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Bulletin SAF 1882


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Notice sur un anneau d’or trouvé à Carhaix

Major Faty

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NOTICE SUR UN ANNEAU D*OR TROUVÉ A CARHAIX

Cet anneau' a été trouvé, il y a deux' ans, par le jardinie~>
·du couvent des Ursulines de Carhaix, qui le déterra en
bèchant tlll carré du jardin de cette communauté. Il est
; confectionné en or le plus pur, sans alliage; son poids est
~exactement le mème que celui d'un louis de 40 ft'ancs. Ce
bijou n'est pas un proùuit de la fonte; il pai'ait avoit' été
au marteau et à la lime; il .est sans soudure; les
ouvré
deux extrémités du jong viennent se réunir et se joindre
chaton qui leur sert de gaine, particularité qui
sous le
démonü'e qu'Il appartient à une époque fort ancienne. -

Sa forme est bien celle de l'anneau romain, connu sous le

nom · de chevalière et que la mode a fait revivre il y a
Le chalon qui sert de cachet présente une
quelques années.
surface de 9 millimètres de Iwu (eur sur autant de largeur,
c'est-à-dire qu'il est carré. On y remarque ... gravées en
creux, les tètes de deux personnages se faisant face, celle
(Pun homme et celle d'une femme; ces figures mesurent
une hauteur de près de 7 millimètres. Enfin on lit cette
inscription ... SABINE VIVAS, tracée en bordure parallèle­
ment à dl~oite et à gauche des personnages; les caractères
de l'écriture appartiennent au premier siècle de notre ère~
et par conséquent dénotent une haute antiquité .
n'est pas dans nos intentions de faire ici l'historique
de l'anneau, de cet ornement qui était en usage ch'ez les
peuples les plus anciens, et même chez les Hébreux,
Puisqu'il est fait mention dans la Bible de l'anneau de

Jacob; ce serait sortir des limites restreintes qui nous sorit .
imposées, et répéter sans grand intérêt. une démonstration
que nos confrères, certainement, connaissent mieux que

nous. . Nous dirons seulement, an sujet de celui que nous

. soumettons à l'examen de notre Société, qu'il est d'origine

romaine) et nous l'appelIerons que dans les premiers tem PB de

la République, les sénateurs et les am bassadeurs étaient les ,
dl'oit de porter l'anneau d'or. Bientôt
seuls qui eussent.Ie
droit s'éiendit aux chevaliers; les autres classes, dans

le principe, le portaient d'argent, puis adoptérent celui d'or,
111 algré de nombreuses lois somptuaires. édictées par les em­
pereurs ; cependant l'anneau de fer demeura toujours la mar-
que caractéristique de sesclaves. . Les anneaux servaient
souvent, C011une chez nous, de cachets, « annuli sigillarii»,
. le mari en donnait un a son épouse, le jour des fiançailles.
« annulas nuptialis ll, usage qui s'est maintenu chez les
d'alliance . Généralemen t sur le
modernes sous le nom
chaton des anneaux étaient gravés des emblémes, des devi­
ses; sur celui que l'on nommait sigillaire, on lisait le nom

d.e son propriétaire ; parfoi~ aussi l'inscription exprimait cles
souhaits de bonheur domestique, des témoignages d'affec-

tion qui se résumaient fréquemment par l'acclamation
vivas.J « que 'tu vives », acclamation que l'on renconÙe non­
seulement sur des bagues, mais encore sur (rautres bijoux

recueillis dans nos musées. Nous ferons remarquer que
c.ette expression de vivas, bien souvent est remplacée par
bibas, confusion née de l'habitude fréquente chez les anciens'
et chez les premiers Chrétiens en particulier, de substituer
le B au V et réciproquement; ce genre de mutation, pour
est encore usité de nos j'ours,
plusieurs lettres de l'alphabet,
en notre langue bretonne. . Ali temps de la décadence de
l'Empire, vi()as se transforma en une expression qui
n'avait plus le sens qu'on lui attribuait primitivemeut;
il était souvent employé sous forme acclamatoire dans
et les banquets des Romains dégénérés. On
les festins
sait quelle signific'ation ils attachaient alors au mot vivere)'

Vivre, c'était pour eux mener joyeuse vie, ce n'était point

seulement un souhait de vie heureuse, mais une excitation .
à Ja vie sensuelle; ils disaient: sel°a nimis vita est cl'astina.J

vive hoclie, (c vivl'e demain c'est trop tard, vivons aujour-

d'h~Ii. » _. Quclq ues-unes de leurs inscriptions funéraires

mèmes presentent des formules analogues: vixi dam vixi
bene, « je n'ai vraiment vécu que lorsque j'ai joui de la

vie. » A miel, 'dU/n vivimus vivamus « mes amis vi vons,

pendant que nous sommes en vie.» Cette maxime 111ft":
térialiste, aujourd'hui à l'ordre du jour, est bien caracté-
risé~ par l'expression de viveur, néologisme qui était encore
3,n commencement de notre siècle. Les pre-
inconnu
miers Chrétiens' dont les croyances religieuses étaient fon-
dèes sur un sprieitualisme qui admet l'immortalité de l'âme,
et après la mort, son retour vers son di vin créateur, attri-

buaient un , tout autre sens à , cette expression de vivas
qu'ils interprétaient comme un souhait de fidélité à Dieu;
aussi, sur leurs tombeaux, dans Jes catacombes de,Rome,

on trouve fréquemment des acclamations de ce genre:
I-JiLaris, bibas (vivas) in Deo « Hilaire, vis en Dieu.» .
Irene, vivas in paee Dei « Irénée, vis dans la paix de
»Nous ajoutel'Ons, en outre, que cette formule est
Dieu.
r'eproduite, par le seul mot vivas .accompagné ,d'un mono­
gramme du Christ, sur le chaton de nombreux anneaux

provenant des premiers siècles de -l'Eglise et qui sont parvc-
, nus jusqu'à HOUS. ' '
L'inscription gravée sur l'anneau que nous pl\~Sentons il
l'examen de notre Société indique qu'il a appartenu à un
nornmé SABINUS, qui certainement, devait
personn'age
haute situation à l'époque où il vivait. - Ce
occuper une

nom de Sabinus est tJ'ès-répandu dans l'histoire; e'était
celui d'un des plus anciens peuples de l'Italie qui préten-
dait tirer son origine d'une divinité .indigène, de Sabinus,
fils de Sancus, identique à Hercule. Sous Romulus, une
partie des Sabins, après l'enlèvement de leurs femmes, f~lt În-

cOl'porée aux Romains; cet É-vènenient a été admirab-Iement

représenté par. un magnifique tableau de notre grand pein-
tre David qui restaura la peinture en France en y faisant
revi vre ' Je goùt des beautés antiques. ' Sous Tibèl'e,
Massul'ius Sabinus, juriste distingué, fonda la c$lèbl'e école

des Sabiniens à laquelle les plus grands j urÎsconSlliteB
appartiennent. ' T'l'ois jurisconsultes: .Cœlius, Fabius et
. Aquilins Sabinus ont aussi brillamment mal'qué dans l'his-
toire ; le det>nier, homme consulaire eIl 214, fut. nommé le
Caton de son siècle' 'en but il. la haine de l'empereur
Héliogabale, il n'échappa à la mort que grâce à une méprise
chargé de son, exécution, lequel ayant l'oreille
de l'officier

dure, crut qu'on lui commandait de l'expulseL> de Rome. -
.Un poëte, Aulus Sabinus, fut en relations de lettres et d'a­
mitié avec Ovide. . Dans les armées romaines on conn ait

Quintus Titurius Sabinl~s, lieutenant de · César dans les

Gaules, qui pél;it dans la guerl'e suscitée par Ambiol'ix,
. 54 ans avant Jésus-Christ. Cornélius Sabinus, tribun
des gardes, qui fut un des assassins de Caligula et que
Claude fit exécuter ponr avoir conspil'é contre lui. . Do­ •
mitius Sabinus, officiee militaire qui joua un certain rôle

dans la révolution qui renversa Galba. Obultmnius Sa- \

binus, qui servait en Espagne et qui y fut égorgé vers l'an

68, par ordre de l'empeL>eur. ' Un frère de ' l'empeÎ'em>
Vespasien, se nommait Flavius. Sabinus, gouverna la Mé­
sie pendant sept ans et fut tué dans l'assaut du . Capitole
pal> les soldats de Vitellius. Poppœus Sabinus, autre
gouverneur de la Mésie, fut l'aïeul maternei de Sabina
Poppée .. la maîtresse, puis la femme .de ~éron qui)a tua
d'un coup de pied dans le venü"e pendant . qu'elle était ..
enceinte. ' Douze personnages du:nom de Sabinus figurent
au nombre des Consuls romains. Parmi les potiers
ayant joui d'une certaine célébrité dt dont
. gallo-romains,
les noms sont empreints sur leurs œuvres) on trouve celui ,
de Sabinus, établi à Magny (Calvados), et celui d'un autre
Sabinus qui résidait à Paris. Dans le IV siècle on remar­
que Sabinus, évêque de Pla.isance, ami de ·saint .Ambroise,
et Sabinus, évêque d'Héraclée, hérétique 'qui occasionna '
une . certaine émotion en son terntls. . Enfin 1'J1:g1ise

compte au nombre de ses saints, Sabinus, ancienpatrol1
de la ville d'Ivrée, en Piémont. '
A cette liste déjà un peu longue et que nouf? ·ne voulons
pas prolonger, dans la crainte de la rendre fastidieuse,
nous ajouterons seulement le nom 'de Sabinus, de l'infor-

tuné Lingon, "ictime de son dévouement à sa patrie qu'il
'voulut delivrer dn joug des Romains. Son n~rn ' et celui
de 8011 épouse Eponine, en traversant les siècles, sont
arl'ivés jùsgu'à nous environnés d'nne touchante sympathie.
En quelques lignes nous rappellerons leur émouvante his­
toil'e. Julius Sabinus naquit chez les Lingons (pays de
Langl'es), contrée qui comprenait ee qu'on appelait la
Petite Bourgogne .et la Basse Champagne, c'est-à-dire,
l'Yonne, une partie de le Côte-d'Oe, la Haute-Marne
et l'Aube. A la mOl·t de Vitellius il ceut l'occasion favora-
ble pour reconquérir la liberté des Gaules, forma des
·alliances avec ses voisins, se fit peoclamer empereur et
leva l'étendard de la révolte. Mais malheueeusement ses

talents militaires n'étaient pas à la hauteu'\.' de sa mission:
son armée fut presque aussitôt anéantie par quelques
par les Séqua­
,cohortes romaines vaillamment secondées
mais (les Francs-Comtois) ·restés fidèles. Sabinus, apl'ès
ce désastre, se réfugia dans sa maison de campagne qu'il
incendia; se cacha, avec deux affranchis qui possédaient

sa confiance, dans Im~ vastes souterrains de cette ha­
toute
bitation, et se fit passer pour mol't. Eponine, qui n'avait
pas été mise dans le secret ... fut inconsolable jusqu'à ~e
que son mari lui fit savoir où il était caché; elle alla ,
, le trouver ... et mit au monde, dans cette retraite deux
jumeaux. Mais les fréquentes absences' cJ'Eponine 'éveillè­
,rent des soupçons; elle fut épiée' et l'on découvrit J'asile
que son èpollx habitait depuis neuf ans. 11 fut saisi et con­
chât à Rome, chargé de chaines, avec sa fem me 'et ses
deux enfants. En vain Eponine tenta d'e x.citel' la eompas-

sion de Vespasien en .se jetant 8, ses pied· :::, en lui présen­
tant ses deux pauvres enfants nés dans un soutenain et,
ql1i à peine avaient entrevu la lumiére du jour; l'empereur .
eut la cruauté de livrer au bourreau cette malheul'eu$e et
intéressante famille. Cet évènement eut lieu vers l'an 78
après Jésus-Christ. . .
En nous rappelant ce drame sanglant, nous nous sommes
demandé si cet annc:au n'c:wrait pas appa1'tenu a son pI'in­
cipal acteUl', à l'infortuné Sabinus? Nous aimerions à y
reconnaître un gage de touchante tendresse, un témoi­
gmlge d'affectueux encouragement donné par l'épouse

constamment alarmée à son mari qu'un sort fatal con­
damne à passel' sa vie clans ·les ténèbres d\m' souterrain.
Ce mot, cette .exclamation de Vivas nous ri, semblé un cri du
cœur de la pauvre Eponine qui s'ingénie à consoler le ma:J­

heureux captif et ù, l'encourager en lui souhaitant l'heure
de la délivrance. Cette appréciation semblerait presque
autorisée en réfléchissant que cet anneau par sa confection,

par ses caractères et les deux tètes gravées sur ]e chaton,

date incontestablement du pr?mier sièc]B,~'est-à-dire
de l'époque où. se pJ,ssa le tragique épisode . Mais. une
poreille hypothèse para.îtra probabl~ment bien hasardée .
On peut aussi se demander comment cette épave d'un
immense désastre, vendue peut-ètre à l'encan aprés la

mod du captif, est venue s'échouee SUl' la lointaine
Al'morique. Y aurait-elle été transportée par un parent

descendant de la famille de l'infortuné Lingon ~ Ou bien
enCOI'e, ce bijou ne :serait-il pas un annulus nzeptialis ayant
appartenu a UQ autre personnage du même nom, mais
tout à fait éteangerau Sabinus dont nous venons de

parler ~ . A ce sujet, le champ des conjectures est sans
limites: peut-ètr~ l'Académie des)nscriptions et Belles-
LeUees, à qui ce curieux anneau sei'a sous peu présenté,
sel'a-t-elle plus heUl'cuse que nous clans ses rechel'ches,

et. apportera quelque lumière qui vie,ndra éelail'cir un rnys-
tère sur lequel dix-neuf siècles ont passé. .
M. l'abb:3 Téphany, chapoine ~u diocèse de Quimper,
propriétaire de ce précieux bijou, a. bien voulu le soumettre
à l'examen de notre Société, qui certainement, accueillera
avec une vive reconnaissance cette intéressante communi-

catIOn.

LE l\1AJOR FATY .

CHATON
BAGUE

AU TRIPLE DE L'ORIGIN.U
GRANDEUR NATURELLE