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FRAGMENT DE VIEILLE POÉSIE BRETONNE DÉCOUVERT
PAR M. GABRIEL MILIN .
J'ai trouvé ces vers, en 1848, a l'Ile de Batz, écrits sur
une feuille de papier collée intérieurement a la couveI'ture
diune vieille bib}e Hystoiriée avec gravures primitives sur'
boi;:;. La feuille de titre manquant 'a cette bible, je ne puis
dire où ni quand elle a été imprimée. Ce que je suis porté a
croire, d'après les recherches que j'ai faites a Brest, d'a-
près le style et les caractéres d'impression du livre (demi-
gothiques, dans la table), etc., que c'est le 1 volume de la
3 édition in-8° de 1537, de la traduction faite par Guyars
des Moulins de l'A brégé de la Bible de Pierre Comestor',
imprimé la premiére fois a Paris, en 1487, in-folio d'après
l'ordre. (Cette .indication se trouve dans la Préface) du
roi Charles VIII, et probablement la deuxième fois, en
1490, toujours in-folio. Je vous donne ces détails, parce
que les vers .bretons en question ne peuvent être guère
moins anciens que la feuille de parchemin jaune a laquelle
, ils étaient attachés. Ce parchemin, qui servait de couver
ture, avait-il été placé postérieurement a l'impression du
livre, ou a l'époque de cette impression ~ Je l'ignore, mais
ce què Je crois, c'est que parchemin et vers doivent . ètre,
au plus tard) de la fin du XVIe siècle. Ce qui semble indi
quer clairement cette époque c'est les traces d'allitération
qui figurent dans ces neuf ,vers, car, au XVIIe siècle" toute
allitération avait disparu des œuvres poétiques bretonnes.
,La BibTe I-lystoirée dont je vous parle portait le nom de ,'
Rolland Corre, frère de ma grand'. mère paternelle; il vi-
" vait de la fin du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe.
TEXTE BRETON .
il1a.
. . . . . . . . . conqueuret
dre traison uar an ol bretonet
Dec gorchemen ar reiz nos a deiz apreisont
Roue an ent gant enor nepret ne adoront
Houguen dre sorcel"ez bemdez en displ"isont despelont,
Hac. en.alse erfin ol enem ruinont
Dre crûs danger l~ep veh yue a ra leou
JVe teueront nep heur na chaidier nac euriou
.Nep lent na nep quente.L ne vil' vont (sic) al' goueliou,
J.Veuse epechont olt e.uont dar chorollou.
TRADUCTION INTERLINEAIRE.
. conqueuret
conqUIs
1 . dL'e traison, val' an 01 bretonet.
par trahisou sur tous les Bretons,
2 Dec gorchemen al' reiz, nos a deiz apreisont,
Les dix commandemc~1s de.la loi, nuit et jour, ils foulcnt aux pieds
3 Roue aIl ent gant enor nepret ne adoront; .
ils n'adorent;
Le roi du ciel avec honneur jamais
en disprisont (despelont)
4 Houguen dre sorcel'ez, bemdez
Mais pa r soreell cries, chaque jou r ils le méprisent
5 Hac eualse erfin 01 enem ruinont.
ainsi enfin tous se l'uincnt (se perdent). .
cals dangers pep veh yue a ra leou ;
9 Dre
. Par beaucoup de danger chaque fois aussi font de.s serments
7 Ne leueront nep heur na chautiel' nac euriou-,
en aucun moment ni psautier ni heures, .
Ils ne disent
S Nep lent na nep quentel; ne vir vont ar goueliou;
Aucune lecture ni aucune leçon; ils n'observent pas les fêtes;
9 N euse epechont oU, ezeont clar chorollou. .
Alors ils pêchent tons, ils vont aux danses .
COMMENT AIRE
1 er verset. Tl"aison est le mot français trahison.
2 verset. Dec gOl"chemen a'r reiz. L'aspiration ren-
due par ch sans apostrophe. Ce signe employé au XVIIIf
iiècle parle P. Maunoir; l'article al" au lieu de an devant
reiz. Le XVIe siècle, époque de transition, a employé les
deux formes; a preisont, je suppose a particule; il y a au
jourd'hui preiza et bresa; le premier ne peut guère. s'ap
pliquer ici, et il faut pour le sens du contexte bresa, au
XVIe siècle, presa sans doute, ou preissa sans permuta-
tion du p de bresa, aujourd'hui presser et plus particuliè-
rement fouler aux pieds, d'où brès, pâte pour faire des
crêpes, ou encore ce que nous appelons fars breset.
3 verset. _. -
Roue an ent; il faut remonter plus haut •
pour trouver ce mot écrit nenv ou nev ou nef comme le
français.
4 verset. En disprisont (despelont); la parenthèse
n'existe pas dans le texte,mais on voit, par le sens, que ce
dernier despelont a été mis par l'auteur comme synonyme
de disprisont ; il aimait, il paraît, li j;oanetser, quoiqu'il se
,livrât à la critique des mœurs.
5 verset. Hae eualse. Quoique le texte accuse par-
tout le dialecte de Léon, il y a bien longt.emps qu'on n'y
emploie plus cette forme.
6 verset. Pep veh pour gweeh, fois. En Haut-Léon,
on dit be weaeh (Ch. fr.); avec pep, l'initiale g de gwaeh ou
gweeh ne devrait pas disparaître; yue. L'u dans ce
mot, comme dans ewalse, ne contredit pas le XVIe siècle;
- a ra leou. Avec cette forme singulière il faut sous
entendre le pronom sujet hi, eux, sinon il faudrait e reont.
7 verset. Nep heur ... nac euriou. Je suis porté à
croire que ces deux mots ont été employés par l'auteur
pour l'allitération, le premier au sens de mOment, le second
au ~ens de prières appelées heures (bréviaire). Ce mot
euriou a supplanté le mot leor. En Hant-Léon et ailleurs
excepté à Santee et plus encore à Roscoff, où l'on accentue
ce mot, he leuJr, son livre.
8 verset. Nep lent. .. Le t, dans ce mot, est ideniique
au t de an ent du 3 vers, mis peut-être pour l'allitéra:..
tion. Ne vip vont. Je ne suppose pas que l'autem' ait volon
deux syllabes de ce mot, l'encre seule,
tairement séparé les
je pense, l'aura forcé d'agir de la sorte; en tous cas, miret
ou mirout a-t-il fait plus anciennement mir-vout pour
mir-bout dont le v aura fini par disparaître devant la
voyelle 0 ~ Je suis porté à le croire d'autant plus que l'r
précédant v dans mir-vout n'a pas souvent plus de force
qu'une voyelle, et il est à rèmarquer que le ventre deux
à disparaître, ive, ivez à l'Ile-de-Batz, ie en
voyelles tend
Haut-Léoil: me ielo ie, j'irai aussi. Le v médial de ce
verbe à la 3 personne pluriel indicatif présent, me paraît
curieux comme principe de formation du verbe en général
et comme indice d'une.époque assez reculée, ' plus reculée
sans doute que celle de la composition de ces vers . .
g verset. Dar chorollou. Ce n10t n'est pas usité
en Haut-Léon depuis des siécles; on y . voit néanmoins,
beaucoup de familles Koroller, chef de danse.
En résumé, je crois, je le répète, ces vers du XVIe siècle
et presque contemporains de la reine Anne de Bretagne.
Par qui ont-ils été faits ~ je n'ai garde de le dire. L'auteur,
breton de Léon, il me semble, parlait probablemerit mieux
sa langue qu'il ne l'écrivait, car il paraît vouloir remplacer
la vraie langue par des homonymes fmnçl:J:is ou par du·
français bretonnisé. Est-ce 1'8uteur dont parle M. de la
Villemarqué dans la préface du grand Dictionnaire français
breton, de Le Gonidec, ql,J.i a exprimé cette tendance d'une
façon remarquable. En outre, ce qui me donne presque la
q~e le
certitude que ces vers sont de l'époque susdite, c'est
à la couverture duquel la feuille de papier qui les
livre
reproduit était attachée, est du XVIe siècle et portait encore
la première reliure en parchemin avec nervures de mème '
matière. .
Ces vers paraissent être une critique des mœurs, non p~s
de chrétiens laïcs, mais peut-être de prêtres ou de moines
ou du moins de clercs se disposant à entrer dans les ordres;
de simples chrétiens, la plupart ne sechant pas lire, n'étaient
pas astreints à dire leurs heures, q uoiq ue, à cette époque et
plus prés de nous, plusieurs fidèles laïcs les récitaient
comme aujourd'hui, le chapelet (1) .
Documents inédits pour servir à l'histoire de la Ligue
en Bretagne.
6 Décembre 1593 .
A Monseigneur le duc de Mercœur .
MONSEIGNEUR,
Supptyent humblement les humbles gardien et religieux
de Sainct Françoys de Quimpercourantin comme cy devant
ilz vous auroint présenté requeste de par icelle remonstre
comme pour la jouissance q u'ilz font de bailler des logis et
commodittés de leur couvant pour l'exercice de la jurisdic
tion du siege présidial dudict Quimpercourantin il leur
auroit esté ordonné par chacun aJlla somme de douze escuz
pour en estre payez par le recepveur des amandes dudict -
siege, et aujourd'huy qu'il- ny a aulcun recepveur commis à
ladicte rec(jpte nen peuvent estre payez. Aussy de douze
escuz de l'ante qui leur sont deuz chacun an sur le lieu de
(1) Cf. . La satyre contre les clercs, attribuée à , Taliésin (Zeuss,
Grammatica celtica, 9154 et suiv.) ; mêmes critiques de mœurs, presque
même forme allitérée. La version des Myvy- .
dans les mêmes termes et
l, p. 26, a été rajeunie, au XVIe siècle, pl'obahlement comme le
rian,
texte armoricain. .