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Bulletin SAF 1882


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Mythologie celtique. Les fées des Houles ou des grottes marines des Côtes-d’Armor ; les Morganed et Morganezed ou Hommes et Femmes de mer, de l’île d’Ouessant, et les Femmes-Cygnes ou Femmes-Volantes.

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NOTES POUR SERVIR A L 'ÉTUDE DE LA MYTHOLOGIE
CELTIQUE

Les Fées des HOULES ou des grottes marines des Côtes-du-Nord;

les Morganed et Morganezéd \ ou Hommes et Femmes de '
mer, de l'Ile d'Ouessant,
et les Femmes-Cygnes ou Fem-

mes-Volantes.
La littérature populaire, nos chansons et nos contes du
foyer; naguère encore'exclusivement abandonnés aux en-

fants et aux p,aysans les 'plus illettrés, est entrée actuel-
lem~nt dans le domaine de la sèience, ~es savap.ts, en

effet, recherchent aujourd'hui l~s moindres traditions orales

du peuple, av~c un empressement et un intérêt d'autant
plus grands que nous nous sommes' trop longtemps laissé

dévancer, sur ce terrain, par presque toutes les nations de
l'Europe. Chansons, simples refrains de danse, contes et
récits de toute nature, proverbes, dictons, incantations ma­
giques, formules et formulettes, devinettes même, sont
partout recueillis et publiés avec de doctes commentaires
et d'iJ;lgénieux rapprochements. Le mouvement est géné­
ral, en France; et notre Bretagne, haute et basse, tient,
comme toujours, honorablement sa place (ce qui ne doit
étonner personne, notre président ayant été un des pre-
miers à nous montrer le chemin), dans ces investigations
patientes auxquelles on demande de nous faire connaître
mœurs, les croyances et la vie intellectuelle de nos an­
les
cêtres les plus reculés. La philologie et la mythologie po­
pulaire, deux sciences à peu près nouvelles, . sem-

blent, en effet, pénétrer pluil avant dans le passé et vers les
origines de notre civilisation que les documents écrits et
trop souvent obscurs ou contradictoires qv.e nous ont laissés
et les Romains .
les Grecs

Plusieurs publications impodantes sur ce sujet ont déjà

vu le jour, et je sais que d'autres, non moins dignes de
la critique savante et aussi de celle des gens,
l'attention de
. et ils sont nombreux, qui aiment les merveilleuses
et aimables fictions de nos pères, plus consolantes, d'ordi­
naire, que la réalitè, sont à la veille de paraître

lVf. Paul Sébillot, de Matignon, dans les Côtes-du-Nord,
nous a donné, depuis deux ans, trois volumes très-nourris
et des plu,s intéressants sur les contes populaires de la
Haute-Bretagne, ou pays Gallot. Poursuivant a-yec persé­
vérance et méthode, pour cette règion jusqu'ici fort négli­
gée sous ce rapport, l'enquête que moi-même j'ai entre­
prise, depuis longtemps, pour notre Basse-Bretagne, il
trésors inattendus ~ et nous en
nous a déjà révélé des
pro~et de nouveaux. Ses récits attrayants, recueillis
sur les lieux, de la bouche même des conteurs et sur-
tout des conteuses (Faciliùs eriim mulieres incorruptam
nous a dit Cicéron, et je l'ai sou­
antiquitatem conservant,
vent éprouvé, dans mes recherches), ses récits, dis-j e,
ont d'ordinaire beaucoup d'analogie et de points de contact
avec nos contes bas-bretons, dont, du reste, ils semblent
dériver. Les,fables et les types y sont presque toujours les
mêmes que chez nous, mais avec des différences notables
pourtant,dans la manière de les traiter. Les conteurs bas-
bretons ont, en général, plus de soùffle et un cachet plus

prononcé d'antiquité,; mais aussi le1:\rs récits, qui s'atta-
quent plus volontiers à des sujets mythologiques et ont
et raIl ure de véritables chansons de
parfois l'étendue
et plus mélangés d'éléments hété­
geste, sont plus confus

rogènes. 'Il n'est pas rare, en effet, de voir le conteur,
sent m~ître de son auditoire, introduire dans
quand il se
la trame d'e ses narrations des épisodes absolument étrai1-

gers à la fable principale et qui ne font qu'embarrasser et
allanguir la marche de l'action. Mais, les longs récits sont
les plus goûtés; les auditeurs sont insatiables de prouesses

et de merveill~ et le conteur, toujours jaloux de rempor:..
ter leur approbation et leurs louanges, se laisse aller faci­
lement à leurs exigeuces. Un des épisodes auxquels on a le
plus souvent recours est celui de la princesse que l'on
conduit au serpent à sept têtes et que le héros délivre du
monstre et finit par épouser, aprés maintes autres épreuves.
Nos contes bretons sont certainement plus anciens que
ceux des Gallots, lesquels semblent, le plus souvent, n'en
être que des échos plus ou moins affaibls. C'est, sans doute,
à notre langue que nous devons la conservation, au
moins relative, ' . des anciennes fables de nos ancêtres, et
cette conservation nous paraît devoir être en proportion de
celle de l'idiome primitif dans lequel elles ont été d'abord
formulées.
Une remarque qui n'échappera encore à personne, en
comparant entre eux les contes gallots et bas-bretons,
c'est que ces derniers ont ordinairement une allure. plus

grave, plus solennelle, et que le conteur a plus de foi dans
les, aventures et les merveilles \ qu'il déroule sous nos
sérieux imperturbable. Le conteur gallot, au
yeux, avec un
contraire, laisse trop souvent percer une pointe d'ironie et

de scepticisme, qui lui vient de s:)n voisinage et de son
contact immédiat avec le Français ou le Normand, naturel-
lement railleur et malin, comme dit Boileau.
, Telles sont les différences les plus' sensibles; 'quelques
autres seraient encore à noter, mais cela m'entraînerait

trop loin. '
J'ai dit que les mêmes fables, les mêmes thèmes se ren­
contraient généralement chez les Gallots et les Bas-Bre­
tons. Il est cependant toute une catégorie, 'tout un cycle de
et de récits originaux qui semblent appartenir,
traditions
sinon exclusivement, du moins plus particulièrement aux
populations gallaises situées sur ' les côtes de la Manche,
, entre Saint-Brieuc et Saint-Malo. Je veux parler des contes

de fées etfaitaux (1) habitan ts des houLes ou grottes marines
de ces parages. C'est tout un monde mystérieux,que M. Sé­
billot a, le premier, évoqué sous nos yeux et dont il s'est
fait l'historien consciencieux, nous racontant pal' le menu
coutumes, les mœurs et les secrets de ces êtres inté-

nts et généralement amis de l'homme.
ressa '
presque rien rencontré de semblable,
Je n'ai rien ou
et me's recherch~s à travers le Fi­
dans mes explorations
nistére et les Côtes-du-Nord. !lest vrai que, sans négliger
entiérement nos côtes e( nos populations maritimes, mon
enquête a porté de préféren'ce ' sur nos popylations de
terres, où la moisson a été abondante. '
l'intérieur des
Peut-être qu'une insistance plus prolopgée auprés des
et de Douarnenez~ par ' exem pIe, me
conteurs de Crozon
vaudrait de meilleurs résultats, car je ne puis croire que
les grottes de Morgat et du Ris n'aient pas aussi leurs ha­
bitants et leurs histoires merveilleuses. Je compte, du
reste, m'en assurer, prochainement, et vous faire part du
'résultat de mes recherches.
Voici, en résumé, ce que nons raconte M. Sébillot des
habitants des houles ou grottes marines de la région qu'il
a étudiée, entre Erquy, Saint-Cast et Dinard; j'emprunte
ces détails à la préface de ses Contes des paysans et des
pêcheurs de la Haute-Bretagne (2) .
« Quand les fées habitaient leurs grottes, elles se mon- ,
traient assez fréquemment aux hommes; mais, elles sor­
tai'ent plus volontiers la nuit que le jour. Avant le soleil
n'étaient visibles que pour ceux qui avaient eu
caché, elles
le tour des yeux frotté avec la pommade qui rend clair­
voyant. Mais, à la nuit close, tout le monde les voyait,
paraît-il. »

(f) Faitaux ou Faitos est le nom que le peuple donne aux mâles;
Fée désigne le féminin. ,
(2) Un vol. in-f2, chez' G. Charpentier, éditeur, f3, rue de Grenelle-
Saint-Germain, à Paris. Prix: 3 fl~. 50 c .

« A part leur pouvoir ~umaturel et leur immortalité,
les' fées et les- faitauds vivaient comme les hommes et
avaient presque les mêmes passions qu'eux. Comme eux, ils
étaient sujets aux maladies. Elles se mariaient, soit avec
des faitauds, qui jouent en général un rôle assez effacé,
soit avec des hommes. Mais... il semble qu'en s'unissant
aux hommes, elles cessaient d'être immortelles, soit par
suite de leur baptême, soit simplement parce qu'elles
vivaient parmi les hommes. Elles avaient des enfants;
quelquefois aussi, elles enlevaient ceux des hommes, et
mettaient il. leur place, dans le berceau, des enfants il.
l'air vieux et qui ne grandissaient point, ou elles emme­
naient dans leurs grottes des jeunes filles, qui y restaient
plusieurs années. Elles se livraient il. d~s occupations sem-
a celles des hommes. On les entendait bercer des -
blables
enfants et 111ême leur chanter des chansons. Elles lavaient
leur lessive et étendaient sur l'herbe du linge, qui était si
qu'on dit en proverbe, en parlant de beau linge : '
blanc,
« Blanc comme le linge des fées. » Parfois, elles possé­
daient des animaux domestiques, des vaches qui étaient
parfois invisibles pour tout le monde, excepté pour la pâtoure
qui les gardait. Leurs moutons venaient pâturer avec ceux
des fermiers; parfois, ils étaient noirs et de grande taille. Les­
unes avaient des chevaux, d'autres, des oies, des chats ou
généralement noires. Elles empruntaient les ani­
des poules
maux de leurs voisins les hommes, ou bien les leur ache­
taient. Mais,certaines trouvaient plus simple de les prendre
et de ne pas les rendre. D'autres, encore, volaient ce qui
était il. leur convenance, et seules 188 personnes qui
avaient eu le tour des yeux frottés pouvaient les voir.

« Cependant les fées, il. part de rares exceptions, et
celles-la on les nommait les mauvaises fées, tandis que
les autres s'appelaient 'les bonnes dames, ou les bonnes
mères, se plaisaient a rendre service aux hommes, et

'amais elles ne demandaient de récompense, Elles

resqu. . .
des remèdes qui les guérissaient, ou une graisse qui, à la
lace des animaux disparus, en faisait revenir de plus
aval '
maison. Parmi les autres présents qui figurent dans les
peut citer: la poule nOi,re qui enri­
légendes des Houles, on
chissait ceux qui la possédaient; les vètements neufs.;
chance; la bourse inépuisable. »
l'hameçon de
« Souvent, les fées demandaient à être marraines des
enfants des hommes, et elles faisaient alors de beaux pré­
sents à leurs fiUeuls; quelquefois, mais plus rarement,
c'étaient elles qui faisaient nommer leurs enfants par ,des
jeunes filles. » , .
« D'après plusieurs légendes, elles avaient des ver" s dans
la bouche, parce que le sel du baptêI:Yle n'avait point touché
leurs lèvres. Elll3s perdaient leur immortalité, quand elles
avaient êté baptisées; on pouvait même les faire mourir,
en leur jetant dans la bouche une poignée de sel. )
« Les fées étaient de belles personnes à Fair jeune et
avenant; il Y en avait toutefois de vieilles, qui paraissaient
âgées de plusieurs centaines d'années. » .
Toutes ces remarques et ces réflexions sont motivées et
justifiées par quelqu'épisode des nombreux contes (environ
renferment les trois
une trentaine) de fées des Houles que
volumes de M. Paul Sébillot sur la littérature orale de la

Hall te-Bretagne.

Si, jusqu'à présent, je n'ai pas trouvé de contes concer-
na nt les fées des grottes marines ou des Houles, comme
dans . les Côt~s-du-Nord, j'ai pourtant
on les appelle
~ recueilli quelque chose d'approchant, dans l'ile d'Ouessant,
'où se sont conservées des traditions fort curieuses relatives

aux 1110rganed e't MOl'ganezed, ou hommes et femmes de
mer.

Apres avoir longuement exploré le Finistere et la partie
bretonne-bretonnante des Côtes-du-Nord, je voulus aussi
... Bréhat, les Sept­
visiter les principales îles de nos côtes
Iles, Batz, Oues'sant, Sern et Groix, persuadé qu'il devait
y exister quelques traditions anciennes, mieux conservées,
peut-être même inconnues sur le continent. C'est bien
et de chacune des iles que je
ce que je constat.ai, en effet,
viens de nommer je rapportai quelque chanson ou récit
et peu connu .
original
Le 27 mars 1873 .. j'étais à Ouessant, une île fort curielJse,
sous bien des rapports, et assez peu visitée, même par les
artistes et les collecteurs de traditions populaires, qui n'y
perdraient pourtant pas leur temps et leur peine. On y
chante peu, et je recuèillis difficilement qnelqu~s lambeaux
de chansons de noces et de refrains de danse. Je fus plus

heureux du côté des contes, et j'eus la bonne fortune de
rencontrer dans Marie TuaI, pauvre femme qui avait perdu
son mari et ses trois.fils à la mer, une excellente conteuse,
, simple, illettrée et ayant foi dans ses récits les plus mer- ~
veilleux, enfin de la bonne école. Ses histoires de jlforganed
et dè Morganezed surtout, que je trouvais là pour~apre­
miére fois, m'intéresserent vivement. Je fus aussi trés-
frappé de sa langue, de sa prononciation et de son débit,
ceux des conteurs de Tréguier, au point
qui ressemblaient à
que j'étais tenté parfois de me croire à Plouaret ou à Plu­
zunet, devant une de mes conteuses ordinaires .
« Les MorlJaned' et Morganezed, me. dit-elle, étaient
autrefois trés-communs, dans notre île; aujourd'hui,on les
mais rarement; on les a trop sou­
voit encore quelquefois,
vent trompés. On les remarquait,ASurtout au clair de la lune,
jouant et folâtrant sur · le sable fin et les goëmons du .
et peignant leurs cheveux blonds avec des peignes
rivage

d'or et d'ivoire. Le jour, ils faisaient sécher au soleil, sur de
sorte: or, perles
beauX linceuls blancs, des trésors de toute
fines, pierres précieuses et de riches . tissus de soie. On
. ouissait de leur vue, tout le temps qu'on restait sans
araiss , comme par enchantement, Morganed et trésors.
ait
aux joues roses~ aux cheveux blonds et .
petites femmes
bouclés, auX grands yeux bleus et brillants; ils sont gentils
n'ont pas réçu le.
comme des anges. Malheureusement, ils
au ciel,
baptême, et, pour cette raison, ils ne peuvent aller
tant ils sont gentils et ?nt l'air
ce qui est bien dommage,
bons! »

« J'ai entendu dire que la Sainte-Vierge étant un jour
seule à la maison et ayant besoin de s'absenter un moment,
trouvait fort embarrassée,
pour aller puiser de l'eau, se
car elle ne voulait pas laisser seul son enfant nouveau-né,

qui dormait dans son berceau.
- Comment faire ~ .... La fontaine est un peu loin et je

ne puis laisser mon enfant seuL .... se disait-elle, assez
haut.
« En ce moment, elle entendit une petite voix claire et
fraîche comme une voix d'enfant, qui dit:
- Je vous le garderai bien, moi, si vous voulez me le
confier.
« Elle se détourna et vit, au seuil de la porte, un petit .

homme souriant et si gentil, qu'elle resta . quelque temps à
le considérer, saisie d'étonnement et d'admirat.ion. Elle
n'hé~ita pas à lui con:fier la garde de son enfant, et alla
puiser de l'eau à la fontaine. .

« A son retour, pour récompenser le fidèle gardien, elle
fairé une demande, et elle l~ lui accorderait.
lui dit de

Génet ha Morgéned, c'est-à-dire: de la beauté et des
petits Morgans: répondit le petit homme .

« Ce qui lui fut accordé, et c'est pàurquoi les Morgans
sont si jolis et étaient si nombreux, au temps jadis ~ Mais'il

aurait mieux fait de cYemander le baptême, car alors,lui et
les siens seraient allés au ciel avec les anges, ' auxquels
ils ressemblent si bien. »
Ce contact de la Sainte-Vierge et des Morgans me parut
curIeux.
Marie TuaI me donna encore les deux légendes qui sui­
vent et où il est également question de Morgans .
« Deux jeunes filles de notre île, cherchant un jour des ·
coquillages,au bord de la mer, aperçurent une Morganés
qui séchait ses trésors au soleil, étalés sur ,deux belles

nappes blauches. Les deux curieuses, se baissant et se glis-

sant tout doucement derriêre les rochers, arriv~rent jusqu'à
elle,sans en être aperçues. La Morganès, surprise et voyant
que les jeunes filles étaient gentilles et paraissaient être
douces et sages, au lieu de se jeter à l'eau ~n emportant
ses trésors" replia ses deux nappes sur toutes les belles
étaient dessus et leur en donna à chacune une,
choses qui
en leur recommandant de ne regarder ce qu'il y avait de­
dans que lorsqu'elles seraient rendues à la maison, devant
leurs parents. ,
«, Voilà nos deux jeunes Ouessantines de courir vers
leurs demeures, portant leur précieux fardeau sur l'épaule.
l'une d'elles, impatiente de contempler et de toucher
Mais,
de ses mains les diamants et les belles parures qu'elle
croyait tenir pour tout de bon, ne put résister à la tenta­
tion. Elle déposa ·sa napp~ sur le gazon, quand elle fut à
distance de sa compagne,.qui allait dans une autre
quelque
direction, la déplia avec émotion, le cœur tout palpitant
et ..... n'y trouva que du crottin de cheval. Elle en pleura
de chagrin et " de dépit!

« L'autre alla jusqu'à la maison, tout d'une traite, et ce

ne fut que sous les yeux . de son père et de sa mère, dans

leur pauvre chaumière, qu'elle ouvrit sa nappe, ~eurs, yeux
éblouis' à la vue des trésors qu'elle contenaIt: pIerres
ure .
, 'eus p'erles fines, et de l'or et de riches tissus 1 La
precl , . .
famille devint riche, tout d'un coup; . elle bâtit une belle
'son acheta des terres et l'on prètend qu'il existe encore
mal , . .
arroi les descendants, qui habitent toujours l'île, des restes

de cela, » ,
Marie Tual paraissait croire, en effet, qu'il existait réel-
lement, dans upe famille -d'Ouessant, des bijoux et des

tissus provenant des Morgans. « Dans cette maison, ajou-
tait-elle, rien ne manque; ils sont riches; quand ils vont à
la pêche, leur bateau revient toujours chargé de poisson,
à couler bas, et ils n'ont jamais perdu aucun des leurs à la
mer, ce qu'on ne pourrait dire d'aucune autre f~mille de

l'île. )
Voici une autre histoire de Morgans, de plus longue
je dois .à la même conteùse .
haleine, et que

LE MORGAN 'ET LA FILLE DE LA TERRE. •

Il Y avait autrefois (il y a bien longtemps, bien longtemps
peut-être du temps où Mo Saint-Pol 'l'int du pays
de cela,
avait donc à Ouessant une
d'Hibernie dans notre île), il y
belle jeune fille de seize. à dix-sept ans, qui s-'appelait
Mona Kerbili. Elle était si jolie, que tous ceux qui la
voyaient en étaient frappés d'admiration et disaient à sa
mère: Vous avez là une bien belle, fille, Jeanne 1 Elle est
jolie comme une Morganès,et jamais on n'a vu sa pareille,
l'île; c'est à faire croire qu'elle a pour père un Mor­
dans
gan. · .. Ne dites pas cela, répondait la bonne femme, car
Dieu sait que son père est bien 'Fanch Kerbili, mon mari,

tout comme je suis sa mère .
Le père de Mona était pêcheur et passait presque tout
son temps en mer; sa mère cultivait un petit coin de terre

qu'elle possédait contre son habitation, ou filait du lin,
quand le temps était mavais. Mona allait avec les jeunes
filles de son âge, à la grève, chercher des brinic (coquilles
mou)es, des palourdes, des bigorno et autres
de patèle), des

coquillages, qui étaient la nourriture ordinaire de la
famille. II faut croire que les Morgans, qui étaient alors
très-nombreux 'dans l'île, l'avaient remarquée et furent,
eux aussi, frappés de sa beauté.
Un jour qu'elle était comme d'habitude à la grève; avec
ses compagnes, elles parlaient de leurs amoureux; chacune
vantait l'adresse du sien à prendre le poisson et à gou­
verner et diriger sa barque, parmi les nombreux écueils
dont l'île est entourée.
Tu as tort, Mona, dit Marc'harit al' Fur à la fille de
Fanch Kerbili, de rebuter, comme tu le fais ... Ervoan Ker­
dudal; c'est un beau gars;' il ne boit pas, ne se querelle
jamais ' avec ses camarades, et nul mieux que lui ne sait
diriger sa barque dans les passes difficiles de la Vieille-'
Jument et de la pointe du Stiff.
-, Moi, répondit Mona avec dédain, car à force de
s~entendre dire qu'elle était jolie, elle était devenue vani-

teuse et fière... je ne pren~rai jamais un pêcheur pour mari .
Je ~uis aussi jolie qu'une Morganès, et je ne me marierai
qu'avec un prince, ou pour le moins le fils d'un grand sei­
gneur, riche et puissan~, ou encore avec un Morgan.
II paraît qu'un vieux Morgan., qui se cachait par là.,
derrière un rocher ou sous les goëmons, l'entendit, et., se
jetant sur elle, il l'emporta au fond de l'eau. Ses com­
'pagnes coururent raconter l'aventure à sa mère. Jeanne
Kerbili était à filer,sur le pas de sa porte; elle jeta sa que-
nouille et son fuseau et courut au rivage, Elle appela sa
fille à haute voix et entra même clans l'eau, aussi loin
qu'elle put aller, à l'endroit où Mona avait disparu. Mais,
et aucune voù ne répondit à ses larmes et
ce fut en vain,
à ses cris de désespoir.

Le bruit de la disparition de Mona se répandit pro~pt~­
t dans l'île, et nul n'en fut bien surpris: ~( Mona, dlsaIt-
men, . l'
. était la fille d un 'Morgan, et c'est son père qUI aura
enlevée. » . -
n ravisseur était le roi des Morgans de ces parages,

t il avait emmené la jeune ouessantine dans son palais,
Le vieux Morgan avaIt un fils, le plus ,beau des enfants
des Morgans, et il devint amoureux de Mona et demanda
à son père de la lui laisser épouser. Mais, le roi qui, lui
lajeune fill(3,
aussi, avait les mèmes intentions à l'éga.rd de
répondit qu'il ne consentirait jamais à lui laisser prendre
pour femme une fille des hommes de la terre. Il ne man­
qnait pas de belles Morganezed dans son royaume, qui
et il ne lui refu­
seraient heureuses de l'avoir pour époux,
serait pas son consentement,quand il aurait fait son choix . .
au désespoir. Il répondit à j son
Voilà le jeune Morgan
père qu'il ne se marierait jamais,s'il ne lui était pas permis
qq.'il aimait., Mona, la fille de la terre.
d'épouser celle
Le vieux Morgan, le voyant dépérir de tristesse et de
se marier à une Morganès, fille d'un
chagrin, le força de
des grands de sa cour, et qui était renommée pour sa
beauté. Le jour des noces fut fIxé, et l'On invita beaucoup
mirent en route pour l'église,
de monde. Les fiancés se

suivis d'un magnifique et nombreux cortége, car il paraît
que ces hommes de mer ont aussi leur religion et leurs
églises, sous l'eau, tout comme nour; autres, sur la terre,

bien qu'ils ne soient pas chrétiens; ils ont même des
et Goulven Penduff, un vieux marin
évêques, assure-t-on,
de notre île, qui a navigué sur toutes les mers du monde

m'a affirmé en avoir vu plus d'un.

La pauvre Mona reçut ordre du vieux Morgan de rester
à la maison, pour préparer le repas de noces. Mais, on ne

lui donna pas ce qu'il fallait pour cela, rien absolument
marmites vides, qui étaient de grandes
que des pots et des
coquilles marines, et on lui dit encore que si tout n'était
pas prêt et si elle ne servait pas un excellent repas, quand
serait mise à mort
la noce reviendrait de l'église, elle
embarras et de sa douleur, la
aussitôt. Jugez de son
pauvre fille 1 Le fiancé lui-même n'était ni moins embar-
. ras'sé ni moins desolé .

cortège était en marche vers l'église, il s'écria
Comme le

soudain:
J'ai oublié l'anneau de ma fiancée!

Dites où il est et je ferai prendre, lui dit son pére .
. Non, non, j'y vais moi-même, car nul autre que moi
ne saurait le retr.ouver là où je l'ai mis. J'y cours et je re­
viens dans un instant.
Et il partit, sans permettre a personne de l'accompagner.
se rendit tout droit à la cuisine, où la pauvre Mona pleu-

rait et se désespérait.
Consolez-vous, lui dit-il, votre repas sera prêt et cuit
à point; ayez seulement confiance en moi.
Et s'approchant du foyer, il dit: « Bon feu au foyer! »
Et le feu s'alluma et flamba aussitôt. .
Puis, touchant successivement de la main les marmites,
les casseroles, les broches et les plats, il disait: « De la
chair de saumon dans cette marmite, de la sole aux
huîtres dans cette autre, du canard à la broche, par ici,
maquereaux frits, par la, et des vins et liqueurs choisis
des
et des meilleurs, d:ws · ces pots .... » Et les marmites, les

casseroles, les plats et les pots s'emplissaient par enchan-
tement de mets et de liqueurs, dès qu'il les touchait seule-
ment de la main. Mona n'en revenait pas de son étonne-
ment de voir le repas prêt, eIl: un clin d'œil, et sans qu'elle
y eût mis la main .
Le jeune Morgan rejoignit alors, en toute hâte, le cor-

téO'e et l'on se rendit â l'église. La cérémonie fut célébrée
Mona:
.:.-- NouS voici de retour; tout est-il prêt ~
_. Tout est prêt, répondit Mona, tranquillement.
Étonné de cette 'réponse,> il découvrit les marmites et les
examina les plats et les pots et dit, d'un air
casseroles,
mécontent : '
_ Vous avez été aidée; mais, je ne vous tiens pas polir
quitte. ' ,
se mit à table; on mangea et on but abondam..:.

ment, puis les chants et les danses continuèrent, toute la
nuit. , '
Vers minuit, les nouveaux mariés se retirèrent dans
leur chambre nuptiale, magnifiquement ornée, et, le vieux
Morgan dit à Mona de les y accompagner et d'y rester,
tenant à la main un cierge allumé. Quand le cierge serait
consume jusqu'à sa main, elle devait être mise à mort.
La pauvre Mona dut obéir. Le vieux Morgan se tenait
dans une chambre contigüe et, de temps en temps, il
demandai t : '
- Le cierge ' est-il consumé jusqu'à votre main ~'
- Pas encore, répondait Mona.
Il répéta la question plusieurs fois. Enfin" lorsque le

cierge fut presq~'entièrement consumé, le nQuveau marié
dit à sa jeune épouse : •
pour un moment, le cierge des mains de
Prenez,
et tenez-le, pendant qu'elle nous allumera du feu.
Mona,

La jeune Morganès" qui ignorait les intentions de son
beau-père, prit le cierge.

Le vieux Morgan repéta au même moment sa question:
Le cierge est-il consumé jusqu'à votre main ~

- Répondez oui, ,dit le jeune Morgan.

Oui, dit la Morganès. ~
Et aussitôt le vieux Morgan entra dans la chambre, se

jeta sur celle qui tenait le cierge, sans la regarder, et lui
abattit la tète, d'un coup de sabre; puis il s~en alla.
marié se rendit
Aussitôt le lever du soleil, le nouveau
auprès de son père et lui dit:

- Je viens vous demander
la permission de me ma-

rler, mon pere .
- La permission
de te marier ~ Ne t'es-tu donc pas
marié, hier ~ ,
Oui, mais ma femme est morte, mon pêre .
Ta femme est morte 1... Tu l'as donc . tuée., mal-
heureux ~

- Non, mon père, c'est vous-même qui l'avez tuée.
- Moi, j'ai tué ta femmeJ ...
Oui" mon père : hier . soir, n'avez-vous pas abattu
d'un coup de sabre la tête de celle qui tenait un cierge
près dé mon lit ~ . ,
allumé,

la fille de la Terre t.. -
' . Oui,
- Non, mon père, c'était la jeune Morganès que je'
venais d'épouser pour vous obéir, et je suis déjâ veuf. Si
, vous ne mè croyez pas, il vous est facile de v'ous en assurer ' )-
par vhus-même, son corps est encore dans ma chambre.-

Le vieux Morgan courut à la chambre nuptiale., et connut
son erreur. Sa colère fut plus grande .
---.' Qui veux-tu donc avoir pour femm~ ~ demanda-t-il
à son fils, quand il fut un peu apaisé.
- La fille de la Terre, mon père.
Ill1e répondit pas et s'en alla. Cependant, quelques jours .
comprenant combien il était déraisonnable de se,
après,
poser' en rival de son fils auprés de la jeune fille, il lui
accorda so11' consentement, et le mariage fut célébré avec
et solennité .
pompe

jeun~ Morga~r'était rempli d'attentions et de préve-

sa femme. Il la nourrissait de petits poissons
our

nance . .
'1' ts qu'il prenait Im-meme, lm confectIOnnaIt des orne-
e ICa , . .
et recherchait pour elle de Johs
e perles fines

mens '
'1laO'es nacrés, dorés, et les plantes et les fleurs ma­
coqUl b
. les plus belles et les plus rares. Malgré tout cela,
rmes
oulait revemr sur la terre, avec son père et sa
ona '

ère, dans leur petite chaumière au bord de la mer. ,

qu'elle ne revînt pas. Elle tomba alors dans une grande
tristesse et ne faisait que pl.eurer, nuit et jour. Le jeune
Morgan l~i dit un jour:
Souris-moi un peu., ma douce, et je te conduirai jus-
qu'à la maison de ton père.
et le Morgan, qui était aussi magicien
Mona sourit,
dit ' Pontrail, élève toi. ' . '
Et aussitôt un beau pont de cristal parut, pour aller du
fond de la mer jusqu'à la terre. ' ,
Quand le vieux Morgan vit cela, sentant que .son fils en
savait aussi long que lui, en fait de magie, il dit : Je
veux aller aussi avec vous. ,
Ils s'engagèrent tOUiS les trois sur le pont, Mona devant,
son mari après elle et le v~eux Morgan à quelques. pas '

derrière eux.
Dès que les deux premiers ' eurent mis pied à terre, le

jeune Morgan dit: Pontrail., abaisse-toi. '
Et le pont redescendit au fond de la mer ent :aiilant avec
vieux roi . .
lui le
mari de Mona, ne pouv nt l'accon1pagner jp.squ'à

la ~aison de ses parents, la laissa aller seule en lui fais-ant
ces recommandations: ' .
au coucher , du soleil; tu me r\etrouveI'as
Reviens,
ici, t'attendant; mais, ne te laiSSé embrasser, ... ni mème
, prendre la main par aucun homme.

Mona promit, et courut vers la mai son' de son ,père.
BULLETIN DE LA. Soc. A.RCRÉOL. DU FINISTÈRE. TOME IX

(j'était l'heure du dîner, et toute la petite famille se trou-

vaIt reume. · .
- Bonjour, père et mère; bonjour, frère's et sœurs!
dit-elle, en entrant précipitamment dans la chaumière. .
Les bonnes gens la regardaient, ébahjs, et personne ne la
reconnaissait. Elle était si belle, si grande et s,i parée! ... Cela
lui fit de la peine, et les larmes lui vinrent aux yeux. Puis,
elle se m~t à faire le tour de la maison, en touchant chaque
objet de la main et disant: Voici le galet de mer sur
lequel je m'assoyais, au foyer; voici le petit lit où je
couchais; voici l'écuelle de bois ou je mangeais ma soupe;
la pàrte, je vois le balai de genêt avec lequelje
là, derrière

balayais la maison, et ici, le pichet avec lequel j'allais
puiser de l'eau, à la fontaine. '
En entendant tout cela, ses parents finirent par la recon-
naître et l'embrassèrent en pleurant de joie, et les voilà

tous heureux de se retrouver ensemble.

Son mari avait bien recommandé à Mona de ne se laisser

embrasser par aucun homme et, à partir de ce moment, elle
perdit complètement le souvenir de son mariage et de son

sejour chez les Morgans. Elle resta chez ses parents, et
bientôt les amoureux ne lui manquèrent point. Mais., elle
ne les écoutait guère et ne désirait pas se marier.
La famille avait, comme tous les habitants de l'île, un
petit coin de terre où l'on mettait des pommes de terre,
quelques légumes, un peu d'orge, . et cela suffisait pour les
faire vivre, avec la contribution journaliére prélevée sur la
mer, poissons et coquillages. Il y avait devant la maison
aire à battre le grain, avec une meule de pail1e d'orge .
une

S.ouvent, qu'and Mona était dans sdn lit, /la nuit, à travers .
vent et le bruit sourd des vagues battant
le mugissement du
les rochers du rivage,- il lui avait semblé entendre des

gémissements et des plaintes, à la porte de l'habitation;
mais, persuadée que c'étaient les pauvres âmes des nau- .
aux vivants' oubli~ux,
fragés qui demandaient des prières

II récitait quelques De profundis' à leur intention, plai-
gnal .
tranquillement. .

entendit distinctement ces 'paroles
Mais une nuit, elle
'ées par une voix plaintive à fendre l'âme: 0
rono ,
ona, .
. vous aime tant et qui vous a sauvée de la mort ~ Vous
qUI ..
m'aviez pourtant promIs de revemr, sans tarder; et vous
me faites attendre si longtemps, et vous me rendez s1 mal­
heureux! ... , Ah! Mona, Mona, ayez pitié de moi, et
revenez, bIen VI e .... .
Alors, Mona se rappela tout. Elle se leva, sortit et .
trouva son mari le Morgan, qui se plaignait et se lamen-
tait de la sorte, près de sa porte. Elle se jeta dans ses
. bras ... et depuis, on ne l'a pas revue. ))
Dans les traditions et les ballades du Nord, eddas 1 et
il est souvent question d~hommes et de femmes des
sagas,
eaux, mer, lacs ou fleuves. On les appelle de différents
noms: Nixes, Neks, Ondins et Ondines. Les A lfes ou
Elfes, qui n'nt avec eux beaucoup de ressemblance, sont
pourtant des esprits terrestres et tiennent davantage aux ,
traditions celtiques, où ils s'appellent Corandorwds. ou

nains et lutins. Comme nos Morgans bretons, les Nixes et
les Ondins et Ondines recherchent le commerce des enfants
de la terre. Ils se présentent à eux sous les apparences les

plus séduisantes, les engagent à la danse et finissent par
les entraîner au fond des eaux; C'est ordinairement dans
les vallées solitaires, près 'des cours d'eau, des étangs et
des lacs, qu'ils mènent leurs rondes, au clair de la lune,
dans la ballade de
comme les filles du roi des .Aulnes,
Gœthe. Or;t les voit aussi danser à la 'surface de l'eau, la
veille du j'our où quelqu'un doit s'y noyer.
Dans les romans/du cycle de la Table-ronde, les hommes
et,les femmes des eaux sont également connus,sous le nom .

de fées;et Lancelot, ravi à sa mère par une fée de mer, passa
son enfance, jusqu'à l'âge de quinze ans, au pays de féerie,

dans un palais merveilleux situè au fond d'un lac et entouré
de tous côtés de murs infranchissables. La fée savait qu'il
serait un chevalier sans pareil, et elle avait besoin. de lui
pou~ délivrer son fils. retenu captif et enchanté par un ma-
gicien puissant. . .
Y a des femmes des eaux qui n'ont de forme humaine

que jusqu'aux hanches et dont la partie inférieure se ter­
mine en queue de poisson; c'est sans doute un souvenir des
sirènes de l'antiquité. Et, à ce propos, je dirai qu'il est aussi
question assez souvent de sirènes, sereines ou syréné, dans
les traditions populaires de nos côtes, et qu'on en voit plu­
sieurs figurées très-distinctement, en granit, dans des bas­
reliefs fort curieux qui ornent le côté extérieur de l'abside
Sizun, dans le Léon. Il en est d'autres dont
de l'église de
la partie supérieure est une belle femme, et l'inférieure un
serpent, comme Mélusine, la bien-aimée du comte R::li­
mond de Poitiers. « Heureux Ra,imond, dont la femme n'éütit
serpent qu'à moitié! » s'écriait à ce propos Henri Heine.
If arrive souvent que les Nixes, quand ils ont avec les
hommes un commerce amoureux, ne demandent pas seule-
ment le secret, mais, qu'ils' exigent en outre qu'on ne leur

fasse jamais de question sur leur origine ... leur demeure et

leur parenté. Ils ne disent pas non plus leur nom véritable,
mais, ils se donnent, ' vis à vis des hommes, un nom de
guerre. L'époux de la princesse de Clèves se nommait
Hélias. Etait-ce un Nixe f Le cygne qui l'amena au rivage
fait penser à ces êtres mystérieux que l'on appelle femmes­
cygnes, et dont je dirai également un mot, parce que j'en
ai aussi trouvé la trace, dans les traditions du peuple, à.
l'île d'Ouessant, comme sur le continent. "

Voici, sommairement, le récit relatif à Hélias:
En l'année 711, v:ivait Béatrix, fille unique du duc de
Clèves; son père était mort et elle était dame de Clèves' et

de beaucoup d'autres pays. Un jour, la jeune châtelaine
était assise dans le château de Nimègue; il faisait beau ..
le temps était clair, et elle- regardait couler le Rhin. Un
cygne blanc descendait le fleuve et il -portait au cou une
chaîne d'or. A la chaîne était attaché un petit vaisseau que
tIrait le cygne; dans le vaisseau était assis un beau jeune
homme; il tenait un glaive d'or dans la main, un cor de chasse
pendait à son c6té .. et à son d?igt brillait un anneau pré­
cieux. Le jeune hom-me mit pied à terre, et il parla longue­
ment avec la demoiselle; il lui dit qu'il protégerait ses
domaines et chasserait ses ennemis, et il lui plut si bien
qu'elle le prit pour époux. Mais, le mystérieux inconnu lui
dit: « Ne me questionnez jamais sur ma race ou mon ori­
gine, car du jour où vous m-'en parleriez, je serais séparé
de vous et vous ne me reverriez jamais. » Et il lui dit encore
qu'il s'appelait Hélias. Il était grand de corps, tout comme
un géant. Ils eurent depuis ensemble plusieurs enfants .
Mais, au bout de quelques années, une nuit que Hélias était
dans le lit, à c6té de sa femme, la princesse lui dit, sans
pre~dre garde: « Seigneur, ne voudrez- vous pas dire à .
vos enfants d'où vous sortez ~ » A ces mots, Hélias quitta
la dame, sauta dans son vaisseau de cygne, et ne fut plus

revu depuis. La femme fut désolée de son départ et mourut!
de chagrin .. dans l'année. Il paraît pourtant qu'il laissa à
ses trois enfants ses trois joyaux: le glaive, le cor et
l'anneau. Dans le vieux château de Cleves, s'élève encore
une haute tour, au sommet de laquelle tourne un cygne, en
guise de girouette :on l'appelle la tour du cygne, en mé­
moire de l'évènement. Dne tradition populaire veut même
que Godefroy de Bouillon" le héros chanté par Le Tasse,
dans sa Jérusalem délivrée .. fût de la déscendance d'Hélias
et de la dame de Clèves (1). .

(1) Hélias a donné son nom à l'une des branches de la chanson de
geste du Chevalier du cygne qui, dans nos poëmes héroïques du moyen-

Je pourrais multiplier les exemples et citer maintes' tra-
ditions, scandinaves ou autres, où les Nixes s'allient aux
habitants de la terre et toujOlPrS à peu près dans les mêmes
conditions, comme, par exemple, les ballades de : Agnete,
l' Homme des eaux, la Femme de mer, le Neck, la Fille de
Marsk-Stig, du recueil de M. Xavier Marmier : Les Chants

du Nord.
Il est question d:évêques de mer, dans 'le conte breton
recueilli à Ouessant et qu'on a lu plus haut. C'est, en effet,
une tradition bien répandue, ' et ailleurs qu'en Basse-­
Bretagne, que l'existence de ces prélats océaniques. On lit
èe qui suit dans Johannes Prœtorius (1) :
« En l'an 1433, on trouva dans la Baltique, vers les côtes
« de Pologne, un homme océanique; tout semblable à un
« évêque. Il avait sur la tète une mître épiscopale, une crosse
« à la main, et portait un vêtement sacerdotal. Il se laissa
« touc~er, particulièrement par lesévêqùes du pays, et leur

« fit des honne-qrs, mais sans parler. Le roi voulut le faire
• « garder, dans une tour, mais, il s'y opposa par gestes, et
« les évêques prièrent qu'on le laissât rentrer dans son élé- .
« ment; ce qu'on fit. Et il fut. accompagné par deux
« évêques, et il se montra de bonne humeur. Aussitôt qu'il
« entra clans l'eau, il fit le signe de la croix et plongea.
« Depuis, on ne l'a pas revu. ,»
On trouve cette histoire dans les Chroniques de Flandre,
dans l'Histoire ecclésiastique, de Spondanus, comme
aussi dans les }rf emorabilia, de Volfius.
Qu'y a-t-il d'étonnant ft ce que le peuple ait cru à l'exis-

âge, forme à elle seule le cycle des croisades. Cette légende du cheva­
lier au cygne se trouve dans le Roman de Dolopathos, du moine
de fables merveilleuses et de conles populaires,du
Hel'bprt, l'ecueil
XlIle siècle. J'ai recueilli le même conte en Basse-Bretagne, avec quel-
ques l&gères modifica tions. .
(1) L'Anthropodemus plutonicus, ou Nouvelle description universelle
de toutes sortes d'hommes merveillettx. Magctebourg, 1666 •

tence des évêques de mer, après des témoignages si graves

et si respectables ~ ,
J'ai aussi trouvé trace, dans l'île d'Ouessant, des femmes
volantes ou femmes-oiseaux, si communes dans les tradi­
tions-des peuples Bcandînaves, des Tatars, et généralement
dans tout I)Orient. Je les ai également renc?ntrées, assez
souvent, sur le continent. Il semble qu'une des choses qui
frappèrent le plus vivement l'imagination des peuples pri­
mitifs fut l'aviation, suivant une expression moderne, c'est­
à-dire la faculté de -voyager librement à travers les. airs,
porté sur de'fortes ailes, comme les aigles, les cygnes et
autres grands oiseaux qu'ils voyaient journellement passer
ou planer sur leurs têtes. Les expériences d'Icare se sont
poursuivies jusqu'à nous, sans que la question semble avoir
fait de grands progrès, si même l'on n'a pas reculé.
Sont-ce des esprits aquatiques, des esprits aériens ou
des magiciennes, que les femmes-oiseaux '? La tradition ne

les caractérise pas exactement. Elles descendent ordinai-
rement des hauteurs de l'air, sur .leurs ailes de cygne) dé-
posent leur enveloppe empennée, . et, comme de belles

jeunes filles, se baignent dans les étangs ou les parties

retirées des rivières. Sont-elles surprises par des curieux,
elles s'élancent proprement; reprennent leur peau emplumée
et remontent dans les airs, sous la forme de différents
canards, mais le plus ordinairement de
oiseaux, pigeons,
cygnes. Nous lisons, dans un conte -populaire du rec:ueil
de Musœus, la belle histoire d'un chevalier qui réussit à
dérober un de ces vètements de plumes. Quand les jeunes -
filles sortirent du bain et qu'après être rentrées dans leur
errveloppe. elles s'enfuirent · dans les airs, il en resta en
arrière une qui chercha en vaiii son plumage. Elle ne peut -
s'envoler et verse des larmes abondantes; elle est admira-
blement belle, ,et le rusé chevalier l'épouse. Ils vivent heu- .
reux, pendant sept ans; mais, un jour, en l'absence de son

mari, la femme retrouve sa robe emplumée, cachée dans
une armoire; elle s'y glisse et s'envole .

La même fable se retrouvé ·en Basse-Bretagne, et j'en ai
recueilli plusieurs .versions. Voici celle que j'ai trouvée à
Ouessant: · .

PIPI MENOU ET LA FILLE DU MAGICIEN
Il Y avait une fois un jeune garçon, nommé Pipi Menou,

qui gardait tous les jours ses moutons, sur une colline, au
bas de laquelle s'étendait un bel étang. Il avait remarqué
_que, souvent, quand le temps était beau, de grands oiseaux
blancs s'abattaient prés de cet étang. Mais, dès qu'ils tou­
chaient la terre, chaque peau emplumée se fendait, s'en­
trouvrait et il en sortait une belle jeune fille, toute nue.
Puis elles entraient dans l'étang et s'y baignaümt et folâ­
traient au soleil. Un peu avant le coucher du soleil, elles
sortaient de l'eau, rentraient dans leurs peaux emplumées
et s'élevaient dans l'air, bien haut,. avec de grands bruits
d'ailes.

Le jeune berger regardait tout cela, de loin, du haut de

la colline, et il en était fort étonné et n'osait pas s'appro-
cher de l'étang. Cependant, cela lui paraissait si extraor-
dinaire, qu'il en parla, un soir, à la maison.
Sa grand'mère, qui tournait son fuseau entre ses doigts,
. as~ise sur un galet rond (eur vilienn), au coin du foyer, lui
parla de la sorte :
- Ce sont des femmes-cygnes, mon enfant, filles d'un
puissant magicien., et qui habitent un beau palais, tout
resplendissant d'or et de pierres précieuses et retenu par
quatre chaînes d'or au-dessus de la mer, bien haut, bien
haut.

- N'y. aurait-il donc pas moyen d'aller voir ce beau
château, grand'mêre? demanda le jeune garçoh.
_. Cela n'est pas facile, mon enfant; cependant, on peut

aller, cai~ du temps que j'étais jeune fille, on parlait d'un
avait été et en etait même revenu, et c eSL par Ul qu on a
eu des nouvelles de là:':'haut .

_ Et comment faut-il s'y prendre pour y aller, grand'- .

mère f
_ Ah! pour cela, il faut n'être pas peureux, d'abord;
ensuite, il faudrait se ,cacher dans les buissons qui bordent
s'y tenir bien tranquille et bien silencieux, puis,
l'étang,
(car ce sont des princesses), auraient
quand les princesses
quitté leurs peaux de plumes, enlever une de ces peaux et ,
ne la rendre ni pour prières ni pour menaces, qu'$, la con-
dItion d'être transporté jusqu'au château aérien, d'être
aidé et protégé par celle dont on tient ]e vêtement et de
n'y a pas d'autre moyen. ' ,
l'épouser ensuite. Il
écouta attentivement les paroles de sa grand'mère
Pipi
et ne fit que rêver, toute la nuit, des femmes-cygnes et de
leur palais.
Le lendemain matin, il partit avec ses moutons, comme

à l'ordinaire, mais bien décidé à tenter l'aventure. Il alla se

cacher parmi les saules et les aunes qui bordaient l'étang
et, à l'heure accoutumée, le ciel s'obscurcit et il vit trois

grands oiseaux blancs, aux ailes énormes, qui planaient au-
dessus de l'étang. Ils s'abattent sur le rivag~, leurs peaux
s'entrouvrent et il en sort trois jeunes filles; d'une beauté
merveilleuse, qui se jet.tent aussitôt à l'eau et se mettent à
nager, à se poursuivre et à folâtrer. Pipi était à son affaire;
sans s'attarder à regarder les belles baigneuses, il s'empara
de la peau emplumée de l'une d'elles. C'était celle de la
plus jeune et la plus. jolie des trois. Elles l'ont aperçu et,
sortant aussitôt de l'eau, elles se précipitent sur leurs vête-

ments de plume. Les deux aînées trouvent bien les leurs,
mais l'autre, voyant le sien entre les mains de Pipi, court
à lui en criant:

- Rends-moi mon vêtement.
Oui, si vous voulez me porter jusqu'au palais de votre

pere.
Nous ne pouvons pas faire cela, dirent les trois

sœurs ensemble, il nous battrait, et toi-même tu serais
mangé par lui; rends vite, le vêtement de plume.
Je ne vous le rendrai que si vous me promettez de
me porter jusqu'au palais de votre père. .
Les deux aînées, déjà dans leurs peaux emplumées, vin­
rent au secours de leur sœur:

- -Rends son vêtement de plumes à notre sœur, où nous
allons te mettre en pièces 1 crièrent-elles.
- Bast 1 je n'ai pas peur de vous, répondit Pipi, bien
qu'il ne fut pas très-rassuré. .
Voyant que ni prières ni menaces ne pouvaient le fléchir,

elles dirent à leur cadette :
faut faire ce qu'il te demande, car sans tes plumes ...

tu ne peux retourner à la maison, et si notre père nous
voyait revenir sans toi, il nous punirait sévèrement.
La jeune princesse pleura, mais promit. Pi pi 1 ui rendit alors
sa peau de plume. Elle s'y introduisit et lui dit ensuite de

monter sur son dos; ce qu'il fit. Alors, les trois sœurs
s'enlevèrent en l'air, si haut, que le jeune garçon ne vit plus
ni la terre ni l'eau. Mais, il aperçut bientôt le château du
magicien, retenu au-dessus des nuages par quatre chaînes
d'ol'.
Les princesses n'osaient rentrer avec le jeune pâtre.
Elles le déposèrent dans le jardin, qui était sous le château,
et le recommandèrent au jardinier. Elles rentrèrent, un peu

plus tard que d'ordinaire, et leur père les gronda et leur
défendit de retourner pendant quelques jours à l'étang, si
bien qu'elles s'ennuyaient dans leurs châmbres. Elles ne
faisaient que rêver de Pipi, qui était un fort joli garçon,
et celui-ci, de son côté, était aussi tout préoccupé d'elles,

surtout de celle qui l'avait porté sur son dos, ~ et, des
deux côtés, ils songeaient aux moyens de se rejoindre.
Tous les soirs, la mère des princesses dèscendait, au bout
un grand panier dans le jardin, etJe jardinier .
d'une corde,

le remplissait de légumes et de fruits, pour la provision du
lendemain, puis la vieille le remontait. Un soir, Pipi se
plaça dans le panier, sous les choux, les carrottes et au-
tres légumes. Quand la vieille tira à elle: Comme c'est
. lourd! qu'avez-vous donc mis dans le panier ~ demanda-
t-elle au jardinier, qui nE\ répondit pas, car il avait, pour
cette fois, confié à 'Pipi le soin de la provision jç>urnaliére.
Mais, la jeune princesse é,tait à sa fenêtre et elle avait
reconnu Pipi dans le panier. Elle s'empressa d'aller porter
aide à sa mère et lui dit: Laissez-moi faire, ma mère ...
et ne vous donnez pas tant de mal, à votre âge; je monte-

rai désormais le panier, tous les soirs; ne vous en inquiétez
pas davantage. 0 '
La vieille s'en alla, satisfaitè des attentions de sa fille
pour elle. Pipi fut alors hissé en haut et caché dans la
chambre de la princesse, où il passa la nuit. Et chaque soir, il

montait ainsi, par le même chemin, et descendait le matin,
de bonne heure. Mais, les deux aînées, ayant découvert la

fraude, furent jalouses de leur cadette et menacèrent de

tout dévoiler, si Pipi ne leur rendait aussi visite. Alors,
Pipi et la jeune princesse résolurent de quitter ensemble le
château et de descendre sur la terre. Ils remplirent leurs
poches d'or et de pierres précieuses, puis, quand tout le
la jeune magicienne revêtit sa peau de
monde dormait,
plume, Pipi lui mon~a sur le clos, et ils'partirent. Le lende­
main matin, le vieux magicien et sa femme se mirent à
leur poursuite; mais c'était trop tard, et ils ne purent les
atteindre ..
La princesse se fit baptiser, car elle n'était pas chré­
tienne, puis Pipi l'épousa et ils vécurent .heureux ensemble

et eurent plusieurs enfants .. Mais, on dit que ces enfants
leur furent tous enlevés par les Morgans. »
. . Cette fin est visiblement écourtée, car, dans tous les
récits où le héros enlève 1:;1 fille d'un magicien, il y a entre
le père et sa fill e, qui a lu ses livres et appris ses secrets,
une lutte féconde en incidents pathétiques où les deux
. fugitifs, sur le point d'être atteints, se cachent sous diffé-
rentes métamorphoses et finissent par mettre en défaut

toute la science du vieux sorcier .
Voici encore, résumé en quelques phrases, un autre
conte breton, que j'ai recueilli dans les Côtes-du-Nord, et
où il est aussi question de femmes-oiseaux.
Les trois fils d'un roi vont à la chasse, dans nne grande

forêt. Le plus jeune des trois, nommé Charlee, s'acharne à
la poursuite d'un sanglier et s'égare. Il reçoit l'hospitalité
dans la hutte d'un sabotier.
Un inconnu, un vieillard, égaré aussi, disait-il, y était
déJà, quand il arriva. Ils font ensemble un frugal repas

puis, comme il n'y a pas de lit à leur offrir, . ils pas-
sent la nuit à jouer aux clés. Charles perd tout l'argent
qu'il avait sur 11li.7 puis son cheval. Il joue alors sa tête, et
la perd aussi. Le vieillard, qui se nomme Barbauvert, le
laisse retourner chez son père, à la condition qu'il viendra
se mettre à sa discrétion, dans son château, au bout d'un
an et un jour ..... Le terme venu, Charles part à la recher­
che du château de Barbauvert. Il visite successivement
trois ermites, qui lui donnent des conseils sur la manière
de se conduire. Le dernier lui dit: « Barbauvert est le
plus savant magicien qui existe. Il habite un château qui
est suspendu au-dessus de la Mer noire, retenu par quatre
chaînes d'or. Il a trois filles, qui viennent tous les jours,
sous la· forme de cygnes, se baigner dans un étang qui est
au milieù du bois, non loin d'ici..... »
Bref, Charles doit dérober à l'une des filles du magicien

son vêtement de pluri1es-, pendant qu'elle sera dans l'eau, et

ne le lui rendre qu'à la condition d'être conduit jusqu'au
château de Barbauvert .

Il se conforme aux instructions de l'ermite et se fait

transporter jusqu'au château âérien, sur le dos de la plus
jeune des filles du magicien.

Pour racheter sa tête, qui appartient au magicien, il lui fait
exécuter une série de travaux prodigieux, assez semblables
à ceux imposés à Psyché, dans le conte d'Apulée.
Il s'en tire à son avantage, grâce à l'aide et au con­
la jeune magicienne, qui a étudié les livres de
cours de
et en sait aussi long que lui, en fait
son père, à son insu,
de magie. Enfin, Charles et sa protectrice quittent aussi
le ' château enchanté, et , échappent à la poursuite du

vieillard et de sa femme, par une série de métamorphoses
curieuses'; puis ils se màrient et vivent heureux ensem- .

ble. .

Outre les femmes-cygnes, on trouve des hommes-cor-
beaux, dans les traditions scandinaves. Dans un chant

sombre et terrible comme le Nord lui-même, un de ces

êtres mystérieux et mal définis joue un rôle infernal. Je

résume la ballade ou saga, qui est fort . longue. Ecoutez
histoire:
cette terrible

Un roi et une reine du Nord se promènent sur la

mer. Soudain, leur vaisseau se trouve arrêté par une force .

magique. C'est un homme-corbeau qui l'empêch~ d'avan-

cel'.

- Laisse-nous aller, lui dit la reine; ne me précipite
pas dans l'abîme, et je te donnerai de l'or et de l'argent, à
discrétion. ' .
.. De l'or et de l'argent je ne m'en soucie, répond le

monstr~ ; il me faut ce que tu portes sous ta ceinture.
, Ce que je porte. sous ma. ceinture, je te le cède volon ..

tiers; c'est ma petite clef d'or; a~rivée chez. moi, j'en ferai
autre. (1)
faire une
L'homme-corbeau est satisfait,et le navire vogue de nou-

veau vers la mer profonde.
Mais, la reine était enceinte; elle accoucha d'un bel
L'enfant fut baptisé et nommé German. Et il grandit •
enfant.
et devint un beau et fier garçon.
Mais, plus il avançait en âge, plus sa mère devenait
triste et inquiète.
Le jeune homme l'interrogea un jour à ce sujet, et elle
lui révéla le terrible secret.
Une nuit que la reine était couchée dans son lit, la fenê­
tre ouverte, l'affreux corbeau entra dans sa chambre et lui
rappela. sa promesse. .
jura Dieu et les saints qu'elle n'avait donné le jour
Elle
à aucun enfant. Le monstre s'envola en poussant un cri

effroyable.

German avait ,alors quinze ans, èt il désirait épouser
jeune fille qu'il aimait: c'était la fille du roi d} Angle-
une
terre.
Mais, comment traverser la mer et aller en Angleterre ~
Il se rendit auprès de sa mère et lui dit:
- Ma mère, prêtez.,.moi votre peau garnie de plumes,
pour traverser la mer 'salée et aller en Angleterre, voir ma
bien-aimée, la belle Adelutz.
, Ma peau garnie de plumes est en fort mauvais état"
mon fils; je ne m'en suis pas servie depuis longtemps, et je
crains pour toi quelque accident.
, N'importe, il me la faut, ma mère. -
German revêt la peau emplumée de sa mère et part. Le
voilà qui plane au-dessus de la mer. Là, il rencontre l'af­
freux corbeau, au milieu du Sund.
(f) Ce thème d'un enfant promis inconsciemment par sa mère ou son
à l'esprit du mal se rencontre, sous diverses formes, dans les cOlites
père
populaires,. et je l'ai souvent trouvé en Basse-Bretagne.

Sois le bienvenu, German, le pieux héros; où es-tu
resté si longtemps f lui dit-il, avec une joie féroce.
__ Laisse-moi passer, . laisse-moi voler vers ma bien-

alme .
. . Alors, je veux te marquer; je te retrouverai plus tard.
Et il lui arracha l'œil 'droit, et but la moitié du sang de son
CŒur.
German continua de voler au-dessus de la mer profonde
et arriva auprés de sa bien-aimée" et s'assit dans sa cham-
tout pâle et. sanglant. . .
bre,
En le voyant, toutes les jeunes filles qui tenaient compa-
à la princesse quittent le jeu et le rire .
gnie
sa bien aimée, joignit les deux mains et lui dit:
Adelutz,
_ A quel jeu avez-vous été, German ~ Vos habits sont

sanglants et 'os joues sont si pâles!
_ Adieu, chère Adelutz, il' faut que mes ailes m'empor­
tent. Celui qui m'a arraché l'œil veut avoir Y aussi mon

Jeune corps.

Et la princesse lui peigna les cheveux avec un peIgne-

d'or, et versa d'abondantes larmes.
Puis, elle l'attira dans ses bras et s"écria: Maudite-
soit ta méchante mère, qui nous a jetés dans de telles souf-
. frances l , ..
- Ne maudissez pas ma mère, chère Adelutz, elle n'a
pu faire comme elle voulait: chacun est sous la volonté, de
son destin.
Et il se mit dans la peau de plumes de sa mère et

vola au loin, sous le ciel bleu. .
Et elle se mit dans une autre peau de plumes et vola

auprès de lui,
toujours
- Retournez, chère demoiselle Adelutz, oh! retournez
chez vous et ne me suivez pas plus loin.
- Je ne retourner~i pas, German, mais, je vous suivrai
jusqu'au lieu où vous avez reçu votre blessure.

Et ils continuent de voler de concert, l'un près de l'au­
tre; et Adelutz était teHement en colère, que tous les oi­
seaux qu'elle rencontrait, elle les coupait en morceaux. Il
n'y eut que l'affreux corbeau qu'elle ne réussit pas à ren-
contrer; et, après l'avoir cherché vainement, elle s'abattit
. sur le rivage, où German étai-t déja descendu. EUe ne trouva
pas' German, mais elle trouva sa main droite coupée . .
Furieuse, elle remonta dans l'air à la recherche de l'af­
. freux corbeau. Tous les oiseaux qu'elle rencontra, elle les
coupa en trois.
Puis, elle rencontra aussi l'affreux corbeaux, et le coupa

en deux.
Et elle vola longtemps sur la bruyère sauvage, jusqu'à
ce qu'elle mourut de douleur. »
On prétend que ces terribles femmes-cygnes sont les
Walkyries scandinaves. L'homme corbeau est aussi, sans

doute, un magicien de la même race. Les 'Walkyries du
germaines des Vilas des Serbes, fendent
Nord, cousines
l'air sur leurs grandes ailes blanches. On les voit, ordinai-
rement, la veille de quelque grande catastrophe, planant

au-dessus des lieux de carnage et des champs de bataille,
dont elles fixent le sort par leurs décisions secrètes. .
Les filles-oiseaux des contes bretons, moins cruelles,
aussi filles de magiciens; et magiciennes elles-mê­
mais
~es, hàbitent, comme nous l'avons vu, des palais d'or et
d'argent suspendus dans les nuages, au-dessus de la mer

ou de la terre, et descendent sur la terre, à l'aide de vête­
ments de plumes, pour se baigner au soleil, dans les étangs
et les rivières. Nous trouvons encore leurs analogues, chez
les Tatars, sous le nom de Coudaïs. Les Coudaïs habitent
. aussi dans les nuages, sous un tabernacle ou grande jurte,
à l'entrée de laquelle se trouve un poteau d'or, pour atta­
cher les chevaux des visiteurs, Ils sont au nombre de sept;
ils ont sept fils et sept filles aux ailes: de cygnes. Les fils ·

et les filles de la terre, s'attachant aux épaules des ailes
de cygnes, viennent parfois- rendre visite à leurs dieux,

jouer avec les jeunes déesses et nager avec elles, dans un
lac d'or. ' .
Les Femmes-cygnes des traditions scandinaves sont ter­
ribles; mais, celles des Tatars sont cruelles et atroces,
au-delà de toute expression. Trente de ces femmes se méta­
morphosent parfois en un seul loup-garou. D'autres fois, elles
se mettent à quarante et concentrent leurs per'fidies et
, leurs malices pour constituer une seule et diabolique

Femme-cygne. Pour se défatiguer, cette dernière avale du
sang humain par trois fois plein la main" après quoi elle
peut courir et se rassasier de carnage pendant quarante
années, sans désemparer. Voici, du reste, un chant Tatar
qui donnera une idée de ces monstres:

LA FEMME-CYGNE COMBAT CONTRE UN HEROS
NOMMÉ LE GARÇON-TOUT-NU (1)
« A la · fiÎl du troisième jour, le Garçon-nu et la Femme­
cygne s'attaquèrent. Les montagnes éclataient sous leurs
pas, la mer grossissante inondait la terre, qui s'enfonçait.
Le démon d'en-bas eut peur; et, au ciel, les Coudaïs
eurent peur.
« Pendant sept années" ils luttèrent; ils approchaient de
la neuvième annèe. Tandis qu'ils luttaient" une tempète
grondait autour de leurs épaules, qui renversait les oiseaux;
une tempête grondait autour de leurs pieds,qui écrasait les
ammaux.

(f) Extrait des poëmes et traditions populaires recueillis, en 1847 ct
en. 1855, par Castl'cn et Titow, chez les Tatars du gOllverncment du
Yt'nisseï et de la steppe d'Ouibat (cercle du ~ ;inou<;sisn).
BULLETl~ DE LA Soc. ARCOIWL. DU Fl~ISTÈRE. - TOilIE IX. 7

{( La terre ne les pouvait .plus porter, elle s'effondra .

Ils s'affaissèrent jusqu'à la troisième couche; ils s'aft:ais-
sèrent jusqu'à la dix-septième, pays de la Femme-cygne .
« Le Garçon-nu regarda autour de soi et aperçut un roc
noir de corbeau qui, du fond de l'enfer, s'élevait jusqu'au
pays du soleil.
« La terrible Femme-cygne le tira et le traîna contre le
rocher. « C'est là qu'elle demeure, » pensa le Garçon-nu,
et il la tirait et la traînait vers le pays du soleil. Ils luttè­
rent encore, pendant plusieurs lunes, pendant une année ·
encore: mais les forces du Garçon-nu étaient épuisée;:;, et
il s'évanOUIt:
« Quand il revint à soi, il était enfermé dans le rocher
noir de corbeau. La Femme-cygne lui avait mis les fers
aux pieds, avait rivé neuf chaînes autour de ses mains. Un
bloc de cuivre se dressait jusqu'au ciel entre ses pieds,
entre ses mains.
« La Femme-cygne regardait par côté le Garçon-nu et
riait: « Depuis quand l'homme et le rocher ne font-ils
plus qu'un ~
Puis, elle saisit son épée émoussée, l'aiguisa contre le
et s'en fouetta elle-mème les grosses hanches, s'en
roc
frotta les chairs grasses et s'élança vers le pays du soleil. »
Quels êtres, quelle barbarie
e(quelles imaginations en
délire, véri tables œgri 80mnia !
Les femmes-oiseaux des contes bretons sont magiciennes
et habiles à se dissimuler et à se métamorphoser sous les

formes les plus variées et les plus inattendues, comme on
le voit dans plusieurs des récits que j'ai r-ecueillis. Dans les
traditions tatares, Bousalay et une Femme-cygne se pour­
suivent à mort et cherchent à se tromper réciproquement

en se cachant sous diffél'entes apparences. La Femme-cygne
tranforme en mouche, puis en grain de cendre, et se
laisse tomber dans une coupe de lait caillé qui est présentée
a Bousalay par sa traîtresse de sœur, et que celui-ci avale
sans soupçon. Une fois dans son corps, la Femme-cygne
tranche le cœur du pauvre Bousalay, avec un couteau.
Bousalay ressuscite avec son grand fouet de héros,
Mais
l'attacbe par les pieds a la selle de son ûheval, la" tête traî­
nante sur le soL .. La Femme-cygne accourt, mais d'un coup
de fouet, il la partage en deux ...
Dans le conte breton de Coadalan, que j'ai recueilli a
Plouaret, dans l'arrondissement de Lannion, on voit de
même deux magiciens, le maître et son valet, qui a étudié
en secret les livres du premier, qui luttent d'habileté a re­
vêtir différentes formes. Coadalan, que le magicien emmène
sous la forme d'un cheval, qu'il a prise pour procurer de
l'argent à son pêre, lequel le vend ainsi métamorphosé, Coa­
dalan se jette dans une rivière et se change en anguille. Le
magicien le poursui t, sous la forme d'Iln brochet. L'anguille,
et s'envole dans l'air. Le magi­
alors, devient colombe
cien la suit; changé en épervier. La colombe" se laisse
tomber~ sous la forme d'une bague, dans l'urne d'une
servante, près d'une fontaine; la servante se met la
bague au doigt. Le magicien se présente en musicien
ambulant au château où se rend la servante et, pour prix
de sa musique, il obtient que la bague lui soit remise;
mais la servante la jette au feu; le magicien s'y jette pour
la saisir; la bague devient alors grain de blé, dans un tas
de blé, au grenier; le magicien se fait coq pour l'avaler;
mais le grain de blé, c'est-à-dire Coadalan, devient aussi­
tôt renard, se jette s..ur le coq et le croque ~ et ainsi la
victoire finit par lui rester.
On voit qu'en fait de métamorphoses, nos contes bretons
n'ont rien à envier à ceux de::; autres nations; mème~ à

ceux des Tataes; seules, les horreurs et les cruautés
barbares de ces derniers ne sont pas compatibles ~vec le
génie celtique et breton.
Il existe encore, dans nos traditions bretonnes, tout un
sont ce qu'on appelle des
cycle de récits dont les héros
corps sans âme, c'est-à-dire des êtres singuliers dont l'âme
ou le principe vital ne réside pas dans leur corps, mais, ordi­
nairement, dans un œuf, qui se cache dans une série d'ani­
maux de différente nature, renfermés les uns dans les autres. _
corps sans âme ne sont pas particuliers à la Bretagne et
Les
on les rencontre fréq uemment dans les récits de différentes
autres nations, ét plus particulièrement chez les peuples
et les Russes,
d'origine slave, les Lithuaniens, les Serbes
par exemple. Dans les traditions Tatares, on en trouve
également de nombreux exemples. Ainsi, l'âme de Tchori­
doug-Lama se réfugie dans le corps d~une guêpe; un géant
à douze têtes cache la sienne dans une aiguille. Des héros,
avant d'aller en guerre, renferment leur âme en lieu sûr,
qui, dans des tiges d'herbes, qui, dans un anneau, qui,
serpent à douze têtes, qui, dans une épée enfouie
dans un
sous terre. Bouydelay, héros Tatar, le champion des
neuf héros soudés en~emble, monté sur un
dieux, forgé de
cheval, réunion de neuf chevaux, avait caché neuf âmes
dans une cage, sous forme de neuf oiseaux. Dans nos
géant a caché son âme dans la racine
contes bretons, tel
arbre de son jardin; tel autre, dans un œuf, lequel
d'un
œuf est dans un canard, le canard dans un renard, ' le

renard dans un loup, et le loup dans un coffre cerclé de
fer, au milieu de la Mer noire.
Mais revenons aux femmes-oiseaux qui, par tout ce que
je viens de dire et ce qui va suivre, paraissent être de tra­
dition universelle, répandue par tout le monde, mais dont
le sens néanmoins reste mystérieux.
aux femmes-oiseaux se rencon-
Les traditions relatives

trent un peu partout, mais principalement chez les peuples
Scandinaves .. les Serbes et les Orientaux. M. E. Cosquin,
dans l-es savants commentaires et les nombreux rappro­
chements dont il accompagne la version qu'il en a recueillie
à Moutiers-sur-Saulx, dans le département de la Meuse.,
signale presque toutes les références connues, parmi les­
quelles nous indiquerons de préférence les suivantes: un
conte du Tyrol italien (Schneller, nO 27). Le hé1'os s'empare
aussi du plumage d'une des trois sœurs,descendue du haut
. des airs pour se baigner dans un fleuve. Il est de même
conduit par la jeune magicienne chez son père, qui lui

impose trois épreuves, où elle lui vient également en aide.
Dans un conte grec moderne de M. de Hahn (n° 54), un
jeune homme promis au diable, dès avant sa naissance, se
met en marche pour l'aller teouver. Il voit trois Néraïdes
(sic) qui se baignent. dans un lac, après avoir déposé sur
le rivage leUl's vètements de plume. Il s'empare d'un de
ces vêtements et ne le rend que sur la promesse formelle
que lui fait la jeune fille de l'aider à se tirer des pièges que
lui tendra son père, et de ne pas l'oublier, « même dans la
mort. » Ces Néraïdes (sic) sont aussi filles du diable,
comme le sont également, dans un conte basque du même
thème, (Webster, Basque Legends., p. 120) les trois jeunes
filles à l'une desquelles le héros, d'après le conseil d'un
Tartaro (ogre)," dérobe ses vêtements de colombe. De
même, dans un conte russe (RaLston, p. 120) le prince.,
promis par son père au roi des eaux, rencontre une Baba­
Yaga (sorcière ou ogresse) qui lui dit de prendre les vête .....
. ments de l'aînée de douze jeunes filles qui arrivent sur le
bord de la mer, sous forme d'oiseaux. Il le fait et ne rend
ses vêtements à la jeune magicienne qu'à la condition
qu'elle le protégera et l'aidera, dans les épreuves qui
l'attendent. '
épisode desfemmes-oiseaux appartient au thème tres-
Cet

répandu où le héros refuse de rendl'e à la jeune fille le
vètement de plume dont il s'est empat'è, et il la garde elle­
mème comme sa femme; mais, un jour, la jeune femme
trouve moyen de reprendre son vètement, e( elle s'envole
vers son pays, comme nous l'avons vu plus haut, dans
l'analyse du conte de Musœus. Après diverses aventures,
le héros parvient à la rejoindre, et désormais ils vivent
heureux.
Ce thème se divise en deux branches, que l'on pourrait
appeler la branche aérienne et aquatique, et la branche
terrestre. Dans la première, en effet, on voit des jeunes
filles qui, descendant du ciel, viennent se baigner dans un
lac, un étang ou un fleuve de la terre, puis elles s'élèvent
dans les airs, portées sur de fortes ailes artificielles: dans la
seconde, ce sont des princes enchantés retenus captifs par
des magiciens ou des fées,sous différentes formes animales,
le plus souvent hideuses, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé une
jeune fille qui consente à les épouser, quelquefois à les
embrasser seulement, sous cette apparence. Cette forme
animale, ils ne la portent que le jour seulement, et la nuit,
ils déposent leurs peaux de crapaud, de serpent, de loup,
de poulain, etc., etentrent dans le lit de leurs épouses sous
la forme de jeunes princes beaux et gracieux, ce qu ils sont,
en effet, comme on le voit au dénoûment. Il semble qu'il
y ait là quelque affinité avec la fable grecque de
Psyché.
Je signalerai encore,pour les femmes-oiseaux)des contes
allemands (Simrock, n° 65, Grimm, nO 193) ; un conte ita-
lien (Comparetti, nO 50), un conte bohème (Waldau,
page 555), un conte grec moderne (Hahn, n° 15), un conte
valaque (Schott, n° 19), un conte polonais (Tceppen, 2 édi­
tion, Dantzig, 1867, page 140), un conte finnois (Beauvais,
Contes populaires de la Finlande, de la Norwége et de la
Bourgogne, page 181), un conte lapon (nO 3 des Contes

lapons, traduits par F. L iebrecht, Germania, tome 15).
On a recueilli également un conte de ce type, chez les
Esquimaux du Groënland méridional (Tales and traditions
of the Eskiens, by H. Rink,1875, nO 12).
La littérature européenne du moyen-âge présente aussi
ce thème. Enfin, dans l'Edda scandinave, les rencontres
de femmes ailées sont très-fréquentes. Là, elles s'appellent
(( Walkyries.» Trois frères, fils de rois, étant à la chasse,
rencontrent sur le bord d'un lac trois femmes qui filaient
, du lin; (( auprès d'elles étaient leurs forilles de cygnes. »
Les trois frères les emmènent chez eux: ils passent sept
hivers ensemble, puis les femmes s'envolèrent (( pour
chercher les batailles, et ne revinrent pas. »

Dans les Nibelungen (aventure 25), Hagen s'empare des
vètements de deux Ondines, pendant qu'elles se baignent,
et il ne consent à les leur rendre, que si elles lui révèlent
l'avenir (1).
En Orient, le nombre des rapprochements à faire, chez
les Persans, les Arabes, les Birm;ll1S, les Thibétaiens, les

Hindous, les Chinois, etc., serait encore plus considérable;
mais, il faut savoir se borner, et nous croyons en avoir
dit assez pour montrer que la chaîne d'or des récits tradi­
tionnels, qui, ' depuis tant de milliers d'années, sont la
poésie et la consolation du peuple, dans le monde entier,
est continue et sans interruption, depuis l'extrème Orient
jusqu'à nos pauvres chaumières de Basse-Bretagne .

(n Consulter, pour tout ct' qui se rapporte aux femmes-oiseaux. les
sa"ants et nombrenx commentaires ùont M. Emmanuel Cosquin a
accomragné son conte lorrain de la Chatte blonche, dans le recueil
Romania, à la page 62 et suivantes, 5 partie, 1878, ' de son tirage à
part.