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Bulletin SAF 1884


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Marie Tromel dite Marion du Faouet

J. Trévédy

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:\JAHIE 'l'RONIEL DITE MAH.ION DU FAOUET (1 ) .

Parmi le::; épaves du Présidial de Quimper déposées aux
Al'chives q.u rinistère, 'se trouvent des registres a l'usage du
greffier de la Maréchaussée. Ces documents forment deux
• séries. \ La première contient deux cahiers destinés « a
« enregistrer les dèpôts des procédures, procès-verbaux et
« effets saisis servant a conviction. » La seconde, les regis­
tees destinés a « refférer les jugements qui seront rendus
« prévôtalement, tant préparatoÏI>es et interlocutoires que -
« deffinitifs-, et les dates des jours auxquelles ils inter-
« viennent (2): »
'Je feuilletais un jour un de ces derniers registr'es, espé-

l'ant y trouver le nom de Tanguy, cet assassin repentant ou
cet innocent injustement condamné, dont la tombe, en la
commune de Penhars, est dépuis cent cinquante ans l'objet
de la vénération populaire (3). Mes yeux rencontrèrent tout
à coup au folio 12, v , le nom de MARIE TROMEL dite
lVIARION DU FAOUET. .
Ce nom me rendit présent un souvenir 'de ma ' première
Jeunesse.
Un jour, il y au moins trente-cinq ans, j'étais à Corlay;

pêtite ville des Côtes-du-Nord, comprise autrefois dans 1
l'évêché de Cornouaille. Une grand' mère traînait son petit­
fils .à l'école; l'enfant résistait, et la vieille, comme dernier

(1) Notice lue à la séanr.e du 29 mai t 884.

(2) Ces précieux re~ii"tres sont pl.oins de curieux enseignements. Je
mc' permets <.le les signalet'. (B. 818 -8~1) . .
(3) Voir Bulletin archpologiqlUJ 1882, p. 26. Pl'omen :de à la MOIJtagne
.. ùe la Justice ct il la tombe de T'lngu'y.

argument~ le menaça d'aLLer. chercher Marion. Ce mot fut
magique et l'enfant obéit-
.T e demandai quelle était cette Marion élevée ainsi au rang
de Croq'uemitaine et la grand'mère me répondit : « C'est
- (c Marion du Faouët .... Je s.erais bien fâchée qu'elle
« vint. Cétait une voleuse de grands chemins, qui a tué
« beaucoup de monde et qui emportait les enfants. On dit
« qu'ellê a été pendue à Quimper, et elle l'avait bienml' l'ité.
«( Il y a au moill~ cent al1S de sa mort. )) (1 )
La procédure édîfiée conÜ'e Marion du Faouët devrait
contenir des centaines de pièces (2). Il n'en ' reste que de
l'ares débris, des interrogatoires, le jugement de compétence,
la sentence de condanlllation. Les indications puisées dans
ces pièces m'ont mis sur la voie et m'ont permis de faÏl'e q uel­
ques recherches. Des mains amies ont fouillé pour moi les
archives du Parlement de Rennes, et celles du Pl~ésidial de

Vannés. J'ai inteùogé au Faouët, à Gourin, à· Guéméné, il,
Pontivy; et ce qui va 8uivre est le résultat de ces investi:"

gations (3). '

(t) Cette vieille femme élait, m'a-t-on dit, originaire de Guémené. Le
Cn'quemita1'ne de Coduy est depuis IOllglenlps La Fontenelle, que les
• • • mères, trompée~ par la désinence felT.iuine du nom, appellent Madame
Fontet/elle.
C'est pal' el'reur qu'il a 1 (ilé imprimé que La Fontenelle était né 1111
chàtrau de Corlay. La Fonknelle était lié au château de Beaumanoir
~pal'oisse du Lesla"y, près de (juintilJ, ct 'non de Botoha, comme le dit I~
chanolllc Moreau, p. 265).
Ce qlli est vrai, e'est que en 1594 il s'empara du château de Col'lay
el ravagea le canton pendant une année.

(2) Cela se déduit de l'énlJmération faite dans le jugement de compé- .
tene0 p révôtj-d0 d li 24 mai 1755. .
(3) 11 n'est pas besoin de dire que ies faits puisés dans les procédures
mrl'Ïtellt seuls une entière co:lfiallce Mes honorables correspondants ne
S~. portent. r~as garants des fait~ que la tladition Il cOllservés. J'aurai

SOIt1 Ge dlstlllguer dans des !:otes les faits résu)taut des procèùures et
ceux tran3mis par la tradition.

CHAPITRE PH, E NIl ER

La petite ville du Faouët, aujourcl'hui chef-lieu de canton
du Morbihan, faisait autrefois pal'tie de l'évêché de Cor-
nouaille. Elle est bâtie sur 'la rive droite de l'Ellé : SUl'
l'autre rive, à deux kilométres, au prés du pont (1) qui ser­
vait de limite comrpune aux deux évêchés de Quimpel'
et de Vannes, presque en face de Sainte-Barbe, se voit
Je village du V éhut (2), paroisse de Priziac.
C'est là, que dans la premiére moitié du dernier si~cle
habitait une famille du nom de Tromel (3); et c'est là que,
~elon la tmdition, est née Marie Tromel, connue depuis

sous le nom de 11arion du Faouët.
. Mal'ie Trome1 déclare en 1747 et 1755 avoil'32 et 40 ans (4),
.indication qui reporterait sa naissance à 1715. Dans tous
ses intel'rcga10ires, elle dit qu'elle est née au Faouët;
mais son acte de baptême ne se retrouve pas aux registres
de cette paroisse, ce qui permet d'affirme!' qu'elle n'y est

pas née. D'autre part, les registl'es de Priziac n'existent
plus de 1696 à 1717. Il n'est donc pas possible de fixer
- d'une manière cel'taine la date do sa naissance; mais il

n'est guère permis de douter qu'elle ne s.oit née au V éhut,

ou ses pal'ents étaient domaniers de la famille J eguic de

Stanghingan (5).

(1) Le pont se no'mme aujourd'hni le grand pont, comme au dernier'
siècle.
(2) Véhnt, Véhallt, Véhouët dans les procédures, Leve.hoat sur la
carte de rétat-mi-ljor.
(3) Tromcl, Tremr.l, Tromelle, Dromel 'Jans un seul acle.
(-'1) llll. du 4 jllillet f747. Vannes. Id. 24 mai et 2 août f755.
Quimper.
(5) (c l'enseignement et tous ceux qui vont suivl'e concemant Male de
Stanghingan me sont donnés pal' I('s deF.ccndants diree1s de cette dlme .

Mal'ie 'l'l'ornel était trés jeune lorsqu'elle perdit son père;
et sa mère, nommée Hélène Qum'neau ou Kernot, se re,-
maria sans retard.
Elle avait au moins un frére germain, sonaîné de deux
ans nommé Cor'entin, une sœur germaine, sa cadette,
appelée Marguerite, et un frère utérin du nom de Joseph
Le Bihan (1). Deux personnes nommées dans une pro(~é-

dure Alice et Isabelle étaient-elles des sœurs plus jeunes?
Il semble plus probable qu'elles étaient filles de , Marie
Tromel. Du moins est-il certain qu'elle a eu au. moins une
fille (2). On: l'a vue un jour accompagnée de' deux filles de
dix à douze ans ,(3) ; et dans un interrogatoire ct), elle sem-

ble l'econnaître qu'elle a eu plusieurs enfants avant celui
qu'elle venait de mèttre au monde. . '
La famille Tromel ·ahabité le V éhut jusqu'en 1748 ou
17.:19. Vers cette époque (5), la mère de Marie Tromel ou
cette derniére seule 'vint demeurer au Faouët, dans une
maison qui avait un jardin avec une porte sur la route de
Guémené (6), "
Vers le même temps, Corentin Tromel s'établit à 'l'y-
Poder, à l'autre extrémité de la paroisse du Faouët, sur la
route de cette ville à Pontbriand et au Saint (7).
Longtemps 'avant cette époque, 'la famille Tromel avait,
paraît-il, abandonné la culture des champs : elle était

pauvre et vivait avec peine du produit de diverses industries:

La mère et les enfants faisaient des cribles qu'ils allaient .
(1) Int. du 2 août 17lSlS. Quimper.

(2) P,-v. du 26 juin 1748. Vannes.

(3) Inf.du6 j!l\1l1748. Vannes. '
(4) lnt. du 4jllillet 1748. Vannes .
(lS) Int. de Mahé. 6 avril 1748. Vannes.
(6) Int. 2 iloûl 17lS!). Quimper. Tl s'ilgit de la route de Guémené par
PriZiac et Ploërdut et non de la l'oute nom'elle pal' LIgnol.
(7), Int. de Corentin. 8 juin 1753 . Quimper ..

vendre aux pardons et aux foires avec de la tresse, du fil et
d'autres menues merceries (1); ils tenaient des jeux de

. nasard sur la voie publique (2) ; enfin, au moins par OCC8.-

sion, ils débitaient de l'eau-de-vie (3). Leurs courses s'étel1-
daient jusqu'a cinq ou six lieues du Faouët, notamment
jusqu'a Guémené. .
Il ya peu de familles aussi humbles que celle-la qui aient
eu une destinée plus tragique. Le souvenir de Marie a seul
survécu; mais la postérité a oublié son nom de famille et
. ' ne la connait plus que sous les noms de Ma/°ion dit Faouët

ou de Marie ou Marionnic Fine/ont. . .

. Marie Tromel a vait été tenue I:;ur les fonts de baptème

par la dàme de Stanghingan, . qui habitait dans le
voi:>inage le château de ce nom (paroisse de Meslan) .
Mme de Stanhingan ne méconnut pas le devoir de protection

et de surveillance que le titre de marraine lui imposait.
Mais ses soins n'eurent pas le résultat qu'ils méritaient .
.Marie était trés intelligente, mais faInéante et menteuse.
Elle atteigni t ainsi dix ou douze ans, courant les march$s
et les foires et prenant goût au vagabondage et a l'oisiveté.
Vers cette époque, Mlles '.Taffray, demeurant avec leur
fr-ère (4) au Port-Louis vinrellt visiter leurs biens aux envl- .
l'ons du Faouët. Elles rencontl'èrent Marie l'l'ornel. Celle-
ci les intéressa par !::es grâces enfantines et sà vi ve intelli-
gence. Peut-être Mme de Stanghingan intervint-elle? Quoiqu'il

(1) Jnl. de Marie. 24 mai, 2 aoùt 1750. De Corentin, 8 juin 1703.
(2) Réquis du P,rocllreul' du Roi de la Maréchal.lsséc. 1 i août 1,:)2 .
• ,Quimper.
(3) Jnl. du 2 mai 1700.
(4) Reus. transmis par une personne fOl,t respectable qui les tenail­
de sa g:and'mère, demeurant au P/)rt-Louis Cette dame tcuait ce
récit d'une vieille amie de Mlles Jaffl·ay . ' .

'en soit, Mlles Jaffray résolurent d'enlever l'enfant au milietl
dangereux dans lequel elle vivait. Elles la demandèrent ~
~a mère, qui l'accorda sans peine; elles l'emmenèrent au
Port-Louis et elles comptaient l'attacher à leurs personnes.

Marie Tromel passa quelques années dans cette honnête
maison et y apprit le français~ Mais, en g,randlssant, sans
se corriger de ses défauts d'enfant, elle avait contraeté les
défauts d'une jeune ' fille : elle était vaine .et frivole et ses'
'coquetteries désespéraient ses pieuses maîtresses. Les

caresses échouèrent comme les réprimandes contre sa
nature rebelle : enfin, après avoir patienté longtemps ,

Mlles Jaffray renvoyèrent Marie Tromel â sa mère.
Nous verrons dans la suite de ce récit comment Marie
Tromel devenue Marion du Faouët, retrouvant un jour

M. Jaffray, lui témoiglJa sa reconnaissance. .
. Marie retourna aû Véhut. Elle avait besoin de -sur-

veillance et de conseils; m~is 'sa mère, ' qui allait se

faire complice de ses crimes et tolérer ses débauches: ' ne
devait lui donner .... tJi le précepte, ni l'exemple. Sa marraine
essaya de suppléer à l'indigne mère; et eUé reçut Marie avec
sa bienveillance ordinair'e·; mais, avant que sa patience se
fût lassée, Mme ' de Stanghingan avait dû reconnaître que
ses soins étaient inutiles. Bientôt, un jour vint où elle dut
interdire à sa filleule l'entrèe du château de Stanghinp-an.

La débauche de Marie Tromel ètait devenue publique, et
vers 1736 ou 1738, elle devint mél'e : elle avait alo.rs vingt-
et-un ou vingt-deux ans (1). -

Les profits de la vente des cribles et de la lT18nue mel'-

cerie ne permettaient pas à Marie Tromel de satisfaire ses ,

goûts de toilette et de bonne chère. Le bien-être qu'elle
avait goûté au Port-Louis lui rendait la misère plus pénible

(f)Sa. tille avait if ou 12 ans en 1748. Proc.ès-Verbal de la Maré-
ebaussée de Vannes des 26, et 27 juin 1748. '

8, supportee. Elle ne tarda pas a joindre aux nombreuses
industries de sa famille une autre profession qui devait être

plus lucrative: elle se fit voleuse de grands chemins.
Dès 1740, quand elle avait a peine vingt-cinq ans (1), elle
exerçait ce métier qu'elle allait faire impunément pendant
plusieurs années. Il semble même que, dès son début, elle
ait eu l'autorité de chef de bande, que nous la verrons plus
. tard exercer de la manière la plus despotiqùe.
Pour expliquer l'ascendant extraordma~re qu'elle a obtenu
sur tant d'hommes et pendant si longtemps, la tradition
représent~ Marion du Faouët, comme très-intelligente et
douée d'une beautê merveilleuse.
SUl' le premier point, hl tradition ne se trompe pas: les inter­
l'ogatoiees de Marion dénotent un esprit prompt et fécond .
en ressources. Elle était enjouée et rieuse, et elle trouva le
mot pour rire ~n répondant à E;ies juges .au moment de subir la
question! L'admiration de ses complices ou la teneur de
ses victimes lui ~vaient donné le sUl~nom dè Finefont,

mot qui semble signifiee foncièrement fine, rusée à fond,
absoLwnent fine ;' et devant ses juges elle se paraît de ce
",Ul'nom avec une sorte de Goquetterie (2).
Les grâces de son enfa.nce s'étaient-eJles développées avec
J'âge? Avait-elle reçu le don de la beauté, présent funeste
ù, tant de femmes de son espèce? C'est ce qu'il est diffi.cile

de dire. Le seul signale men t que nous donne la procédure,
est celui-ci : . -

« Taille de ( tams roux, une CICatrICe au haut du frçmt, visage marqué
« de roussures (3) ». . '
. Mais ce signalement peint Marion à trente-deux ans; et,

(1) Illt. du 24 anùt 1755. Quimper. . ,
(2) TOlls ses ÎlIterl'ogatoirts. Elle ne mentionne jamais SOli SlIl'uom de
Marion du Faouè"t. ' _
(3) Int. du 4 juillet f '148. Vannes.

à la vie qu'elle menait, elle avait dù vieillir vite. En outre,
ses juges la voyaient huit jours après ses couches. .
Quoiqu'il en soit, la traditionexagère sans doute, quand
elle rapporte que Marion payait de ses faveurs la compli­
cité des hommes de sa troupe; mais il' est ,du moins certain
qu'elle eut successivement plusieurs favoris, auxquels son
amour fut fatal, comme nous le verrons par la suite.

Ill.
Le Faouët était un quartier général bien choisi pOUl' les
expéditions de sa bande. Cette petite VIlle commandait
cinq routes principales : celles de Gourin, d Guémené
par Ploërdut, d'Hennebont par Plouay, de Quimperlé et de
Scaër. Le pays était parsemé de petits bois; et le~ routes
souvent abruptes et bordées de hauts talus plantés se prê­
taient merveilleusement à des attaques nocturnes.
La vente de la petite mercerie dans les pardons, les mar-
. chés et les foires fournissait à Marion une occasion pres­
que journalière d'informations. Sa mère, sa sœur, ses frères
tout en offrant leur marchandise,
enrôlés sous ses ordres,
remal'quaient .le boucher ou le marchand venu pour acheter
une bètequ'il n'avait pas trouvée, 'le paysan ql!i avait

vendu un cheval ou des bœufs Gont il emportait le prix .

Malheur à eux s'ils s'attal'dent! Au coup de sifflet de Ma-
rion, deux, trois, dix hommes vont s'élancer sur eux au
détour du chemin; et, ,quand ils rentreront dans leurs mai-

sons,' leurs sacoches seront vides. Malheur aussi au col-
porteur,' dont la balle bien garnie retarde la marche! Si la

nuit le surpr~nd, Marion et ses as~ociés (1) vont alléger le
• fardeau qui pèse sur ses èpaules .

(f) Ce mot est employé dans les procédures plus fréqucmmen t que
celui de complices. Notre Code pénal a gardé l'expression: Association
de malfaitettrs. '

Était-ce parce que le commerce de mercerie servait ainsi
à rutilité communè? je ne le sais; mais il semble que si le
produit des autres vols était partagé également entre tous,

Marion s'attribuait exclusivement les dépouilles des colpor­
teurs (1). Viennent mainteriant les acheteurs demander du
fil, des aiguilles, des mouchoirs de masity-pastans (2), la
famille Tromel les vend moins cher que tout autre, parce
qu'ils ne lui coûtent rien. .
Sur un point au moins la pm:;tÛité a calomnié Marion,
c'est quand elle ra chargée de nombreux assassinats. Ce
qui reste des procédures démen,t ici la tradition. Les hom­
U>o~~ ..... ~"" Ma.rion commandait étaient armés; niais c'était
pour. La montre; il n'est pas appris qu'ils aient jamais fait
usage d·e leurs armes. Une fois, elle parut avec un de ses
associés dans un appareil formidable: ils avaient entre

eux deux SEPT pistolets chargés (3). Un homme qu~ Ma­
rion haïssait était devant elle seul et désarmé: elle pou­
vait le tuer,_ elle ne lui fit aucun mal, se contentant de 1'ef­
frayer de menaces de mort pour le contraindre à s'éloi­
gner.
A peine Marion autorisa-t-elle quelques violences et
quelques coups d~ bâton pour déterminer une 'volonté hé­
sitante : elle-même n)a jamais porté qu'un coup de bâton (4)·

Il lui est même arrivé d'empêcher ses associés de mal-
traiter des voyageurs de sa connaissance; et ' ce fait est
relevé avec raison dans la procédure comme la preuve la

(1) lnt. du 2 aoùt 17!5!l. Quimper. .
, (2) C\'st l'orthogl'aphe du grdnt'i' de la Marrchaussée. Il s'agit de
Ichoirs de col&n rlits Masulipatam, dl] nom de III ,'ille de la cote de
Coromandel. qlil ks fabriqua t. Ces 1issus arrivaient en grande quantité
aux ent repots de la Compagnie des Indes à Lorient.
(3) Inform. du 6 Juin 1748. Vannes.
(4) D'après les procédures, (~e qui précède est rigoureusement exact.

plus manifeste du pouvoir sQuverain qu'elle exerçait SUf" sa
bande (1).
. Cette fille de plaisir n'était pas cruelle et nous trouve­
T'ons dans sa vie des traits de bonté et de reconnaissance .
Et puis Marion FineJont était trop avisée pour attirer
l'attention et exciter l'horreur par le scandale d'un assas­
sinat sur la grande route. Elle commandait à des hommes
violents des ménagements, j'allais dire une douceur rela-

tive, lorsqu'il eût été peut-être plus 'facile d'en obtenir des

meurtres. Elle était obéie méme absente, et les procédures

ne relèvent pas en douze années un seul homicide commis

par ses ordl'es. « A quoi bon, disait-elle, sans doute, à
« quoi bon verser le sang quand cette extrémité est inu­
tile ~ »
. Et elle avait le droit de parler ainsi: il semble, en effet,
que" lorsque Marion et sa band~ ont demandé la bourse aux
passants attardés, pas un n'ait opposé U.le sérieuse résis­
tance et même se soit fait beaucoup rrier. Le soir venu,
Marion était 'maîtresse des routes, et sa souveraineté était
acceptée par tous .

Elle avait une autre adresse : ne s'attaquer qu'à des
étrangers, comme les colporteurs, ou à de petites gens. Elle '.
avait deviné apparemment ou qu'ils ne se plaindraient pas
ou que leurs plaintes ne seraient pas écoutées. Parmi les
noms des VICtimes de Marion, pas un nom de bourgeOIs ou
d'hommes d'affaires, à plus forte raison de gentilshommes.
Ceux-ci au contraire avaient, de par Marion, le privilège
passer en sécurité SUI' la route, à l'heure où la prudence
commandait aux autre5 de s'enfermel: chez eux. Ce prlvi-

lège était sollicité de for't loin, méme de Rennes, comme
nous l'allons voie. Marion, qui ne sÇl.vait pas écrire, r'emet­
tait une tabatière, un étui, un sifflet, ~n èouteau, un bout

(i) Jugement du 2 aoùt i755. Quimper. Réq. du i7 août t1~fl.

de ruban, bien connu de ses « affidés. » Ce talisman pré-

senté, la route était libre (1). ,
. . Cette terrible fille avait sa probité à elle; elle .se croyait

engagée par la promesse Ïaite, et vO,ici comment elle fai-:
sait respecter son engagement ' par les hommes de sa
trou pe. . - .
Un habitant de Rennes (2) avait obtenu un sauf conduit
pour aller à Ploërdut toucher des fermages et revenir chez
lui. Au retour, non loin de Plélan, il trottait en sécurité,
sa valise pleine.. Un lieuten'ant de Marion, qui l'avait sui vi,
se présente à l'improviste et demande la bourse. L'autre
montre le sauf-conduit. Le lieutenant n'en tient compte et .
menace; la bourse paSSEl entre ses mains. Mais le Rennais
ne perd pas de temps et revient trouver l'homme d'affaires
qui lui avait obtenu le sauf-conduit. Celui-ci 'se plaint à
Marion. Le lieutenant était déjà de retour par un autrè
chemin. Marion fait rendre la bours.e; puis, assemblant
quinze hommes en une sürte de conseil de guerre, elle leur
demande quelle peine mérite celui qui enfreint ses ordres.
Tous répondent : « La mort! » Aussitôt, décrochant ,le
pistolet de la ceinture d'un de ses hommes, elle étend le
lieutenant mort à ses pieds. .
Les hommes de sa troupe, si cette histoire est vraie (3),
savaient de quelle peine serait punie la désobéissance.
Entrer dans la bande, c'était se livrer corps et â-mc au
chef. ,

Marion exigeait un compte rigoureux du butin fait en son

. (1) Réquis. du 17 aoùt 1752. Qui m net'. lot. des ~4.. mai et 2 août
1755. l,l'Ji fi""" r. S ~I\tcllce lie cOllda ItIl1ation, 2 aoÙt. . La procédu re
nomme les objets ainsi remis inle"signes.
(2) Renseignements ven~s de GouraI et GlIéméné.
(3) On peut le croire: ce ren~ei~neUlcnt mu vient de deux sources ·
Un, prétclld, 'à Guéinéné, que le jugement a eu lIeu sur la
différentes.
la place de cette ville... Mais je ne crois pas à cetlti dangereuse for-
fanterie. '

abse.nce. C'était elle qui faisait le partage: elle prélevait

sa part et distribuait également le reste. Mais il fallait que

chacun se contentât de la part qu'elle avait faite. Un
jour, un gentilhomme, M. de Gouyon, qui avait un sauf-

conduit, la vit partager, entre dix hommes et femmes
rangés en cercle sur la route dü F:aouët à 'Gourin, une
somme de cinq ou six cents livres en or.. Cette somme était
dans le chapeau de son frére Joseph; et Marion prenait
sans compter une pincée de louis qu'elle remettait à cha­
cun des associés. Deux .d'entre eux trouvérent leur part un
peu faible et risquérent une observation. Pour toute réponse,
un bâ.ton aux mains d'un de ses compagnons,
Marion saisit
et en frappa les réclamants à coups redoublés. ' Ceux-ci .
courbèrent les épat.tl"es sans mot dire (1). '

Vo~là ' le joug qu'acceptaient les associés! Et pourtant

la troupe était toujours nombreuse. Elle se recrutait parmi

les vagabonds,. les repris de justice, les voleurs du pays;
et, 'd'après la tradit.ion, parmi des jeunes gens de familles
'qui ~spiraient aux faveUl's de Marion. On l'a vue
honnêtes,
en diverses' circonstances entourée de cinq, sept, neuf,
sans parler de quelques femmes (2); et les
quinze hommes,

témoins qui déposent de ces faits n'avaient pas eu l'étrange

sp~ctacle qui fut donné un jour au Mis et à la Mise de Pont-
callec; je veux dire une grande revue de la troupe com-
mandée par Marion.
, Le Marquis avait pour homme d'affaires, Me Cadoret, no-

taire à Ploërdut, ql!i possédait le domaine de Kerminguy.

Un jour la Marquise demanda en plaisantant à Me Cadoret

(f) Iut. 2 aoutf 705. Quimper. ,

(2) Jug. 2 aout f 755. Quimper.
, BULLETIN ARCnf:OL. DU FINISTÈRE. - 'l'OllIE XL (Mémoit'es). 6

de lui faire voir Marion et sa bande . . Le notail'e, qui, en cette
qualité, avait un sauf-conduit, demanda quelques jours pour
la prévenir. Marion accepta le rendez-vous pour' le diman­
che suivant. Il fut convenu que M. et Mme de Pontcallec se
tiendraient cachés et verraient sans être ' vus. A l'heure
dite, Marion arriva seule dans la cour de Kerminguy.
Me Cadoret alla la recevoir. Après un moment d'entretien,
Marion donna un coup de sifflet. A ce signal, plus de qua­
rante hommes sortirent des buissons et des bois voisins et
se rangèrent en silence autour de leur chef. Après quelques
instants, Marion leur dit: {( Vous voyez cette maison,
« j'eritends qu'il ne lui soit fait aucun dommage ·», et d'un .
geste, elle congédia son monde. . .
La Marquise sortit toute effrayée de sa cachette; mais
Me Cadoret la rassura. M. et Mme de Pontcallec étaient de
bonne maison pour avoir rieh à redouter de leur ter-
trop
• rible voisine (1). .

Si quelques-uns étaient attirés, comme le veut la' tradi- .
. tion, par rambition des faveurs de Marion, tous n'y pou­
vaient aspirer : et il semble probable que la plupart cher­

chaient sous sa direction un moyen de vivre sans travailler .

Marion aimait la bonne chère et entendait qu'au prés
menât joyeuse vie. Elle .a séjourné quelquefois des
d'elle on

(1) Le château de Pont-Callec egt dans la commune de Berné, et des
voyageurs· ont été plusieurs fois détroussés par Marion dans la forêt de.
Pont-Callec.
Ce fait se place avant 1740. En void la preuve:
Chrysogon-Clément de Guer, marquis de Pontcallec et de la Porte­
Neuve, décapité à Nantes en 1720, mourait sans alliance. Ses biens
passèrent à son frère puiné, Claude-René de Guer. Cêlui·ci avait épousé
Roberte-Angélique I.e Veyer. Il est mort le 31 décembre 1744 laissant
deux enfants .
Je dois ces renseignements il l'obligeance de notre confrère, M. le
C" de Brémond d'Ars, propriétaire de la Porte-Neuve. . .
J'ajoute que ces deux enfants étaient encol'C mineurs eu 1747 et 174R .
ct que leur mèr~ faisait à ce moment pourvoir à leur tutelle. (Arch. dé-
, palt .. du MorbIhan). . .' .

mois entiers au village de Penvern (paroisse de Saint­
Caradec-Trégomel) avec dix hommes. « C'étaient, dit un
»; et les voisins, les jalou­
témoin, des festins continuels
sant peut-être un peu, se demandaient naïvement: « Où
« donc prennent-ils l'argent pour faire tant de dépense? (1).»
Je me figure ces franches lippées. Le cidre et l'eau-de_
.' vie ci!culent. Marion préside à la table, riant, plaisantant,
racontant, le verbe haut, les bons tours qu'elle a joués et
ceux qu'elle médite. Comme les convives .devaient rire de
la teereur qu'ils inspiraient, de la' sottise des gens détroussés
qui ne résistent pas et ne savent pas se plaindre, et surtout,
non sans raison ... avoüons-Ie, de la complaisante somnolence
de la Maréchaussée 1 . '""",
B,oire, manger, passer le temp$ en joyeuses orgies~ sans
. souci du lendemain, c'était le but que poursuivait Marion:
thésauriser, elle n'y songea jamais L.. ~t, s'ils avaient
connu le vrai caractère de cette fiUe étrange, des sorciers
n'auraient pas fait plusieurs fois depuis le cO,mmencement
du siècle, chercher au Véhut des trésors .... qu'on n'y trou-

vera jamais (2). .

Mais que la besogne n'ait pas beaucoup donné et que l'ar-
gent manque (ce qui est rare), Marion ne sera pas embar-
. ' ra.ssée : elle réquisitionnera.. pour sa troupe, du pain, du
. lard, du cidre, de l'eau-de-vie ; et les fournitures deman- .
dans les villages ne se feront pas attendre (3).
dées
Elle avait un autre expédient. Elle s'adressait à des mar­
chands, à des bouchers, leur disant tout simplement:
{( Prêtez-moi telle somme dont rai besoin. Je vous la rendrai.

{( Si vous me la refusez, je saurai bien vous la prendre. »
Comment la refuser ~ Qui peut se promettre qu'une affaire

({) Inform.6 juin 1748. Valmes.
(2) Renseignements .

(3) lnt. du 2 août 17515, Quimper.

, ne le retardera pas, ou que son cheval ne bronchera pas sur
la route ~ Le terme venu, Marion remboursait scrupu-
leusement la somme empruntée et souvent, par reconnais-
sanqe; remettait un, sauf-conduit (1). '
Mais le marchand malavisé qui aurait refusé le prêt
.devait se le tenir pour dit: il était signalé à toute la bande
et il pouvait s'assurer que la première fois qu'il rent;aerait le
soir, il rentrerait sans sa bourse. '

La terreur qu'inspirait Marion était telle, que seule elle

arrêtait les gens dans les r:ù.es du Faouët, et sans bruit, sans
. menaces, sans violences, en plaisantant. Un soir de pardon,
GllÏlla~me Gonidec, riche boucher de Guiscriff, arrive à
cheval. Marion barre le chemin ' et d'une voix rieuse :

,« Bonsoir, Guillaume! il me faut ma part de pardon! »
:"Le boucher donne un éç.u. « Et après ?, » Le boucher en
dOIljne un second. , : « Allons,encore un!» Le boucher

donne un troisième écu et passe; laissant Marion rire de sa
peur (2). ' .
Au carême de 1752, elle trouva plaisant de se donner

. pour complices deux cavaliers du régiment de Fitz-James,

qui tenait garnison à Carhaix. Un de ses associés avait
volé un ballot à un colporteur; et, pour le soustraire à
Marion, l'ayait déposé dans l'auberge de Losily, au Faouët.
Marion l'avait su. Le soir, elle arrive escortée de deux
cavaliers, dit que le ballot lui appartient et qu'elle va '
l''importer. L'aubergiste proteste. Les cavaliers appuient la
réclamation de Mari'ori; et, pour en finie, mettent le pistolet
au poing. A cet argument irrésistible, Losily ne teouve rien
à répondre; et le ballot est emporté par les cavaliers (3)~
De pareils faits ne seraient pas croyables s'ils n'étaient

(f) Rens. de Gourin et Guêmené.

(2) Int. du 2 août i 755. Quimper.
(3) Jnt. du 2 août i 750, Quimper.

attestés par les dépositions, les interrogatoires et les sen-
tences qui nous restent. Ce qui est plus incroyable en~ore,

c'est qu'ils aient pu se pe'rpétuer impunément pendant au
moins six années, au grand jour, qu'ils aient été connus de

tous et q Ile la Mal'échaussée n'aitpas paru s'en préoccuper. Et
qu'on ne dise pas que ses victimes ne se plaignaient pas!

Qu'était-il besoin de plainte, puisque les faits étaient de
notoriété publique ~ Et M~rion ne se cachait pas; elle habi- ,
tait d'ordinaire le Véhut ou le Faouët,et on pouvait l'arl'êter

au jour qu'on aurait cho~si. -
autre fait qui demeure sans explication: il y avait au ,

Faouët même un sieur Del'oché, qui, dit 'Marion, « faisait
« i'amasser au Faouët toutes sortes de p01;sonnes pour les
cc ' envoyer aux Iles »(l).On appelait ainsi nos colonies d'Amé-
rique, et Marion fait sans doute allusion ala transportation
des filles débauchées ou sans aveu, ordonnée par les décla­
rations des 8 janvier et 12 mars 1719. Marion avait bien
plus de titl'es à la transportation que les ll1anon .(..escaut

du Faouët (2); et il' ne se comprend pas que péroché n'ait
. pas débarrassé 'le pays et lui-même d)une voisine qui le
haïssait. · . '
Une nuit, eh effet, Marion était li la porte de son jardin

sur la route de Guéméné, avec Guillel'rtl', son favori du jour,
et Alice (3). Un homme passe, et, ·dans l'ombre, elle 0roit
reconnaître Déroché. Sur un geste de Marion, Guillerm
s'élance pour le frapper ... , Mais c'est Losily! ... le com­

plaisant aubergiste du Faouët. Marion l'a reconnu: cc Ici
Guillerm ! '» Celui-ci s'arrête : et Losily et Marion rient ,
ensemble de la peur qu'ils se sont faite mutuellement (4).

(f) Inl. du 2 août, f 755. Quimper. ' ,

(2) On sail que l'abbé Prévost, dans son l'oman de Manon Lescaut;
feint que son héroïne fut transportée aux Iles.
(3) Ce fait se place entre 1747 et 1748.
Les déclarations des 8 janvier et f 2 mars 171 9 avaient été révo­
quées par une déclaratioll du 5 juillet 1722. , Il est étonnant qu'elles

. C'est à se demander si Déroché, ce fléau des filles débau- .
n'avait pas ~été lui-même ensorcelé comme tant
chées,
. " d'autres, par sa séduisante ennemie!

. J'ai essayé, au moyen des indications des procédures et
des renseignements fournis par la tradition, d'exprimer la
physionomie ,de Marion du Faouët, en tant que chef de
bande. Il est un autre côté de son caractère que .le mon-

treraÏ" plus tard. Mais auparavant parcourons la procédure

conservée aux archives de Vannes et les bribes des dossiers
qui restent aux archives du Parlement et à celles du Finis-
tère. Cette étude permettrait de faire un cours de procédure
criminelle. Je m'en garderai bien, et je me bornerai aux
indications nécessaires à l'intelligence du récit:

GHAPI'rRE II.

Un soir du mois de décembre 1746, 'Marion, Henri Pez-
ron, dit Hanvigèn, qui tenait alors la première place auprès .
d'elle, et trois autres associés festoyaient dans la maison
de Maréchal, cultivateur au Boterf (par. de Ploërdut) (1) .
. Ils venaient tous cinq d'attaquer Julien Perrot, marchand

d.e bœufs, entre les 'villages ' de Botquenven et de Rostalé-'
gan, sur la route du Faouët à Priziac. Les archers de la
maréchaussée survinrent(2). Depuis six années que Marion

recussent encore leur exécution au Faouët, en 1748. Il serait curieux •

d~ rechercher si la dernière déclaration n'avait pas été enregis~rée par
le Parlement de· Reunes .

(1). Int. du 6 juin 1748. Vannes .

(2) Archers se disait dans le langage 'populaire pour cavaliers.

menait cette vie de vagabondage et de 'vols, c'était la pre-
miére fois que la màréchaussée se, mêlait de ses affaires.

La fuite n'était pas possible; Marion et ses complices

essayèrent de résister. Le hasard avait amené chez Maré-
chal, Louis Guillo; saunier, qui, selon l'habitude de ce,
temps, aujourd'hui pergue, allait de village en village
vendre du sel. Cet homme prêta main forte aux archers et
Marion fut arrêtée avec ses quatre complices (1).. '
Qu'advint il des 'trois hommes dont le nom ne nous ' est
pas parvenu? Furent-ils poursuivis avec Pezron et Marion
devant la sénéchaussée d'Hennebont? C'est ce qu'en l'ab- -
senee de la procédure il.n'est pas possible de dire (2). Les
indications qui suivent sont extraites de l'arrêt rendu sur

appel. .

, L'information établit à la charge de Marion et de Pezron" '
outre le vagabondage en réunion et trois vols d'argent, un
vol de fil, etc. « avec attaque sur la voie publique, des ré-
« quisitions de denrées, cidre et lard avec ,me'naces ») ; et,
par sentence d,u 20'janvier 1747, tous deux furent condam­
nés « à être pendus et étrartglés jusqu'à ce que mort s'en
« suive, à la potence plantée à la place de cette ville. »
Les juges d'JIennebont n'auraient pas dû, sembla-t-il,
se saisir, et l'affaire, devait être jugée prév6talement., puis­

et Pezron étaient vagabonds et poursuivis pour
que Marion
vols sur un gr::wd chemin. Quoiqu'il en soit, les deux con­
damnés firent appel. Par arrêt du 27 mars 1747, le Parlement

,admit l'appel de Pezron « en ce qu'il n'a pas été condamné
« à être appliqué à la question; et réforman~ dit qu'il serait

,« appliqué à la question ordinaire et extraordi~aire, ie sur-
« plus de la sentence sortant son effet .. ;. ordonne que le

(i) Dép. de Louis Guillo, 6 'août 1748 Vannes (autre affaire).
(2) Il ne reste pas de trace de la procédure aux archives de Valines.
Nous n'avons sous les yeux que l'arrêt du Padement dont nous allons
parl,er. " ,

« présent arrêt .sera exécuté a Rennes; et tarde à faü'e .
« droit a l'égard de Marie Trémel, jusqu'après l'exécution. »

Voilà donc ce qu'avait gagné ce pauvre Pezron, a ce
· malencontreux appel: il serait pendu; mais après avoir
passé par les horreurs de la question !, Il était de règle en

effet (bien qu'il fût permis au juge . de l'épargner) que tout

condamné à mort fut soumis 'a 'la question pour avoir révé-

lation de ses complices ; car, dit ingénûment un commen-
tateur, « un condamné a mort est un corps confisqué » (1).
Je ne puis entrer, ·sur cette cruelle procédure de laques­

tion ou torture, dans des détails qui m'entraîneraient trop
loin. Je rappelle seulement qu'il y avait deux sortes de,
questIOns: la première, nommée purgatiVe ou prépara-
toire, ne se prononçait ordinairement qu'au cas de crime
capital, et quand il y avait de graves indices de culpabilité,
la preuve fût insuffisante pour justifier une con-
bien que
· damnation; l'autre question dite définitive faisait partie du
condamnés à mort. Le patient « y était appli­
supplice des

(c qué pour rendre son supplice plus douloureux et plus
« terrible, ou pour le forcer par les tourments a révéler

« ses complices. » (2)
L'une et l'autre question se donnaient selon un modé
par l'eau, par. les brodequin,s ou le feu (3), Ce
uniforme,

dernier mode était usité a Rennes: on chaussait le pati~nt

· d'escarpins de fer; on l'asseyait garroté sur la sellette, les
jambes tendues en avant; la sellette était approchée du
retirée pour entendre la réponse. .J'ai fait inutile-
feu, puis

(1) FERRIÈRE, dict. de droit, V Question. .

(2) DENIZART. V Question, 2, 3. C'est un titre d'honneur pour l'An··
gleterre de n'l'IVoir jamais admis la question pas même en crime d'état . .

(3) Ce dcrnier mode paraissait avoil' été rejeté par le mémoire instruc­
tif sur la manière en laquelle se doit donner la question, adressé à tous
les siéges du ressort de Paris, après un arrêt du 1.8 janvier 1.697.' Les
prE'.scriptions de ce mémoire instructif font frissonner d'horreur. Voir
DENISAR'f, Question, 28 et 3uiv. .

ment chercher le procès-verbal de la question subie par
Pezron; mais j'ai sous les yeux un procès-verbal de torture
de la-même époqlle qui constate que 1"e patient a été appro-
ché du feu jusqu'à neuf fois! (1) -'
Il semble que Pezron subit courageusement cette terrible

épreuvé. PBut-être, se voyant perdu, prit-il sur lui la plus
grande part de responsabilité, pour dégager d'autant celle
de Marion qu'il appelait sajemme? C'est du moins ce que
r on peut conj ectul'er quand on li t le dispositif de l'arrêt du

28 mars:
« La cour faisan t d'eoi t sur le pl'ocez-verbal de torture de

« Henry Pezron ordonne que Marie Trémel serait fustigée

«( nue de verges par trois jours de marché par les carrefours

« de cette ville, ensuite marquée de la lettre V et bannie il,
,« perpétuité du ressort du Padem'ent; luy fait défense de
« s'y trouver sur plus-grande peine. »

Marion s'en tirait a bon marché, puisque ... comme voleusè

de grand chemin ... eUe pouvait ètre condamnée il, mort (2). Il

semble que le Parlement ait voulu, en la bannissant, l'en-
voyer se faire pendre ailleurs; et, en la flétrissant, il la

recommandait a la sévérité, au cas de récidive. .
Marion fut donc pül)liquement fouettée, puis le fer rouge
de l'exécuteur imprima-" la marq ne V sur son épaule ; il 1 ui

. (1~Et c'était Ulle glle~tiol1 préparatoire! Le procès-verbal est du3
. JanVlCr 173:1. Le patIent se nommait Jean Derrien. tailleur d'habits à
. Quinqui~ven, paroisse de Pleybeu ,.' condamné à mort pour incendie,'
fut
par les Juges de Châtealllin. La sentence fut réformée et Derrien

condam né ~ux galères perpétuelles, . . '.
Les prqces-verbaux ùe Que.\·tions sont l'ares aux archives du Parle­
ment; et .on n'en trouve pas un seul aux archives du Présidial de
Quimper. . "
(2) Ordo du <1 janvier 1534. C'est celte ordonnance qui a imrortô cn
France le supplice affreux de la roue. .

fut donné lecture de la peine portée par la déclaration du
contre la rupture de ban; c'était une peine
29 avril 1687,

arbitraire puisque Marion était bannie' par arrét de cour
souveraine (1), ce pouvait étre la séljuestration à vie dans
un hôpital général. Il lui fut enjoint de, qùitter aussitôt le
ressort du Parlement; après quoi la porte de' la prison
s'ouvrit devant elle.
s'exécutait la peine du bannisse-
C'est ainsi en effet que
ment! En vain le parlement de Grenoble avait-il demandé
que, selon l'ancien usage du Dauphiné, le banni fût conduit
a la limite de la frontière par l'exécuteur accompagné
d'archers: une déclaration du pr mars 1709 maintint

l'usage sui vi en France de laisser le banni libre à la porte
de la prison (2). •

Marion allait se charger de démontrer combien ce m04e
sommaire d'exécution · était illusoire. Elle n'a que neuf
lieues a faire pour quitter le ressort du Parlement; mais.,

passant le seuil de la prison elle demânde et prend ,la

route du Faouët. Un mois après, elle a repris son industrie
de criblière, son commerce ~e mercerie, sa profession de
voleuse, ses habitudes de débauche, et le pauvre Henry

Pezron est déja remplacé.

(f) Déct du 29 avril f687. Les femmes et fill~s ui aumnt été
bannies par sentence prévôtale ou jugement présidial ren u en dernier
quand même ce ne serait qUI! faute
ressort, et qui seront reprises,
cl'avoir gardé leur ban, seront c(lndamnées à être renfermées dans les
h6pitaux généraux les plus prochains, .sans qU'li soit en la' liberté des
juges dé modérer cette peine; mais , bien de l'arbitrer à temps ou à

perpétuité, selon qu'ils l'estimeront à propos.
Et quant à celles qui auront été bannies par cle, arrêts de nos Cours et
, qui seront pareillement reprises pour n'avoir pas gardé leur ban, laissons
. à nos dites cours (A) la liberté d'ordonner de leur châtiment eu égard à la
qualité des crimes pOUl' lesquels eUes auront' été condamnées et à l'âge
et condition des personnes.
(A) Il fa:ut sans doute compléter ce lexte pal' celui de la déclaration
du 31 mai f682 relative aux hommes en rupture de ban, et au mot à

no", clites cours, ajouter et autres nos Juges ayant pouvoir de juger en
dernier ressort.
(2) V. GUYOT et MERLIN au mot Bannissement.

CHAPITRE III.

Au commencement de 1748, deux vols, furent commis'
dans les églises de. Quéven et du Faouët,. et un vagabond

nommé François Mahé fut arrèté. Peu a'près, le 7 mars,
un vol sur le chemin public fut commis près du Faouët, et
la· bande de Marion en fut soupçonnée. . .
La procédure suivie contre Mahé n'établit pas' qu'il fût
de la compagnie de Marion; mais il déclara qu'il la con­
naissait pour Yavoir vue une fois à la foire de Plouay; il
apprit qu'elle se tenait le plus souvent au V éhut, où vivait
aussi François Gargouille, et qu'un nommé Jeann6t était
de ses associés.

Les nomsde Jeannot et de. Gargouille étaient des noms de

guerre.' ceux qui' les port~ient étaient des jeunes gens élé-
gants, vêtus de cès habits de laine ·blanche dont se parent
encore les paysans des environs de , Pontivy. Jeannot
surtout était très-joli garçon (1) .

Mahé fut p.endu peu après par sen~ence du Présidial de
Vann.es; mais cette exécutio.n n'effraya pas Marion et ses

complices. . .

Au commencement de rnai, pJusieut's vols furent commis

aux environs du Faouët; et le Procureur du Roi de la
Maréchaussée donna rordre à la brigade ' d'Hennebont
d'en rechercher les auteurs. .

Le 28 mai, les archers arrivaient au Faouët. Au 'd~botté,

ils apprirent que, dans la nuit précédente, un nouveau vol

,avait été tenté. C'était dans l'église des Ursulines du
Faoüet. Le voleur n'ayant rien trouvé fi. sa convenance

(1) Int. de Mahé, 6 avril 1748. Vannes.

avait, par une ignoble plaisanterie, souillé le lieu saint. Le
jour même, les archers arrêtèrent Le Borgne, dit Eilzic, et
François David, qui n'était aut~e que Gargouille" et qu'ils
trouvérent enfoui dans un tas de foin. Le surlendemain, ils
arrêtaient au -mailOir de Goetquennec, Maurice Penhouët '
dit.Jeannot (1) .

Marion elle-même fut sur le point d'être prise. Un Jour,
entra toute éplorée au manoir de Stanghingan. Le
elle
seuil de cette maison lui était interdit depuis plusieurs an-
nées. Elle se jeta aux pieds de Mme de Stanghingan ... pleu-
rant et gémissant, disant que les archers la suivaient, et de­
mandant « si sa m a-rrai ne, allait la leur livrer pour la faire
(( pendre. ) La vieille marraine, voyant en une pareille ex-
trémité la pauvre fille qu'elle avait bercée sur ses genoux,

fut pri~e de pitié. Elle fit entrer Marion dans une chambre

de décharge, et la fit monter dans un lit d'enfant, S).lr lequel

furent j~tés en désordr~ des paquets de chanvre. Les ar-

chers passèrent devant la porte sans s'arrêter (2).
• , Marion, pour la première, fois prit peur. Ses relations
avec Gargouille et Jeannot étai!3nt publiques: sa mère trop

complaisante les recevait au Véhut. Malgré l'état de gros-

sesse avancée où elle était alors, elle quitta le pays emme-
nant avec elle sa fille âgée de onze ou dôuze ans.

Pendant qu'elle se dirigeait vers Auray, l'information se
poursuivait et vingt-trois témoins étaient, entendus.

Le sieur Rouesni~l' ... notaire, procureur de la juridiction '
la commanderie de Saint-Jean de Crosty, signalait

(1) P.-v. du 28 mai 1748. Vannes.
(2) Les l'enseignements qui m'ont été transmis plaçaient ce fait après
lIn autre évènement qui est de 1752. L'erreur est cedaine puisq!le
MUle de Sta'nghingan est morte en 1750. l\JarÎon n'a été chel'chée aux en­
virons du Faouët qu'en 1748 et 1752. Il faut de toute nécessité l'apporter'
ce fait à 1748.

expressément les relations journalières de Jeannot avec

Marion (3).
Pierre Kerizeau, tisserand au bourg de Ma~on (aujour­
d'hui Meslan) déposait qu'au mois de mars précédent, il
avait rencontré ensemble, sur la route, près de Saint-Ca-
o radec-Tr.égomel, Marion, quatre hommes, et deux jeunes

filles de dix ou douze ans. Marion, montrant le . témoin, <;lit
à un des hommes qui marchaient auprès d'elle: « Jeannot,
«( donne dessus, il m'a refusé du cidre. » Jeannot prom'pt à
l'obéissanèe s'élance; mais il s'arréte cour1. .. Kerizeau
. venait de faire raccommoder son fusil et il couchait J eannot '
en joue. C'est le seul acte d'opposition énergique a?-x
volontés de Marion que nous trouvions'dans les pièces qui
ont passé sous nos yeux. 0 •
Louis ' Guillo, ce 'saunier qui avait prêté main forte
à l'arrestation de Marion, l'année précédente, racontait
cette étrange histoire à laquelle j'ai fait allusion; et son
récit était confirmé par les époux Maréchal de Boterf. .
Au mois de. mars 1748, Marion accompagnée . de six ou
huit hommes, au nombre desquels Nicolas, qui parais-

sait · être sori favori, vint trouver Maréchal et lui dit :

« Est-ce que le saunier vient encore par ici? Non, ré-
pondit Maréchal, qui avait compris l'intérêt de la question;

« il esfmort. » Marion reprit: « Je sais bien que non. Dites-

« lui qu'il ne revienne pas. Sur ma part de paradis, il ne '
« mourra que de ma main!» Quatre jours après, appre-­
nantque Guillo couchait au village de Poullec-Mauveau (2),
dans la même paroisse, Marion vint le trouver avec Ni-

colas; elle lui montra sept pistolets chargés, et lui rèpéta

les 'mémes menaces, lui défendant de revenir .

(i) Cette commanderie avec celles du Faouët et de Quimper était un
membre de la commanderie de la Feuillée. Y. aux Arch. départ. le
Terrier dressé en f 730~31. .

(2) Ce nom doit être mal orthographié.

Enfin, deux témoins, Julien Fromentin, tailleur d'habits,
Jérôme Le Parlouer, demeurant paroisse et bourg de -

M.Oëlan (1), déposaient, à la charge de Marion, d'un crime

qui n'apparaît qu'une fois dans son histoire: une émission
de fausse monnaie. '
Ce fait avait eu lieu dans des circonstances assez'curieu­
ses. En 1743, Jérôme Le Parlouër était allé ' vendre une· ·
. vache à la foire du Cl'ostic (le Crosty), par. de Saint-Ca':'
radec-rr~gomel. Il s'accorda à huit écus de six l.ivres et

reçut en paiement deux écus et le reste en liards. ' En .

homme soucieux de ses intérêts, il se mit à compter son
et il y fallait du temps puisqu'il devai.t compter
billon,
jusqu'à 2,880. Une femme inconnue de lui et qui le re­
garde faire, prend pitié de son embarras, et lui offre un
écu de six livres « pour lui faire plaisir et le décharger
de tant de liards. » Le Parlouer accepte « avec des re­
« merciements. » . Mais il a oublié son compte interrompu

et il faut le recommencer. Avant que le compte fût fini,
car l'inconnue était elle, avait disparu et l'écu
Marion,
était reconnu faux (2). . ' .

Il y avait à cette époque, dans les mêmes parages, une

bande de faux monnayelJ,rs. Cette bande était composée

d'un :grand nombre de personnes et opérait en .plusieurs
paroisses des évêchés de Tréguier et de Cornouaille,

, notamment à Maël-Pestivien (3) Marion ne pouvait man-

quer d'entrer en relations avec eux.

(i) Meslan. . ' .
(2) Les liards étaient à cette époque la monnaie courante en Basse­
Bretagne. Le 2 avril de l'année précèdente, l'évêque de Quimper avait •
barque de Douarnenez, à destinatioll ùe Bordeaux pour
chal'gé sur uue
10,001 livres de liards, ou 800,080 liards (V. Bull. de i8~3. Coatfao e&
PralanTliz. 2 partie, p. 69.
(3) Arch. départ. du Finistèl'e. Des monitoires fUl'ent accordés en
f 745 : un gmnd nombre de témoins vinrent à· révélation, mais
mai
(1 la multfplicité des accusés sembla rendre nécessairs la publication

« de ,'éaggraves li qui furent accordés en février :1746, par J'évêque de
Quimper, pour être publié à Maël-Pestivien, Plusquellec ct les trèves de

Jeaunot, Gargouille et Bilzic sont interrogés. Il va sans
dire qu'ils nient tous les faits. Gargouille ne, connaît pas
Marion' Bilzic ne la connaît que de vue; Jeannot l'a '
, rencontrée par hasard aux foires de Kernascléden et du
Faouët. Il ne sait même ce que veut dire le témoin Keri-

zeau(l).

Pendant que la procédure s'instruisait il. Vannes, Marion
naguère en nombreuse et folle
s'en allait, non plus comme
dans un pays inconnu, '
compagnie, mais seule, perdue
se sentant près de son terme et traînant après elle sa fille.

, Elle se savait suivie de près, et la condamnation au bannis-

sement.lui reyenait à la mémoire.' Le 25 juin au soir, elle
arriva à Auray et s'arrêta « dans une maison 'rue du Cheval

' « blanc, voisine de l'auberge où pendait l'enseigne du
« Cheval blanc:. » ~ (2) , '
Son approche a été signalée et les 'archers de la maré-
chaussée de Vannes arrivent à Auray, le 26 juin, à trois
heures de l'après-midi (3). Ils n'ont pas de peine à trouver
la retraite de Marion. Ils entrent, et sur une paillasse .. ils

trouvent une femme et auprès d'elle un 'enfant né le matin:

Marion se nomme et dit que la petite fille qui pleure dan!;
un coin est aussi son enfant. Les archers apprenant que le
nouveau-né n'a pas été baptisé le font porter il. l'église

Bonneuil et de Pestivien. Dans l'évêehé de Tréguiel', les monitoires et
probablement les réaggraves furent publiés dans onze paroisses. On peut

Juger par là quelles ramifications avait l'association. '
On trouvera plus loin l'explicatiun des mots Monitoires et Réaggraves.

(t) Int. des tO, 12, tl) juin f748. Vannes.

(2) Il n'y a p}us à Auray de rue du Cheval blanc; mais l'auberge du
Cheval blanc eXiste encore rue du Sablon: èlle porte la date de f620~
(3) Procès-verbal de la Maréchaussée, 26 et 27 juin.

Saint-Gildas, paroisse d'Auray,
où il reçoit les noms de.
Joachim-Pierre (1),
Puis une chais.e à porteurs est requise, Marion y prend

place, la petite fille suit, une voisine porte le nouveau-né:
le triste cortége se dirige vers (( l'auberge où pend pour
( enseigne le PaviLLon d'en bCf,s .» (2) et les archers font pré­
parer un lit pour Marion (( qui n'est pas en position d'être
(( transférée plus loin. »
. On trouve en sa possession une redingote à l'angiaise

d'une étoffe de couleur gris de souris, et huit écus de six
livres; (( sur qùoi il lui est remis six livres pour les besoins'

(( de ses couches, »
Les cavaliers veillent toute)a nuit auprès d'elle et, le

lendemain, une charrette est louée (( pour conduire Marion ..
« et ses enfants aux prisons royaux de Vannes » où elle

est écrouée·(3).

Le jour même, le conseill~r au Présidial chargé de l'ins-
truction se rend à la prison pour ,interroger l'in cul pée ;

(f) Acte de naissance de Joachim-Pierre Penhouët.
« L'an de grâee mil sept cent q1larante-huit et le vingt-sixième jour
li de juin. . . - t . b ., . . ,. 1 . 1
(( Je sOlls~lgne, rec eur, lU aptlse un garçon, ne ce Jour a lUll leures
u du matin,de Marie Dromel, arrivée hier en cette ville et qui dit êtJ'e
«( femme légitime de Jean Penhouët, habitué au Guéméné .
u Ont été parrains et . marraine le sieur Joachim Le B.oux . fils, et
1( Milo Perrine-Judith Camenen. .
u On a donné à l'enfant les noms de Joar.him-Pierre.
u Ont été présents les soussignants. On vient d.e me certifier que cet
u enfant e3t de père inconnu.
u Le · registre dumentsigné · Perdne .Judith Camenen, Joachim Le
u Roux, Colomban Henry, Nicolas Guillevin, Pierre Crabot .et Le Bot,
'u recteur de Saiol-GJldas u'Auray. Il . .
Un des archers de la maréchaussée porte lin nom alsacien (Bacq) ;
et il est probable qu'en déclarant l'cnfant il aura prononcé Dromel,
bien qU'il écrive le nom de la mère Trome!.
Il rE~~ulte de cet acte que arion avait d'abord déclaré être femme
légitime de Jean Penhouët, et qu'ellc se . rectifia presque aussitôt.
L'enfant n'en a pas mOllls porté le nom de Penhouët. .
(2) Cette auberge a subsisté jusqu'à f850.
(3) Tous cè~ détails . sont extraits du procès-verbal .d~ la maré- .
chauss~e des 26 ' et ·27 jUill .

l11aisil y doit renoncer ... « le transport en charrette lui

« ayant causé une fièvre considérable et les accidents les
« plus fâcheux (1). » ,
Le 4juillet, Marion comparaît pour la première fois devant
le magistrat: elle se fait humble et résignée (2). -Elle nie toute
participation aux faits de l'accusation, même l'émission du
,faux écu de six livres; mais elle ne s'obstine ' pas contre '
l'évidence: elle ne nie pas connaître Jeannot, Gargouille et
Bilzic. Elle confesse ses,relations avec Jeannot depuis cinq
ou six mois; mais elle ne lui attribue, pas plus qu'à Gar-
gouille, la paternité de l'enfant né à Auray. ' . _
Si elle a quitté le Faou,ët, c'est, dit-elle, parce que « il lui a
« été dit qu'on la recherchait pour la faire prisonniére :
cc c'est pourquoi elle a vendu son petit fonds de mercerie;
cc et la som.me de 48 livres trouvée en sa possession en est
« 1 e prix. » " ,
Quant àh redingote reconnue pour appartenir à J eannot,et
qui était urie pièce de"conviction embarrassante, « J eannot,­
« disait-elle, l'avait laissée dans une maison où elle avait

« passé par hasard, et où on la lui avait confiée. »
Toutes les réponses de Marion sont simples et cRImes :'
elle ne s'émeut que lors'que le juge lui reproche son immo­
ralit?, et elle ' répond: « Si j'ai eu d'autres enfants, je n'ai

« pas eu le malheur d'e les détruire! »

On lui demande si . elle a été .reprise de j.ustic~. Elle ne

peut répondre que non; car, si on la visitait, la lettre V
qu'elle porte sur l'épaule démentieait ses paroles. Elle

reconnaît donc sans hésiter et avec une apparente ingénuité

qu'elle a été publiquement fouettée à Rennes, marquée,
puis relaxée, cc pour avoir été accusée de participation à

cc un vol ' de quatre livres dans un cabaret. »

· (1) p .. -V. du 27 juin. Vannes. . . . ,

(~) Int. du 4 juille.t. C'est ,~ cette pièce 'que ·nous . ayons empl'unté
le Signalement de Manon donne plus haut (p. 76). VOICi son costume

'BUL. ARCHaWL. DU FINISTÈRE. _. TO~Œ Xl. 2 partie
émoi l'es) .

La réponse était ha.bile, la p~ine du fouet et de la mar- '
que V étant portée contre ceux qui, pour la première fois,
étaient convaincus de vol simple (1).
, Aujourd'hui les jùges veulent tout savoir, et leur curiosité'
est vite et sûrement satisfaite. Au début de chaque poursuite,
le premier soin est de demander, méme télég~aphiquement,
la note des condamnations prononcées contre l'inculpé.
casier judiciaire ne date 'guére que de trente
Mais le
années. Au dernier siècle. les communications étaient len-
tes et difficiles; et Marion se promettait que les juges
de Vannes n'iraient pas s'enquérir à Rennes. Elle se

trompa : et dans un troisième interrogatoire subi le
24 août, devant les preuves qui lui furent apportées, elle
dut reconnaître que ·la peine du bannissement avait été

prononc'êe contre elle (2). . •
Toutefois, chose assez bizarre, les juges ne retinrent de$
àccusations portées contre Marion que celle de vagabondage
avec .attroupement, d'émission de fausse monnaie, et « de
« menaces à divers particuliers de leur mal" faire. » Ils

n'avaient pas, comme nons le verrons, à prononcer la peine

de l'infraction de ban.
Le BOl'gne,dit Bilzic, ' fut condamné seul pour la tenta­
tive de vol aux Ursulines du Faouët, et de complicité avec
David, dit Gargouille, pour un vol commis ' la nuit, avec
violence sur la route traversant la forêt de Pontcallec et

pour une « autre voie de fait et attaque sur une route» qui '

n'est pas indiquée .
David fut .condamIlé seul pour deux vols avec effractions

lC Une coiffe de toile blanche à la mode de la ville, un mouchoir de
(( coton au coL 'à petits carreaux rouges ct blancs èt rayure bleue.
« Vêtue d'une camisole de dmp de Vire, lie de vin, uu tabLier .de colo­
« nine rayée bleu et blanc, une jupe de ratine brune. ))

(f) Art. 2 de L'OI·d. du 4 mars f724. ,

(2) Un 2 int. du 6 juillet l!'est que la répétition du pl'emier .

'extétieures (ou, comme on disait alorsavec effondrement),
à Riantec et iL la chapelle. vénérée de Notre-Darne de
Larmor' et, de complicité avec Penhouët, dit J eannot, pour
u~ vol de lard commis à Penaven, (paroisse de' St-Tugdual),
« aux approches du Carnaval ».
Enfin Penhouët filt condamné seul pour un ' vol de 600
livres commis avec effraGtion à Lorient, en 1743 .

'Sept vols que "nous appellerioas aujourd'hui qualifiés
avaient été démontrés. .
Le jugement fut rendu prévôtalement, c'est-a-dire sans
appel,· le 24 août 1748 ; en voici le dispositif: .
« En réparation de quoy, nous avons condamné David,
« Le Borgne et Penhouët à servir le Roy ' sur ses galères,
, « en qualité de forçats, savoir, David, iL perpétuité" Le
« Borgne pendant trente ans et Penhouët pendant dix ans,
« après avoir été préalablement marqués d'un fer chaud por-

« tant l'empreinte des trois lettres GAL; et avons banni
( a perpétp.ité de la province ~ifarie Tromelle avec in jonc-

« tion de garder son ban sous les peines qui échoient;

« avons confisqué au profit de Sa Maj.esté les biens dudit
« David, sujets à la confiscation, et l'avons condamné, avec .

« les dits Bilzic, Penhouët et ladite Tromelle, solidairement

« aux dépens. »

III.
,Il est de mode d'accuser l'ancienne magistrature d'une

justice inique à force d'étre rigoureuse; et quelques ~xem-

pIes devenus historiques servent de thèmes a cette accusa-
tion. Que l'on dise que 'les peines portées par les ordon- .

dures, atroces, soit! ' mais il , ne
• nonces étaient sévères,
faut pas oublier ,que la plupart du temps, les juges n'étaient
. pas comme aujourd'hui, enfermés entre le niaximum et le

minimum d'une peine déternlinée (1). De plus, ils n'étaient

pas tenus de motiver leurs décisions. C'est dire,pour
employer une formule moderne, qu'ils pouvaient le plus
.. souvent mitiger la rigueur de la loi par l'admission de' cir-
constances atténuantes. C'est ainsi que J eannot, ' Bilzic et
Garg'ouille, qui avaient encouru comme voleurs de grands
chemins, la peine de mort et mème l'affreux supplice de la:
roue (2) furent condamnés aux galères perpétuelles et a
temps .
La liberté dorinée au juge d'appliquer une autre peine

. que celle édictée' pern1ettait l'indulgence et même la fai-
blesse. Les juges de Vannes furent faibles.
Marion était reprise de, justice et marquée. Il est vrai
qu'elle n'a pas été reconnue en récidive de vol et que les

peines de cette récidive ne lui sont pas applic:lb es (3) .
Elle a émis de la fausse monnaie; il est vrai encore que,
si les ordonnances portent la mort pour la fabrication de
fausse monnaie, par une .étrange inconséquence, elles ne
semblent pas avoir prévil le cas d'émission de fausse mon-
naie (4) . ., , .

(t) On discutait même si « les juges ne pouvaient pas, de leur autorité,
« condamner à mort le coupahle d'un crime contre lequel il n'y avait
« ni loi ni ordOnnal'lCe qui prononçât la peine de mort! )) Héltolls-nous
« de dire que cette opinion était très-généralement rejetée.
V. DENISART, Vo Peines, 21 à 26. '
(2) Ordo du 24 janvier 0534. .
(3) « Celles qui après avoir été condamnées pour vol ' seront con­

« vaincus de récidive en crime de vol ne pourront être condamnées à
« moindre pe\ne que à être flétries de nouveau d'un double W et en­
« fermées à temps ou pOlir la vie dans des maisons de force sans préju­
« dice de plus grande peine s'il y échet. )) DécI. du 4 man; .1724, art. .. L
(4) Le erime de fausse mon'naie était, fJar un emprunt fait aux lois
des crimes de lèse-majesté et puni de mort;
romaines, mis au nombre
c'était 'Jn des · (!l'imes dont le Toi, à son sacre, jurait de ne pas faire
remlS~lOn. . ..
L'art. 634 de la Cout. de Bretagne portait que le faux monnayeur
serait bouilli et pendu ensuite. (V. DENlsART, V Monnaie.
Un faux monnayeur, très habile tr'empeur d'arcs. fut bouilli dans
l'huilG.....à Rennes, an' XIIIe siècle. CV. Les pt'opos d'Eutrapel par le con~
seiller Noel Dufait. .

Elle a menacé de mort plusieurs personnes, le saunier
Guillo entre autres; mais la menace non' suivie d'exécu­
tion n'est pas punie par les ordonnances ,1).
Elle a enfreint son ban; mais, par bonheur, la condam-

nation au bannissement n'a pas été prononcée pal' la jus-
tice prév6tale ; et, pour ce motif, le Présidial jugeant prévô­
talemerd ne peut punir l'infraction de ban (2).
, Mais que Marion ne fût pas punissable pour émission d~
fausse monnaie, menaces et rupture de ban, du moins ces

trois circonstances semblaient-elles devoir exclure tOlite
indulgence dans l'appliçation de la: peine qu'ell,e avait en-

• ' courue pour vagabondage. '
Elle était en effet reconnue vagabonde et avec attroupe-
ment. Pour ce seul fait, elle devait étre condamnée au

fouet, à la marque, au bannissement (3). Or, le fouet et la

marque de la fleur de lys lui sont épargnés!

Marion jouait de bonheur! L'année précédente~ poursui-

, vie pOUT des vols avec attaque sur les grands chemins et
vagabonde, elle aurait êté dÛ. être jugée prévôtalement et
sans appel. La maréchaussée ne s'occupe pas d'elle. Les
, juges royallx d'Hennebont se saisissent de l"affaire. L'appel

est possible: il réussit. Cette fois, Marion est condamnée
sans appel, quand , la faveur de l'appel, selon toute 'appa..:
rence, lui eût été fatale. On a pe~ne, en effet, à se persuader
qUfl les ordonnances n'eussent pas pour une vagabonde en

(i) Le ~ar~em~nt de Pel.ris a prononcé une ·fois la peine. de mort pour
menaces (ecnles Il est vraI). Le plus souvent on condamnaIt à des dom-
mages-intérêts ou à une aumône. '

(2) Art. 2 de la: déel. de i731 : « Les prévôts des maréchaux ne, peuvent
~ Il 'prendre connaissance de l'infraction de ban que lorsque la peine du
Il bannissement a été prononcée par eux.)} C'e~t-à-dire par le tribunal
de la maréchaussée ou par le Présidial jugeallt pl'évôtalement. DE-
l'iISA BT, CaJ présidiaux, 1. 2. .
(3) C'est la peine portee par J'ord. du 28 janvier 1.687, contre les fem-
mes pour la première fois vagabondes. .

récidive quelque peine plus sévère que pour une femme
pour la première fois de vagabondage. C'est une
inculpée
règle de bon sens proclamée par l'ancienne jurisprudence
que « celui qui retombe dans les mêmes délits doit être puni
1.( plus sévèrement la · seconde que la · première fois "Cl): »

Cette règle devait être appliquée aux vagabonde~ comme
aux hommes vagabonds (2); et, en appel, le Procureur .
général aurait su requérir et le Parlement ordonner un

châtiment plus sévère que le bannissement. .
Tout~fois la condamnation au bannissement prononcée
préfJ6talement avait pour Marion de graves conséquences. .

. Désormais ' l'infraction de ban pOurrait être punie par les

juges prévôtaux (et Marion n'en. peut plus avoir d'autres),

.' et punie de la séquestration, même a vié, dans un' hôpital
général.' . . '.

Marion fut avertie, -selon l'usage, des peines qu'elle
encourrait. si elle était reprise dans la province. Mais elle
tint pas plus de compte de cet avertiSsement que de celui

qu'elle avait reçu à Rennes. Le jour même où la prison
s'ouvrit devant elle, elle prit la route du Faouët avec sa

fille.. Elle laissait derrière elle j'enfant né a Auray. Il avait

été recueilli par la charité. Il a, dit-on; habité la campagne
aux environs d'Hennebont; et il y a fait souche d'honnêtes
gens (3), , . ..

(i) DENISART, Vo Récidive.

(2) Les 'hommes vagabonds étaient pour .la, première fois bannis, et,
en récidive~ punis des galères pour trois ans. Art. !S. ~Déclaration du
27 août 1701. '

' (3) Renseignements. •

CHAPITRE IV.

, Quelques jours après, Marion rentrait au V èhut; et, vers '
cette époque, par un prodige d'audace, 'qui, de nos jours,
eût été un acte de démence, au lieu de se cacher, elle vint

habiter au Faouët même! Elle s'installa dans cette
maison dont j'ai parlé, ayant jardin sur la route de Gué­
méné. · C'était comn;ü~ un défi porté à la maréchaussée; .
mais Marion savait par expérience qu'elle pouvait compte!'"
sur son inaction : elle ne se trompait pas. . .'
Bannie il. Rennes, elle n'a pas exécuté l'arrêt de la Tour-
nelle; on pouvait soupçonner que le jugement présidial
aurait le même sort. Après la condamnation il. Rennes, elle

est revenue au Faouët; la maréchaussée le sait, et une pré- .
caution était toute indiquée ::s'assurer si, après le jugement,

de Vannes, elle y reviendrait encore ... L~ maréchaussée n'y

. pense pas! ".

Mais quoi! les cavaliers de la' maréchaussée « vont et

« viennent il. la campagne» selon la règle de leur institu-
tioI}. : ils ne peuvent aller de Guéméné au Faouët. sans
passer devant la porte de Marion. Il n'est pas possible que ·
la présence de' Marion, connue de tous au Faouët, dont la

réputation est déjà répandue au loin, ne leur soi t pas

révélée. Et pendant près de quatre ans elle va y vivre

t.ranquille; et ~l faudra, pour contr~indre une fois encore

la maréchaussée il. intervenir, de nombreu~ vols et un
incendie commis par la· bande que Marion va réorganiser '

en toute liberté!

En arrivant au Faouët,Marion trouvait sa bande diminuée

de J eannot, de Bilzic et de Gargouille; mais ils furent bien-
tôt remplacés; et, pendant que le beau Jeannot faisait
'. l'apprentissage de la lourde rame sur les vaisseaux du roi,
Guillaume Ollivier, dit Guillerm, prit auprès de Marion la
place pri vilégiée que J eannot laissait libre .

- Mais elle était sans ressources et il fallait vivre. Une occa-
sion se présente; elle n'a garde de la laisser échapper.
Quelques jours après son retour, elle accoste un soir Pierre
Douarin" près de la chapelle de Saint-Armelle, sur la route

d'Hennebont, et lui demande la bourse; et comme Douafin

se fait prier, Marion lui porte un .coup de bâton. C'est le
seul acte de violence que les procédures relèvent comme

exercè par elle-même (1)~
Au mois de janvier suivant, le meunier de Kerallaouen

(par. de Guiscriff) . rentre chez lui, après le coucher du

solei-l : il se voit entouré de.Marion et de plusieurs hommes .
Avant qu'ils aient parlé, il a compris ce qu'ils lui veulent;
il jette sa bourse et se sauve. Marion ramasse la bourse (2) .

Dans la même année Marion et ses associés partageaient
une somme 'd'argent, butin fait un jour de foire, dans
l'auberge d'Alexis Le Breton au Faouët (3) .
. En' 1751, un vol d'argent" de vêtements et de fil est
commis la nuit avec effraction dans la maison d'Olivier

Bréoulec, au lieu de Jellabos (par. de Berné); et Marion y
est reconnue au milieu de plusieurs hommes (4). .
Vers la même époque, des vols de toile, de deux tasses
et d'une cuiller d'argent, d'un cheval au préjudice d'un
marchand furent SIgnalés aux environs du Faouët (5).
Dans la même année, le lieu du Drézant (par. de Saint-· .
Sébastien} est incendié et cet incendie est attribuè à Marion
et à ses complices (6).

(i, 2, 3, 4, 5,6). Iut. '2 août i755. Quimper .

Enfin, au 'carême de 1752, un colporteur portant « une

« balle de soixan'te livres, renfermant des mouchoirs de'
« masily-pastants (1), en piêces, d'au~res plus communs,
« des bas de femmes.' et d'enfants, plus de 300 francs en or

« et argent », fut dévalisé sur la route.
Marion n'avait" pas pris part au vol, et Guillerm qui en

était l'auteur entendait s'en approprier le pl'oduit, et avait .
déposé le ballot dans l'auberge de Losily. Marion trouva
plaisant, comme nous l'avons vu, de venir le réclamer
escortée de deux ,cavaliers. La plaisanterie .ne fut pas
goûtée ~de Gùillerm ; et le soir une vi:v:e discussion s'éleva
. entre les deux complices. . .

- Jusque-là le frère de Marion, Corentin Tromel, avait eu
· un rôle effacé; il se contentait d'agir sous les. ordres de sa
sœur et de débiter dans les foires des objets de menue mer­
cerie. Vers c,ette ëFloque (2), il sésépara de sa mère et vint
habiter" à Ty-Poder, près de Pontbriand. Il semble que ,à
ce moment il ait voulu ' agir. de son autorité. Ce fut une
faute: il avait besoin de la direction de sa sœur. .
Au carnaval' de 1752, Jean, meunier à Pontbriand, fut

assommé sur le grand chemin, et dépouillé; et, le lende­

main, son voisin Tromel 'portait chez Gérard, armurier au '

Faouët, ,un fusil pour le redresser. Cette compromettante
coïncidence aurait dû faire arrêter Corentin; mais le meur-
tre de Jean ne fut même pas poursuivi; et Corentin n'a eu

à en répondre que plus d'un an après.. .

Laissé libre, il allait commettre une autre maladresse.
A sept ou huit cents mètres du Faouët, près de la croix du

(1) lot. du 2 août 1.755. Quimper. V. ci-dessus. p. 78. .
(2) Int. de Corentin, 8 juin 1753. - .

G0len (1 ), en un endroit où la route aujourd'hui rectifiée

_ présentait une rampe abrupte favorable aux attaques noc-
Le Breton, marchand de bœufs, se vit accos-
turnes, :Marc
ter par plusieurs hommes; il ne reconnaissait pas Corentin, .
lorsque celui-ci lui dit imprudemment: « C'e" st toi, Marc ....
« Passe ton chemin! » On peut conjecturer que MarcLe
Breton se montra recomiaissant et ne porta pas plainte; et
Corentin ne fut inculpé que plus tard au cours de l'informa- .
tion dirigée ~ontre sa sœur.

III

Il semble que ce soit la scène de l'auberge de Losily qui

ait de nouveau appelè l'attention sur Marion: du moins'

entre cette scène et la date de l'arrestation ne se place-t-il

aucun chef de prévention: -

Le 2. juillet 17-52-, Marion fut. â rrètée à _POullaouen . avec
- Guillerm, Vincent Mahé, dit Garçonnic, et Marguerite Ca-
riou ou Cadiou; et, le jour même, tous quatre furent -
écroués à la prison de Carhaix. Cinq jours après Guillerni

s'évadait (2).
Les prisons êtaient à cette époque ou peu sûres ou .mal
gardées et on en sortait, comme nous allons le voir, sans
trop de difficulté." _ . .

Marion a prétendu qu'elle n'avait rencontré Vincent
Mahé qu'à Poullaouën, le jour de son arrestation.; mais

lui-même reconnaît qu'il la suivait depuis la foire de Saint-

Pierre à Çarhaix (juin précédent (3), indication que con-
firme Marguerite Cari ou .( 4). Il est · claIr qu'elle l'avait en-

(0 La croix a disparu: elle était près de l'endroit où est aujourd'hui
un lavoir. _
(2) (( Laissant dans ]a prison un juste au corps brun il manches à la
mateloUe garny de boulons jusques aux poches. Il Reg. de la maréch.
Ecrous.
(3) Int. -de Mahé, f f mai f 753.
lnt. de Marguel'ite Cariou, même joUI'. ,

rôlé dans sa bande, et les antécédents de Mahé justifiaient
le choix dont Marion l'honorait.

o C'était un jeune homme de dix-neuf ans, né a'u lieu de
Kerlin ('par. de Maël-Carhaix), de moyenne stature, encore
imberbe, mais vigoureux et agile. Il était garçon maréchal
et une effraction était un jeu pour sa main exercée. Il n'é­
tait pas à son coup 'd'essai.
Après Pâques, il avait quitté de nuit la maison de,.L'ho- .

lequel il travaillait, au village de Saint-Éloy
pital, chez
(par. de Péaule). Il emportait une couette et huit éche:-

veaux de fil, pour se payee" dit-il, de ses gages. Avant de
sortir du village, il était entré, la , même nuit, par ef-

fraction, chez Françoise Autret. Peu aprés, au bourg de
Glomel, il volait, avec effraction, ' chez Michel Souillard, ,

marchand, des denrées et de ] 'eau-de-vie ; enfin, dans la

nuit du 21 avril 1752, il « volait un pain blanc de trois sous
\ « et une pièce de galettes parce qu'il a faim! ») Il est arrêté
et conduit à la prison de Glomel; mais il force un barreau
o 0 de fer et sort par ' la fenètre; et le surlendemain, à Plus-

quellec, il entre la nuit avec effl'action chez René Olli-

vier (1). ' 0

o TI est clair que Marion n'eut pas d'efforts d'éloquence à

faire pour s'attacher ce pauvre affamé qui ne voulait plus
o travailler.

_ L'histoire de Marguerit~ Cari ou est toute différente (2) .
C'était une pauv:re fille de vingt-et-un ans, d,'apparence
douce et timide. Elle était née à Plouyé; ses parents ne

pouvaient la nourrit:, et elle se mit à mendier.
Mais Plouyé était un pays pauvre: il fallait aller cher­

o cher son pain dans les cantons voisins. Au mois de mat\s

1752, Marguerite poussa jusqu'au Faouët, où elle ne con-

(1) lot. de hé, 11 mai 1753. 0
(2) lot. de Marguerite Cariou, 11 mai et 6 octohre 1703, Quimper,

naissait personne. Elle y tomba malade de fatigùe et fut
prise d'une grosse fièvre. Elle se tenait dans la rue ap- '
puyèe contre une borne, sans que personde prît pitie d'elle,
lorsque Marion raperçut. Marion l'emmena dans sa _mai­
son, la. mit au lit, la soigna; , et, quand elle l'eut guérie,
proposa de la garder pour aller chercher l'eau et laver
lui
le linge. Marguerite accepta ces conditions. Elle était bien
110ur-rie, bien vêtue: justin brun de calmaride (espèce de
bas et des souliers, coiffe
lasting), tablier de coton, des

plate (1). '

Jamais la pauvre mendiante n'avait rèvé un pareil sort ·
et surtout le luxe des bas et des souliers! Aussi quelle
reconnaissance pour sa bienfaitrice! Au début de son inter-
rogatoire, elle avait, selo'n l'odieuse coutume maintenue

par l'ordonnance de 1670, prêté serment de dire vérité. On
, lui demande quelles sont les habitudes de Marie Tromel, et
sa'réponse est ainsi traduite: « Pendant quatre mois qu'elle
« a vécu chez elle, elle n'a jamais vu dans Marion aucun
« mauvais comportème.nt. » (2) .

Cependant elle aurait pu s'étonner des promenades ' noc-

turnes de Marion, qu'elle éclairait sur la route, « notam-
« ' ment le lundi de la semaine de la Passion 1752 ... Marion
« étant accompagnée de son jeune frère. » (3) Il est pos-

, sible que la pauvre innocente n'ait rien compris. EUe ne
soupçonnait pas non plus de quel prix serait payée l'hospi-
talité dont elle' se montrait si reconnaissante,

Iut. du 4 mai '1753. « Sourcils et
(:t) Signa~ de rguerite CariOl! .

cheveux bruns. »
(2) Int. du ft mai 1753.

(3) lot. du 6 octobre 1753.

Marion, Vincent Mahé et Marguerite Cariou furent
écroués aux prisons de Quimper (1), le 15 juillet 1752, et
interrogés le même jour (2). .
Par malheur, ces trois interrogatoires font défaut. Il y
aurait eu un grand intérêt de cUl'iosité à trouver celui de

Mal'ion dont le signalement devait être exactement donné;
dans les interrogatoires qu'elle a subis plus tarâ, elle est
signalée d'un mot «_stature moyenne», les juges se référant
implicitement au signalement dressé dans le premier inter-
rogatoire.
Tout ce que nous savons de cet interrogatoire ... c'est que

Marion avait déclaré avoir été fouettée et marquée à Ren-

nes, et poursuivie, puis relaxée à 'Vannes : mais les juges

de Quimper s'enquirent, et, le 10 août, la sentence de ban-
nissement prononcée à Vanries leur fut transmise (3) .

La proéédure fut yivement menée. De nombreux témoins
étaient entendus; ·au Faouët, à Glomel et dans trois autres
lieux; 'et, avant le 9 août, le lieutenant prévôt de la inaré-
chau~sée en avait entendu .vingt-trois appelés il Quimper' .

meme.
_ Les charges devaient être graves; mais il fallait décou­
vrir'les autres faits demeurés inconnus; et, hi 17 aoÛ.t, le

Procureur du roi de. la maréchaussée ' demanda et obtint

permission de solliciter des .Nlonitoires (4). . '
A cette époque, l'Eglise, qui formait un ordre de l'Etat, et
la puissance séculière se prêtaient un mutuel appui. De .

(1) Sans nul doute dans la prison bâtie par le Roi en 1667 il l'angle
de la rue Obscure et de la rue Verdelet et qui a subsisté jusqu'à 1807 ;

(aujourd'hui no 115 de la rue Rovale).
(2) Arrêt de compétenr.e. 24 mni i 755.
(3) LeUre de Vannes, 10 août 17152.

(4) Arrêt de comp. du 24 mai t 700.

mème que l'État faisait exécuter les vœux religieux con-
sidéré~ comme une sorte de contrat civil, ai,nsi l'Église
armes spirituelles pour obtenir, dans des cas
usait des

graves et qui intéressaient l'ordre public, la révélation des

coupables ou des circonstances des crimes, lorsqu'on n'en
pouvait avoir autrement la preuve (1). .
« Le monitoire, dit Claude Ferrière, est le mandement

« adressé à un curé pour avertir les fidèles de venir à révé-
« lation sur les faits y mentionnés, sous peine d'excommu-

« nication. »
Le 21 août, M . . Brago, chanoine official de Vannes, '
accorda des monitoires à publier aux prônes des six églises:
,Malon (Meslan), Priziac, Le Croisty (trève de Saint-Tug.,.
dual ou Tudal), Saint-Car' dec-Trégomel, Ploërdut, ~et en

là ville de Guémené, trève de Locmalo. Le 27 du' mème

mois, l'évêque de Quimper délivra des monitoires à lire aux

'prônes des quatre églises du Faouët, Guiscriff, Lanvenigan ,

(trève de Guiscriff) et Langonnet (2).

Maîs Marion et Vincent Mahé habitués à une -vie active .'

s'ennuyèrent aux prisons de Quimper. Ilsjugèrent d'ailleurs

prudent de rie pas attendre le retour des monitoires; ils '
partirent dans la nuit du 9 au 10 septembre (3). Comment
se fit l'év~sion ? C'est ce qu'il serait curieux de savoir. Mal­
heureusement le procès-verbal de descente qui fut dressé
pour constater le fait manque aux pièces.

Quoiqu~il en soit cétte double évasion a frappé l'imagi-
nation pppulaire. Encore aujourd'hui on conte dans les
campagnes dû Faouët « que ' Marion avait des cheveux
« merveilleux qui sciaient les pl~s épais barreaux de fer. »

(1) Art. 26. Edit de :1695.
Tout juge pouvait pei'mettre d'obtenir Je monitoire (art. 1', titt'a 7,
ordo de 1670) et, une fùis la permission obtenue, l'offirial ne poti~-ai t Je
l'efuser sans s'opposer à ia saisie de sou temporel (id. art. 2).
(2) A rrêt de compétence.
(3) A rrêt de compétence .

, Mais, ajoute-t-on, « un jour qu'elle tenait un enfant sur les
« fonts baptismaux, ses cheveux furent coupés, et le charme
« fut rompu » (1). '
Cela veut dire sans doute que Marion avait des scies
fines comme des ,cheveux bien connues encore aujourd'hui ,

des hôtes des maisons centrales; et la dernière circons­
tance semble une réminiscence des circonstances de son
arrestation à Auray, le jour de ses couches. ,
Chose à peine croyable, l'I\ais pourtant bien attestée,
reprit le chemin du Faouët et résida pendant pIu-
Marion

sieurs semaines dans les environs~ Mahé s'enfuit à Maël-

Carhaix, lieu de sa naissance.

L'arrêt de 'compétence prévôtale du 24 mai 17p5, nous

permet de suivre pas à pas la marche de la proc~A~re, dont
il référe brièvement tous les actes. . "

Du 3 au 24 septembre, les monitoires' avaient été publiés ,
à trois prônes consécutifs. ' ' ' .
Un décret de prise de corps fut rendu contre Marion et

Vincent Mahé, le 1p septembre; il ne reçut pas d'exécutioil .

Je ne sais si les révélati.ons obtenues par les ' monitoires
ou si les dépositions reçues produisirént quelques nouvea~x

indices .. Mais, le 4 janvier 1753, de nouveaux Inculpés
furent ajoutés aux quatre premiers. Les noms de' ceux-ci

ne sont pas indiqués dans l'arrêt de compétence; mais la
suite démontre que ces inculpés étaient Corentin. TromeI,

Joseph Le Bihan, SO:1 frère utérin, mal à propos dénommé

Joseph TromeI, Jean-Pierre Paubert, René Penhoët, et au
moins deux femmes qui furent arrêtées et mises en liberté ,
à la fin de janvier (2). -

, Ci) Renseignements.
(2) Lettred~ M.deCosnoal (23 janvier 1703) à M. d.eMarais, procul"eur
du roi de la maréchaussée. '
. " Vous me marquez de dire au brigadier d~ Kimperlez d'aller mettre

Le Procureur du roi de la maréchaussée désespérant de
1 pal'venir, . au moyen des monitoires, à la découvertt3 de
Marion et de ses complices, jugea utile de recourir au moyen

extrême des Réaggraves, et demanda, le 16 janvier 1753,

l'autorisation de les obtenir.

« Le Réaggrave, dit Claude Ferrière, est le dernier moni-
(/ toire qu'on publie après trois monitions et qui doit pré­
« céder la dernière excommunication. Pendant cette
« dernière monition, on allume une petite chandelle ; ", et si
« le rebelle a l'église ne vient se .soumettre ayant que la
« chandelle soit éteinte, an fulmine l'exc.ommunication et
« on déclare les peines encourues. » (1). ' ,

Les réaggraves furent accordés le 29 janvier par les
évêques de Cornouaille et de Vannes, et publiés, les 4, 11 et
13 mars, aux prônes des paroisses ci-dessus nommées.
Cette public~tion était devenue inutile en ce qui concerne
Mahé; il avait été arrêté le 18 janvier, et écroué à
,Vincent

Carhaix; moins heureux que Guillerm, il ne s'échappa pas
, de cette prison, et, le 23 janvier, il Mait de retour à Quimper.
rentrait blessé et le bras en écharpe. En homme qui
Il y
sait le prix du temps, Vincent Mahé, depuis son évasion,
n'était pas resté oisif. Le 12 janvier 1753, à Rosquelen

(par. de Locarn, trêve de Duhot), il entrait par une ouver­
ture faite , au toit dans la maison de Françoise Riou, et
en emportait un manteau, un trépied, une faucille, un

croc, des effets d'habillement. Il cache ces objets chez

la personne volée, les
son père. Guillaume Riou} frère de
reconnait et s'en empare. Mahé court après lui, préten-
dant qu'ils ont été soustraits à son père pal' Françoise

« (en liberté) ces femmes qu'il avait arrêtées comme complices de
Il ~arion du Faouët. Vous me permettrez de VOliS dire qu'il 'n'est plus
« e'ü droit de les mettre hors de prison, pliisqu'ellcs ont été 'conduites
« aux prisons de Quimper où sans doute vous les avez interl'ogéeil ... )).
(1) Hue para~t pas que cette solennité fût d'usage en Bretague.

Riou; et Guillaume qui s'était armé lui tire un coup de
fusil.
_ Le 25 avril, un décret de prise de corps est rendu contre
Marguerite Cariou présente,) et contre GuiIlerm, Corentin
Tromel et Joseph Le Bihan, fugitifs. 1
Enfin, au commencement de mai, la procédure est assez •
avancée pour que le procureur du roi puisse déposer des
conclusions tendantes « à ce que par jugement le prévôt et le
« lieutenant soi en t déclarés com pétents pour faire et parfaire
« le procès prévotaieur en dernier ressort, à Mahé et Mar­

« guerite Cariou présents et à Marie Tromel, Corentin,

« Joseph Tromel et Guillaume Ollivier, dit GuiIlerm, fugitifs •
La sentence de compétence fut rendue le 11 mai.
Le 29 mai, Corentin fut arrêté par des cavaliers de la
maréchaussée de Quimper et écroué le lendemain aux .pri­

sons ,de cette ville. Ces deux dates rapprochées révèlent
d'une manière certaine son arrestation non loin de Quimper.

dans un séjour si dangereux pour
Que venait-il faire
lui ? ... Il faut reconnaître que Corentin n'eût pas mérité le
surnom de Finefont que portait si justement sa sœur .
Le 8juin, il est interrogé (1). Interpellé sur J>assassinat de
Jean, meunier à pontbriant, il répond que loin. de le fr~pper,

il l'a défendu contre sept hommes de Pontbriant, au nom­
bre desquels Gérard; que dans la lutte son fusil a été faussé
. 'et qu'en eff~t il l'a porté à réparer. Il nie toute participation

â l'attaque dirigée contre Le Breton, à la croix du Golen.
La sentence de compétence est rendue contradictoire-
ment contre lui, le même jour.
Enfin, le 6 octobre 1753, la sentence définitive et sans
appel est rendue; en voici le dispositif :

(1) Signalement : « Moyenue stature, visage maigre, cheveux bruns,
« sou relis bruns, barbe châtain-claï r, yeux gris, nez d roi t~ bO\lche •
(C gmndc, lèvre supérièllrc grosse. .Justin de laine brune, un blanc <.le
« Jaille dessous, culottes et~ guêtres ùe bcrlinge bmne, has de Lliol',

« souliers. » .
BULLETIN A HCHI\c;t. DU FINISTÈHE. - '!'Ol\Œ XI. (Mémoil'~S). 8

« Condamne Ollivier Guillel'm, Marie Tromel, Joseph et
« Corentin Tromel et Vincent Mahé à être pendus et étran-
« glés j.usqu'à ce que mort s'ensuive, à la potence étant en
«,la place publique de cette ville, par l'exécuteur de la haute

« justice, et préalablement appliqués à la question ordinaire
'« et extraordinaire,lesdits Guillerm, Marie, Joseph, Corentin
«( Tromel, pour avoir révélation de leurs autres complices, a
« déclaré leurs biens meubles et ceux dudit Mahé confisqués
« au profit de qui il appartiendra, et sera la présente sentence
« exécutée en un tableau qui sera attaché en l'endroit

« ordinaire dans la place publique par l'exécuteur de la
(t haute justi~e, et a condamné les mêmes aux dépens du

« proces. »
Mahé n'était pas condamné à la question, sans doute à

cause de son âge.
Quant à Marguerite Cariou elle était relaxée après avoir ,
pu redouter pendant quinze mois une condamnation capi­
tale.
On lit au registre destiné à référer les jugements (1) :
« Vincent Mahé, Marguerite Cariou, accusés de vols,
« Marie, Joseph, Corentin Tromel 'et Ollivier Guillerm,
« aussi accusés de vols, fugitifs. .
« La compétence adjugée à la maréchaussee, le 11 mai

« 175:i. La compétence de Corentin, adjugée le 8 juin.

« Règlement à l'extraordinaire rendu ' à Quimper le

« 28 juillet.
« Sentence prévôtale rendue à Quimper, le ' 6 octobre
« 1753; qui a condamné Marie, Corentin .et ,Joseph Tromel,
« Qllivier Guillerm et Vincent Mahé à étre pendus et
« étranglés par effigie, et renvoyé Marguerite Cariou. »
D8rision! La prison n'avait pu retenir Vincent Mahé et

'el) Folio 12, B. 824. ,

Corentin Tromel si longtemps recherchés! Des cinq con­
damnés, quatre avaient été sous la main de la justice :
Vincent Mahé s'était évadé trois fois, une fois de GloŒel et
deux fois de Quimper, Marion une fois de Quimper, Guil­
lerm une fois de Carhaix, et Corentin une fois de Quimper.
En tout, six évasions! En vérit~, les cheveux de Marion
avaient une vertu magique !..-.
Le jugement ordonne en outre que les nommés Hélène
Querneau ou Kernot, mère des Tromel, Marguerite Tromel,

sa fille, Pierre Le Floch, Etienne Prévost, Louis, Léveillé
et Alice « seront pris et appréhendés au corps pour être
« conduits et écroués aux prisons royaux de Quimper,
« pour ètre ouïs et interrogés sur les faits résultant des
« charges et informations et autres. »

Le décret de prise de corps ne' paraît pas avoir été exé-
. euté, puisque le registre des écrous ne contient aucune men-

tion concernant un seul des dénommés: il n'a été exécuté

contre eux aucun jugement par effigie; et la procédul'c
les concernant n'est _ pas mentionnée aux registres des .
dépôts. .
On peut affirmer . que Hélène l(ernot et sa fille Margue­
rite n'ont pas été arrêtées; leur complicité était certaine.
Pierre Le Floch, Etienne Prévost, nous sont inconnus.
était Louis Tariot, que nous retrouverons plus
Louis

tard. Au dire de Marion) Léveillé était un enfant de

cinq ans (1). Nous avons déjà dit que Alice semble être
fille de Marion; si c'est celle qui est née avant 1740, elle
avait à ce moment quinze ou seize ans. On peut croire que
toutes ces personnes, effrayées par la condamnation à mort
de leurs parents ou complices, quittèrent le. pays avec eux.

Louis Tariot seul fut arrêté plus tard.

Cf) lot. de Marion , 24 mai 1755 .

CHAPITRE V

Plus d'un an s'était écoulé depuis . l'exécution pal' effigie
lorsque Marion reparut sur la scène.
En quittant la prison de Quimper ... le 9 septembre 1752,
elle avait couru aux environs du Faouët sans oser pour­
tant rentrer dans sa maison.
Elle était sans argent et il fallait s'en procurer, même
pour fuir. Une bonne occas\rn se prèsenta : elle n'était pas .
femme à la laisser échapper; et c'est au mois de septembre
1752, que l'vI. d~ Gouyon la vit partageant sur la route une
somme de cinq ou six cents francs en or, et corrigeant ses
mècontents de la part à eux faite .(1). '
complices

Marion faisait pour la dernière fois acte d'autorité. Trop

avisée pour ne pas sentir le danger des monitoires publiés
à ce rnoment mème, effrayée du retentissement qu'allait
avait' ce derniee vol, elle se cacha quelque temps dans la
paroisse de Saint-Caradec-Trégomel. .
Le gendre de Mme de Stanghingan nous renseigne sur la
vie qU'elle menait à ce moment. Le 15 octobre 1752, il

écrivait du château de Kermerrien (par. de Saint-Caradec- -
mel) : '.
Tyégo
« Jeudi dernier, il fut pendu deux hommes à Hennebont,
« l'un desquels appelé Caudan, du. bourg _de Plouay, était
« des amis 'particuliers de Marion du Faouët (2) ; celle-ci

(1)- V. ci-dessus p. 81.
(2) La procédure suivie contre Pierre Caudan, condamné le 30 août
1752, par la sénéchaussée ' d'Hennebont, se retrouve complète aux
Vannes; mais le nom de Marion du Faouët n'y apparaît
. . archives de
]e· jouI' (Ord.
pas. Les condamnations devaient être exécutées dans
de 1670, titre 25, art. 21) ; mais dans .l'affaire il y avait appel de droit,
le jugement n'étarlt pas prévôtal. . ,

« n'est pas encore damnée (sic) mais fort en peine: les
« archers la suivent à la piste: elle a séjourné quelque
« temps dans cette paroisse depuis son évasion des prisons
« de Quimper; les archers l'y vinrent chercher le lendemain
« qu'elle en fut sortie. » •
La situation n'était plus tenable. Marion le comprit enfin
et disparut. Mais il ne semble pas qu'elle se soit beaucoup
éloignée du Faouët, puisqu'elle y fitune courte apparition,
en janvier 1753 (1). .
Peut-être est-ce à ce moment qu'elle transpo~ta l'exer-
cice de son industrie à Saint-Thois et Laz, sur la route de
Quimper a Carhaix ~ Les noms de' ces deux paroisses ne se
lisent pas dans les piéces de procédure et dans le'8 sen­
tences qui nous restent; mais il ne semble pas douteux que

Marion n'ait séjourné d~ns ce pays. Cette reü~aite était
bien choisie; le pays était de difficile accés ; lès monitoires
n'ayant pas été publiés dans ces paroisses, les habitants
n'étaient pas tenus' à révélation; et Marion pouvait 'comp-

ter même sur la terreur de son nom pour obtenir le silenèe.
Le nom de Marie- Yvonnic 'du Faouët est encore répété
au fond de ces campa:gnes. Un rocher situé au bord de la
route de Quimp'el' à C11âteauneuf-du-Faou, à 9 kilométres
de Briec, porte le nom de Karrec-al-Laër (rocher du voleur) ;
. et c'est là, ou en un lieu voisin nommé Ar-Hars-Fao (la

. haie des hêtres), que Marie-Yvonnic se tenait d'ordinaire.

Elle ne volait pas dans les fermes; elle se contentait de
détrou~ser les voyage;lfs attardés, mais sans exercee sur

eux de violences graves; on ne l'accuse d'aucun meur-tre ;

elle em pI'untait quelquefois de l'argent que personne n'osait
lui refuser; et, le terme venu, remboursait exactement; elle
délivr'uit comme laissez~passer des couteaux, des étuis" etc.;

(1) Tnt. dcCol'entin, 8 mai 1753 .

parfois elle réquisitionnait de la viande et du cidre; elle
aimait la bonne chère. A ce portrait de Marie-Yvonnic du
reconnaîtrait Marionnic du Faouët f-
Faouët, qui ne
On ajoute qu'au lieu de dormir sous une hutte de bran­

chage~ ou dans le creux d'un rocher, et pendant que ses
associés se reposaient à Karrec-al-Laër, elle-même des­
cendant un quart de lieue plus loin, vers Châteauneuf-du­
Faou, au village de Pen-ar-Choat~ obligeait le maîtr~
de la maison à se lever, prenait sa 'place au lit conjugal
et dormai.t tranquille et sans souèi.
Combien de temps a-t-elle passè dans ces parages? C'est
ce que l'on ne peut dire; mais d'après le~ souvenirs encore
vivants à Saint-Thois, Marion ne se contenta pas de pous- .
quelques pointes du Faouët en cette paroisse distante
sel'
au moins de dix lieùes; mais s'y établit pour un temps
assez long
Vint-il un jour où Marion pût craindre que sa nouvelle
retraite fùt découverte? Trouva.-t -elle difficilement à vivre

sur ces routes peu fréquentées ~ Songea-elle enfin à

exécuter la double sentence <:le bannissement qui pesait sur
elle ? .. C'est ce que nous ne savons pas. Toujours est-il
près de deux ans passè­
qu'ellë s'éloigna finitivement, et
rent sans qu'on entendît parler d'elle .

En septembre 1754, Marion fut arrêtée à Nantes comme
vagabonde, et enfermée. La marque qu'elle portait sur \.
l'épaule la signalait comme reprise de justice. Fit-elle
impl'udemment savoir qu'elle avait été condamnée à

(1) Ces renseignements me sont donnés par un ecclésiastique, origi-
nairedcSaint-Thois; son bisaïeul paternel qui aurait aujourd'hui 150 ans,
i:~vajt vu Ma ie-Yvonnic, autrement Marion du Faouët.

Rennes ~ Les officiers royaux de Rennes apprir'ent-ils son
arrestation al!X juges de Vannes qui les avaiep,t inter­
rogés en' 1747; cet avis fut-il transmis à Quimper ~
La maréchaussée n'avait su ni arrêter ni garder les

et elle-même: tint-elle à honneur de
complices de Marion
s'en emparer encore, et avait-on envoyé son signalement
dans la province? C'est ce que les piéces trop rares qui
restent ne nous apprennent pas.
Quoiqu'il en soit, le 17 mai 1755, Marion était réintégl'ée
aux prisons de Quimper. Le lendemain, elle subissait devant
le lieutenant prévôt de la maréchaussée un premier inter­
rogatoire, qui n'a pas été conservé. Le 24 mai, elle en subis­
sait un autre (1).
On peut s'étonner que Marion. Finefont n'ait pas songé a

cette précaution si simple, si habituelle et si souvent ~tile
aux malfaiteurs : changer de costume. Elle comparaît à
Quimper portant la même coiffure et des vêtements sern-
blables,à ceux qu'elle portait il Vannes, en 1748.
époquè" la prescription pour crimes n'était pas .
A cette
de dix ans comme aujourd'hui, mais de vingt ans. L'inter­
rogatoire put donc passer en revue tous les vols et autres .
crimes venus a la connaissance du ministère public depuis

son début en 1740, et qui n'avaient pas été jugés à Rennes

et à Vannes. ' .
Marion nie toute participation aux crimes reprochés a
Vincent Mahé, à son frèl'e Corentin, et a Guillerm. Elle dit
« n'a pas eu connàissance qu'aucun d'eux ait
même qu'elle
(( commis aucun vol ni aucun fait s,ujet a répréhension. »
Elle avoue qu'elle connaissait Guillerm depuis quelques

allaient se marier quand ils ont été
mois et ajoute qu'ils
arrêtés .

(i) Coïncidenc.e
si ngulièrc :
c'est cc jouI' même que Mandrin était

à Grenoble.
roué

L'arrét de compétence fut rendu le jour méme .
La procédure s'achève, et Marion est interrogée pour la

dernière fois le 2 août.
.. E1le avoue qu'elle a été fustigée et marquée à Rennes .
un vol simple; elle dit qu'eUe a été poursuivie à
pour
Vannes et relaxée. Elle a bien soin de taire, comme elle
l'avait fait le 15 juillet 1752, qu'elle a été deux fois bannie.
Peut-être espérait-elle s~en tirer, comme à Vannes, avec une
condamnation au bannissement, que cette fois (sans
simple
eût prise au sérieux. Mais ce dernier espoir
doute), elle
s'évanouit: le sénéchal, Ml'B Hervé-Gabriel de Silguy, qui
montre l'extrait de la condamnation pro­
l'interroge, lui
nonçant contre elle le bannissement perpétuel de l:i pro­
vince. Dès lors elle ne peut plus douter du sort qui l'attend;
mais elle ne perd pas son sang-froid. .
Interrogée sur le vol Perrot, elle fait remarquer avec
raison que ce fait a été l'objet de la condamnation pronon-
cée à Rennes. Interrogée sur le vol Douarin, elle répond:

« Le Douarin est trop connu pour un gueux et un ivrogne,
« pour que l'ôn puisse croire que, dans quelque cas que ce
« soit, on se soit adressé à lui pour avoir de l'argent. » .
L'interrogatoire comprend tous les faits que nous avons
rappelés et quelques' autl'es vols de même .nature qui sQnt
retenus dans le jugement. Il y ' a en tout une vingtaine de ,

faits.

Il eRt superflu de dire que les vols « avec attaque » et
autres et l'incendie retenus dans le jugement prévôtal ne
sont pas les seuls crimes de Marion; et il est bien certain
que le plus grand nombre de ses méfaits n'a pas eté pour- ,
, pas un seul des vols commis à Saint-Thois
suivi. Ainsi
n'est visé dans les piéces. ,Quand une poursuite s*exerce
après dix et quinze années, que de témoins .ont . disparu,
surtout lorsque les victimes ont été des étrangers c'omme
les colporteurs que Marion dévalisait!

Quelques heures après, la sentence est prononcée; en
voici le dispositif:
« Pour réparation de tout quoy (le siége) a condamné la
« dite Marie Tromel à être pendue et étranglée jusques à' ce
«que mort s'ensuive à une 'Potence qui sera à cet effet ' .
« plantée en la place du Châtel en cette ville par l'exécuteur
~ de la haute justice:

« Ordonne qu'elle sera préalablement . appliquée à la
« question ordinaire et extraordinaire., pour avoir révélation

« de ses cQmplices, et a nommé pour Commissaire pour

« assister à la question avec le rapporteur, Ma de Lécluze,
cc conseiller.. . » (1).
Le bruit de la condamnation se répandit en un instant .
par toute la VIlle. Dans l'après-midi~' l'exécuteur dressa la
potence sur le Tour du Châtel, vers l'angle nord-ouest, en
. avant de la rue du Guéodet, au point de la place le-plus en

vue (2).
Qu('{ls étaient pendant ces funèbres apprêts les sentime:q.ts
Marion? Le --.regret de ses fautes qu'elle avait témoigné

autrefois s'était-il changé en un repentir sincère? Avait­
. elle enfin compris que~ selon ses expressions, son heure
était venue ? .. On peut le présumer, si les paroles que
nous allons 'rapporter sont exactes: et le récit qui nous

a été fait nous inspire toute confiance ..

L'exécution était annoncée ' pour six heures du soir;
mais, longtemps avant., la foule remplissait le Tour du

(f) On lit dans le registre des J ugemen ls :
« Marie 'fromel, dite Finefont ou Marion du Faouët, accusée de vols
« avec effraction extérieure et intérieure, d'attroupements, de vols

« et attaques sur les ~rands chemins. - -
« Jugement prévôtal rendu à Quimper, les 2 août 1755 qui a con­
« damné ladite Tromel à être pendue et étranglée. Exécutée le même
de relevée. Il (B. 824, Folio 13, yo). .
( ,jour à six heures
(2) Prenez l'axe ,de la !'ue du Guéodet et cel ui de la rue Royale
,Ictuelle : c'est au point dïutersection de ces deux lignes que se dressait
la potence. C'est au même en-droit que fut dressée la guillotine en f793.

Châtel. C'était à qui verrait une fois Marion du Faouët, à
qui entendrait ses dernières paroles : on se disputait les
premières places autour de l'échafaud, et la Maréchaussée
avait peine à contenir la foule. A six heures... Marion
monta les degrés de l'échafaud. Des siffiets, des huées, des
imprécations l'accueillirent. Des milliers de visages étaient
tournés vers elle; la malheureuse pouvait lire sur les uns
une curiosité cruelle, sur les autres la haine née de la peur;
pas un ne lui laissait voir une ombre de pitié. .
Marion fait signe qu'elle veut parler. A l'instant la foule
tout à l'heure agitée et bruyante demeure immobile et retient

son souffie. Le silence n'est troublé que par les tintements
lointains d'une cloche: c'est la cloche de Saint-François qui,
selon le vieil usage, appelle à la prière pour la criminelle

qui va mourir. Alors Marion d'une voix ferme:
« Pères et mères qui m'entendez, gardez et enseignez bien
« vos enfants. J'ai été dans mon enfance menteuse et fai­
« néante. J'ai commencé par voler un petit couteau de
« six liards; ... après, j'ai volé des colporteurs, des mar­
« chands de bœufs: puis j'ai réuni une bande d,e voleurs.
« Voilà pourquoi je suis ici. Redites cela à vos enfants;
« et que ' du moins mon exemple serve de leçon aux
« autres. » (1).
Un instant après, justice était faite. -La foule s'écoulait
silencieuse; et plusieurs, s'ans pitié pour Marion vivante,
accouraient à l'appel de la cloche, et s'agenouillaient dans
la Chapelle des Agonisants où les Cordeliers priaient
pour eUe (2).
(f) Une habitante de Quimper, née en f770, a recueilli ces propres
paroles d'une personne qui avait assisté à l'exécution et elle les a
souvent répétées et toujours dans les mêmes termes à ses pctits enfants.
d'eux-mêmes que je les tiens. ' Le mensonge et ta f .. illéantisc
C'est
dit, d'après d'autres renseignements, les défauts de .
étaient, avons nous
Marion cnfant. '

(2) La chapelle de N.-D. de Vertu dite ries Agonisants était appuyée

Avant la nuit, le corps de Marion fut détaché de la po­
et porté à la voirie, la sépulture ecclésiastique étant
tence
refusée aux suppliciés.
III
Comment Marion avait-elle subi la question? Il semble
à cet in'stant suprême et
que son énergie se soit démentie
qu'elle ait révélé comme complice Louis Tariot, contre
lequel un décret de prise' de corps avait été décerné, comme
nous l'avons vu, dés le 6 octobre 1753. .'
Arrêté loin de Quimper. au mois de mars 1756, Louis
Tariot fut amené aux prisons de cette ville, d'ordre du .

Procureur général; il Y entra, le 5 avril (1). Le 11 du
même mois, le procureur du Roi de la Maréchaussée l'in-
terrogea (2). l
Louis TariQt avait 28 ans, il était originaire de la paroisse
de Pédernec (évêché de .Tréguier, aujourd'hui canton de
parents y habitaient encore
Bégard (Côtes-dü-Nord); ses
au village de Maudé, et lui même y avait son domicile. rout ..
jeune, à Corlay, il s'était engagé comme soldat dans le
régiment de Rohan, infanterie; mais, après dix-huit mois,
il avait été réformé 'pàr~e que alors il n'avait pas la taille :
il s'était fait chaudronnier ambulant .

Dans son interrogatoire, il reconnait que, pour l'exercice

il est venu souvent au Faouët et qu'il a
de son industrie,

e.n appentis contre le mur nord de l'église du couvent de Saint·Francois.
La cloche ~onnait pour annoncer l'agonie des fidèles et exécutions capitales .. . V. notice sur les Nécrologes des Cordeliers.
Bulletin de 1884, p. 40 ..
(1) 5 avril 1756. Il Vous geollier de Quimper, estes chargé de la 'per­
c< sonne de Louis Tariot et ce, en vertu d'ordre de Monseigneur La
Il Chalotay (sic). procureur général du 24 du mois de mars et arrivé en

(( rette ville le 5 avril, présent mois. Signé sl\r le registre LE GOFFE .
(.2) Arch. dép. B. 810. Carton.

parccuru les canIons voisins, ' qu'il a pu, comme beaucoup

d'autres, rencontrer Marion, ou quelques-uns de ses gens,
dans les auberges ou les foires; mais il soutient qu'il ne les
ponnait pas et n'a aucune relation avec eux. Tariot répond
homme sûr de son innocence; et le procureur du
comme un
Roi de la Maréchaussée étonne un peu quand il conclut
reprochant a Tariot « de n'avoir pas dit
l'int.errogatoire en
« la vérité» et en disant que « le contraire est et lui sera
« prouve. »
Le 22 avril, le procureur du Roi requiert la déclaration de
soin de viser (c'est son
compétence prévôtale, et prend
grand argument) « le procès-verbal de torture de Marie
« TromeI, portant charge contre Louis Tariot. »'
Le 30, l'inculpé est intenogé, cette fois par le siége. Il"
persiste dans ses premières réponses, et s'explique sur un
fait nouveau: « S'il a acheté des étoffes pour se faire un
« habit chez le sieur Brizeux, au Faouët, l'argent qu'il
« avait en poche provenait de son travail. Du reste, il

(\ récuse la compé"tence prévôtale, comme' n'ayant rien fait
« qui puisse le commettre au prévôt. »

Quoiqu'il en soit, la sentence de compétence est rendue
et notifiée le même jour : le siége se fonde sur ce motif ,
Tariot était complice de Marion. Mais un
principal que
arrêt du Parlement allait annuler cette décision et ren­
voyer l'instruction au juge criminel ordinaire. On lit en
dans le registr~ des jugements prévôtaux la mention
effet
suivante (1) :
« Louis Tariot, à"ccusé de , cor:nplicité avec 'Marie Tro­
« mel, René Penhoat, id., et de vols et attaques sur les
« grands chemins avec attro.lpements.

« Compétence adjugée a la Mssée le 30 avril 1756. »

(t) B, 824, fo U l'0.

« René Penhoat accusé de vol avec effraction en l'église
« de Notre-Dame.de Bulat. '
« Ily a eu arrest de la cour du 10 avril 1756 (1), qui a

« réuni les accusàtions portées contre ces deux particri-
« liers et autres et. les a réunis au testament de mort (c'est-
« à-dire au procès-verbal de l'exécution) de Jean Meul, et
«. renvoyé le tout devant M. le Lieutenant criminel du pré­
{( sidial de Quimper, où la proc$dure a été déposée, le
« 10 juillet 1756. »
Quel fut le résultat de èette instruction? C'est ce que

nous ne savons pas, la procédure n'existant plus aux ar­
chives. Quoiqu'il en soit, l'affaire Meui n'avait pas été jugée
Jean Meul n'était pas complice de Marion;
prévôtalement.
et le Parlement, en joignant la procédure Tariot et Penhoat
à la procédure MeuI, jugeait que ces deux individus n'a
vai~nt pas fait partie de la bànde dont Marion était le chef.
Après cette dernière inscription, on cherche en vain aux
registres de la maréchaussée quelque mention se rapportant
à la troupe de Marion. Tous ses complices mentionnés plus
haut: Olivier Guillerm, Mahé, ses deux frères condamnés
sa mère, sa sœur, sa fille Alice,
avec elle, le 6 octobre 1753,
Pierre Le Floch, Etienne Prévost, Leveillé, décrétés d'ac­
cusa,tion le mème jour, ont disparu. Parmi les nombreux

affiliés de cette bande qui, à ses beaux jours, compta au

, moins une quarantaine dé personnes, aucun ne s'est jugè
digne de prendre la succession de Marionnic Finefont et

d'essayer de la continuer.

(1) Erreur de
date. L'al'fêt n'a pu intervenir qu'apl'{'s le jugement

qu'Ii réforme.

CHAPITRE VI

Telle est l'histoire vraie de Marion du Faouët. 1
C'est un étrange spectacle que celui de ces bandes de
et opérant au grand jour dans un état
voleurs organisées
de civilisation avancée. Le dernier siècle a produit deux
voleurs devenus historiques, et les noms de Cartouche
et de Mandrin sont présents à toutes les mémoires. Car­
touche, le fin et madré voleur, employant les déguisements,
les ruses et l'(s fausses clés pour pénétrer dans les mai­
sons; Mandrin, le brigand, écumeur des grandes routes

rassemblant, disciplinant une petite armée et finissant par

assiéger des villes comme Baune et Autun. Marion du
Faouët, dans sa sphère plus modeste, ne peut être com­
parée à ces deux scélérats; mais il y a en elle du Cartou­
che et du Mandrin; fine et rusée comme le premier, elle
était audacieuse comme l'autre.
au lieu que Mandrin se plaisait au carnage même
Mais,

inutile" Marion n'a pas versé le sang et a empêché de le
Pas un homicide nelui est imputé, et elle n'a même
répandre.
pas été poursuivie pour complicité du meurtre commis par
son frère.
En l'accusant de plusieurs assassinats, les enfants de
n'svaient pas su se défendre d'elle, l'ont calom-
ceux qui

niée. Ils auraient dû se dire que, .si cette femme arriva à ce
degré d'audace et de puissance, que nous avons fait con-
naître, la faüte en était un peu à leurs pères. On ne peut,
effet se persuade!' que si un des nombreux marchands,

bouchers ou autres, qu'elle a arrêtés sur les routes, avait, a
la première sommation, répondu par un coup de pistolet,
n'eût été rendue plus circonspecte,,' et Marion inti-
Marion

midée perdait toute autorité.
Une chose qui étonne encore plus, s'il se peut, c'est l'im-
punité laissée pendant au moins sept années a ce,tte étrange
personne. Q~elles que fussent les difficultés de communica­
tion, comment admettre que pendant tant de temps la maré­
chaussée ne se soit pas émue des vols commis par Marion?
pardons; elle !l'était ni introu-
Elle courait les foires, les

vable, ni insaisissable: la preuve, c'est que, lorsqu'on l'a
sérieusement cherchée, on .l'a arrêtée trois fois. Il est

admirable surtout qu'a sa sortie de la prison de Vannes,
bannie deux fois, elle ait pu vivre et résider tranquille dans-

sa maison du Faouët pendant prés de quatre ans.
Quel qu'ait pu être le dévouement de ses favoris, Pezron,
Jeannot, Guil1erm, il semble que, de
Nicolas, Gargouille,
tous les complices de Marion, les plus utiles furent la peur
et la faiblesse des uns, et l'indifférence. de la force publi­
que chargée de la sûreté des grands chemins. ' Cette fai­
paru si extraordinaire que la postérité n'en a
blesse a
trouvé-qu'une explication: Marion etait sorcière: elle avait
une tarière enchantée dont elle perçait un arbre; et elle en

faisait cou1er une liqueur délicieuse, un philtre, qui endor-

mait les archers! (1)
Ainsi la Maréchaussée ne sait ou ne veut pas l'arrêter ....

mais ce n'est pas tout! Marion avait-elle aussi des philtres
pour les geôliers et lès juges? Les geôliers ne savent garder

ni elle ni ses hommes; les juges ne savent pas la juger.
a-t-elle trouvé en eu-x, la première fois une
Au moins
extrême indulgence, la seconde fois une' insigne faiblesse.

(1) Je ne vondrais pas faire outrage à la mémoire de la Maréchaussée,
mais l~ souvenir de ce prcuvage mystérieux amène naturellement certain
commentaire que je ne répéterai pas.

En 1746, vagabonde avec attroupement, elle est pour­
suivie pour vols sur des chemins publics. Les juges royaux
d'Hennebont sont incompétents à raison et de la qualité
de raccusée et de la nature ' du crime. Ils se saisissent
pourt~nt et prononcent la peine de mort. Qu'importe-t-il ?
- L'appel est de droit, et le Parlement va réformer la sen­
tence et punir cette voleuse de grands chemins, déjà chef
de bande, de la peine du larcin et de la filouterie. Il y ajoute,
il est vrai, la peine du bannissement, mais cette peine est
illusoire puisque.la force publique n'en assurera pas l'exé­
cution .
L'année suivante, à Vannes, que voyons nous ? .. Marion
cette fois est jugée prévôtalement. L'accusation de vol
(chose étrange quand on lit la procédure!) s'évanouit. La
rupture de ban, 113s menaces de mort ne sont pa;s punissa­
bles pour les raisons que j'ai dites; mais le vagabondage

avec attroupement reste ... et le Présidial relève une espèce
d'escroquerie résultant de l'émission du faux écu de six li­
Eh bien ! il va trouver pour cette reprise de justice,
vres.
dangereuse au premier chef, des circonstance atténuantes!
Il va adoucir en sa faveur la peine portée contre les fem­
mes pour' la première fois vagabondes: il la bannit tout

simplement, au lieu de la séquestrer. Faiblesse inexplica­
ble, fatale au pays que Marion désolait, aux complices

nouveaux qu'elle allait compromettre, et surtout à elle-
qui seule devait porter la peine des méfaits commis
même

par la bande enrolée sous son obéissance!

Marion séquestrée à l'hôpital général eut trouvé là de
chasser des
ces femmes angéliques qu'on ose aujourd'hui
hôpitaux, parce qu'elles rappelaient le maJade à la pensée
de . Dieu et l'exho .. ttaient à demander le prêtre. Elles
l'eussent ramenée, comme elles en ont ramené tant d'autres,
à l'oi'dre et au tmvail. Elles lui auraient l>appelé les ensei-

gnements religieux qui avaient bercé son enfance, et qu'elle
méconnaissait dans sa vi.e sans en avoir pourtant perdu
toute mémoire; et la religion, en pacifiant et en purifiant
son âme, eût fait lever les germes des bons sentiments qui
restaient encore au fond de son cœul', quelque perverti
qu'il fût.

Je ne prétends pas me faire le panégyriste de Marion du
Faouët; mais il y a un côté de son caractère qu'il faut
peindre, sous peine de laisser son portrait incomplet.

J'ai dit qu'elle eut dans sa vie des élans de bonté et de

reconnaIssance. ' .
Elle élevait ses enfants lorsqu'un philosophe, son con-
temporain, envoyait les siens à nlôpital. Quand elle re-
cevait et soignait ehez elle la pauvre mendiante de Plouyé,
délaissée par tous, elle donnait l'exemple de la charité due
au malheur et à l'indigence. Cet acte de charité n'est pas
isolé dans sa vie :, plus d'une fois, dit-on, le produit de ses
'. vols a passé aux mains de quelque pauvre famille. « Elle
. « dépouillait les riches pour' enrièhir les pauvres. »
Enfin, au milieu de ses égarements, elle gardait au fond
du cœur un noble sentiment, celui de la reconnaissance.
. M. Jaffl'ay, dont les sœurs avaient recueilli Marie Tro-

mel enfant, traversait un soil' à cheval le bois de Kersa­
biec, aux environs de Plouay; quatre hommes l'arrêtent,
lui. bandent les yeux, et le conduisent dans le fourré a une
hutte de feuillage, où, disent-ils, ils trouveront leur cheL
Une fem~ne arrive: c'était Marion. Elle a reconnu M. Jaffray!
Elle fait retirel' ses hommes; elle tombe toute en larmes
aux pieds de son prisonnier, lui baisant les mains, le sup-
BUL. ARCOÉOL. DU FINISTÈRE. -, TOME XL (Mémoires). 9

pliant de lui pardonner et l'appelant son bon maître. M. Jaf­
Fray, qui ne la reconnaissait pas, ne comprenait rien à cette ·
scène; alors Marion se nomma, lui dit « en pleul'ant, qu'elle
« était bien malheureuse de n'avoir pas . suivi ses conseils

« et ceux de ses sœurs, » et l'assura qu'il ne lui arriverait.
rien de mal. Elle servit à souper à M.Jaffray, fit apporter de
la paille fraîche pour qu~il pût reposer, et veilla auprès de
jusql).'au matin. A la première heure du jour, elle le
lui
reconduisit jusqu'à la lisière du bois et lui remit un petit
sifflet, lui recommandant dé le présenter aux hommes qui
l'arrêter à un autre voyage. En le quittant, elle
pourraient
garder le secret de ce qu'il avait
le supplia seulement de

vu. M. Jaffray n'a conté cette aventure qu'après la mort 1
de Marion (1). . .

Mme de Stanghingan avait, et très-justement, interdit sa
pode à sa terrible filleule. Un jour, cette dame allait à la
messe à Meslan, Marion parut sur la route et la supplia
d'accepter une bague d'étain qui lui servirait de sauvegarde.
l\r l: : de Stanghingan refusa d'abord; mais il lui fallut céder
aux pressantes instances de Marion.
M: Jégou du Laz, vieux gentilhomme dont la charité est

l'estée légendaire, habitait le château de Trégarantec
(paroisse de Mellionnec). Un jour, revenant de porter des
secours à une pauvre famille, il traversait un de ses bois .

Une femme inconnue de lui l'accosta et lui dit: « Monsieur
« le Comte, vous êtes bon pour tous, les méchants comme

« les autres; mes parents même, que- vous ne connaissez '

« pas, vous ont des obligations. Je serais fâchée qu'il arrivât
« à . vous ou aux vôtres quelque peine à cause de moi .
« Voici un sauf-conduit: avec lui, vous pourrez passer sur
(1) Ce fait doit se placer aux premiers temps de la vie de brigandage
ùe Marion, et ~vant que sa réputation fùt venue jusqu'à M . .Taffl·ay :
. autremeut il l'amait reconnue sans peine. (V. p. 75.) .

« les routes, de nuit comme de jour. » Et elle remit à
M. du Laz un étui de bois. A ces derniers mots, M. du

Laz reconnut Marion; il essaya de lui faire quelques
représentations; mais elle, l'interrompant : c( Mon heure
« n'est pas encore venue ·» et elle disparut (1). .
Voilà des faits dont la postérité n'a pas tenu compte à
Max:io sa mémoire vit eI}core au Faouët, à Guémené et

aux environs ; mais elle y est exécrée. Son nom, au Faouët,
est devenu une injure : il n'est pas rare, me dit-on, que

les gens de la campagne, quand ils ont dispute avec ceux
de la ville, les .traitent de raee de Mariormie. .

Ce nom est entré dans cette imprécation: Marionnie
Finefont gant an diaoul; e faut d)oe'h mont ~ ce qui veut
dire: Marionnic Finefont est allée au diable, voulez-vous
elle~ D'autres fois, vous entendrez dire, quand
aller avec

passe une femme de tournure suspecte: « Voilà une Jl1arù:
Finefont. )

III

Il était naturel de croire que la poésie populaire avait '
célébré Marion. J'ai donc fait rechercher au Faouët,
Gourin, Guémené, Carhaix, quelque complainte bretonne
racontant son histoire; ces recherches n'ont pas eu _ le
succés que j'espérais; mais notre Président, M. le Vte Her-
sart de la Villemarqué a bien voulu m'adresser et traduire

(1) Ce fa.it est raconté dans une notice sur deux gentilshommes bretons
imprimée à Saillt-Bl'Ïeuc (Prudhomme, f854) .
. Il se plare avant 1748. En effet, l'auteur dit, que, quelqufs années
plus tard, M. du Laz étant à Vannes appl'jt que Marion y était en prisoll .
Poussé par sa chari té, il alla la voir. Et, dit l'auteur (( ses pieuses
« exhortations contribuèrent à fail'e passer dans son cœur' le repentir des
« crimes qu'elle avait commis. »
En quoi l'auteur se trompe. Comme nous l'avons VII, à peine mise en
liberté à Vannes, elle reprit son train de débauches et de vols.

pour moi la ballade suivante Inédite,
qu'il a recueillie en
aux environs de Quimperlé:

MARI AR CHARLEZ

1 Entre Karahez ha Montroulez
. Ma al' plac'h koant Mari al' CharIez. .
2 .. Gand eun tokik kastor war hi fenn,
Hag eur c'hleze dir en hi barlen. ,
3 Haghi daou gired enn he c'hichen,
Unau a zo du, ann aU zo gwenn.
4 Markiz al' Ri vier a la vare

Da Vari '1' CharIez, ann deiz a oe :
5 . - « Eurvad d'hoc'h-hu, Mari al' CharIez;

«( Hui vo va c'homer e Montroulez?

MARlE LA GALANTE •

1 Entre Carhaix et Morlaix habite la jolie fille Marie la

Galante. .
2 Elle porte un petit chapeau de castor sur la tête et une
épée d'acier au côté;

3 Et elle est suivie de deux chiens courants dont l'un est

noir et l'autre blanc.
4 Le marquis de Rivière disait à Marie la Galante, ce
jour-là:

5 « Bonheur à vous, Marie la Galante; voulez-vous
« être ma commère à Morlaix? »

6 « l-Ia peno(a ieffenn-me gan-ec'h,
Ha bout ann arserien war ma lerc'h .

7 ,« Me ho lakaio war ma barlen ;
« M'ho tifenno ouz ann arserien. »
8 Markiz ar Rivier a lavare
E Karahez, ha pan arrue :

9 « Ha iec'hed ha joa barz ar ger-ma;
« Pelec'h e 'nn hostaliri vrasa?
«. Pelec'h e'nn hostaliri vrasa,

« Ha ma ienn-me enn hi da leina .
« Ha ma ienn-me da leina enn-hi :

« Mari ar Charlez-a zo gan-i .

« Et comment irais-je avec vous quand les arçh'ers

« sont il. mes trousses? »

7 « Je vous prendrai entre mes bras et je vous défen-
« drai des archers~ »

8 Le marquis de Rivière disait en arrivant à Carhaix:
« Bonne santé et joie en cette ville; où est la plus

« grande hôtellerie?

10 «( Où est
la plus grande hôtellerie~ pour que j'y aille

dîner?

11 « Pour que j'y aille dîner: Marie la Galante est avec '

12 « Gant-i al' plac'h koant Mari '1' Chariez,
, « Zo ont da gomer da Vontroulez. »

13 Mal'kiz al' Rivier a laval'e
Barz e Montroulez pan m'rue:
14 « Ha iec'hed ha joa bal'z al' ger-ma;

« Na pelec'h eo àr prizon ama?
15 « Ar plac'hik koant Mari al' CharIez
« Zo ont d'al' prizon da Vontroulez. »
16 Mari al' CharIez p' e deuz klevet,
Da varkiz al' Rivier deuz laret:
17 . , « Markiz, markiz, mam bije gouiet,
( Bil'vikenn tamm n'am bije debret.

12' « Avec moi la jolie fille Marie La Galante qui va pour
«( ètre commère à Morlaix.» .

13 Le marquis de Rivière disait en arrivant à Morlaix:

« Bonne santé et joie en cette ville: et où est la

« prison ici ~
15 « C'est la jolie fillette Marie La Galante qui va en pri-

« son à Morlaix. »

au marquis de
Marie la Galante entendant cela, dit

Rivière:

17 «( Marquis, marquis, si j'avais su, je n'aurais jamais

« mange morceau,

] 8 « Me nije laket da wad ker ien
« 'Vel ma je an houarn pe al' vein.

19 «Me a meuz diou c'hoar barz ar ger-ma,
« Prijent ket pleg' ho fenn da wela;
20 « Prijent ket pleg' ho fenn da wei a,
« 'Vit gwelet krouga ho c'hoar hena .

21 « Ha! dra sur, ma karje va lezvamm
« Bout roet d'in ma boed, del,lz ma ezomm ,

22 «( Me na vije ket sur bet kavet

« Tri de' korn al' parkik banalek,
23 « Tri de' korn ar parkik banalek,
« Heb dibri nag eva man ebet!

18 « Avant que j'eusse rendu ton sang plus froid que le
« fer ou la pierre.

19 « J'ai deux sœurs a la maison qui ne daigner-aient pas
« baisser la tête pour pleurer;

20 « Qui ne daigneraient pas baisser la té te .pour pleueer
« en voyant pendre Jeur sœur aînée .

21 « Ah! certes, si ma belle-mère m'avait donné ma

« nourriture selon mes besoins;
22 . « Je n'aurais pas étè trois jours au coin d'un champ
« de genéts,

23 « Ali coin d'un champ de'genèts, sans boire ni manger-!

24 « Entre Karahez ha Montroulez,
« . Ez euz eur bod koat karget a zrez .

« Liesoc'h a benn marv a zo enn han
« 'Vit na neuz el' garnel; el' ger-man;
26 « 'Vit na neuz er garnel, cr ger-man;
« Ha me meuz sikouret ho lazan. »

27 Mari al' CharIez a lavare
E barr ann huelan, pa bigne :

« Me ne refenn forz demeuz merve!.)
« Mar mije eun darn deuzma goulenn :
« Me garfe kavet kalon ma zad
« Etre ann douar ha plant ma zroad !. .. »

24 « Entre Carhaix et Morlaix, il y a un fourré rempli
« de ronces;

n'en est dans
c( Où il y a plus de têtes de morts qu'il
c( l'ossuaire de cette ville;

26 «Qu'il n'en est dans l'ossuaire de cette ville, et j'ai
« aidé à les tuer. »
27 Marie la Galante disait en montant le dernier degré de

la potence: .

« Peu m'importerait de mourir, si j'obtenais une

(c partie de ma demande:

« Je voudrais tenir le cœur de mon père, entre la terre

{( et la plante de mon pied 1. .. »

J'ai peine à reconnaître Marion du Faouët dans l'héroïne
de la ballade portant presque le costume de Mlle . de Mont­
pensier pendant la Fronde; mais passons sur cette fantaisie
du poéte: d'autres et plus sérieuses objections se présentent.
Comment l'auteur de la ballade, qui devait être contem­
porain et compatriote de Marie La Galante a-t-il pu, s'il
chante Marion du Faouët, se -méprendre sur le lieu de sa

naissance, de ses crimes, de son jugement et de son exé­
cution ~ La méprise sur le lieu de sa naissance ser~it d'au­
tant plus impardonnable que Marion était toujours de son
du Faouët .. Je sais · bien que, depuis
temps nommé Marion
Homère et probablement avant lui, la géographie a été,

. comme le reste, soumise à l'imagination des poètes popu-
laires. Qu'il leur soit permis de changer le théâtre des évè­
nements pour le rapprocher.des lieux où ils chantent, et par
là intéresser leurs auditeurs, rien de mieux! Mais, sous
./ peine de perdre toute créance, ils ne peuvent le déplacer de .
choquer l'évidence.
manière à
Le vieux chanteur qui, en 1840, chantait cette ballade à
M. de la Villemarqué avait pressenti cette critique; aussi,
subordonnant l'histoire à la fiction, ~ffirmait-il que Marion
du Faouët avait eu longtemps son repaire ' dans le bois du
entre Carhaiœ et. Jl1orlaiœ .
Squirriou (par. de Berrien)
. Cette allégation est absolument démentie par la procédure (1) .

,L'héroïne de la ballade attribue ses maux et les crimes

qui en ont été la suite au second m§triage de son père.
Marion du Faouët a vù au contraire mourir son père et se
remarier sa mère; mais ces deux femmes vivaient ensemble
et eri bonne intelligence; et Marion n'avait à se plaindre ni

(1) De même M. du Lescoët, pro('ureur du roi à Q,uimperlé, qui serait

aujourd'hui centenaire, disait à M. de la Villcmarqué que Mal'ion était
l'un noir
toujours accompagnée (comme dans la ballade) de deux chiens,
et t'autle blanc. Or aucun des témoins entendus ne mentionne les deux
chiens. on était trop avisée pour se faire ainsi reconnaître.

de sa mère' tl'Op complaisante pour eHe ni de sa sœur, ni
issu du second mariage, puisqu'elle les avait
du frère
enrôlés dans la troupe qu'elle commandait. -
Impossible, a mon avis, de concilier les faits de la ballade
avec ceux qui nous sont appris par la procédure.

Mais' n'y aurait-il pas eu, a une époque rapprochée de
Gelle où vécut Marion, màis avant elle, et de l'autre côté
de Carhaix, au voisinage du Squirriou, par exemple, une _
autre voleuse de grand chemin du nom de Marie? Celle:.ci
aurait-elle tué, assassiné? La postérité aurait-elle confondu

" les deux Maries ? Et la dernière aurait-elle ajouté à sa
renommée" comme un sanglant héritage, la renommée de
sa devancière ~

Notre savant confrère :M. Luzel, s'il n'a pas résolu le pro-
blème, que du reste il ne se posait pas, en a du moins pré-
paré la solution. .
Au tome 1 de ses Gwerzlou Breiz-Izel, Chants popu­
lalres de la Basse-Bretagne (1) il annonce un [jwerz recueilli
dans l'évêché de Tréguier (2) sous le titre de Maria CharLès.
Au tome II, il donne deux variantes de ce gwerz sous le
titre de il1ar[juerite ·Charlès (3) et un autre [jwerz faisant

suite au premier et intitulé les Rqnnou (4) .
. La première ballade est l'histoire d'une voleuse de grand
chemin qui exerçait son industrie dans Je triangle formé
pal' Carhaix, Morlaix et Lannion. Ce territoire comprend la

(1) Volume publié en f868 et couronné par l'Institut, au concours de
f869. V, p. 559. .
(2) Dont la limite ouest, comme on sait; était la ri vièrc de Morlaix.
(3) Volume publié en f874. P. 75 et 80.

lieue de qrève~ à l'endroit où la route de Morlaix àLannion

contourne la baie Saint-Michel.
Comme l'antique Œdipe, Marguerite Chari ès (1) a tué
sans le connaître; elle ne se rend compte de sa
son père
fatale méprise qu'en voyant le bonnet du vieillard sur la

tète d'un de ses complices. Elle a tué sa mère! En mourant

elle regrette la mort de son père, mais elle s'applaudit

presque du meurtre de sa mère!

Elle repousse uné honteuse proposition parce qu'elle

n'est pas mauvaise femme; mais elle reconnaît qu'elle a eu
enfant qu'elle a caché au milieu du feu.
Son repaire principal e'st à Coat-ann-Drezen (le bois de
la Roncière ou de la Roncerais), paroisse ' de Tréduder,

canton de Plestin.

A qui demande à « entrer dans le bois avec elle et ses
« compagnons », elle répond: « Il vous faut auparavant
« boire une pinte de sang, de sang d'homme, sachez-le

(( bien, .afin d'avoir le courage de tuer les gens sur le grand
(( chemin (2) »
-Enfin, le roi d'Espagne, apprenant ses forfaits « lève une
(( armée nouvelle » et envoie cinq cents hommes' ( pour
( purger le bois de Coat-ann-Drezen.
Mais le sifilet de la Charlès retentit et glace d'effroi les
soldats espagnols: ils n'osent entrer dans le bois ..... Par .'
bonheur, ils rencontrent le seigneur . de Kerariglas, gentil­

homme du voisinage (3), qui se fait fort de Jeur livrel'; la
Charlès.

Ce seigneur l'invite à ètre marraine de son enfan t nouveau

(j) M. Luzel ne voit pas dans Charlès un qualificatif, dont M. de la
(90, 227); mais un nom
Ville marqué indique le sens, avec le P. Grégoire

de famiUe. .
(2) Une des versions renchérissant encore dit : " il faudra boire
. chaque jour.... " . _
(3) Les ruines du château de Ket'anglas se voient encore dans la

paroisse de Ploumilliau, près de Lannion .

né; et, comme l'héroïne de l'autre ballade, la Charlès sc'
laisse prendre au piége.
ne meurt pas toute entière; elle a nourri les
Mais elle
Rannou, ces brigands de la lieue de Grève qui ont long-
temps détroussé les passants, les Rannou « dont les ex­
« ploits (me dit M. Luzel) défraient encore les récits des

« veillées dans les cantons de Plestin, Lanmeur, Plouaret
« et même plus loin. ».
Reste à expliquer l'intervention du roi d'Espagne pour la
répression des crimes de Marguerite Charlés. Ce détail
bizarre en apparence peut étre historique: il permet d'as­
signer une date aux ci'imes de l'héroïne, et à la ballade
recueillie par M. Luzel.
On sait que la Ligue ne craignit pas d'appeler à son
Espagnols. IJ~ débarquèrent en Bretagne, et, en
secours les
1596, ils se rendirent maîtres du château de Primel, pa-
, roisse de Plougasnou (1) et de quelques postes sur la côte
la lieue de Grève. Marguerite Charlés et les
voisine de
Rannou fermaient la route sur laquelle passaient leurs
convois; et l'intervention d'unu tl'Oupe 'espagnole pour as-
surer la roùte devient ainsi un fait au moins vraisembla­
ble. M. Luzel dit même qu'en 1598,' un détachement espa­
gnol fouilla le bois de Coat-ann-Drezen et dispersa les bri-
gands qui y avaient leur repaire (2).
Il résulterait de ce fait, que la ballade de
Marguerite
du Faouët;
Char:lés est de beaucoup antérieure à Marion

la ballade
et il ne resterait plus qu'à démontrer que
la ballade
recueillie à Quimperlé n'est q1!'une variantB de

(1) Dom Moricp-, t. III, p. 4,35.
(2) Ce curieux renseignement li été fourni à M. Luzel, par son parent
l'abbé Oaniel, mort il y à quelques années, cUl'é de Mur (Côtes-du­
Nord). M. Daniel était fils du juge de paix de Plestin, et, chercheur
infatigable, avait fouillé les archives de toutes les églises, commUlles et
chàteaux du voisinage.

Trécorroise : ce point établi, il faudrait conclure que Marie
Charlès de la ballade n'est pas Marion du Faouët.
Or, si on rapproche les termes des deux complaintes il
semble qu'elles sont issues de la même inspiration. Il y a
même un couplet de Pune 'qui, pour le sens, est la reproduc­
tion d'un couplet dé l'autre, sau~ le changement de lieu ;
Marguerite Charlès dit: .
«( Entre Morlaix et la lieue de grève, il y a un petit bois
« plein de ronces: il y a là autant de cadavres qu'il y en a
« dans l'ossuaire de cette ville. » .
Marie Charlès dit à son tour :
« Entre Morlaix et Carhaix, il y a un petit bois plein de
« ronces: il y a là plus de tètes ' de morts qu'il n'yen a
« dans rossuaire de cette ville. » (
Et, détail curieux: ce dernier vers est répété en allitéra­
tion dans les deux ballades!
J'ajoute que Marie Tromel n'était connue de son temps et
n'est connue de la' postérité que sous le nom de Marion du
Faouët ou de Marionnic Finefont, et, si la ballade a été
composée en son honneur, on ne s'explique pas que l'auteur
ait donné â l'héroïne le nom de Marie Charlès.
Tout considéré, je ne puis ' croire que cette ballade, qul ....
contredit les faits de la vie de Marion du Faouët, se rapporte '.

à elle. ( .

Mais dira-t-on, Marion dont le sou'venir vit encore au
Faouët n'a-t-elle pas eu sa complainte ~ N'a-t-on pas

chanté son sifflet merveilleux qui s'entendait à plusieurs
lieues.J ses cheveux enchantés qui sciaient le fer le plus
,dur ?.... Assurément oui, et tout récemment un vieux

. tailleur des environs de Guémené en donnait l'assurance.
chanter la complainte; mais la
Il a même commencé à
au quatrième vers, et la
mém.oire a fait subitement défaut

d-u chanteur n'a pu la rappeler.
bonne volonté

La complainte commence ainsi:
« Tré bourc'h Priziac ha Langonnet
« Diwallet d'och, mar hé c'havet,
« Mar hé c'havet gad' hi fotret
« Marionnic ag er Faouët.

C'est-à-dire:

(( Entre le bourg de Priziac et Langonnet,
(( Prenez garde de rencontrer
(( De rencontrer avec ses gen~

« Marionnic du Faouët. »
Voilà indiqnés dans ce premier couplet le nom populaire
et le lieu de'sa résidence ordinaire 1
de l'héroïne

L'obligeant correspondant qui me transmet ces vers a
dans son enfance chanter la complainte de
entendu souvent
Faouët; et il n'y était question de Carhaix ni
Marion du
Marie Chari ès ni du Mis de Rivière .
de Morlaix, de
La complainte retrouvée par M. de la Villemarqué' n'est
donc pas celle de Marion du Faouët. Quoiqu'il en soit, elle
sera la page la plus intéressante de ce trop long récit .

Je m'assure que la vraie complainte de Marion nous
représenterait l'héroïne sous un jour plus vrai que les mille

récits q1;li circulent sur son compte; et qu'elle nous mon-
trerait M.arionnicFinefont comme une fille folle de plaisir
mais non comme une sorte de Mandrin en jupons. Si la
, légende rimée eût peint Marion sous ces sombres couleurs,

chanterait encore comme . se chantent les gwerziou
elle se

de Marguerite Charlès et des Rannou ... C'est la règle; et
ce n'est pas seulement pour des brigands vulgaires qu'une

longùe renommée décorée du nom de gloire a été le prix
du sang versé ! .

J'ai essayé, dans cette étude faite sur des documents
Faouët sous son vrai
authentiques, de montrer Marion du
jour. EUe descend du piédestal sanglant que la tradition lui
a dressé; mais, si ces pages parviennent au Faouët, com­
bien d'incrédules n'y trouveront-elles pas t ..

J. TRÉVÉDY,
Ancien Président du Tribunal civil

de Quimper.