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L'H1STORIA BRITANNICA
AVANT GEOFFROI DE MONMOUTH
LA VIE INEDITE DE SAINT GOEZNOU.
Lettre à Monsieur Th. DE LA VILLEMARQ UÉ
Membre de lJ Institut.
MON CHER AMI,
VOUS désirez voir publier sans retard le fragment d'une
Vie inédite de Saint Goeznou que je vous communiquai
l'an dernier à Rennes, et qui atteste l'existence dès le
XIe siècle d'une Histoire légendaire de la Bretagne, diffé
rente de l'Historia Britonum de Nennius, distincte aussi de
l' Historia regwn Br'itannice de Geoffroi de Monmouth,
thème .
dont elle semble toutefois avoir fourni le
Mon intention était de joindre ce fragment à quelques
autres du même genre dans une publication de documents
hagiographiques, mais ce travail n'est pas achevé, diverses
retarder; d'autre part, l'amitié que
circonstances peuvent le
1 vous voulez bien avoir pour moi, les grands services que
vous avez rendus et rendez chaque jour à la Bretagne,
une· loi une loi fort douce ' de vous
tout me fait
donner satisfaction le plus tôt possible. .
et vous envoie ci-joint, pour être pu
Je m'exécute donc
bliè dans le Bulletin de la Société archéologique du Finis
tère, le texte en question. J'y joins un essai de traduction,
je le fais suivre d'un commentaire dont vous jugerez, et
précéder simplement de l'indication du lieu où je l'ai pris.
Le document où ce texte figure a èté connu, employé
m'ème par les vieux historiens de la Bretagne, à partir du .
premier de tous, l'auteur de la Chronique de Saint-Brieuc,
qui dit, en 1394 :. .
« SecUIl:dum legetf,dam saneti Goznovii ac nonnullarum
auctenticarum historiarum testimonium, Britanni sub Bruto
et Cor'ineo exi~tentes Albiam insulam, quam postea Britan
niam voçaverunt, vi armata acquisierunt et subjugave
l'unt. » (1)
Pierre Le Baud non-seulement cite l' Histoire de Saint
Goueznou, mais il en traduit littéralement plusieurs pas
sages aux pages 37, 38, 40, 66, de s'On' Histoire de Bre
tagne.
Le P. Albert Le Grand, dans ses Vies des Saints de Bre
tagne (1 édit., p. 471), donne le nom de l'auteur, la date,
et des détails trés-précis sur cette légende: .
« La Vie de S. Goeznou (dit-il) fut escrite en beau style latin
et divisée en neuf leçons, ensemble avec le reste de l'office
. de sa feste en vers latins ou, pour mieux dire, rythmes du
temps, la quantité n'estant pas observée, par GUILLAUME,
prestre et chapellain ou ausmosnier d'EuDoN, evesque de
Léon, auquel il la . dédia l'an 1019, qui estoit le 24 de son
pontificat. »
Pour parler ainsi, il est clair que le P. Albert avait vu
le manuscrit original de cette Vie de saint .Goëznou, con
servé dans la bibliothéqu.e du .chapitre ou dans celle de l'é
vêque de Léon. On n'a pas jusqu'à présent recouvré cet ori
ginal; ce que nous avons est un extrait" fort incomplet,
copié au XVe siècle, mais portant en tête le nom de l'au
teur, la dédicace, la date, absolument dans les termes uù
les rapporte le P. Albert : ce qui suffirait a établir l'au
thenticité du document. Mais il y a plus.
Cet extrait se trouve çopié dans un registre en papier,
format in-4°, dont les Bénédictins, auteurs de la première
Histoire de Bretagne, D. Brient, D. Lobineau et autres, se
sont maintes fois servis et ont tiré nombre de documents
précieux, entre autres le Chronicon 'BritannicUln, le Chro-
'ts lat., nO 6003, folio 4 v
(i) Biblioth. Nat.
nieo'f Ruiense, les Chroniques annaulx, la Chronique de
etc. C'est dire quelle confiance ces critiques fort
Nantes,
exercés avaient dans ce registre, cité par eux sous le titre
de Vetus eolleetio manuseripta eeelesiœ Nannetensis,
Ancien recueil manuscrit de l'église de Nantes, parce
qu'en effet ÜS l'avaient trouvé dans la bibliothèque du cha-
pitre de cette ville.
La éomposition de ce registre est fort curieuse. C'est
évidemm'ent le cahier de notes et d'extraits d'un clerc ama
teur d'histoire bretonne, vivànt vers l'an 1460, et qui pour
satisfaire son goût peut-être en vue de composer quel
ouvrage (1), avait parcouru toute la Bretagne, allant
d'archi ves en archives, de château en abbaye et de couvent
. en cathédrale, copiant, extrayant ou résumant tout ce qui
lui tombait sous la main, chroniques, légendes, chartes,
non-seulement cur
nécrologes, épitaphes, etc. L'écriture,
sive, mais très-hâtée, quelquefois à peine formée, pr,esque
partout difficile à lire, montre que le digne clerc; loin
de songer à inventer pour son compte, avait à peine le
temps de transcrire les originaux mis sous ses yeux. C'est
là encore une bonne garantie de l'authenticité de ses
extraits.' ,
J'ai retrouvé, il ya déjà quelque temps, ce précieux re-
gistre, juste à temps pour le sauver des rats qui venaient
détruire}a moitié du premier feuillet et commençaient
à s'en prendre aux autres. Je reconnus sans peine dans les
marginales l'écriture de D. Brient, l'un des collabo
notes
rateurs de Lobineau. Pour soustraire le volume à l'humi-
dité comme aux rongeurs, je l'armai d'une solide reliure.
Et c'est de là, mon cher ami, que je tire (p. 48-49) le texte
suivant.
. (t) Si l'on voulait soutenit'. gue cc's extraits furent recueillis par
Plert'e Le Baud pour la cOlllpo~lbon de son Histoire, on trouverait plus
à l'appui de cette hypothèse,
d'une raison plausible
IN LEGENDA SANC'!'I GOEZNOVEI . .
Venerabili domino et patri in Christo Eudoni episcopo,
. Jratribusque cum eo in Christi servicio congef'entibus,
eorum pres biter, in Domino , salutem, anno
Guillelmus,
ab Incarnatione Domini M. nono decimo, qui est
XXllllus episcopatus tui~ domine episcope.
Legimus in Ystoria Britanica quod, cum Britani sub
Bruto etCorineo Albidiam,quam vocaverunt Britaniam, cum
cres
insulis circum adjacentibus virtute sibi subjugassent,
cente eorum multitudine et regno prosperato in conspectu
• eorum, Conanus Meriadocus, vil' catholicus et bellicosus,
cuni infinita multitudine eorumdem, qui in tantum exere-
verat quod una eos regio minime eapiebat, in sinum Armo-
rieum .Gallie transfretavit.
Cujus prima sedes fuit juxta fluvium Guilidonam in
PLebis Columbe, in loco qui adhue dicitur Castrum
finibus
Meriadoci. ls eum suis Britonibus totam terram illam ab
utroque mari usque ad eivitatem Andegavorum cum omni
et Redonico in virtute laudabili
territorio Nannetensi
acquisivit, interfectis omnibus indigeriis qui ad~ue paganÎ
erant, unde et Pengouet, quod sonat Canica capita, voea
bantur. Mulieribus autem tantummodo linguas reseeantes,
ne per eas lingua Britannica mutaretur, eis ad eonjugia.
et ad alia servicia, prout tempo~'is exigebat necessitas,
utebantur.
Ecelesiis itaque pel' loca ad laudandum Deum edificatis,
terra illa tota, per plebes et tribus divisa, divin a gratia
Minor Britannia dicta est. Et ita Armorici et insulani
et fraterna dilectionesese
Britones, eisdem.legibus utentes
tractantes, tanquam populus unius regionis imperio multo
tempore regebantur.
EXTB-AIT DE LA LÉGENDE DE SAINT GOEZNOU,
Au vénérable seigneur et père' en 'Christ févêque Eudon et
aux frères qui l'assistent dans le service de J ésus- Christ,
Guillaume prêtre, leU7' serviteU7', souhaite salut en
Notre-Seigneur, en Z>an de flncarnation 1019.) vingt
quatrièlne de fépiscopat dudit seigneur évêque.
Nous lisons dans l'Histoire Britannique que les Bretons
sous Brutus et Corinéus ayant par leur vaillance .conquis
Albion, qui reçut d'eux le nom de Bretagne, et les îles cir
convoisines, virent croître leur nombre et prospérer leur
empire, au point que Conan Meriadoc, très-bon catholique,
très-brave guerrier, suivi d'une multitude infinie qui ne
pouvait plus tenir dans l'île, passa la mer et vint aborder
en Gaule au rivage armoricain. ' ,< .....
Là ... sa première résidence fut pres du fleuve Guilidon~ en
PLou-CouLm, au lieu qui retient encore le nom de Castel
Meriadoc. Avec ses Bretons il conquit glorieusement toute
cette région jusqu'à la cité d'Angei's, y compris les pays
de Rennes et de Nantes, et tua tous les indig,ènes, qui
étaient encore païens et p'~)Ur ce motif nommés Pengouët,
c'est-à-dire Têtes chenues. Quant aux femmes ... leur ayant
seulement coupé la langue pour les mettre dans l'impuis
sance d'altérer l'idiôme breton, les cOJ;Dpagnons de Conan
usèrent d'elles en mariage et aux différens offices que pou-
vaient requérir les circonstances. "
Puis ils bâtirent des églises en divers lieux pour chanter
, les louanges divines ; ils partagèrent en plous et en trefs
'le pays entier, qui depuis lors par grâce de Dieu fut dit
Petite-Bretagne. Ainsi les Bretons d'Armor et les Bretons
de l'île, usant des mèmes lois, s'aimant , en frères, furent
régis par les, mèmes
longtemps comme un mêrne' peuple
institutions.
BULLETIN DE LA Soc. AncuÉOL. DU FINJSTf:UE. ' TOME IX. 15
Processu vero temporis, Vortigernus l'ex usurpativus, ad
prestandum sibi pro defensione regni quod injuste tenebat
subsidium, viros bellicos de Saxonie partibus evocavit, et
eos in regno socios sibi fecit. Qui, cum essent pagani,
multa mala erogabant Britonibus. Quorum superbia post-
pel' magnurp. Arturum fuit ad tempus repressa, eis
modum
pro parte maxima ab insula . repu Isis et s,ervire coactis .
Sed eodem Arturo, post multa victorias quas in Britannicis
ab humanis tandem ac-
et Gallicis partibus preclare gessit,
tibus evocato, via iterum patuit Saxonibus, qua in insulam
remearent, et facta est maxima oppressio Britonum .et
ecclesiarum eversio persecutioque. sanctorum. Et hec per-
secutio multorum regum temporibus , tam Saxonum quam
Britonum sibi invicem concertantium, perduravit. Qui Sa
xones, licet ab Anglia, antiquissima civitate Saxonie, sibi et
insule nomell imposuerint et se Anglos sive Anglicos voca- ,
verint, a Britonibus tamen usque in hodiernum diem Saxo-
nes appellantur .
Ea tempestate, multi sancti viri. sponte se martirio offe-
rebant; alii, consil!o . evangelico adherentes, relicta Bri
tania Majore que nunc est Patria Saxonis, in hanc
Minorem Britaniam transfretabant, quidam ut tyrannidem
evaderent paganorum, quamplures vero secretius ut et
devotius, relictis omnibus, gratum et placitum exhiberent
in locis solitariis Domino famulatum. .
Fuit in diebus illis· vil' quidam nomine Tudogilus, qui
Britonum exortus duos legitur filios et
liberiori genere
unam filiam habuisse. Primogenitus Goeznoveus, secundo
patriam
genitus Maianus, filia vero vocabatur Tudona. Qui
et omnem suhstantiam quam habebat dereliquit ; et cum
proIe sua in Britanniam Minorem venit. Oratorium edifi-
Par la suite des temps, VOl'tigern, roi usurpateur (de
~ppela pour défendre le trône qu'il déte
l'île de Bretagne),
nait injustement des ,guerriers de Saxonie et les associa à
son pouvoir. Etant païens, ils firent mille maux aux Bre-.
Leur arrogance fut ensuite pendant un temps matée
tons.
par le grand Arthur, qui les chassa presque de toute l'ile et
. les força de porter le joug. , ' .
Mais Arthur, après tant de glorieuses victoires rempor
tées en Bretagne et en Gaule, ayant é!é rappelé du monde
des humains, de rechef devant les Saxons la voie pour
rentrer dans l'île fut ouverte; alors commença, teàible,
l'oppression des Bretons, la l'uine des églises, la persécu
tion des saints. Persécution continuée sous une longue suite
de rois saxons et bl".etons, qui ne cessaient de se faire la ,
guerre. Et bien que ces Saxons eussent donné à File le nonl
Saxonie dite Anglia et à eux-tllèmes
d'une vieille cité de
ce.lui d'Angles ou Anglais, pour les Bretons ils n'ont jamais
eu q ~e le nom de Saozon.
Durant cette tourmente, beaucoup de saints personnages
s'offraient volontairement au martyre. D'autres, suivant
,les conseils de l'Evangile, quittaient la Grande-Bretagne,
qui est aujourd'hui Bro-Saoz ,et passaient dans notre Petite
Bretagne, quelques-uns pour échapper à la . tyrannie
païenne, beaucoup pour rendre à Dieu plus secrètement et
plus dévotement dans la solitude un service qui lui fût plus
agréable.
En ces jours vivait un homme du nom de Tudoël, issu
la fille Tudone. Laissant sa patrie et tous ses biens, il
passa dans la Petite-Bretagne, ou il bàti t. un oratoire en
cavit in finibus Plebe Denarii, inter Bazlanandam et
Doenam fluvios quibus parochia illa ex utroque latere
circumfluitu1', marinis fluctibus intermixtis, ibique per
longum tempus vitam ducens heremiticam, tandem plenus
operum fine beato quievit in Deo. Maianus vero
dierum et
ex altera parte ripe maris brachii quod utrique loco jam
interjacet, duobus fe1'e stadiis a Castello Collobii, edifi
sanctorum soro1', maluit spi ri
cavit oratorium. Tudona,
tualibus . nupciis copulari, que li cet a luctu incipiant
ad gaudia tamen ete1'na perducunt, quam carnis ille-
cebt;is indulgere, que gauclio incipiunt et cum luctu ad
finem tendentes in tristiciam terminantur : primo in paro
chia A lbenno'ca unum orato l'ium" post in parochia elnoc i
aliud edificans, seipsam Domino immolaQat. Goeznoveus,
oratorium in loco qui Landa
ultimus procedens, edificavit
dicebatur" lIlI°l" millibus passuum a civitate Ocismol'um
distante: quod oratorium ho die dicitur Peniticium Goez-
novez.
Ploué-Diner, entre les fleuves Bazlanant et Doëna, qui
mêlés aux flots marins enveloppent cette' paroisse des deux
côtés. Aprês y avoir longtemps vécu en ermite, il finit,
juurs et d'œuvres, par s'y endormir heureusement
plein de
en Dieu .. · Majan, sur l'autre rive du bras de · mer qui
sépare sa demeure de ceIJe de son· père, à deux stades de
Castel Collobe, se construisit aussi u'n oratoire. Aux
délectations de la chair qui commencent dans la joie pour
·finir dans la tristesse, Tudone ... la sœur des saints, préféra
l'âme qui commencent dans le deuil pour
les noces de
aboutir aux joies éternelle~ : ayant élevé un premier ora
toire en Plabennec, puis un autre en la paroisse de Belnoc,
elle s'y offrit en sacrifice au Seigneur. Goëznou, se
mettant le dernier en marche, bâtit son oratoire en un lieu
appelé Lann, à quatre mille pas de la cité des Osismes :
nomme maintenant le Peniti Goëznou .
on le
. Pour satisfaire v'otre désir, mon cher ami, j'aurais l'u me
borner a transcrire ici l~s ~~ 1 et 2 du texte ci-dessus; j'y
ai voulu joindre le ~ 3 pour mieux faire voir le rapport qui
unit les notions générales du préambule, c'est-a-dire des
deux premiers paragraphes, a Yhistoire particuliére de
saint Goëznou, qui commence au troisième.
Saint Goëznou, avec son père et toutesa famille, étant venu
de l'île de Bretagne s'établir en Armorique, l'auteur de sa
Vie a tenu a bien faire connaître l'époque etles circonstances
cette transmigration. Pour cela il lui fallait exposer, au
moins en bref, et comme il les comprenait, les origines de
la nation bretonne armoricaine, c'est-a-dire les évènements
qui avaient transplanté en Armorique des masses d'insu-
laires bretons assez considérables pour imposer a notre pé-
ninsule le nom national de lell1~ île originaire, c'est-a-dire
le nom de Bretagne. .
Cent quarante ans plus tôt environ, vers l'an 880, un au- .
tre hagiographe, Gurdestin, abbé de Landevenec, écrivant
la vie du fondateur de son monastère, ayait 'voulu, lui
aussi, au début de son œuvre, rappeler les évènements qui
avaient poussé de l'île de Bretagne en Armorique le père
de saint Gwennolé, toute sa famille et toute sa tribu. Voici
comme il s'exprimait:
« L'île de Bretagne, d'où notre l~ace, tout le monde le dit,
prit jadis soil origine, avait grande abondance de tous
biens. Cette abondance, dont elle fit mauvais usage, càusa
sa perte. Qui en veut connaître le détail peut lire saint
Gildas, qui expose en fort bons termes, avec une autorité
incontestable, les actes de cette nation. Grande, je le crois,
n'est pas la différence entre les mœurs de la mère et celles
la fille, qui jadis', traversant l'océan britannique, fut
portée par des navires sup ce continent, dans le temps
mème où la nation saxonne, barbare, vaillante et féroce,
s;emparait du territoire' maternel. C'est alors que cette
chère fille s'enferma dans cette retraite, où, trouvant un
sûr asile, elle put enfin se reposer sans guerre des épreu-
ves qui l'avaient accablée (1). »)
Ainsi, su.!' la fin du IXe siècle, les lettrés de la Bretag,'ne
armoricaine (Gurdestin était au premier rang) ne connais
saicnt SUl" les origines bretonnes d'autre autorité que celle
de Gildas le ~rai Gildas, l'auteur du de Exeidio et,
comme Gildas, ils ne reconnaissaient pour cause à la colo
nisation de l'Armorique par les Bretons insulaires que
l'émigration des insulaires chassés de l'île de Bretagne par
la conquête saxonne. Déjà pourtant, parmi les débris de la
race bretonne restés dans l'île, circulait- depuis près
de soixante ans, sous le titre d'Historia Britonum une
légende des origines britanniques, ' très-peu authentique .
mais très-populaire, attribuée à un certain Nennius, com
posée dès l'an 822, et qui prêtait à la colonisation bretonne
de l'Arm~rique une tout autre physionomie, une tout autre
cause. Selon Nennius, c'est par droit de conquête que
les Bretons insulaires, suppôts du tyran Maxime venus '
avec lui dans les Gaules en 383, auraient occupé notre
péninsule. Si Gurdestin ne mentionne pas ce roman, même
pour mémoire, c'est que de son temps (880) cette fable
était tenue en Armorique dans un juste mépris, ou que
l'œuvre informe de Nennius n'y était même pas connue. Ce
point importe à noter, car au commencement du XIe siècle
les choses avaient bien changé .
En 1019, on l'a vu, le prêtre Guillaume, dans le préam-
bule historique de la Vie de Saint Goueznou, invoque, au
lieu de Gildas, un document dèsigné par lui sous le nom
cl; Hlstoria Britanniea et qui, contre Gildas mais comme N en
nills, rapporte l'origine de l'ètablissernent breton en Armo-
(1) Le texte latin est ùans notre ÂnnuaIre hislori.que da B·retagne, an-
nee 1861, p. 108-109.
rique, non aux migrations forcées des insulaires fuyant
l'invasion saxonne, mais à une conquête violente de cette
volontairement par les insulaires avant
péninsule accomplie
la venue des. Saxons.
Cette Historia Britanmca ne pouvait être l'Historia
Britonum de Nennius. Car celui-ci attribue la conquête de
l'Armorique au tyran Maxime, sans même nommer Conan
Mériadec : l'Historia Britannica, au contraire, ne nomme
, que Conan; elle attribue à lui seul la conquête de l'Armo
rique; elle donne à cette conquête une cause tout autre
que l'expédition de Maxime dont elle ne dit pas un mot.
En parlant de l'occupation première de l'île d'Albion par
la race bretonne, l' Hlstoria Britannica . donne pour chef
aux Bretons Brutus et Corinéus : l'Histoloia Britonum ne
connaît que Brutus.
Dans l'Historia Britonum, le célèbre roi Arthur ne sort
guère encore des proportions que peut lui accorder l'histoire
sérieuse '; il chasse les en:vahisseurs saxons de presque
toutes leurs conquêtes, il les terrasse dans dix grandes
. batailles, mais' son rôle et ses exploits ne s'étendent
point hors des rivages de l'île de Bretagne. Dans
l'Historia Britannica, il prend son vol, il franchit le
en Gaule de nombreuses victoires (1) :
détroit, il remporte
c'est là justement le début de cette marche triomphale à
travers l'Europe, qui fera de lui, bientôt, dans Geoffroi de
dans les romans de chevalerie, l'empereur du
Monmouth,
monde.
l'Historiti Britonum passe entièrement
Enfin, tandis que
sous silence les émigrations bretonnes causées par les ra
vages des Saxons, l'Historia Britannica les mentionne et,
sans y voir l'origine d/e l'établissement breton en Armori-
(J) Post multas victorias quas in Bri ta nnicis et Gallicis partibus
preclare gessit. II Ci-dessus, ln Legenda S. Goeznovei, § 2.
• que (qu'elle rapporte, comme on l'a dit, à la conquête de
à ces émigrations, surtout au point
Conan), elle accorde
de vue religieux, une importance notable. /
Des différences que l'oa vient de relever entre l'Historia
Britonum de Nennius et l'Historia Brdanniea, invoquée,
résumée en 1019 par le prêtre Guillaume, il résulte que ce
là deux docuD;1ents distincts, deux formes successives
sont
de l'histoire légendaire, fabuleuse, des origines bretonnes,
don t la seconde (l' Historia Britannica) est et ne peut être
que le développement de la première (l'Historia B:oitonum) .
. Or, celle-ci n'était point née en Armorique., puisque nous
avons prouvé, par le témojgnage de Gurdestin, que sur la
. fin du IXe siècle (vers 880) elle y était inconnue. Dès lors,
très-évidemment, ce n'est point en Armorique qu'elle a pu
se développer, mais sur le sol même où elle était née, fixée,
enracinée, c'est-à-dire en Grande-Bretagne. Comme l'I-lis-
toria Britonum, l'Histol'ia Britanniea est donc l'œuvre de
l'imagination des Bretons insulaires, non de celle des Bre
armoricains.
tons
Comment ceux--ci purent connaître }) Historia Britan
niea peu de temps après son apparition., il est aisé de le
Aux dernières années du IXe siècle et dans
comprendre.
les premières du siècle suivant, le fléau des invasions nor
mandes contraignit une grande partie des habitants de •
notre péninsule à chercher un refuge, tes uns dans l'inté
rieur de la France, les autres jusqu'en Angleterre. L'au
teur de la Chl'onique de Nantes, témoin du fait, l'atteste
formellement :
«( En ce temps, dit-il, Mathuédoi, comte de Poher, passa
en Angleterre suivi d'une multitude de Bretons (cum ingenti
multitudine Britonum) et se rendit près du roi Adelstan
surnommé. un peu plus tard
avec son fils appelé Alain,
Barbetorte, dont le roi d'Angleterre était parrain: par
suite de -quelle circonstance il avait pour lui grande
amitié. » (1)
On sait qu'en 937 Alain Barbetorte, suivi de ses compa
gnons d'exil, fortifié d'un secours de troupes fourni pa l'
Adelstan, repassa dans sa patrie et la purgea des Nor-
mands. Les Bretons rentrés avec lui en Armorique rappor-
tèrent l'Historia Britannica, -que leur avaient fait connaître
les Bretons de l'île.
Si maintenant nous rapprochons l'Historia Britannica
du moins ce que nous en apprend le prètre Guillaume -
l'Historia regum Britanniœ de Geoffroi de Monmouth,
nous constatons que, sur l:;t plupart des points notés ci
dessus où l'Historia Britanniea diffère de Nennius, elle
au contraire avec Geoffroi de Monmouth. Ainsi
concorde
Geoffroi non-seulement mentionne Corinéus, il lui donne
toute une légende; il racon~e avec détail les magnifiques
d'Arthur daus les Gauleset dans bie!! d'autres pays ;
victoires
admet enfin, quoique tardivement (vers la fin du Vnle •
siècle), des émigrations bretonnes causées par divers
ravages des Saxons. Quant à l'origine
fléaux, y compris les
de l'établissement breton en Armorique, il la rapporte lui
aussi à une conquète violente dont il donne l'histoire très":
détaillée, il emprunte à l'.FIistoria Britannica le nom du
conquérant et du premier roi breton, Conan Mériadec;
mais sur les caus~ et les circonstances de cette conquête,
abandonne entièrement l' Historia B"itannica, pour
reprendre, en le développant avec abondance, le thème de
Nennius, qui fait de cette exp8dition une dépendance de la
(1) « Fugit autcm tunc temporis Mathuedoi, cornes de Poher. ad rcgem
ngloru m Adelstanu m Cltm ingelll'i multitu1ine Britor~1~m, cl IIcons se
Domine Alanum qui postea cognominatu:> est Barba
cum filium suum
tor·ta, quem ex filia Alani M3glIÏ gtlnuel'at, et quem rt.!x Angliro ex lava
cro sancto susceperat : q li. pro familiaritnte et amicitia hujlls l'egenera.:
magnam fidem III eo hllbcbat. » (D. Monce, Preuves de l'Hi.~toire
tioni8,
de Bretagne, t. l, Ho).- Adelstan ou ,Athelstan régna en Angleterre de'
924 ou 920 à 941.
conquête des Gaules accomplie par le tyran Maxime. Cette
différence" nettement constatée et très-caractéristique, ne
permet en aucune façon de confondre l'Historia B,'itannica
mentionnée en 1019. avec l'Historia regum Britanniœ de
Geoffroi de Monmouth. Ce sont deux ouvrages distincts,
comme le sont aussi entre eux l'Historia Britànnica et
l' Historia B7'itonwn attribuée à N enhius.
l'Historia Britannico., l'ouvrage de
Le livre de Nennius,
Geoffroi, rep.résentent les trois états successifs de la légende
des origines bretonnes.
Nennius ou l'Historia Britonum, c'est l'œuf; l'Historia
c'est le poulet; l'Historia regum Britanniœ,
Britannica,
c'est le coq superbe et bruyant, qui chante sa fanfare à
grand orchestre . .
On a prétendu que l'Historia regum de Geoffroi sortait
directement et immédiatement du livre rudimentaire de
Nennius. Cela ·est aussi impossible que de voir sortir d'un
œuf un coq tout membré, tout crèté et tout armé. Entre
l'œuf et le coq il y a un intermédiaire indispensable, le
poulet. Ici de même. Cet intermédiaire, dont l'existence
jusqu'ici n'était pas positivement constatée, c'est ~ notre
Historia Britannica. -
III
Ici surgit une difficulté. En deux ou trois passages de
l' Historia regum Britanniœ, Geoffroi de Monmouth parle
d'un livre qui lui aurait servi de thème et lui aurait été
fourni par Gautier, archidü1Cre d'Oxford, qu'on appelle aussi
Walter Calen. On a plus d'une fois révoqué en doute
l'~xistence de ce livre de Gautier. On y a vu une fiction de
autoriser toutes les amplifications, toutes les
Geoffroi pour
broderies, toutes les fables dont il a rempli son propre
livre; on a sontenu, comme nous le disions tout à l'heure,
qu'entre Nennius et lui la- légende n'a pris aucune forme
intermédiaire, ce qui revient à dire que Geoffroi aurait
. inventé de toutes piéces les trois quarts de son œuvre, -
proposition bien dure à admettre. Mais s'il y a eu entre
Geoffroi et Nennius une œuvre intermédiaire, d'aprés ce
que nous ' avons établi, cette œuvre ne peut ètre que
l'Historia Britanniea de 1019; qui serait aussi le livre
communiqué à Geoffroi par Gautier d'Oxford. Or il est
généralement admis que ce livre devait ètre écrit en breton
armoricain et venir de la Bretagne Armorique; on prétend
appuyer sur le témoignage même de Geoffroi ce double
fait, qui tendrait à infirmer l'opinion, soutenue par nous,
suivant laquelle l' Historia Britanniea mentiçmnée en la
Vie de saint Goëznou, aurait été composée dans l'île de
Bretagne.
Voyons donc les passages de Geoffroi où il parle du livre
de Gautier d'Oxford _ Ils sont au nombre de trois, l'un dans
l'épître -dédicatoire au comte de Glocestel' mise en tête de
l' Historia regum, le second au premier chapitre du livre XI,
le troisième au dernier chapitre du livre XII, dernier aussi
de tout l'ouvtage. Les deux premiers textes disent seule
ment que le livre de Gautier d'Oxford était en langue bre
tonne (~ritanniei sermonis librum vetustissimum ... In Br(
ianni~o sermone), ce qui désigne tout aussi bien et même
mieux ]e dialecte breton de l'île que ceux du continent (1).
Mais on se prévaut surtout du dernier passage qui porte:
Ilium librum Briianniei sf37>monis, quem Gualtents, Oxine- -
fordensis al>ehidiaeonus, ex Britannia advexit. « Ce livre
(i) « Talia mihi et de taIiLus multoties cogitanli obtulit Waltcrus
Oxinefordensis, archidiaconus, qllemdarn Britannici sCl'monis libl'um
vetllstissimum qui a Bruto primo l'ege Brilonum usque ad Cadwala':
drum, filium Cadwalonis, actus omnium ... proponebat. Il Rist. reg.
BrU. lib. 1, cap. i (Roberto, comiti Claudiocestriro epistola dedicatoria).
- « Ut Gaufridus Monumelensis in Britannico pl'cfato sermonc invenit,
et a Gualtero Oxinefordensi audivit ... , propalabit. » (Ibld. XI, L)
en langue bretonne que Gautier, archidiacre d'Oxford,
apporta de la Bretagne (1). ) '
On soutient que dans ce passage ]e mot Britannia dési
gne forcément la Bretagne Armoriqne. A notre avis, rien
n'est moins certain, car dans toute l'œuvre de Geoffroi
de Monmouth, nous n'avons pas trouvé une seule fois le
mot Britannia, sans déterminatif, employé pour désigner
autre chose que tout ou partie de la Bretagne par excel
lence, l'île de Bretagne, aujourd'hui la Grande-Bretagne .
Dans les cas assez rares où Geoffroi appliqùe ce nom à la .
Bretagne continentale, il y joint toujours une épithète, une
périphrase déterminative, qui ne permet pas de prendre le
ch~nge ; par exemple minot> Britannia (2), altera Bri
tannia (3), une seule fois A rmoloicum regnum quod nunc
Britanma dicitur (4). Le plus souvent, il dit simplement
A rmorica (5), A rmoricanum littus ,6), une . fois seulement
Letavia (7), et pour désigner les habitants Armoricani
Britones (8) ou A nnoricani (9). .
Mais objecte-t-on Geoffroi écrivant son Historia
regum en Angleterre, c'est-à-dire dans l'île de Bretagne,
ne pouvait pas dire que Gautier d'Oxford lui apporta le
livre en question de fîle de Bloetagne, puisque lui Geoffroi
(1) « Reges Saxonum GuiLlelmo Malmesberiensi et Henrico Huntiug
donensi permilto; sed de regibus Britollum tacere jubeo, cum non
habeant illUID librum Britanllici sermonis, quem Gualterus, Oxinefor
den si al'chidiacollus, ex Britannia advexit, . quem de historia eorum
veraciter ~ditum hoc modo in Iatiuum sermonem transferre curavi. »
(Bist. reg. Britan. XIl, 20). '.
(2) Histor. reg. Britan. lib. VI, cap. 4 el 8.
(3) Ibid. V, 12, H, 16.
(4) Ibid . V, 12.
('0) Ibid. VI, 4; XII, 4 et l'O.
(6) Ibid. XII, 16.
(7) Ibid. VI, 4.
(8) Ibid. IX, 2 et 16; X, 9; XII, 4.
(9) Ibid. X, 6 et 11 •
était aussi dans cette île. Donc, dans le passage cl-dessus
tiré du dernier chapitl'e de FHisioria regum, le mot
Britannia désigne forcément la Petite-Bretagne comme le
pays d'où Gj1utier avait apporté son livre.
Ce raisonnement pêche par la base: il oublie qu'au XIIe
siècle, au temps de Geoffr9i de 'Mol1Ii1outh, le pays dit aujour
d'hui l'Angleterre était, comme aujourd'hui encore, partagé .
entre deux races trés-diverses d'originè,
(fort inégalement)
mais alOl'S bien plus distinctes.,' bien plus profondément sé
parées que de nos jours: dans le Cornwall, dans la Cambrie
ou pays de Galles, pelit-être même dans une partie du Cum
berland, les habitants primitifs de l'île, les Bretons gar
dant leur langue et leurs mœurs; dans tout le reste,
les conquérants, les Anglo-Normands. Le pays des Anglo
N orm ands c' étai t l'Angleterre, mais surtou t pour un
Breton de vieille roche comme l'était Geoffroi, ce n'était
plus la Bretagne; ce nom demeurait réservé à la partie de
se conservait encore /la race indigène.
. l'île où
Dès lors, le passage dont nous nous occupons s'explique
sans peine. Geoffroi est en Angleterre (il y était souvent,
et même à la cour des princes anglais) ; Gautier d'Oxford
pays de Galles, où il a trouvé un livre écrit en
vient du
breton insulaire, qu'il prête à Geoffroi de Monmouth; celui-
ci, après avoir brodé sur ce thème les abondantes val,iR-
tions de l'Historia regum, remercie son ami de lui avoir
procuré « ce livre écrit en ,breton, qu'il avait tiré de Bre-
tagne» c'est-à-dire de la partie de l'île où se_'conservait la
race bretonne : « Illum librum Britannici sermonis quem
EX BRITANNIA advexit. »
Cette interprétation, parfaitement naturelle, est même en
bOlme critique la seule admissible. Car, puisque dans tout
le reste de l'œuvre de Geoffroi de Monmouth le nom de
Britannia, selil et sans déterminatif, est constammen.t
employé pour désigner l'île de Bretagne ou la partie de cette
île occupée pal' les Bretons, on .n~a point le droit de lUi
donner ici un autre sens, a moins d'une nécessité évidente
et certaine, qui nous venons de le prouver n'existe pas .
Allons pl us loin : admettons par hypothèse que
Gautier d'Oxford rapporta effectivement son livre de la
Bretagne Armorique, écrit en dialecte armoricain: qu'en
conclure ~ Que les Bretons du Xe siècle, compagnons de
Matuédoi, ayant trouvé l'Historia B"itanniea dans l'île de
Bretagne, s'amusèrent pour charmer leur exil a la traduire
dans leur dialecte. Quant a admettre que le thème primi.tif
de l'Historia regum de Geoffroi, même réduit' a ses linéa
ments essentiels., ait été conçu, composé, écrit par les Bre
tons d'Armorique et puisse être considérée comme l'histoÏi'e
, légendaire 'du peuple de notre péninsule, c'est impossible.
Pourquoi? Parce que cette histoire fabuleuse est purement
et simplement celle de l'île de Bretagne; notre Armorique
n'y figure que rarement, par accident, seulement quand
cela est indispensable pour expliquer certains évènements ·
de la Bretagne insulaire. Si cette légende était sortie de
l'imagination des Bretons armoricains, ce serait tout le
contraire; elle serait nécessairement, avant tout, l'histoire
de la Bretagne Armorique, la Bretagne insulaire n'y figu
rerait que de loin e.n loin, pour les .événements connexes. _
N'est-ce pas l'évidence même ~ .
La conclusion de ce trop long commentaire sur les ~~ let
2 de notre texte, la voici en trois mots :
Entre Historia Britonum de Nennius et l'Historia regum
de Geoffroi, il a existé nécessairement une forme inter
'médiairé de ,la légende, des origines bretonnes. Cette forme
constituait un livre appelé Historia Britanniea, dontl'exis-
tence est constatée, attestée en 1019 par le prètre Guillaume,
auteur de la Vie de Saint Goëznou. Mais, comme l'œuvre
de Nennius, forme rudinientaire de la légende ~ comme le
. livre de Geoffroi qui en ~arque l'épanouissement, cette
forme intermédiaire appal~tient exclusivement" par son ins-
pi ration et sa rédaction, aux Bretons de l'île, et il n'est
nullement prouvé (au contraire) que l'exemplaire qu'en
'posséda Gautier d'Oxford sortît de YArmorique .
Il nous reste à ajouter quelques mots sur la topographie
~ 3 de la Vie de saint Goëznou.
Le père du saint établits on oratoire, c'est-à-dire son
ermitage accompagné d'une petite chapelle, « in flnibus
Plebe (ou Plebis) Denarii" inter Bazlanandam et Doenam
jluvios" quibus paroehia illa ex utroque latere eireümjluitur,
jluetibus intermixtis,» c'est-a-dire (( sur le
marinis
territoire de Ploué-Diner, entre les fleuves Bazlanafd et
Doëna, qui, mêlés aux flots marins, enveloppent cette
paroisse des deux côtés. »
Plouédiner (1), d'apr0s les réformations du XVe siècle,
était une grande paroisse embrassant tout le territoire divisé
depuis entre Lannilis, Landéda et Brouennou (2); Lannilis
était le bourg paroissial de Plouédiner, Brouennou et Landé
da des trèves. En regardant la carte, on voit que Plouédiner
embrassait justement tout le territoire compris entre les
rivières ou bras de mer dits aujourd:hui Aber-Vrac'h et
Aber-Benoît; il est donc évident qu'en 1019 ces deu x
fleuves ou bras de mer se nommaient Doëna et Bazlananda;
mais lequel de ces deux noms représente l'Aber-Vrac'h,
et lequel l'Aber-Benoît? .
Ce dernier. estuaire, en remontant dans les terres, se
bifurque en deux principaux cours d'eau, dont le plus sep-
(f) Ne pas confondre avecPloué-Dider, qui est deve~u par contradiction
Plouider, aujourd'hui commune du canton de Lesneven, arrondissement
de Brest.
(2) Brouennou aai t paroisse aux deux demier's siècles; ce u'est plus
aujourd'hui qu'un village de la paroisse el commune de Landéda. .
tentrional et le plus considérable est appelé sur certaines
cartes Leuhan, p:1rce qu'il traverse un étang considérable
la paroisse de Plabennec. De Plabennec,
de ce nom sis en
en montant vers le nord-est, il passe dans fa paroisse de
. Plouvien et, à 1,700 mètres environ dans l'ouest de ce
il baigne un village de quelque importance, appelé
bourg,
dans les anciennes Réformations et la carte de Cassini, Saint
Jean-Balanant, dit aujourd'hui Balanan't, lequel a conservé
jusqu'à nous le nom du fleuve ou estuaire mentionné en
1019 dans la Vie de saint Goë,znou. Le fleuve Bazlana'nt
du XIe siècle est donc notre Aber-Benoît, et par une conSb-
'quence nécessaire notre Aber-Vrac'h correspond au fleuve
Doëna.
Cette petite trouvaill e g80gl'aphique sera surtout utile
pour expliquer un passage du Livre des laits d Arthur,
vieux poëme latin légendaire, dont un fragment, traduit
dans l'Histoire de ' Pierre Le Baud (p. 40) et où figure
également le fleuve Doëna, a fort intrigué les géogl'aphes
qui se sont OCCUIJés de notre péninsule et causé plus d'une
méprise à certains historiens. Nous avons aussi retrouvé le
texte la~in, non de cepoëme entier, mais de ce fragment et de
autres traduits par Le Baud. Nous croyons être
quelques
en mesure d'expliquer ce passag~, peut-être l'essaierons- ,
nous, un autre jour.
Pour tel>miner, remarquons que le ~ 3 de notre Vie de
saint Goëznou mentionne cinq autres localités: 1 l'oratoire
de saint Maian ou Majan, frère de saint Goëznou, dont
la situation est indiquée par la chapelle très-connue de
Loc-Majan en Plouguin, au sud et sur la rive gauche
de l'Aber-Benoît; 2 le Castel-Collobe( Castellum Collo- '
bii) situé, dit notre Vie, à près de deux stades de Loc
majan; cette situation nous est inconnue; 3 le premier
oratoire de sainte Tudone, sœur de Goëznou et de
Majan, bâti par 'elle in Plebe A lbennoca ou A bennoca.1
BULLETIN DE LA. Soc; ,ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME IX.
qui est très-certainement Plabennec; 4° le second ora-
toire de cette sàinfe in plebe Belnoci, Beluoei ou Belvoci,
car, d'après le manuscrit, ces trois lectures sont possibles:;
ne savons à quelle localité il faut identifier ce
nous
nom; Albert Le Grand place ce ' second oratoire dans
le territoire de Saint-Renan ar Fanq) qui ne portait
peut-être pas encore ce nom, c'est une conjecture à
vérifier; 5° enfin l'oratoire de saint Goëznou lui-même
construit en un lieu dit Land ou Lann où est !1ujourd'hui
]e bourg de Goueznou, qui dans les anciennes réformations
. est (si je ne me trompe) appelé parfois Lan- Goueznou; ]e
nom spécial de Peniti sant Goueznou resta attaché à l'é-
glise même et à l'enclos du cimetière ou minilû qui l'en
tourait.
Il reste donc à trouver la P lebs Belnoci ou Belvoci et le
Castel-Collobe; c'est une recherche que je vous prie, mon
cher ami, de youloir bien recommander de ma part à nos
et studieux collègues de la Société archéo':'
excellents
logique du Finistère. .
surtout d'intercéder auprès d'eux pour
Je vous prie
qu'ils veuillent bien, ainsi que vous, me pardonner l'ennui
que je leur ai causé par cette fastidieuse dissertation. Seu
lement, il faut bien le dire, cher ami, de ce péché vous êtes
un peu la cause, je compte sur votre amitié pour en porter
une bonne part.
Croyez-moi ümjours, je vous prie, tout à vous,
ARTHUR DE LA BORDERIE.
Rennes, le 20 avril f 882.