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Bulletin SAF 1880


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Un coup de Jarnac à la foire de Saint-Corentin, le 11 décembre 1551

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Pol, 'il nons a paru intéressant ùe les signaler au double point
de vue de l'histoire et de la numismatique.
La séance se termine par une piquante communi­
cation de M. le Secrétaire, où il montre autant d'esprit
que de connaissance de certains vieilles mœurs de
Quimper.

UN COUP DE JARNAC

A LA FOIRE DE SAINT-CORENTIN, LE Il DÉCEMBRE 1551.

La foire de Sain t-Corentin d'hi ver qui se ~ enait le 1 t dé­

veille de la fête du patron de la Cornouaille armori­
cembre,
caIne, était jadis l'une des foires les plus importantes de
Quimper, sinon sous le rapport des transactions commerciales,
au moins au point de vue de la grande affluence d'étrangers à
laquelle elle donnait lieu. C'est ce jour, en effet et cette cou-
. tume n'a pas cessé d'exister, que les domestiques de la cam­
pagne venaient en ville pour faireleurs gages lorsqu'ils étaient

congédiés ou que l'espoir d'un bénéfice si mince ' qu'il fut, les
portait à rechercher de. nouveaux maîtres; ou pour me sp,rvir
du terme consacré, de nouvelles conditions. Au 22 novembre,

fête de sainte Catherine, expirait l'engagement des serviteurs .

A cette date, dit le proverbe breton, Je maître devient valet :
• Da c'hoel Gatel

A ia ar mestr da vevel.

Aussi dès le maLin de ce jour, les pavés mal alignés des rues

de la ville résonnaient-ils sous les lourds sabots ferrés d'une.
de domestiques des dEUX sexes et de tout âge depuis
multitude
le vieillard blanchi daus le vassilage, jusqu'au misérable paotr

saout qui se gageait pour sa nourriture et. uue paire de sabots,
• ce qui ne l'empêchait pas de se croire un homme, prétention
en criant à tue-tête: Me zo den, ha
qu'il exprimait d'ailleurs

mab den, ha den ma unan (C Je suis homme, fils d'homme,
homme moi-même. »
Si les serviteurs affluaient en ville, les maîtres ne manquaient
pas non' plus qu'ils fussent gentilshommes ou simples fermiers,
un intérêt réciproque abaissrtit dans cette occurrence les
car
barrières que leur condition sociale~élevait en tre ces diverses
catégories de personnes.
Une aulré circonstance qui ne pouvait manquer d'attirer à

Quimper un grand nombre de visiteurs, c'est que la saint Co-
rentin qui se célébrait, je le répète, le lendemain de ]a foire,
était la fête patronale de cette ville. On n'ignore pas quelle
dévotion avaient surLout les habitants des campagnes pour
des septs saints de Bretagne, et, comme
saint Corentin, l'un

l'appelle poétiquement le p, Maunoir, « le premier des sept
astres du firmament breton. » .

C'est pendant ces deux jours, et seulement à cette époque,
que les boulangers' forains des paroisses voisines venaient
vendre à Qn:Împer, sous le nom de Kornik (Kornigou), ces cu­
faites de ' farine de froment et sans sucre. dont
rieuses brioches
la forme triangulaire qui rap'pelle celle d'une ancienne mitre
ou d'un bonnet carré, n'est peut-être qu'une tradition de la
coiffure du premier évêque de la Cornouaille. Ce mystérieux
gâteau coriace et d'une saveur âpre, mais dont l'origine doit
être fort ancienne, peut donner une idée de la délicatesse des

friandises dont se régalaient nos pères. Lorsque les deux seuls

boulangers de Guilers qui sont en possession de vendre encore
des Kornik à la foire et le jour de la fête de saint Corentin
auront payé leur tribut à la loi commun,e, ce modeste gateau
aura vecu.
Sa durée aura ' cependant étè plus longue que celle du beau
temps de ces deux jOlJr!l de fête. La foire de saint Corentin su-
en effet la règle de l'uniformité est devenue une foire
bissant
vulgaire qui se tient co rn meles autres foires le troisième samedi

du mois. Quant à la fête du grand saint, elle ne se célèbre plus ' .

le 12, mais le dimanche qui suit cette date, et elle passerait
• si les voix joyeuses de toutes les cloches de la cathé-
inaperçue

draIe ne venaient rappeler aux fidèles des souvenirs qui s'effa-
çent de jour en jour. La conséquence de c~s faits a été pour la
ville de Quimper la perte de sa fête patronale. La saisOn était
du reste assez mal choisie pour,des réjouissances au grand air, et
cette .considération n'a peut-être pas été étrangère au choix qu'à
fait la ville en adoptant pour fête patronale celle de Loc-·Maria,
l'une de ses paroisses,ql1i se célèbre le 15 août et dure plu-

SIeurs Jours.

Le changement est la loi de ce monde, aussi bien pour les
institutions que pour les hommes et les choses. Aussi n'ëLon­

nerai-je personne en disant que les lieux où se passèrent les

évènements que je vais raconter ne ressemblent plus aujour-

d'hui à ce qu'lis' étaient il y a trois siècles. La place Saint-
plus petite qu'elle ne l'est aujourd'hui était le point
Corentin
vers lequel .convergeaient les flots d'hommes que certaines fêtes
attiraient à Quimper. Sur celte place se tenaient les marchés
où se vendaient toutes sorte3 de denrées. Des cuisines en plein
. air y étaient établies, (,Ù l'on faisait frire d'énormes quantités
de poissons, le régal des gens de la campagne. Toutes les rues
de la ville aboutissaient à cette place, ~n formant les sinuosités
les plus pittoresques. L'une d'elles se distinguait entre toutes

par la disposition de ses maisons dont les étages supérieurs

ét.aient si rapprochés que l'on pouvait s'e donner la main d'un

côté à l'autre de la rue. On peut juger si la lumière pénétrait
aisément dans les profondes boutiques des rez-de-chaussée.
C'est à cette circonstance que cette rue devait son nom de rue

Obscure. On l'appelle auJourd'hui rue Royale, mais elle n'est

plus ce qu'elle était j adib. Elle a été entièrement transformée

et c'est à peine s'il en frste encore quelques. vestiges .
Malgré son obscurHé, comme celle voie servait de communi­
cation entre la ville et tout le nord de l'évêché, elle 'était
très·fréquentée ; aussi les hôtelleries et les tavernes n'y
toujours

faisaient pas défaut. Elles étaient nombreuses aussi sur la place
Saint-Corentin, qn'on appelait alors place du Tour du Chastel(t),
et l'une des mieux achalandées était l'hôtellerie tenue à l'angle
de la place et de la rue Obscure, par Denis Perrault, bourgeois
notable de Quimper.
Or le vendredi t 1 décembre 1551, jour de la foire de Saint.
Corentin, plusieurs gentilshommes, des dignitaires du clergé
de riches bourgeois, pour qui la journée avait été bien rem.
plie, se promenaient encore ou stationnaient à une heure
la soirée devant l'hôtellerie de Denis Perrault,
avancée de
{\ devisant » et « beuvant n près' de la porte, du vin qu'on
leur servait de l'intérieur. Personne ne se faisait alors scrupule
de boire à la porte d'une auberge, et personne n'aurait songé à
y trouver à redire. C'était du reste df' rudes « beu,"eurs 1) que
les hommes du XVIe siècle! Mais quelle science avaient les
uns et quels coups d'épée savaient donner les autres. Si, comme
le dit la Sagesse, ont doit juger l'arbre à ses fruits, les grands
hommes, les grands faits, les grands écrits du XVIIe siècle peu-
vent nous offrir la mesure de la sève qui circulait dans ce

corps puissant qui s'ap.pelle le XVIe siècle.
Pendant que cette réunion d'.amis causait ainsi gaîment et
buvant le coup de l'étrier avant de se séparer, arriv.a d'une
taverne de la rue Obscure un gentilhomme, parent ou ami des

précédents, -mais qui avait sans doute trop bien fêté la Saint·

Corentiù, car safprésence apporta le trouble dans la: compagnie,
et il en résulta des fails d'une gravité extrême qui donnèrent
'lieu à une enquête •
. Mais comme pour raconter ces faits la langue chaudement
expressive de l'époque vaudra mieux que ma froide prose, je
laisse la parole à Denis Perrault, l'un des témoins entendus
dans cette enquête. .

Ct) Voir pour l'historique de cette place ma Monographie de la cathé-
drale de Quimper. .

Du XIIIe déoembre 1551.

« Denys Perrault, le jeune, marchant desmeurant en la ville
« de Kemper-Corentin, aigé d'envyron trante ans, comme il .

« dict, juré par son serement dire vérilté, purgé de conseil!,
« deppose que il tient taverne en sa maison et demeurance,
« sitluée sur la place du Thour du Chaslel en ladicte ville de
« Kemper-Corentin, et que vandredy derroin, . envyron dix
(l heures de nuict. Renné de Kerloaeguen, sieur de Kernecheu­
« zen, maistre Hflrvé Toullanlan~ Yve5 Le Doulce, Guillaume
« Fily, Guillaume Le Doutce et autrAs se trouvèrent ensemble
(l en ladite maison où ils tardèrent ~lelquP. peu, beuvans et
« dyvisans amyablement enssemble. EL après ce, sortirent hors
(l devant ladite maison ou ledit Kerloaeguen leur feist
u porter une ou deux quartes de. vin; et estant ainsin devant
« ladite maison, veid le recteur de Guyscritl, le docteur Lesau­
« devez et François Lesaudevez, sieur du Slang, venyr devers
. « la rue Oscure et tarder avec ledit Kerloaeguen et ceulx de'sa

« compaignye en ladite place près ladite maison et beurent les
« ungs aux aultres, comme myeulx luy semble; et estant
« ainsin les ungs parmy les aultres, ledit Kerloaeguen demanda
« où estoit madamùysselle sa compaigne, et que elle debvoicL
u venyr .à la foyre et le voyr. Et sur ce ledict Kerloaeguen print
« ledict François Le5audevez par le collet de cuyr qu'il portoyt
u sur soy, et le scouoyt et le branloyt; et lors ledict Lesau­

« devez diet audict Kerloaeguen pourquoy il le prennoict au
u collet et branloyt ainsi; et sur ce se nomèrent et s'entre
« apellèrent sotz et dyoLz. Interrogé, dict que ledict Lesaude-
0. vez; comme myeulx luy semble, appella premyer ledict Ker-

« loaeguen sot. Sur lesquelles paroles ce depposant ouyd
• . quelques paroles de démantyr entreulx,. ne seaict déclairer

u aultrement quelles paroles, ne quel demantit le premyer. Sl1~

« quoy. les assistans se mysdrent entreux et les départyrent; et
ct lors ledict KerIoaeguen print de son garson, quel estoyt der­
<1 rièreluy, ung long baslon que l'hon (sic) appelle massue et

CI a le pied en forme de halebarde gorny de fer. Lequel Ker-
Cl loaeguen ayant prins ledit baston en sa main meict à pyé à

CI. terre le pied d'icelle massue, disant en effect telles paroles:

Cl Je m'en va à l'hostel, quy a affaire de moy me trouvera là. »
ft Sur qUoy veid .ledicL François de Lesaudevez destourner vers
« ledict Kerloaeguen mectant la main à l'espée, et incontlnant
« ledict Kerloaeguen poincta et tint la poincte dudict baston
« vers ledict Lesaudevez : lequel Lesaudevez evagina son espée,
CI et l'ua plusieurs coups contre ledict Kerloaeguen, de sorte
« que ledict Kerloaeguen thumba et en thumbant et reculant
CI. le dict Lesaudevez frappa ledict Kerloaeguen à la teste et le
«, blecza et· saigna. Aussi le veid hleczé au jarret, touttefoys ne
« veid donner donner lediet coup au jarret, à raison que les
Q assistans se misdrent à les despartir. Et après ledict Kerloae­
« goen estre relevé, ledict Lesaudevez du plat de son espée

(l frappa led;ct Kerloaeguen sur les espaulles, et l 'ouyd appeller
« villaine Dict aussi que ledict Lesaudevez print l~dicte massue

« et l'amporta 0 luy et ledict Kerloaeguen fust mesné chès le

« barbyer. » .
., René de Kerloaeguen, sieur de Kernecheuzen oq Crec'heu­
zen, d'une des meilleures familles des évêchés de Quimper et
de Tréguier, habitait à l'extrémité de la rue des Reguaires, l'un
des faubourgs de cette ville, le manoir de Cl'ec'heuzen, qui fuL
plus tard transformé en séminaire et qui est aujourd'hui l'hos-
pice de Quimper. \
de Lesaudevez, sieur du Stang, qui l'assaillit si dé-
François
loyalement, était son neveu par sa femme. Il arriva à l'auberge
en compagnie de son parent Georges de Lesaudevez, docteur en
droit, et de Pierre du' Rusquec, chanoine de la cathédrale et
recteur de Guiscriff.·
Les autres personnages ecclésiastiques ou civils qui se trou­
bien involontairement mêlés à cette affaire, étaient
vèrent
presque tous des notaires .ou des gens de justice.

Les dépositions des personnes entendues dans l'enquête lie

diffèrent entre elles que par certains détails qui échappèrent à

quelques-uns des témoins ou qu'ils ne jugèrent pas à propos
de rapporter. L'un d'eux déclare que 10rsque'François de Lesau­
devez arriva sur la place :
« Il l'ouid dire telles paroles: « Je vllay (vois) là un fou

Cl boyre. J) Et incontinant ledit sieur du Slang s'approcha 0
« ladite compaignie estant à boyre devant ladite maison dudit
• Perrault, et d'arrivée ledIt François Le'saudevez et Benné
fi Kerloaeguen s'entre saluèrent et s'acollèrent amyablement ;
« et après ce ledit recteur de Guiscriff vint aussi à eulx, salua
• la compaignye, auquel recteur ledit Kerloaeguen demanda
(1 pourquoy il n'estoyt venu le voyr, et aussi demanda audit
u François de Lesaudevez où estoit sa compaigne et pourquoy
u il ne l'envoyoict le voyr. Et cependant que lesdits Kerloae­
« 'guen et Lesaudevez divysoient ainsi amyablement enssemble,
« lesdits docteur de Lesaudevez et recteur de Guyscriff et
«maistre Yves Le Doulce se pourmenoynt dyvysans ensem­
• bIe' sans noise ne differant 0 personne. Quel Kerloaeguen et
fil Lesaudevez estant ainsi dyvys3ns devant ladite maison,
CI[ eurent quelques paroles de noysse, entre aultres ouyd ledit
fil François de Lesaudevez dire audict Kerioaguen en effect telles
Cl paroles: ' Pourquoy meJ prenès vous au collect? Mon
fil collect vault bien le vôtre. » Ne Iuy souvyent qu'elle res­
a ponce feist ledict Kerloaguen, mays ouid' par après ledict
u Lesaudevez dire audict Kerloaeguen en effect telles paroles:
Ir Veau tu n'es que ung veau, el quant tu moras tu moras en la
u peau d'un veau. » Sur quoyeurent plusieurs aultres parolles
CI[ picquantes desquelles ne Iuy souvyent, fors qu'il ouid ledict
cc Lesaudevez dire audict Kerloaeguen : ( Ou cas que vouldryés
« dire le contraire vous auriés manly. » A quoy respondist
« ledict Kerloaguen,tusant de telles ou équivalentes paroli es :
Ct C'est vous méchantement, ou malheureusement. J) Sur quoy
« lesdict docteur de Lesaudevez, recteur de Guyscriff, et aultres

• des assistants les despartyrent et estant despartis ledict Ker·

Cl loaeguen print ledict bec à corbin, long boes qui estoyt 0 son
Cl servyteur derryère luy, en disant telles paroUes : Cl Je suys
CI homme de bien, je m'en voys à l'hostel et quy aura affaire

« de moy, me trouvera. D ,
, Maître Guillaume Le Doulce, noble homme, termine ainsi sa
déposition :
« Et après. ledict Kerloaguen. eslre relevé et que l'on le
CI mennoyt à la maison du parbier pour le panser, ledict Lesau­
e devez s'adrecza de rechieff 'à luy et le frapa du plat de son
Cl espée à travers les espaulles l'appellant villain, et luy disant:
• Je te tueray, .tu euras cella. J) Et estant ledict Kerloaeguen
Cl mené chès le barbier, le veid pareillement blecé au jarrest,

et disoict que ledict Leraudevez l'avoyt aussi bleczé au jarret. D
Voici la fin de la déposition de maître Yves Le Doulee, noble
homme: ,

Cl Ledict François de Lesaudevez evagina son espée et rua
u d'icelle plusieurs coups contre ledict Kerloaeguen, lequel

« Kerloaeguen thumba par terre, et estant thumbé ledict Lesau-
CI devez Iuy rua plusieurs coups d'espée et le frappa à la teste,
• le blecza et saigna; quoy voyant ce depposant et aultres se '
cr misdrent entreulx et les despartirent ; et estant ledict Ker­
a loaeguen thumbé, ledict Lesaudevez saesit ledict baston
CIl c\udict Kerloaeguen, disant audict Kerloaeguen se randre;

« sur quoy les assistahs levèrent ledict Kerlsaeguen, et estant
Cl icelluy Kerloaèguen levé deboult, n'ayant auchunes armes a
Cl veude ce depposant, ledict Lesautlevez du plat de son espée
fi frappa ledict KerIoaeguen à 'travers les espaulies, l'appellant
« ,'illain, » comme myeulx luy souvyent, et demandant si il y -
« avoyt personne quy voulloyt deffandre ledict Kerloaegnen
« contre luy. Et sur ce ledict Lesaudevez bailla ledict baston
CI dudict Kerloaeguen à ung sien serviteur, auquel ctlmmanda
• le porter à son logeix, disant qu'il l'avoyL bien gaigné; et
CI sur tant ledict Lesaudevez s'en alla et son varlet devant luy

CI portant ledict baston. Et ee depposant et· auitres des assis':

Cl tans allèrenti conduyre ledict Kerloaeguen chès le barbier
« pour le faire pansser, où ce depposant le veid bleczé d'une •

u autre plaie au jarret. Dict que aultre que ledict Lesaudevez

« ne rua aucun coup contre ledict Kerloaeguen. D

L'arme que portait le valet de Kerloaeguen est tantôt appelée
«( masse à pied de hallebarde tantôt « ung long baston en
l( forme de javelyne appelé bec à corbin. J)
Il paraît que la compagnie « tarda» bien longtemps à boire
.. près de la porte de l'hôtellerie de Denys Perrault, car ce fut.
seulement à une heure. du matin que ICi querelle eut lieu,
d'après le témoignage de Charles Kersalé qui passant ~ cette

heure par la place du Tour du Chastel, « veid devant ladicte
« maisoIi grant nombre de gens, aucuns d'eulx ayant des

« epees nues. J)
Il fallut en effet que les assistans missent l'épée à la main
se rendre maitres de l'assaillant •
pour
On conduisit alors chez le barbier le blessé qui perdait
beaucoup de sang. Quoiqu'il y eut avant le XVIe siècle des
docteurs et maîtres ès sciences médicale, ceux qui prenaient
ces titres dans les écoles, qu'ils fussent clercs ou laïques, les
recherchaient plutôt comme un supplément à leur bagage
scient.ifique, que pour en tirer parti au point de vue profession·
nel. Il en était du moins ainsi dans les villes peu importantes
où la cQrporation des barbiers était en possession de manier
le rasoir et la lancette et de donner des con­
alternativement
quantum su/licit de latin de cuisine.
sultations assaisonnées d'un
Aujourd'huitoUI est bien changé. Les barbiers ne pansent
plus les blessUI'es et 'les médecins affirment qu'ils ne rasent
plus leurs clients.
Voici à titre de spécimen, le rapport clair; et concis auquel
donna lieu de la p.art des barbiers consultés par la justice,
l'examen des blessures de René de Kerloaguen. J
Cl Nous Paul Hamon et Jehan Le Baganec, maistres barbiers
Cl et cirurgiens, certifions et relatons avoir veu, pensé èt visité

« Benné de Kerloaeguen sieur de Kernecheuzen. Lequel Cl une
(J playe en la partye du' ,devant de la . teste du costé senestre
, « SUl' et en l'endroit de l'os coronal, ladicte playe longue d'en­
- cc vyron troys doitz et Jorge d'un pouee et penestrante jucqlles
« au panicule nommé perrianeum; et nous semble ladicte
« playe estrë faicLe J'UIl coup de revers d'espée par ce qu'îl
« nous a aparu avoir enlevée le cuir et la chair de ladicte
( largeur. Item a une aultre playe en la par!,ye du dehors le
« jarret et joincl ure de la jambe du costé destre. Item a une
« aultre esgrafineure au bras senestre; et nous semble que
« c'est d'une chfluste. Et est ce que nons en semble, et par

« noz seremenlz avons signé ceste, le traiziesme jour de dé-
« cembre, l'an mil cinq centz cincquante ung. »
François de Lesaudevez avait dans cette grave affaire
commis pluieurs infractions anx lois de l'honneur. Il avait
son parent qui était sans armes; il l'avait frappé de
attaqué
son épée lorsqu'il Mait à terre; et, troisième faute, qui semble
avoir été considérée comme plus grave, il l'avait blessé au
jarret, et ce f~t sans doute cette blessure qui eausa- '8a/ chûte,
L'information 's'attacha à bien établir que personne autre

que Lesaudevez n'avait frappé Kedoaguen au jarret. Pour ex-

pliquer l'importance que ce fait avait aux yeux des juges, il
convient de rappeler un évènement qui s'était passé en France

quatre ans auparavant:

« Sur un démenti public donné par Guy Chabot, seigneur de

Jarnac, au seigneur de la Chateigneraie, ce dernier demanda

au roi François 1 la permission d'un combal à outrance.
. mais ce prince ne la voulut point accorder. Ils J'obtinrent enfin
de Henri 11, successeur de François 1 • Le 10. juillet 1547, le
se fit en champ-clos, dans le parc de Saint,Germain­
combat
en-Laye. en présence du roi du connétable de Montmorency,

de quelques autres seigneurs_ La Chataigneraie, après avoir
reçu une blessure très dangereuse au jarret, .tomba par terre.
Sa vie étoit à la discrétion de Jarnac; le vainqueur supplia

plusieurs fois le roi d'accepter le don qu'il lui faisait de la
qui ne voulut point demander la vie. Le roi se
Chataigneraie,
laissa enfin gagner par les prières de Jarnac et par celles du con-
nétable, et permit qu'on portât la Chataigneraye dans sa tell te pour
le panser; mais la honte de se ' voir vaincu le jeta dans un tel
désespoir. qu'il en mourut trois jours après, avec la réputa tian
d'un des plus robustes et des plus braves hommes de la France.
n avait été l'assaillant dans le combat, et Jarnac le soutenant.
Il avoit à peine vingt-huit ans. Il se fioit tellement sur son
adresse, et faisait si peu de cas de son ennemi, qu'il avoit,

suivant Brantôme, préparé . un souper splendide, pour régaler

ses amis le jour même du combat; mais la fortune ' des armes
en décida autrement. Le coup de Jarnac a passé depuis en
proverbe, pour signifier une ruse, un retour imprévu de la part
des ·formalitésqui précédaient ces
d'un ennemi. L'intervalle
sortes de combats, avait été employé par les deux champions
à s'exercer dans "les armes.iJ arnac auroit, dit-on, si bien profilé
des leçolls d'un maître d'escrime, qu'en s'exerçant avec lui, il
ne manquoit jamais le coup qu'il portait à la Chaleigneraye. Ce
combat lm champ-clos est le dernier qui se soit vu en France.
Le regret qu'eut Henri II de la mort de la Chataigoeraye, son
favori, le fit jurer qu'il n'on accorderait plus. (1) ) .
Il est douteux que ce • coup de Jarnac» que l'on a quel­

quefois qualifié d'un autre Hom, ait eu à l'époque j'approbation
de tous les gentilshommes. S'il eut celle du plus grand nombre,
dans une circonstance où il s'agissait d'un duel à armes égales,
il ne pouvait être accepté dans un combat contre un ennemi à
peu près sans défeuse. .
quel fut le résultat de l'affaire de Quimper, dont les
J'ignore
détails ne m'ont été révélés que par un fragment -de l'enquête
des papiers de rebut. .
découvert parmi

. R.-F, LE , Secrétaire •

(t) Nouveau Dictionnaire liistorique.