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Bulletin SAF 1883


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Construction des flèches de la cathédrale de Quimper

Bigot père

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,Par suite du départ de Mlle Le Men, qui quitte Quilll·
per, la Société archéologique sera 'appelée; dans sa

prochaine séance, à nommer un C~nservateur ,pour
la Commission de surveillance,
son Musée ainsi que
conforrn8rnent aux dispositions arrêtées dans la séance

du 9 octobre 1880 (1) .

_ • • CL] i: . " _ ,

CONSTRUCTION DES FLÈCHES DE LA CATHÉDRALE

DE QUIMPER

Je rencontrai tin jour M. de Blois (de Morlaix), ancien capi-
taine de vaisseau et doyen des archéologues bretons. Il m'ap-
prit qu'il venait de dépos~r dans la Bibliothèque de l'Evêché

un manuscrit de son oncle. l'abbé de Boisbilly, ancien cha-

noine de Quimper. Cet écrit daté de 1770 contient nombre de
l'enseignements relatifs à l'église, l'ipdication des vocables
des ancümnes chapelles et la description des armoiries des
anciennes vitres; il a été mis à profit par M. Le Men dans
sa Monographie de la Cathédrale. M .. de Blois rne témoigna

le regret de ne rien truuver dans le manuscrit sur la cuns- ,
truction projetée des flèches qui devaient surmonter les
tours. « Toutes mes recherches, disait-il, ' ont été vaines.
Au moins voudrais-je savoir la hauteur que Bertrand de
Rosmadec comptait donner à ces fléches et je l'indiquerais

dans une hote à la fin du mauuscrit. »

Je ne devais pas revoir M. de Blois, mais le désir
- exprimé par ce vénérable vieiUard me donna l'idée de .cal­
culer sur place la hauteur des flèches. .

(f) Voir le Bulletin de la Société, tome VIII, page ilS •

Un jour, je montai seul sui:' le sommet d'une des tours.
J'y retrouvai les amorces des flèches principales élevées
mètre et demi; et j'en relevai très-exactement
d'environ un
le plan. J'avais mesure et dessiné la plupart des clochers du •
~n faire une ètude comparati ve; etj 'eus bîent6t
Finistère pour
saisi la forme que devaient avoir les baies principales. A

l'aide des cotes relevées, il ne m'a pas été difficile de cal-
culer la hauteur exacte des flèches. . Quant aux quaÜ'e
clochetons d'angl~ qui devaient cantonner chaque flèche,
il était plus difficile d'en retl'ouver la hauteur et le plan.

Cependant je finis par découvrir, sur le dallage supérieur

d'une-des tours, la silhouette, a l'état de pénambr'e d'un

des jambages-d'un clocheton.

La-dessus, j'exécutai le d-es8in des flèches et j'en dressai

le devis; puis je déposai ce double travaIl dans mes cal'­
tons où, selon mes prévisions, il devait dormir a jamais.
Quelques mois plus tard, Mgr Graveran,de sainte ménioire,

pour quelque réparation au palais épiscopal.
me fit appeler
Le valet de chambre de· l'évêque en me remettant sa lettre~ y
ajouta, mu tu proprio, un avis auqu(;ll son maître n'avait pas
songé: c'est que le rideau de la fenêtre de la chambre de
l'évêque avait besoin d'ètre remplacé: nous étions ' en
1852 et le rideau datait du commencement du siécle ! ~

J'ai gardé fidèle souvenir de cette entrevue qui allait être
le point dl3 départ de la construction des flèches et je
demande la permission de la rappeler en détail. On retrou­
dans ce récit l'aménité et la ~implici{é du prélat,
. vera
qui n'avaient d'égale que son inépuisable charité.

L'évèq_ ue m'entretint de la l~éparation qu'il me demandait, -

et avant de me retirer, je lui exposai la demande de son
serviteul'.

A cette _ proposition, Mgr Graveran dit gaiement :
« Con~ment! il Y a un rideau dans ma petite chambre ou
l'ail' manque déjà ? l'vIais non,- Joseph sJest trompé.

. « Allons voir s'il n'a pas menti; ce serait la première
« fois de sa ·vie.»

. Et entrant dans la chambre attenant au cabinet de
travail: ({ Oui, il y a là quelque chose 1 » Et le vent de la
fenêtre ouverte fit voltiger clevant nous quelques parcelles
du vieux rideau .
L'Evêque debout devant la fenêtre d'où se voient les tours
me dit alors: 0
({ Que vous remplaciez le rideau, ce n"est pas là ce qui

« i.mporte... Mais regardez là-haut... Quand j'arrivai à

« Quimper, comme économe du Séminaire, quelle tristesse
« en voyant les tours coiffées de leurs lourds chapeaux de
« plomb 1 On en plaisante, on les nomme des éteignoirs ...
« Puisqu'on ne peut couronner de flêches le vieil édifice,
« mieux vaudrait enlever cette ignoble couverture.
« Cependant quel bel effet feraient là des flèches couron-
« nant ces tours! Mais on n'y peut songer .• ,
« Il n'existe ni plan ni document nous révélant la pensée
« de Bertrand de Rosmadec.
« La hauteur que l'architecte du XVe siècle comptait
« donner à ses flèches, on ne la sait même pas; et M. de

« Blois n'a pu la trouver. »

L'Evêque s'arrêta tristement. ..

.. « Mais Monseigneur, cette hauteur, je la sais.

-' « Où donc l'avez-vous trouvée ~
- « Là-haut.

. . « Ah ! .. ; et quelle est-elle f
o . « Je ne puis vous la dire en ce moment; mais je l~ai

«( étabhe en faisant un projet de flèches .
o _ « Un projet de flèches 1 Qui donc vous l'a demandé ~
- « Personne, Monseigneur. Je l'ai fait comme étude.
Et je racontai. brièvement ma conversation avec ' M. de
et les recherches qui .en avaient été la suite.
Blois

L'Evê"que joyeusement surpris et tout ému me dit alors:
« pouvez-vous me montrel' vos plans~.". » "
Dix minutes ne s'étaien t pas écoulées que mes cinq
se déroulaient sur le parquet. Le prélat les
feuilles de plan
examina avec attention et avec une joie qu'il ne cherchait
pas à cacher, tantôt s'ageno~illant pour les voir de plus
près, tantôt se mettant à distance pour en saisir l'ensemble.
Tout à coup, après un Il:lOment de silence: « Votre projet
« s'exécutera ... et j'en serai bien heureux. »
Alors je dus faire des objections :' l'âge des tours, vieilles
ans (1), les piet're~ salpêtrées, les vides, les
déjà de 430

la maçonnerie intérieure, les nombreuses
porte-à-faux de
pierres feudues sous la charge, l'absence de ressources
financières, la défense fai te par une récente circulaire de

demander aucune allocation pour de semblables réédifica­
à supposer que le diocèse fournit
tions, l'impossibilité, •
l'argent nécessaire, d'obtenir l'appl'obation de l'État;· . la
malheureuse expérience de Saint-Denis, la seule de ce
genre qu'on eût osé tenter depuis trois siècles, et qui avait
• produit l'écrasement des vieilles tours. Je conclus tris­
tement: « ~e parlons plus de ce projet, Monseigneur .. Je
« regrette presque de vous avoir communiqué ces plans qui
« ne peuvent être exécutés. » .

- « Soit, 'dit l'Evêque; restons en là pour aujour:d'hui,
malsJ y songeraI. »
Deux mois aprês, l'évêque me manda de nouveau.
- «( Vous rappelez-vous, me dit-il, notre conversation
sur votre projet de ft.èches ~ Vous m'avez fait beaucoup d'ob­
et de bien graves. J'y ai songé depuis. Nous ne
jections
demanderons pas de fonds à l'État, nous pourrons nous en
passer. Quant à la responsabilité qui vous effraie, vous ne •

.ct) La pyemière piefl'e de la tOUI' occidentale a été posée Je 26 juillet
(Cete de saillie Anne) iJ24. (Cart . de l'Evêché et Nécr. des Cordeliers) •

. ,la porterez pas seu1. J'appuierai le projet, le Minrsü-e des
Cultes enverra' un Inspecteur ' général. Ce n'est qu'après
. son avis favorable et l'approbation officielle du projet que
vous bâtirez; calmez donc vos inquiétudes. »
Et comme je ne me rendrais pas, tant l'entreprise · me
paraissait audacieuse: « Je p.e vous demande pas, ajouta
Mgr Graveran, une résolution immédiate; mais, j'ai con-
fiance en vous ; le temps des travaux de consolidation
dissipera .vos craintes.» .

. « Mais, repris-je, à supposer que l'on puisse bâtir sans
danger, où trouver les fond::; nécess~ires? »
_. « J'y ai pensé, répartit l'Évêque, je ferai appel à tous
mes diocésains ... Combien faut-il d-'années pour l'achè­
vement de l'œuvre ~ Admettrez-vous que cinq ans suffisent Y

- « Oui, assurément.

- « Eh bien, pour réaliser votre projet, il faut 150,000 fr.
30,000 francs par année, pendant cinq ans. Je demanderai

à chacun un sou pour saint Corentin. La population du
Finistère est 4e 630,000 habitants, je ne compte que
600,000 ; les plùs pauves mêmes voudront. donner leur
sou; je compte 600,000 sous annuellement ou 30,000 fr.ancs.
Vous voyez que par ce moyen l'œuvre sera payée (1). »
La confiance de Mgr Graveran entraina lil mienne et
m'encouragea. Je IJle mis à relever par section, de la
base au sommet, la coupe des tours, afin de reconnaître les
les plus faibles et de les consolider, travail Ïndis-
points
pensable et sans lequel les tours èt les flèches auraient eu
sort que celles· de Saint-Denis.
le même
Le projet tel que je l'avais conçu fut adressé par M. le

(f) Le devis était de {53,979 fr. 85 c. La dépenstl totale, en y .com­
prenant les travaux préparatoires de consolidation. les é~hafaudagest le
rétabli~semr.nt de la statue du roi Grallon, a éte de f49,740 fr. 86 c -,
· 4,238 fI'. 99 c. au-dessous du deVIS.

Baron Richard; alors Préfet du Finistère, à M. le Ministre
des Cultes. M. Raynaud, inspecteur ,général des édifices
diocésains, vint à Quimper; il fit faire des fouilles pro­
foudes au pied de chaque tour pour reconnaître les fonda-

tions qui.'reposent sur le galet (ancien lit de la rivière); il
vérifia tout par lui-même et donna un avis favorable. La

construction' fut autorisée.
La première pierre fut posée le 1 mai 1854 par Mgr Gra·
veran; et, après dix-huit mois le 10 août 1856, les flèches
étaient achevées (1)
Mgr Graveran n'eùt pas la joie de voir d'ici-:bas ses flè-

ches terminées: il était mort le ter février 1355; mais

l'honneur de cette construction lui reste. C'est très-justement

que le' modéle en plâtre des flèches a été déposé auprès de
f?on tombeau. ,

Mais il ne suffit pas de ce pieux hommage. La posté-

rité. doit associer dans un reconnaissant souvenir le nom

de Mgr Graveran â celui l'évêque Rainaud qui commença
, la constru.3tion de l'église au XIIIe siècle, et au nom resté
si populaire de Bertrand de Rosmadec, qUI en ·édifiant pour
la plus grande partie, le transept, la nef et les tours fit
plus à lui seul que tous ses prédécesseurs ensAmble,

J, BIGOT PÈRE

Architecte diocésain,

Après ce récit qui a tenu sous le charme les audi­
, M. le Président Trévédy demande à faire
teurs,
quelques observations: '
( C'est le 10 août 1856, .dit il, que la ville de
Quim'per pût, pour la premièr~ fois, admi~er les flèches -.

(1) ~e mai!re maçon (!l'oublions .pas son nom) était Pierre Nestour,
de QUimperle. Il se fit gumdel', au somm.et, à caHourc~on sur la pierre
du couronnement, et fit, en arrIvant, le sl~ne dB la C.IOlX. . .

de la cathédrale, débarrassées de leurs échafaudages.
Il faut rappeler cette date, car il a suffi de quelques
années pOUl' donner aux flèches la même teivte qu'aux
tours élevées il y a quatre siècles et d~mi ; ·et l'étran­
ger qui regarde la cathédrale· croit que tours et flèehes
onf le même âge; heùreuse méprise toute à l'honneur
de l'art;hitecte !

. ( Comment ' lY.l Graveran, déjà vieillissant et tou-
chant al! terme de son laborieux épiscopat, conçut la
pensée de reprendre l'œuvre de Bertrand de Rosmadec ;
comment il ,se procura les ressources d'argent
nécessaires, ' nous venons de l'apprendre de M. Bigot •

ft Ce qu'il ne dit pas, c'est la part qui lui revient à
dans l'œuvre qu'il a si heureusement projetée
luj-même
et menée à fin. Mais les flèches qui dressent si hardi­

ment leurs arrêtes vers le ciel parlent pour l~ur
architecte.
« Ce u'est pas un mince mérite en commençant à
. bâtir, à quarante mètres de terre,d'achever en dix-huit
mois un tel travail; et c'est merveille que d'avoir
tout prévu et d'avoir calculé si juste que le' chiffre
du devis n'a pas été tout à fait atteint. »
En remerciant M. Bigot de son récit, un des plus
attachants qui ait été faits à la Société, et surtout en le
félicitant de son chef-d'œuvre, M. de La Ville'marqué
. croit devoir ajouter un dernier éloge à ceux que
mérite si bien l'auteur des flèches de Saint-Corentin:

il rappelle les vers de Brizeux:
Comme sa I~athédrale, aux deux tours dentcléc~,
S'élèvf\ noblement du mIlieu des vallées!
o perle de J'Odet, fille du roi Grallon,

Réjouis·toi ; Kemper, dans tes,vieilles !lli.lrameS !

Tout le mon'de sait par cœur ces ve~s et les répète
en apercevant les belles tours de la cathédrale. Ce qu'on
M. le Président, c'est qlle les étran­
ignore, continue
gers les admirent tant qu'ils les attribuent à M. ViolIet­
Duc: une note d'un volume ilIu~tré par M. Cal­
decott, le dessinateur anglais à la mode, intitulé

BRETON FOLK,an artistic tour z'n Brzïtany (1 ),est ainsi
conçue: « Nous pensons que c'est à M. Viollet-Le Duc,
dont le goût comme architecte et le génie sont si
connus en France, que l'achèvement de ces tours est
principalem~nt dû (p. 103). . .

Voilà un compliment dont l'architecte breton, notre
honorable et trop modeste confrère, ne peut être que

très flatté. .

Pour le Secrétaire empêché,

A. SERRET .

(1) LR ~ IiUPLR B8~TON. 'voYf!-ge f/.'un, a~ti.'te e~ IJasse-Bretagne, par
B,lac~burn, avec cent lSOI:unte-dJx 1I1ustratIOlls de R. CaJdl'cott.
. Henry
Ulldlpg, 188, flect. Street, t880). . .