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LES FOURCHES PA',I'IBULAIRES DU FIEF DE QUEMENET.
L'année dernière, je signalais l'exact emplacement d'un
O'ibet sur le versant de la colline voisine de Quimper, entre
l'ancienne route de Douarnenez et,la route de Pont-l'Abbé;
et je recherchais à laquelle des Hautes-Justices s'exer
çant à Quimper appartenait ce gibet (1),
On lit dans l'aveu rendu au Roi, le 30 octobre 1730, par
René-Afexis Le S.énéchal,comtede Carcado, marquis de Pont-
Croix, (2), alors gouverneur de Quimper: « D'avantage la sei-
« gneurie lige sur le manoir de la Palue en la dite· paroisse . · ......
« (de Penhars), bois et autres appartenances et dépen-
« dances; et dans une montaigne dépendante du dit manoir
« appelée la montaigne de Roc'han, sont sittués les pati-
, « bulaires de la dite juridiction de Quémenet, où sont
« gravées Les armes du dit Seigneur: lesdits patibulaires
« estants en quatl'e poutres, » Art. 2203" f0364, VO (3).
Pour le dire en passant, ce nom de Roe'han est une
forme ancienne du nom de Rohan. La seigne'urie du Qué
menet appartenait autrefois à la principauté de Léon; et le
nom de Rohan se retrouve dans celui de Stang-Roc'han
(par. de Pluguffan)" où se voient les vestiges d'une de ces
(f) V. Bulletin de f882 : rr()menade à la montagne de la Justice et
à la tombe de ' Tanguy , p. 36 et suiv. .
(2) Le marquisat de Rosmadec. érigé eil f60S avait été, par lettres .
patentes de février f 7f 9, continué sous le nom de. Pout-Croix, en
par
faveur de René-Alexis Le Sénéchal. L'important aveu rendu au Roi
le pl'emier marquis de Pont-Croix appartient à M. Le Bris-Durest,
o notaire à Pont-Croix, qui a bien voulu me le communiquer. Il ne
402 folios doubles, ou &04 pages!
contient pas moins de
(3) Quatre poutres ' supposent cinq piliers s'ils sont rangés sur une .
seule ligne, et quatre seulement si mis deux à deux ils font un
petit édifice carré.
On peut s'âssurel' que les piliers de Quémenet étaient au nombre de
quatre, et pour deux raisons: fO si le seigneur en avait eu cinq, il
n'aurait pas ·manqué de le dire; 20 le nombre de cinq n'était pas en
usage: on lit dans Ferrière, v , Fourches patibulaires, : (( A l'éga rd du
(( nombre des piliers, il y en a deux, trois, quatre ou six, selon le
« titre et la qualité des fiefs. (( _ .
BULLETIN DE LA Soc. AnCHÉOL. DU FINISTÈRE. - TOME X; ,
tours isolées, dites ehâteauœ à mottes, du Xe ou XIe siècle;
cette tour a pu étre autrefois le chef-lieu du fief.
Cent ans environ avant la date de l'aveu (1634) les Béné-
dictines ou Calvairiennes s'étaient établies' au manoir de la
Palue; et c'est par réminiscence ou en copiant un ancien
seigneur mentionne le manoir, au
titre, qu'en 1730 le
lieu de dire, comme on le voit en nombre 'd'actes plus an-
ciens, le cou'vent du Calvaire (1) •
Or, le Calvaire relevait prochement du fief de Pratan-
ras, qui lui-même relevait Ç1u fief de Quémenet. Ces deux
. fiefs voisins ainsi superposés avaient chacun leur Haute
Justice, qu'ils exerçaient à Quimper dans la salle basse du
couvent des Cordeliers. La question de propriété du 'gibet
pouvait donc se poser entre Pratanras et Quémenet; mais
elle me semblait résolue en faveur de ce dernier fief par le
texte cité plus haut et par des circonstances locales sur
lesquelles je n'ai pas à revenir .
Deruis, j'~i pu retrouver et j'ai cité dans une autre
étude (2), un aveu rendu par le duc d'Arenberg, seigneur
Pratanras, le 27 novembre 1751, et réclamant ses pati-
bulaires « à quatre piliers, aux issues du manoir de Pra-
« tanras, sur le grand chemin .de Quimper aux villes de
« Douarnenez et de Pont-Croix.» Les patibulaires de Pra-
tanras étaient donc à trois kilomètres au moins du lieu où
, se dressait le gibet élevé sur la montagne de Rohan,
Je ne songeais plus aux patibulaires de Quéménet,
lorsqu'une révélation très-inattendue de M. l'abbé Leguen,
curé de Penhars, m'y a tout à coup ramené.
« J'ai trouvé, me dit joyeusement M. Leguen, les piliers
(1) Le Calvaire est a\ljollrd ~hui le Séminail'e. Le nom de 'Calvaire est
conservé à la mPiairic voisine, dépendant anciennement du manoir de
la ralue, puis du COll vent. _ .
(2) V. Bull. de i883, Promenade à Pratanras, 2 partie, p. 6t.
. « de la Justice! Ils existent, dans un parfait état de conser-
« vation, au village de Kerlezanez, au-dessus du lkloulin- '
« Vert" sur la route de Guengat. ». •
Je courus à Kerlezanez (1). Laje vis quatre colonnes ou
plutôt quatre pIliers en maçonnerie de granit soutenant un
hangar, deux sur 'la façade et les aut.res a l'arrière .. -
Comme je me récriais un peu hypocritement sur le luxe
de ces poteaux, deE'. voisins me répondirent d'une voix
unanime: « Mais ils n'ont pas été faits pour le hangar;
« ils viennent de la Justièe sur la route de Douarnenez »
et ils me contèrent ce qu'on verra plus loin.
Les quatre piliers sont cylindriques: ils ont 1 m. 8'3 c. de
. tour, ce qui donne à peu près 59 c. de diamètre (2) . Le fût
mesure 2 métres de hauteur. Les deux piliers de la façade
reposent sur des bases avec moulures, de 20 c. de hauteur,
'; ayant à la partie supérieure la même circonférence que le
fût, et mesurant 2 ·m. 20 c. de circonférence ou 73 c .
de diamètre dans la partie inférieure.
Les deux piliers pl.acés à l'arrière du hangar reposent sur
deux pierres circulaires de 12 c. d'épaisseur, sans orne
ments, et qui semblent des socles, très-irréguliers au
point de vue des règles de l'architectul'e" comme on le verra
plus loin.
Les chapiteaux manquent aux quatre piliers. Il semble,
à première vue que les bases des deux premières colonnes
soient des chapiteaux placés sens dessus dessous .
(f) Kerlezanez (vulgairement .Kerlazané) e~t nnvillage de deux feux
au plus. Il est situé entre les deux route~
à une demI-lieue de Quimper
de Guengat et de Douarnenez; mais il est caché dans les arbres et ne
se v~it pas de~ routes. . On p~ut s·y. rend re par le cb,emin qui part de
Pontlgou ; malS ce chemm est ImpratICable par endrOits. II vaut mieux
monter la route de Guengat J~squ'à la hauteur d'un ~ralld pin-parasol,
au·dessus de Kereyen La barl'lere des chdmps de I{ellezanez s'ouvre à
gauchI;) de la route. " . Il Y a aussi un sentIel' assez difficile q11Ï ltant la
au coin du parapet de pierre vis-:l-vis de Kereyen.
route de Guengat
(2) Je puis indiquer comme point de comparaison exacte les (',olonne
. de la salle des Pas perdus, au Palais de Justice de QuImper .
. Dans la maison voisine, se t.rouvent deux pierres avec
moulures, placées aussi sens dessus dessous. Elles me-
'Surent dans la -partie qui 'repose sur le sol un diamètre
• égal à celui des fùts (59 c.)et dans la partie supérieure, un
diamètre égal au plus grand diamètre des pierres employées
comme bases. Ces blocs ont de hauteur 30 c. au minimum
au-dessus du pavé qui er.. recouvre une partie.
Il est très-vraisemblable que ces blocs servaient de bases
à deux des piliers du gibet. Les deux pierres placées au
pied des deux premiers piliers étant des chapiteaux, chacun
des piliers du gibet aurait eu une hauteur de 2 m. 50 C., au
mOlDS.
Les piliers du ' gibet étaient, d'après la description -de
l'aveu, unis par des poutres, dans lesquelles étaient fixés les
crochets ou les chaînes servant à suspendre les corps des
suppliciés. La hauteur de 2 m. 50 c. était évidemment in-
suffisante, même en supposant les bases posées sur une
maçonnerIe .
No"us trouvons sur les lieux mèmes la preuve que les fûts
soutenant le hangar n'ont pas leur hauteur originaire.
En effet, on nous montre: dans la maison voisine, plu-
sieurs pierres demi-circulaires employées dans une maçon- -.
nerie de 60 centimètres de hauteur, et deüx autres, seIP-
blables employées comme pavés; dans l~ perron de la
. maison, deux pierres circulaires; près d'une étable voi-
sine,deux pierres demi--circulaires-, et dans 'la maçonnerie
. de cet édifice, au moins six autres pierres demi-circulaires;
- enfin, à un kilomètre, dans une prairie que traverse le
ruisseau . descendant de Pratanras à Pontigou, deux pierres
demi-circulaires.
Toutes ces pierres, au nombre d'une vingtaine environ,
ont le même diamètre ' que les fûts aujourd'hui debout.
Supp0sons qu'on en forme un fût, 'il aur.a une hauteur d'au
moins 3 mètres; qu'on partage cette hauteur entre ]es quatr.e
piliers, on a pour chacun 75 centimètres à ajouter à la hau
teur de 2 m. 50 c. : chacun des piliers avait donc prîmiti
vement 3 m. 25 c. au-dessus de son soubassement.
Notre confrère M. Bigot, architecte du département, a
bien voulu m'accompagner dans une visite à Kerlezanez.---
Si les colonnes étaient régulières,leur hauteul' calculée à
7 fois leur diamètre, comme clans l'ordre ,toscan, devrait être
au minimum de 4 m. 13 c.; mais, la règle d:après laquelle
les colonnes diminuent de diamètre vers le sommet n'ayant
pas été observée, il $el'ait téméraire, remarque avec raison
M. Bigot, de supposer que la règle de proportion entre le
diamètre et la hauteur du fùt ait été plus exactement suivie.
Une des pierres entrées dans la construction de l'étable
et une de celles trouvées dans la prairie méritent l'atten
tion: chacune porte un écusson surmonté d'une couronne.
Sur la première, l'écusson est tourné à l'intérieur de la
maçonnerie, à l'endroit où glisse le pêne de la serrure; il
est facile cependant d'apercevoir sur cette pierre trois
macles rangées verticalement; la main en tâtonnant dans
l'épaisseur du mur reconnaît deux autres rangées de trois
macles. Sur la' pierre de la prairie se voient du premier
coup d'œil neuf macles Bo ' 3, 3.
Les macles en ce nombre et ainsi disposées étaient, aux
derniers siècles, les armes des Rohan, des Molac et des Le'
Sénéchal de Carcado, peut étre juoeigneurs de Rohan (1).
Comme nous allons le voir, QuéÏnénet a appartenu succes-
sivement à des seigneurs de chacune de ces maisons. Cette
circonstance complique le problème: pour le résoudre . il
faudrait reconnaître les émaux: qui ,seuls différencient
nous
, les écussons des trois famiBes (2) ; mais les pierres ne por-
(f) V. Ogée Vis Saint-Gonnery ct Molac et la leUre de Dom Morice
citée par l'auteur. ' ,
(2) Les Rohan pOl'lent de gueule à neuf macles d'or; les Molac
de , gueule à neuf macles 0 à'argent ; les Le Sénéchal d'azur à neuf 0
macles d'or. ' .
tent pas tr-ace des signes con\'entionnels- indiquant les
émaux, et il semble cedain que ces signes n'y ont pas été
-geavés. On sait, en effet, que c'est vers 1600 seuiement que
, ces signes sont entrés dans l'usage (1). ,
La couronne pourrait nous fournir une précieuse indi
cation; mais par malhelll' elle a' été martelée. Ses dimen-
sions permettent de supposer qu'elle était jleuronnee.
Portait-elle les huit fleurons de la couronne ducale des
Rohan (2) ou les fleurons alternés de perles du marquisat de
Rosmadec puis de Pont-Croix ~ C'est ce que nous ne
pouvons VOlr.
la pierre a.rmoriée du gibet qui peut
Ce n'est donc pas
Peut-être les faits nous apporteront-
nous révéler sa date.
ils quelque lumiére ~
Le fief de Quéménet, autrefois Kemenet-Even (dont le nom
se retrouve dans celui de Quéménéven) (3) appartenait au
xe siècle a Even comle de Léon, et a appartenu a sa pos
térité jusqu'en 1363. A cette époque, Jeanne, dame de
(1) Avant cette époque les armoil'ies « insculptées Il sur pierres
étaient probablement peintes. A l'appui de cette opinion, notre confrère
M. le major Faty cite le fait suivant: '
Le cimetière Sainte-Thérèse, ail ,jieù du mont Frugy, avait été -à peu
détruit pendant les guerres de la Ligue. En 1620, l'hospice de
près
Sainte-Cathel'ine b remit en ordre et y fit rebâtir une, croix de pierre,
sur laquelle furent posées les armes de l'évêque Guillaume Le Prestn) ;
. et l'hospice paya non-seulement le sculpleur qui aVait gmvé les armes
mais le peintre qui les avait mises en couleur. :
(2) La vicomté de Rohall a été érigée en duché-pairie, par lettres de
1603, en faveur de Henri de Bohan,
(3) C'esl-à-dire flef, territoire de Even, Le motKemen~t, de Kemenn
ordre, commandement, est tradùit dans les anciennes chartes par commen
comm:mderie, fief. territoire, bénéfice. L:: fief de Quéménet des
dutio,
derniers sièeles, malgré son étendue, n'était qu'un reste de celui de
Kemeoel-Even, qui -comprenait le pays de Porzay (paroisses de Saint-Nic,
Plomodiern, Plœven, Plounevez, Quéméneven et partie de Locronan),
- M. de Blois, V Ploeven-Porza.y, dict. d'Ogée.
11 y avait en Bretagne d'autres ' lieux po l'tant le nom de Kemenet:
ainsi Kemenet-Guégant (G'lémené-Guingamp, dans dom Lobineau,
M_ Lemen é~I'i~ Quéménet-Gui'ngamp), Kemenet-Theboe (entre le f\corff
et l'Ellé) , Kemenet- P enf.to (auj ou rd 'hui Guémené-Penfao, arrondisse
un des archidiaconés de l'Evêché
ment de Saint-Nazaire), Kemenet-llly,
de Léon.
Crozon et de Kemenet-Even, épousa Jean 1 , vicomte de
Roban, à qui elle porta les biens de sa maison: dans la
furent transmis a la branche des Rohan-
suite ces biens
Guémenê ou Kemenet-Gllégant. Ceux-ci étaient encore sei-
gneurs de Crozon et de Quémenet en .1541 : en effet u?e
ordonnance du 15 mai de cette année réduisit le nombre
Pratanras, fief faisant partie de Qué
des notaires de
ménet (1); et cette ordonnance avait été sollicitée par le
seigneur de Crozon, Quéménet et Daoulas (2) .
sire de Rohan,
Moins d'un siècle après, en novembre 1636, Sébastien II,
rnarquis de Rosmadec, baron de Molac, gouverneur de
Quimper, présentait au baptême, en la paroisse de Saint
Sauveur, son second fils, Louis-Corentin, dont la ville de'
Quimper était le parrain (3). L'acte de baptême donne a
Sébastien II les titres de comte de Crozon et seigneur du
Quéménet, que ne portait pas son père Sébastien 1 , pre-
mier marquis de Rosmadec, mort en 1613 .
Comment s'était faite l'annexion ~ Pas par un mariage: il
n'y a, a cette époque, aucune alliance entre les Rohan et
les Rosmadec; il faut- donc supposer un acquêt. Or, on
lit dans la généalogie de la maison de Rosmadec, imprimée
Sébastien II avait acquis le comté de
en 1644 (4), que
Avait-il acquis en même temps la seigneurie de
Crozon.
Quéménet qui touchait a ses fiefs de Tyvar]en et Pont-
Cl'oix ~ C'est d'autant plus pl'obable que peu après il
arrondissait ses possessions de Basse-Bretagne 'en ac ....
quérant en , échange la seigneurie du Juch (1648).
(1) Voir ci-dessus: Pratanr,as, 2° partie, p. 59. '.
(2) Dictionnaire d'Ogée Vis Crozon et Daoulas.
(3) Saint·Sauveur. Baptême, novembre 1636.
(4) .Généalogie succincte de la maison de Rosmaùec· par le sieur La
Colombière Vulson, ch~valiej' de Saint-Michel et gentilhomme de la
chambre du Roy à Paris, ehez Sébastien Cramoisy, imprimeur orrli-
Haire du Roy M.DC.XLlV. Comm. par M. Ourest-Lebris" notaire à
Pont-Croix. . . '
Quoiq u\ l en soit, l'annexioll de Quéménet était faite vers
cette époque ainsi qu'on le 'voit par de nombreux aveux (1).
La terre de Pont-Croix, Tyvarlen, etc., appartenait aux
seigneurs de Rosmadec depuis le mariage de Alix de
Tyvarlen avec Jean de Rosmadec, chambellan du duc
Jean IV, vers 1350.
• En 1505, leur quatriéme descendant, Jean III de Rosma-
dec, épousa Jeanne de la Chapelle et de Molac: et à partir
de cette époque les armes des Rosmadec s'écartelérent des
macles dé Molac et des armes de la Chapelle, de gueule à
une fasce' dJhermine.
En 1608, la terre de Pont-Croix fut érigée en marquisat,
. sous le nom de Rosmadec, en faveur de Sébastien 1 , baron
de Molac. Celui-ci eut pour fils Sébastien II, comme lui
marquis de Rosmadec, qui prenait le titre de marquis de
Molac, qui ajouta aux seign'euries de son pére celle de
Crozon, et, comme nous l'avons vu, porta le premier les
titres de comte de Crozon et seigneur de Quéménet,
Il transmit ces titres à son fils Sébastien III qui mourut
en 1700, sans enfant de son mariage avcc Catherine de
Scorailles, sœur de la duchesse de Fontanges.
Le marquisat de Pont-Croix, ainsi augmenté de la
seigneurie de Quéménet, échut en , héritage à sa tante
paternelle Marie-Anne de Rosmadec, veuve de René le ,
Sénéchal, comte de Carcado, lieùtemint général, tué à
Sénef" en 1674. .
Ces vastes domaines furent vendus judiciellement en
1714; , mais le fils aîné de Marie-Anne de ' Rosmadec.1
René Alexis, fit reconnaître son droit de prémesse (2), rem
boursa le prix de vente, et devint, le 1 e~ octobre 1714,
(1) Notamment l'aveu rendu par Claude Visdelou eu 1638. Voir Bull.
(2) C'est le nom qu'on donnait eu Bretagne au retrait lignager: c'est
a-dire (( la facuIté accordée au parent du vendeur d'un héritage de le
rettrer des mains de l'acquéreur. » V. art. 298 et suiv. de la Coutume .
marquis de Rosmadec , En 1719, il obtint des lettres paten-
tes qui continuaient le marquisat de Rosmadec sous le '
nom de Pont-Croix. ,
rendait aveu au Roi, le 30 septembre 1730,
C'est lui qui
déclarant que ses armes· étaient gravées sur les patibulaires
, de Quéménet.
A prendre ces mots à la lettre, les armes gravées sur la
pierre auraient été celles des ' Le Sénéchal de Carcado,
d)azur à neuf macles d)or; mais l'absence des emaux
autorise à penser que 1'écusson figuré sur la pierrB est ,
d'une date antérieure au XVIIIe siécle : les armes étaient
donc celles des Molac. Le marquis de Pont-Croix (n'eût-
il pas été baron de Molac) aurait pu conserver les écussons
de ses prédécesseurs et les pl>endre pour siens, en l'absence
de toute indication d'émaux, sauf à les faire peindre, selon
l'usage ancien. '
On peut merne supposer que Sébastien II de Rosmadec,
en devenant 'seigneur de Quéménet, a usé du même eÀpé-
dient, et que, trouvant sur les patibulaires de son nouveau '
fief les macles des Rohan, il en a fait les macles des Molac
qui étlû ent siennes en tant que baron de Molac, Cette
hypothése est rendue vraisemblable par ce qui suit :
, Sébastien 1 de Rosmadec s'était illustré sous le nom de
baron de Molac: c'est sous ce titre ,qu'il avait servi
Henri IV et mérité le bâton de Maréchal de France (1).
Son fils Sébastien II, que Henri IV avait voulu faire élever
auprés du Dauphin (depuis Louis XIII) parut plus tard à
la Cour sous le nom de marquis de Molac ; après lui, son
, fils Sébastien III, de Rosmadec, enfant d'honneur du Roi
, (Louis XIV) (2) continua de porter ce titre; et, quand René-
(i) Sébastien Jer mourut à Rennes en f6f3, à 47 ans, au moment de '
recevoir , cette haute dignité .. A u-dessous de ~es at'ni es figu rent au ,
frontispice de la généalogie de la COLOM1HÈRE VULSON deux batons en
sautoir, et en exergue: Virtus' de dit, mOrS negavit. '
(2) C'est-à-dire h'ès-jeune page du jeune roi , . /
Alexi.s de Carcado mentionne son prédécesseur dans l'aveu
de 1730, c'est toujours sous le nom de marquis de Molac .
Il semble d'ailleurs vraisemblable que si Sébastien II de
eût- « insculpté» ses armes sur les piliers du
Rosmadec
d'un fief annexé par lui à son marquisat, il y eût
. gibet
gravé l'écusson palé d)argent et d'azur des Rosmadec .
armes gravées sur le gibet ont
Concluons donc que les
été originairement celles des Rohan, qui ont cessé d'ètre
. seigneurs de Quéménet entre 1613 et 1636, et que la cons
truction du gibet était antérieure à la première de ces dates.
L'absence des signes indicateurs des émaux vient à
l'appui de cette conjecture; et une observation de notre
confrére M.Bigot la confirme: c'est que "les colonnes
« sans style bien défini appa~,tiennent cependant à l'époque
«. de la Renaissance. »
On ne peut donc se tromper de beaucoup, en assignant
pour date à la construction du gibet la fin du XVIe ' siècle
XVIIe siècle, époque où les
ou les premières années du
Rohan étaient encore seigneurs de Quéménet (1) .
La preuve authentique de l'origine des piliers du hangar
de Kerlezanez est ainsi faite; mais, en l'absence même des
pierres armoriées, le récit des habitants du village laisserait
. peu de place au doute. /
« Lorsque la Justice fut abattue, me dit le sl' Le Cœur,
propriétaire d'une des tenues de Kerlézanez, « le sr Hé-
« léaouet, propriétaire de l'autre tenue, que possèdent
« aujourd'hui ses arrière-petits-enfants, bâtissait un hçtDgar;
c( il acheta les piliers et leurs soubassements et transporta
« le tout à Kerlézanez. »
.... Le récit est transmis de père en fils dans le village. Il
fut mème un temps où les mères montraient les poteaux du
(1) Je parle, bien entendu, d'une reconstru?l-ion. Ce gillet a dû ~n
remplacer un autre, car le seigneur avouant declare que tOl!S les drOits
seigneuriaux sur Quéménet ont été anciennement reconnus, notamment
de l'état des fouages de la provÎnçe en l'année 1426 Il •
par la réformation"
hangar aux enfants rebelles, en leur disant qu'autrE1fois
on y pendait les méchants; l'avertissement inspirait une
crain te salutaire et n'était pas oublié.
Il Y a des villes qui se targuent d'aimer les arts,. mais
. qui détruisent comme à plaisir leurs anciens monuments
ou qui les laissent déshonorer sans pitié!. .. Il est assez
piquant de voir un honnête cultivateur illettré leur donner
une leçon de goût. Sans doute, il accommodera les piliers
du gibet à leur destination nouvelle; mais le goût, on
pourrait presque dire l'art .. présidera à cette .reconstruc
tian; et, si les piliers sont réduits de longueur, du moins
ne seront-ils pas défigurés.
Les assises des piliers sont ainsi disposées: une assise
composée d'une pierre unique est suivie d'une assise fait~
de deux pierres et ain.si de suite jusqu'au sommet. On a
eu 'besoin d'établir les joints à l'intérieur du hangar,
même
en sorte que les piliers vus de face semblent. composés
d'assises formées d'une seule pierre.
Quelle décadence 1 L'orgueilleux gibet dressé sur la
colline de Rohan dominait un vaste espac.e 'et portait au '~ .
droit de glaive d'un Haut Justicier •
loin le signe du
Aujourd'hui ses piliers soutiennent un hangar; ses bases
sont employées aux plus vils usages; (1) "une des pierres
chargées des nobles armoiries glorieusement portées à
Bouvines (2) et sur vingt autres champs d'honneur, ést en
castrée dans.le mur d'une retraite à porcs!
Que dirait le haut et puissant seigneur qui a construit le
revenait en ce monde~ .... Je m'assure
gibet de Quéménet, s'il
qu'éclairé de lumières ~ouvelles, il ratifierait le vote de seS ..... .
(1) C'e'St sur ces pierres qu'on écure la vai!'se11e.
(2) Guihornar rt Hervé dt! Léon sont nommés des premiers avec Josse
lin de Rohan parmi les chevaliers bretons portant bannière il Bou-
vines. Voit· HÉvJN Consultations. CXXI. p. 639, . .
successeurs qui, le 4 août 1789, abolissaient avec la féoda_
lité les justices seigneuriales et leurs gibets (1) ; mais peut
ètre demanderait-il gràce pour la pierre ornée de sos
armoiries ~
Cette pierre nous est offerte en don et nous pourrons lui
offrir au' Musée archéologique une honorable retraite.
Notre c~nfrère; M. Bigot, a fait plus et mieux. Il a resti
tué le gibet de Quéménet dans un ingénieux dessin dont.
la note suivante donne l'explication.
J. TRÉVÉDy.
NOTE DE M. BIGOT SUR LES FOURCHES ' PATIBULAIRES
• DE QUÉMÉNET RESTITUÉES PAR LUI.
En mettant à l'échelle le croquis coté que j'ai pris sur
les lieux et en étudiant les profils des moulures, je me suis
persuadé que les pierres ayant socle, tot'e et baguette
sont les bases de deux colonnes, et que celles ayant listel
et talon d'°0it devaient étre les chapiteaux. Ces dernières
moulures ne se trouvent jamais dans une base d'ordre grec.
Il est vrai qu'on ne peut reeonnaître une grande pureté
du style classique dans les détails de ces moulures; ainsi je
n'ai jamais vu d'exemple d'un socle circulaire danr:;; aucune
base d'un ordre d'architecture quelconque" le socle était'
toujours carré... ni jamais un chapiteau classique com
posè d'un talon droit ou renversé (2); mais il est certain
(f) Dé~ret des 4,6, 7, 8 et ft aoùt.
fer Abolition de la féodalité.
Art
Arl. 4. Abolition ùes justice3 seigueuriales.
f7. Le l'oi Louis XVI solennellement proclamé restaurateur de
Art.
la Liberté Française.
(2) Socle, base plus large que haute.
Tore, moulure l'onde (à la base des colonnes).
Baguette, petite moulure ronùe .
Listel, moulure carrée ou bande étroite.
Talon, 50lte de moulure composée d'une partie concave et d'une
que, dans le cas qui nous occupe, l'artiste n'a pas essayé
de se rapprocher des règles 'absolues de l'art grec, ni même
de tenir compte de l'élégance des colonnes en diminuant le
diamètre au. sommet dans une proportion bien déterminée
par rapport à la base. Cette étude me porte à croil'e que le
caractère architectural des fûurches de Quéménet appar
tient à. l'époque de la Renaissance dont le style, comme on
le sait, a été abâtardi en Basse-Bretagne. ,
Etant admis la base et le ehapiteau de la colonne ... les-
quels mesurent Om 66 de diamètre, avec une saillie de mou
lure de Om 03, il est- certain que les colonnes étaient cylin-
driques.
Les tambours des colonnes forment des assises irréguliè-
l'es, mais cependant une gl'ande partie de celles-ci mesurent
Om 40 de hauteur et Om 59 de diamètre. L'appareil se com-
posait d'un parpaing (1) mono-cylindrique surmonté de
deux demi-pièces et ainsi de suite: une assise portant un
écusson sculpté de 9 macles et surmonté d'une couronne,
se trouvait au centre de ch9que colonne . .
premiers éléments bien définis, j'ai cherché à
Avec ces
reconstituer la <;-olo11ne; mais ne pouvant lui assigner au
cun style classique, je ne saurais appliquer la règle habi.-
tuelle. Cependant, sans m'écarter sensiblement de la vérité,
je crois que le fût pouvait avoir de 3 90 à 4 ; cette pro
portion ~emble être bien en rapport avec la base et le
chapiteau.
Je crois aussi que l'entre-colonnement pouvait avoir 2 m 50
de vide.
L'aveu de 1730 réclame des fourches patibulaires « en
partie convexe. Talon droit, lorsque la partie concave est en bas talon
renversé quaud elle est en haut. '
Ces défin~Lions et p~lles qui s~i.vent sont données pour ceux de nos
ledeur.s qUl ne seralent pas famllwl's avec les termes d'architecture.
(1) Parpaing, pierre qui tient toute l'épaisseur d'un mur; d'une
colonne, et a deux faces en parements. '.
quatre poutres ». Si l'on supposait les piliers rangés SUr
une seule ligne, il y en aurait eu cinq: ' ce que l'aveu n'eût
manquè de dire: Il faut donc supposer les piliers
pas
assemblés deux à deux, au nombre de quatre seulement .
quatre colonnes dont se compusaient les fourches"
Les
devaient reposer sur une plate-forme élevée de plusieurs
' . degrés. Ce qui le fait supposer, c'est le peu de hauteur des
bases et l'absence d'indication d'un piédestal pour chaque
colonne .
à mi-bois réunissaient la
Quatre .traversés assemblées
tête des quatre ' chapiteaux: à cause de la pQrtée de 2 50
d'entre-colonnement et pour recouvrir le chapiteau tout
entier, ces , piéces de -bois pouvaient avoir Om 40 à Oro 50
d'équarissage .
G. BIGOT •