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Bulletin SAF 1883


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Notice architectonique sur l’ancienne église des Cordeliers de Quimper, dite de Saint-François, des causes qui en ont amené la démolition

Bigot père

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NOTICE ARCHITECTONIQUE SUR L ANCIENNE EGLISE DES CORDE-
LIERS DE QUIMPER DITE DE SAINT-FRANÇOIS. DES CAUSES

QUI EN ONT AMENE LA DEMOLITION, PAR M. BIGOT,
. ARCHITECTE DIOCÉSAIN DU FINISTlmE (1).' .
Le couvent des Cordeliers de Quimper fut fondé, selon le .
P. Gonzague, en 1232, par Hervé, baron ,de Pont-l'Abbé (2).

L'église, avec son cloître fut bâtie ~u commencement du

XIIIe siècle. .

Cette église se composait:
p D'une nef terminée par deux pignons droits;
20 D'un bras de croix méridional,. qui ètait probablement

le chœur des moines, en face de l'autel;
30 D'un bas-côté septentrional s'ouvrant latéralement
par un~ porte ogivale évasée, entre deux
vers l'ouest
Cette entrée était celle du public.
. contreforts.
La nef avait de longueur 40 m. 34 c., sur 9 m. 05 c. de
largeur dans œuvre; le bas côté ayait la même longueur, sur
4 m. S5 c. de largeur, . aussi dans œuvre; le chœur \ des
avait •. dans œuvre 7 m. 45 c. de largeur, de Fest à
moines
l'ouest, sur 6 m. 48 c. de profondeur. Il s'ouvrait sur l'autel

par une grande arcade ogivale de 6 mètres de largeur: Les
dimensions relativement restreintes du chœur laissent à

penser que le nombre des moines ne devait pas être bien
considérable . .
La hauteur des murs de la nef et du chœur était de 9 m.
50 c.; la hauteur des arcades sous la clef ètait de 8 m. 50 c .

(J) Notre Société se félicite de pouvoir publier dans son Bulletin ce
travail si précieux et si intéressant d'uu de se.s membres fondateurs.

De~ documents in~dits, .retrouvé~ dernièrement,. et dus p~ur la plu~
part a M. de KeraIJam, qUi en a faIt don aux archIves du departement,
un autre membre de la Société de revenir bientôt sur le
permettront à
même sujet et de le traiter à un point de vùe différent.
(2) Voir ci-après l'extrait de .la Notice de M. de Blois. Dom Lobineau
attribue aussi la fondation à J'évêque Rainaud .

Cette église était couverte par un toit a deux versants ... a
l'instar de celle des Carmes a Pont-l'Abbé. Comme le

faitage de la nef se trouvait dans son axe longitudinal, la
couverture du .bas-côté n'était qu'un prolongement du toit
de la nef. La charpente . du chœur avait ses deux versants
. perpendiculaires a ceux de la nef. Le chœur se' 'rattachait
vers l'oueSt à une aile du bâtimerlt et s'ouvrait de ce côté
par une baie ogivale de 5 mètres d'ouverture. Il est pro-
bable qu'au premiee étage de cette aile d'h'abitation se trou­
vait l'infirmerie, d'où les malades pouvaient entendre les
offices, par la partie supérieure de cette grande arcade
occupée par un vitrage' mobile. Cette grande baie s'ouvrait
a:u rez-de-chaussée sur la sacristie, vers le bas de l'aile

orientale-du monastère.

Le chœur étai t éclairé par deux belles et grandes fenêtres
Celle qui s'ouvrait sur 'la ' rue Saint~François
ogivales.
~vait 3 m. 40c. de largeur, à trois meneaux, et l'autre, au
sud mesurait 4 m. 50 c. de largeur, à quatre meneaux.
. La nef était éclairée, vei's ses extrémités est et ouest par
deux grandes baies o.givales; celle du côté de l'orient,
l'autel avait 5 mètres de largeur; élIe était dé­
derrière
ses meneaux, depuis le commencement de ce
pourvue de
siècle. Celle de l'occident, à quatre menea.ux, avait 3 m. 50 c .

de largeur .

Dans le bas-côté, la nef s'ouvrait, dans toute sa longueur,
par huit grandes arcades ogivales ayant de 3 m. 66 c. à
3 m. 95 d' ouverture, sur . une h au teur de 9 m. 80 C., SOU8
clefs. Les sept piliers intermédiaires de ces arcades avaient
.0 m. 92 · c. de diamètre. Chacun d'eux était eantonné
. '. p!1r·huit colonnettes engagées, séparées par des filets et par
. dèS moulures concaves, pour la plupart. Les .chapiteaux de
ces colonnes étaient ornés de feuilles formant corbeille.
Le bas-côté était éclaire du côté nord sur le cimetière

Saint-François par septfènêtres dont cinq à 5 meneaux et

d~ux autres à 3 meneaux. A chacune de ses extrémités se

trouvait encore une fenêtre, dont une à deux meneaux de
2 m. 50 c. de largeur sur la rue Saint-François, et une
autre vers l'ouest de 3 m. 40 c. de largeur. La rose en avait
disparu, vers le comm~ncement du siècle.
L'ornementation en pierre de toutes les fenêtres offrant
des dessins variés semés de lobes à trois et quatre feuilles
rapport avec les fenêtres du Creiskêr, à
avait 'beaucoup de

Saint-Pol-de-Léon, quoiq'u'étant moins grandes. Une seule
des fenêtres, celle orientale du bas-côtè, était' flamboyante .
Evidemment, elle avait été refaite au XVe siècle. L'une des
chœur et celle orientale du bas-côté,
deux fenêtres du

avaient été ' aveuglées par l'adossement d'échoppes, cons-
truites probablement vers la fin du XVIe~siècle entre deux
sur la rue Saint-François. Il en Mait de même de
éperons,

deux autres fenêtres latérales de ce bas-côté, les ,plus rap­
prochées de cette rue.

Au commencement de ce siècle, plusieurs de ces fenêtres
étaient mutilées. Toutes les baies extéri~ures étàient sépa- ,
rées par des éperons ou contreforts très-simples, qui étaient

accouplés perpendiculairement à ~haque angle de l'édifice.

Le cloître, contournant les quatre côtés d'une cour,cen-

traIe, se compos~it d'une série d'arcatures ogivales, à tiers­
ayant Om 83 d'ouverture. Les colonnettes en granit
points,
de ce cloître avaientO 18 c. de diamètre, sur 1 mètre de hau-

teur,y compris base et chapi teaux. L'ornementation de ceux-ci
étai t extrêmement sobre et ne récevait parfois qu'une feuille

sur chaque face. Pour fortifier cette série d'arcatures" , il
existait par intervalles un 'accouplement de deux colon-'
nettes séparées entr'elles par,un vide de Om 14'c. Dans cha, .. ,,-
eun des quatre angles du cloître, il y avait un groupedè "
trois colonnettes isolées et placées de manière à en repré­
senter deux sur chaque face. Toutes ces colonnettes repo­
sa.ient SUl' un stylobate ou muretin formant soubassement.

Vers le commencement de ce siècle, presque toutes ces
arcatures avaient disparu. , J'ai pris, comme étude, le plan
de celles qui existaient encore en 1840, ainsi que celui de
l'église. J'ai été assez heureux pour obtenir que la repro­
duction des arcatures de ce cloître fût faite dans les deux

petites galeries de la sacristie de la cathédrale de Quimper .
L'ancienne communauté des Cordeliers de Quimper fut

mise en adjudication comme bien national et achetée, le

30 avril 1792, par les frères Le Déan, dont la famille

occupa le logement des moines jusqu'à la démolition. La
maison conventuelle, réglise, les cours, les jardins, partie
des, murs de la ville quileur servait de clôture et les bar-,
raques adossées à l'église, tout fut adjugé pour la somme
,do é 25,900 francs.
L'église servit longtemps de magasin et dé chantier de
bois. Sa couverture et sa charpente furent enlevées, pro­
bablement pour éviter des frais de' réparation et tirer parti
des matériaux qui en provenaient. Les pierres tumulaires
qui recouvraient le!5 enfeux et le sol de l'église furent ven­
dues, pour la plupart. M. Le Men, archiviste départe­
mental, en sauva quelques-unes de la destruction qui les

attendait, et on peut les voir aujourd'hui daris la cour ' de
notre m':lsée archéologique.

Les murs, construits à chaux et à sable, étaient très-
solides, quoiqu'étant restés découverts pendant très-Iong-
temps. Ils ' n'étaient que I1mtilés, ça et là, principalement

, dans la porte d'entrée du public, ouvrant sur le cime.tière
de Saint-Fran'çois. L'embrasure extérieure de cette baie
comprenait de chaque côté six colonnettes engagées. Les

voussures étaient surmontées d'une aiguille aiguë, au cen-
ire de laquelle était un,e niche, qui primitivement recevait
Ja stat~e du saint patron. .
_ L'embrasement de cette porte était éperonné, de chaque
c9té" p9-.run largecontr'efort te)'miné par un fronton avec

accolade trilobée. Les deux rampants latéraux de ce fron­
ton étaient ornés de crochets à feuilles, comme l'aiguille
centrale. Dans la partie inférieure de chacun d,e' ces con­
treforts, se trouvait un bénitier encastré dans l'épaisseur

de la maçonnerIe.
Il y avait des artistes et des hommes d'étude . et de
science, parmi les Cordeliers de Quimper. L'un des der­
niers moines de ce couvent était un oncle maternel de mon
père, qui avait reçu de lui des leçons, lorsqu'il était enfant,
. 'vers le commencement de la premiére Révolution. Ce
moine remit en dépôt' à mon pére un manuscrit assez volu- '
ruineux, fruit de ses études, et qui traitait de la culture des
fleurs dé couleurs variées et de géométrie descriptive; il

contenait aussi un traité intitulé: De la manière de pein~
dre sur verre des Anciens que fon croit perdue.
Cette mention n'a d'autre but que de témoigner de l'amoùr
de l'étude et de l'art dans les anciens couvents.
C'est en 1843 que l'église des Cordeliers fut démolie:
Elle était attenante; au nord, à un cimetière dit de Saint-
François. ··Ce cimetière abandonné était devenu le récep-
tacle d'immondices de toute sorte: il existait à travers
une servitude de passage entre la rue Saint-François et la .
rue Kéréon, 'à laquelle on accédait par une étroite ruelle
actuellement remplacée par une rue nouvelle dite rue de '
la Halle. Les extrémités de ce passage étaient fermées par
des portes, pendant la nuit. C'était une mesure de police
pour empêcher des malfaiteurs de se réfugier dans ce liéu
sombre, dont le silence n'était troublé que par les cris 'des
dans les ruines de l'église.
hiboux logés
Sous ' le rapport de l'hygiéne et de la communication
directe entre le quartier de Saint-Corentin et la principale
rue de Saint-Mathieu, ùn plan de rectification d'alignement
de la ville fut' dressé; il fut approuvé par ordoilllance royale
du 19 janvier 1839: Ce plan coupait· dans le sens de sa 10n- .

gueur l'église des Cordeliers et laissait la possibilité Èe
construire une halle sur l'emplacement du cimetière aban-
donné, avec rues nouvelles sur les côtés sud et nord et une

voie ordinaire sur la rue Kéréon, remplaçant l'étroit et
incommode passage dont j'ai parlé plus haut. Ce plan d'en-

semble reliait, vers l'axe longitudinal de la' ville, .les deux
quartiers est et ouest, au moyen d'un pont a construire sur
le Stéïr.
La réalisation de ce projet était une amélioration incon-
testable, a plus d'un point de vue; seule, l'archéologie pou- .
vait se plaindre: le plan projeté faisait disparaître un
monument du XIIIe siècle, dont le style est assez r_ are,

dans l~ département. Mais, à cette époque, la Société
d'archéologie du Finistère venait seulement de naître et
ses réclamations n'auraient pas eu une autorité suffisante
pour faire abandonner a la ville un prùjet très-arrêtè .

D'un autre côté, l'art itrchitectural du moyen-âge était pfm
en .crédit auprès des municipalités, presque partout en .
France; et on abattait sans scrupule les monllments de
un genre de
cette époque, considérés généralement comme
mauvais goût tombé en désuétude. La démolition fut donc
arrêtée, sans qu'une voix autorisée .élevât la moindre pro-
en temps opportun (1 ).
testation,
En 1840, un projet de halle à bâtir' sur une partie de

l'emplacement de l'église et sur la surface de l'ancien
cimetière, avec création d'un pont sur le Stéïr, fut mis au

concours, avec des ressources relativement restreintes. Je

présentai un projet, .qui prévalut et, deux ans plus tard,
il fut mis à exécution.
Avant l'adjudication de la démolition de l'ancienne église,
je proposai à M. de Blois, Président de la Société d'archéo-

. (1) L'auteur lui-même avait, avec M. de Blois. sll:pplié que la démoli-
avec quelque soin. Voir Notice sur la Société archéo"logique.
tion se fit
Bulletin de 1882 pages 208 et 209. . .

logie du Finistère, ' d'en acquérir les matériaux pour les
réédifier ailleurs, avec l'aide d'actionnaires que nous comp­
à noü'e projet. Cette idée parut tout d'abord
tions rallier
sourire iL M. de Blois; mais bientôt il me fit part des diffi­
cultés qu'il prévoyait et qui ne m'avaient pas échappé à moi­
même, dans ' une telle entreprise. Voici les principales consi-
dérations qu'il faisait valoir: Où trouver un chantier de
dépôt ~ Aux frais de location il faudrait ajouter ceux d.'un .
gardien. Les matériaux, déjà mutilés en partie, le seraient

encore davantage, après la démolition. Quelle est la com-

rnune qui voudea les acheter, alors même que les sociétaires

renonceront à tout bénéfice pécuniaire ~ Toute marchandise
encombrante ou embarrassante perd presque toute sa
valeur, quand on veut la vendre.
Toutes ces raisons étaient propres à contrarier sérieuse­
ment le désir de ceux qui auraient voulu voir cet édifice se
relever de ses ruines. La démolition fut exécutée par un
adjudicataire dénu~ de tout sentiment ~rtistiqüe. Lorsque
1eR matériaux furent à terre, M. Colomb, ancien Conseiller

de Préfecture, membre fondateur de la Sociétéarchéolo-
gique, fit pour lui-même l'acquisition des arcades et 4es
baies, q 'il fit transporter à sa campagne, près de Saint-

Evarzec. Son intention était d'abord de les réédifier, mais
malheureusement il ne donna pas de suite à ce projet.
Aujourd'hui, ces .débris, qui méritaient un meilleur sort,

sont complètement oubliés et ensevelis sous les ronces et
les folles herbes.
Dans _ un avenir reculé,. ·si ce récit· tombait par hasard
sous les yeux c!e celui qui découvrira ces débris, il lui épar­
gnerait la peine de se livrer .à de longues et savantes recher- .

ches pour en déterminer l'origine et la destination dans le

passe. ' . .

Quimper, le 5 décembre 1882.

BIGOT,- père,
Archi tecte diocésain du Finistère .