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TEXTES BRETONS DU MOYEN-AGE
_VWI>!'JI/Io'VV---
, L'accent patriotique et religieux des textes cités dans
l'étude sur la Poésie bretonne sous Anne de Bretagne (1),
est allé'au cœur de plus d'un membre de la Société archéo
logique du Finistère, et la publication intégrale de ces
documents précieux est demandée. Notre illustre celtisant,
M. W. Stokes, correspondant de l'Institut, à Oxford; y
prend surtout un intérêt philologique; il a bien voulu écrire , ,
à l'éditeur: I tl~-rust that gour health is aU tkat your
friends couLd wish, and that you witt soon pubLish . some
, more of the Middle B-reton texts (2) .
CQmment ne pas répo,ndre à son 'désir ~
Lui-même a réédité et traduit, aven un incomparable glos
saire, un livre d'Heures bretonnes etlatines"du XVe siécle, et
il est piquant de voir ce livre nous revenir imprimé ,de Ca
lcutta, au lieu de l'avoil' été à Quimper. Du moins est-ce
, à Quimper qu'on a réimprimé, au XVIIe siécle; lèS textes
des Noëls du temps de la duchesse Anne: ils l'ont été par
Georges Allienne, sous ce titre que je reproduis in-extenso:
, (1) Séances des 6 et 14 janvier 1883, t. X. p. 13 et 137.
(2) J'espère que votre santé est telle que vos amis peuvent le désirer,
et que vous publierez bientôt quelques autres textes bretons du moyen
âge.
AN NOVELOV
ANCIEN HA DEUOT
An 011 amantet corriget hac augmentet
a vn nobr re nellez
Quen Brezonec ha gallec
Gant Tanguy Gueguen
. Belec natif a Leon
Ymprimet e Qvemper Corentin
Gan t George AUienne
imprimevr dar Rove
Er palm cvrvnet
MDCL
C,'est-a-dire : (mais est-il besoin de traduire?)
Noëls anciens et dévots, tous amendés, corrigés et
augmentés' d'un certain nombre de nouveaux, tant bretons .
que français, par Tanguy Guégu,en, prêtre, natif du Léon,
imprimés à Qüiinpp.r-Corentin, par George A llienne, im-
primeur du Roi, à l'enseigne du PALMIER COURONNÉ, L 'an
Ces Noëls, qui appartiennent à la Bibliothéque nationale,
forment un pe.tit volume rarissime, in-l6 de 119 pages,
contenant quaraI1.te-n~Q'f cantiques bretons; deux en latin,
en français. . . .
cinq
Le 44 est la paraphrase de l'hymne latin, Conditor alme
syderum. Je commence par lui cette réédition; d'autres
le suivront, de temps en temps, . avec traduction, gloses
et remarques, s'il y a lieu.
CONDlTOR EN BREZONEC.
Voar ton an latin.
Conditor alme syderum,
Aeterna lu;)'J eredentium .
Crouer an steret a pedomp,
na dehomp da coll ;
Supliomp
Eo an guir goulaou enaouet
Ua quement parfet a cret·oU.
Christe, Redemptor ommum, .
E;)'Jaudi prp,ces supplicum,
Cleuet le.su· Chris.t, pep christen,
:So deuet .dOn dazpven a penet ; .
Pardonet oÙ deomp hon oIl crim ;
Gueneoch omp an lyh1 redimet .
CONDITOR EN BRETON
Sur l'air du latin.
1 . . Nous prions le créateur des astres,
Nous le. supplions de ne pas nous perdre;
C'est lui la vraie lumière allumèe
Pour quiconque croit tout parfaiteme.nt .
2. 0 Jésus-Christ, écoutez chaque chréti'en,
Vous qui êtes venu nous rach eter de peine;
Pardonnez-nous à tous notre crime entièrement;
Par vous nous avon's été délivrés des Lymbes.
QUL condolens inte1"itu
Mortis perire sœculum,
Dre truez ha carantezbras
allas! a poan ;
Te hon lammas,
an trugarez bezet
Bras eo
Da reiff deomp, remet en bet man.
Salvasti mundum langiddum,
Donans reis 1"emedium.
Gant Doue e saluet an bedys -: , ,
A yoa en languis ha tristez';
Ha pardonet, na l~q uet mar,
Gant Doue, hon car, .. ~ f.r1;lgarez.
Ve1"gente mu.Iid~ vëspe~e,
Uil spons.1fs d~ thalqimo,
5 . Un peU meurbeti; à.re'"pe~hedaou,
,Ez voe hon tadou caffâbuet ;
3. Par pitié et grande charité
Tu nous tiras, hélas!
de p'eine ;
Grande a été ta miséricorde ,
De nous donner remède en ce monde .
. ,< 1:. P al' Dieu furent sauvés les humains
Qui étaient dans la langueur et la tristesse,
Et pardonnés, n'en faites doute, •
Par Dieu notre ami .. plein de miséricorde.
5. Depuis très longtf'mps, pour leurs péchés,
Nos pères étaiei,t affligés;
En fin en bet ez eu cleuet pien
da bout 'den, maz omp prenet.
Doue
Egressus honestissima
Virginis mairi~ elausula.
6. Emaes a un merch so guerches,
Man ha maestres a onestet,
Illuminet an Speret glan '
Voar an bet man ez eo ganet.
Cujus Jorti potentia
curvantar .omnia.
Genu
7. Da Iesu, creff en pep queffer;
Euel han crouer an querchaff,
Dan maro han beo eff eo an Roue,
dIe don Doue desaff stouer.
A la fin, au monde est vraiment venu
Dieu se faire homme, dont nous sommes les
[affranchis.
6. Sorti d'une fille qui est vierge,
Exemple et modèle d'honneur,
,Et illuminée par l'Esprit saint,
est né dans ce monde.
sans pareil,
7. A Jésus, le fort
Comme à notre créateur le plus cher ;
A lui qui est le ro.i des morts et des vivants
Nous devons étre SOUIllis comme a notee Dieu.
Cœlestia, terres tria
Nutu fatentur subdita .
.8. En enff, en douar, guir barner,
En enouer, en douger creff,
Eff eu an barner souueren
A souten den corff hac eneff.
Te depre.eamur, agie,
Venturi jude;t. sœ.culi.
9. Ny hoz pèt, Iesu.f cuff, vuhell,
Chu eu santel an uvhelhaff,
Ouz omp pep tu hoz bet truez,
Pan duy an deruez diuezaff.!
Conserva nos in tempore
Hostis ateLlo (sic) perfidi.
10. Hon, myr, hon Doue, bourch ha ploueys,
Ouz an Adzrouant, digoantis, . ' ..
8. Au ciel, en terre, lui, le vrai juge,
On le craint, on le redoute beaucoup,
Lui, qui est le juge souverain
Qui soutient l'homme corps et âme.
Nous vous en prions, ô Jésus, doucement, hurilble-
Vous qui êtes le saint par excellence; [ment,
tout côté ' .
Ayez pitié de nous de
Quand 'viendra la dernière journée .
o Notre Dieu, gardez-nous.! bourgeois et paysans,
. Du Démon,. la laideur même,
A so 0 stat a deouc ut ys
Clasq tl'Ompaff bepred an bedis .
Maria, mater gratiœ,
M ater -misericordiœ.
11. Moz pet hu, Mary graciu~,
Mam da Iesus eurussaff,
suply a lyes,
. Euid omp
Chui so en lez maestres nessaff.
Tu nos ab haste protege,
Et hora mortis suseipe.
Ha ouz an drouc eal cruelhaff, '
En hoz pedaff an quentaff pret,
En eur an mal'O so garo ha ten
Mam Doue, Roue'n glen, hon diffennet.
Dont la profession est d'exciter au mal, .
, De. chercher à tromper toujours les humains .
11. Je vous en prie, vous, gracieuse Marie,
Très heureuse mère de Jésus,
souvent pour nous
Intercédez
Vous qui êtes près de lui maîtresse
dans la Cour
[ céleste] .
12. Et contre le mauvais ang~ très cruel,
- Je vous le demande tout d'abord, -
• A l'heure de la mort qui est dure et rude,
· Mère de Dieu l'oi clll monde, défendez-nous.
Laus; honor, virtus, gloria •
.. Deo Patri et Fiuo,
Sando simul Paraelito
· In sempiterna sœeula .
Na vezet christen nep heny
Na gray dan Drindet meuleudy,
Dan Tat, han Map, e pep abry, .
Han dan Speret glan letany.
. Amen!
13. Qu'il n'y ait aucun chrétien
Qui ne rende gloire à la Trinité,
Au Père et au Fils ,en chaque demeure,
Et à l'Esprit saint qui procède d'eux!
" Amen!
GLOSES ET REMARQUES .
Cette pièce offl"e un double intérêt, lexicographique et
- rhythmique.
Les mots intéressants sont les suivants:
. Strophe 1. . ENAOUET ; Poëmes bretons du moyen âge,
282, ennouet, inspiré. Enaouet, allumé, animé (Troude).
Racine, eneff, anciennement enem, de anima.
Strophe 2. PENET, P. br. du moy. âge; 239., peine,
malheur, de penitentta; en fr. du Xe siècle,pénet. (Littré) .
Dans le Cartulaire de Landévennec (IXC siècle), pénit .
Ibid. - LYM.; Lagadec, lim, limbe: c'est une partie d'en-
fer où furent les premiers parentz avant laduenement nos-
. tre Sauluer Iesu-Christ. REDIMET, l'édimé, redemtus.
Strophe 3. BEZET, part. passé, auj. bet. REIFF ~ auj./'ei.
Strophe 5. CAFAOUET, p. p. du y. eai!oeajf, Poëmes
bretons,80; subst. eafuoz, douleur, Ibtd. ' Dans les Borae
britonnieae, CAFU, pl. cafuou, 55 (W . Stokes) ; '3 uj. eanvou,
deuils. ' ' ' ,
, Strophe 6. , . MAN, Poëmes bretons, 90, mine, sem-
blant, apparence.
Strophe 7. Au lieu de en pep quejfer, je crois qu'on
doit lire "hep pep quei!er, ce qui répondrait à hep queifer,
sans comparaison, que je lis aussi dans le Trémenvan~ 77 .
STOUER, infinitif passif de sioeai!, fléchir (Lagadec).
Strophe 8. ENOUER; infin. passif du verbe enoeiff.)
comme DOUGER, de dougaif, craindre, doubter (Lagadec) .
Strophe 9. CUFF, doulx (Lagadec), en irlandais coim.)
est pris iCi adverbialement; vuheLl.) humble, uuel (Lagadec)
l'est de même; CHU, auj. hu et e' houi. Le mot uvhellai! est
le superlatif de uvhel, dans les Horae Briton., 46; , uhelafu, '
le plus haut.
Strophe 10., PLOUEYS, dans la destruction de J éru-
salem, ploeys, compatriotes (Le Pelletier, 708); ADZROUANT,
auj. aerouant; DIGOANTIS, de di privatif et de coantis,
beauté, Poëmes bretons du moyen âge, 259. ,
, Strophe 12. GLEN, pays, monde; Poëmes du moyen
âge, 278. Sainte Nonne, p. 1.
Strophe 13. ABRY, peut répondre au mot français, et
signifier; comme lui, demeure sûre, lieu de protection,
forteresse, du latin aprieus, exposé au soleil (Littré).
Ibid. LETANY, signifie procession dans les Poëmes
bretons du moyen âge, 285; ici il paraît signifie'r « qui tn'o-
c~de », comme l'Esprit saint procède du Père et du Fils.
A moins qu'il n'ait été créé, pour le besoin de la l'ime,
du radical lit, cérémonie, rite, comme le soupç.onne
M. Luzel. En tout cas le sens est douteux. '
Plus enco're que le style de la pièce" sa forme rhythmi
que est remarquable : elle n'avait pas encore été ob
servée dans la poésie bretonne. Sauf les strophes 10 et 13°,
les autres n'ont pas plus de rime que l'hymne latin, à la
fin des vers; elle est placée au sixiéme pied du second
vers,"' dans l'intérieur de chaque quatrain, dont la- mesùre
est octosyllabique, comme le latin, mais qui n'est pas scandé
de même; le , breton ne procédant pas par dactyles, tro-
chées, crétiq ues, etc.
(1 strophe) pedotnp ne rime point avec le mot
Ainsi
coll qui termine le second vers, mais avec dehomp, qui est
à l'intérieur; ainsi enaouet rime avec a cret et non avec
olt ; ' ,
Ainsi (2 strophe), Christen rime avec dazpren, .et non
avec penet, et crim avec lym, et non avec redimet;
Ainsi (3 strophe), bras avec allas, bezet avec remet.
Cependant, il y a quelques rimes finales, croisées: té
moin coll (Fe strophe du 2 vers), rimant avec oll du 4 ; té-
moin prenet et redimet (2 strophe), poan et moan (3 st1'o-
phe), trystez et trugarez (4 strophe). .-
, Indépendamment de ces rimes diverses, l'allitération ou
l'assonnance rég:1e partout; il y a méme excès de richesse
en ce genre: les 'anciens versificateurs bretons étaient des
raffinés; ils fesaient méme de l'art aux dèpens de la vraie
, poésie. Le roi des vers, Ronsard, eût été' émerveillé de
leurs tours de force. Mais je suis de l'avis d'Alceste, je
prèfère la chanson sans art et naturelle :
J'aime mieux ma mie,J oh gay 1
J'aime mieux ma mie!
Ma mie est la poésie rustique.
H. DE LA VILLEMARQUÉ.