Les évêques ordonnaient et
encourageaient; les prêtres s'exécutaient de bonne grâce,
et, l'impulsion donnée par leur exemple, faisait surgir des
. instituteurs et des institutrices de bonne volon té un peu

partout, même dans les châteaux. '

Mais, quelque louables qu'aient été ces essais d'orga-
nisation, clus a l'initiative privée; quelle que soit la recon-

(1) Communication de M. l'abbé J.-M. Téphany, chanoine.

naissance à laquelle ont droit ces ouvriers de la première
heure, et nous sommes de ceux qui ne la leur marchan­
dent. pas, il faut convenir r.ependant que tout cela était
bien primitif, comparé à l'état actuel des choses. Jadis les
enfants désireux d'apprendre étaient obligés de courir à la
recherche de maîtres de bonne volonté. Aujourcrhui les
rôles sont renversés, et ce sont les maîtres qui vienuent
au-devant des élèves. C'est le régime du (cQmpelle intrare).
,Le Gouvernement, secondé par le bon voulo~r et ]e zèle des
administrations locales, ne marchande plus les million5 .
Des maisons d'école s'élèvent jusque dans les plus humbles
hameaux. Des instituteurs instruits, dévo~és, presque tous
enfants du pays, sont là en nombre" ne demandant qu'à
faire assaut de zèle et de dévouement. Nous espél'ons que,
tous aussi, ils comprendront la sainteté de leur mission et
que, sous leur prudente direction, nos enfants sauront pro­
fiter largement des facilités qui leur sont données, sans
rien perdre pour cela des vieilles traditions bretonnes, et
en conservant intactes les précieuses qualités de leur race .