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Bulletin SAF 1880


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Les haches de pierre (leur usage, leur provenance, leur époque)

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M. Louet, propriétaire ' de la maison de la rue des
où a été trouvé ce chapiteau, a bien voulu
Reguaires,
en faire don au Mnsée d'archéologie, et il a droit à la

· reconnaissance des amis de ' nos antiquités.
Une question de géologie, celle des stalactites, amenée
par la discussion, ocèupe incidemment la réunion.
La formation des stalactites qui, d'après les assertions
au travail l"ent de la
de certains géologues, sont dües
nature, est l'objet d'une critique de la part de M. Pavot,
juge si compétent, qui cite quelques exemples de la ra-
pidité relative avec laquelle elles se forment.

« J'ai vu, dit-il. à Concarneau, un four appartenant

à la Chefferie, qui offre de grandes curiosités. J'y ai .
constaté la présence d'une infinité de stalactites,

mesurant environ 35 à 4'0 centimètres, qui avaient
at~eints en très-peu de temps ces dimensions. A
l'entrée du tunnel de Quimerc'h, on en remarquo .

également ; los hommes de la voie les détruisent ,
-fréqu~mment, mais elles reparaissent et se renouvellent

peu de temps après. .
« Les stalactites apparaissent surtout dans les caver-

nes où suintent des eaux chargées de calcaire en solu-

tion, lesquelles en s'évaporant laissent çe calcaire qui

les diverses formes stalactitiquas .. »)
produit
M. de la Villemarqué,' termine la séance par la
lecture de la fin de son Mémoire sur

LES HACHES DE PIERRE.

LEUR USAGE (Suite).

Mais quel dommage qu'on ·ne trouve dans ,les anciens poë-
mes gallois qu'un seul vers relatifà la vieille èoutume du po·

lissage de la. pierre! Si l'auteur nous avait donné quelques
un usage qu'il prétendait avoir existé dans
renseignements sur

sa j~unesse, et qui datait a,ssur,ément ~e la jeunesse du monde

nons n'en serions pas réduits à des conjectures .sur les procêdés
p(}ur affuter les haches dé) pierre. Le catalogue du
employés 'alors

usée de l'Académie royale d'Irlande, dressé par sir William
Wilde, indique, avec beaucoup de savoir et de détails, les mé­
thodes de polissage. Cornlllo l'illustre antiquaire irlandais,

M. John Evans est disp03é à croire que· l'on sciait certains
. blocs choisis, au moyen d'éclats de silex, peut-être à ·
l'aide de morceaux de bois très-durs et même d'os, que l'on .
avec du sable. Il en n fait l'expérience pour son pro-
employait

·pre compte,:et elle a parfaitemetlt réussi. .

La plupart des out.ils en pierre rare provenant de la Nou-

velle-Zélande ont été façonnés de la même manière par le
sciage, dit-il, et il indique ce gros bloc de jade si intéressan t
qu'on voit à Londres au British -Museum, qui est scié SUl' toutes
. ses faces, et prêt à être éclaté de façon à avoir l'épaisseur re­
.' quise pour faire un instrument quelconque .
Quant .à la manière dont nos ancêtres se servaient de leur .

coins de pierre, les coutumes des sauvages modernes ùe l'O-
céanie peuvent l'expliquer jusqu'à un certain point. On sail que

les naturel:-; de la Polynésie emploient leurs armes de pierre
soit en les tenant daIls la main, enveloppées ou non d'une ma~

tière résineuse qui les y fixe solidement, soit passées dans un

_ manche d'une certaine longueùr ; la pierre emmanchée devient

alors cette terrible hache . guerrière connue sous le nom de
tomahawk. Le prince Newied ci constaté que les indigènes de
l'Australie méridionale ~e servent de leurs coins de pierre avec
ou ' sans manche. S'il avait voyagé en Gaule, avant l'ère éhré­
tienne. aurait-il parl(~ autrement des coutumes des Celtes? La
plupart des coins de pierre découverts· dnns notre sol ne sont
pas emmanchés, mais qnelques-uns le sont encore, et on peut

en voir des échantillons, soit au Musée de Saint-Germain soit .
ailleurs. M. Kerviler a mis sous les yeux des membr8s de. l'As-

sociation bretonne, ail Congrès d'Auray ~ le beau spécime'n de
hn~he de ce genre trouvé par lui-même à l'emhouchure
de la Loire, hache dOllt la , pointe esl engagée dâl1s un
andouiller de corne de cerf que traverse un manche de frêne
d'un mètré de long. D'un autre côté, je n'apprendrai rien à
personne en indiq~ant les haches de pierre, à la fois montées
. et Hon montées~ en creux 011 en relief, sculptées ddns la grotte
de Gawriniz, comme sur le cartouche du tertre tumulaire de
Mané-el'-C'hroek, et sur tl'nutres tllo,numents bien étudiés de

Bretagne.,
Rapprochement curieux qui n'a pas encore été fait el que je

ne v.eux pas perdre l'occasion de ' faire, quoique ce soit une
digression: une des dalles sculptées de la grotte de Gawriniz,
le septième menhir de la paroi droite de l'allée, qui porle trois

coin3 de pierre polie non emmanchés, porle aussi trois serpents
accolés à ces trois coins. Pourquoi celle association de pierres

et deserpenls, marquée du signe myslérieux et sacré par­
le nombre trois.? Qui nous expliquera un pareil hiéro­
tout,
Qui dévoilera cet arcane de 1a religion des tombeaux P .
glyphe?
Nous avons vu, dans les vieilles incantations irialldaises
la même association, ou plutôt une métamorphose complète'
de pierres en serpellts par l'opération magique des druides;
il doit y avoir là un souvenir arrivé jusqtt.'au moyen-âge .
de quelque pratique primitive où la pierre et le serpent figu~

raient; nous nous rappelons cette autre pratique encore exis-
tante en Bretagne, où la pierre dè foudre chauffée n'a pas cessé
d'être employée pour cautériser la piqûre du serpent; or une
aimable communication qui m'est faite par un savant profes-
seur à l'école de médecine de Nantes, vient m'ouvrir de 110U-
veaux horizons: « Celui qui vous envoie ces lignes, m'écrit
avec trop de modestie, le docteur Viaud·Grand-Marais, a com-
m~ncé un travail sur les superstitions se raUachant aux reptiles
dans notre pays~ D In lerrompu depuis J 873 par une doulou­
reuse circonstance, ce travail contient des documents de diffé-
ren.tes dates du plus haut intérêt pour nous, en ce qu'ils se

rapportent précisément à. la guérison de la morsure des ser-
pents au moyen de certaines pierres dites pierres à serpents,
pie1're cobra ou serpentine. Il cile une expérience faite à Venise

de la vertu d'une d'elles, d'après le Journal des Savants de
1668 ; une autre faite à Vienne par ordre de sa M3jesté im·
périale, indiquée dans un journal de la mêine année, toules deux

sous la garantie de Trachenius et de Kirker.i il cite aussi, mais
pour le combattre, le travail de l'abbé Temeyer sur le même

sujet, et, au contraire, pour les approuver; les Expe1'Ïmenta de
RBdi et le Traité de la Vipère de Fontana, Le passage suivant,

traduit d'un ouvrage latin de médecine imprimé en 1572, concer-
nant une épreuve de la pierre à serpent, et qu'il a bien voulu

me transcrir'e, est surtout décisif': Cl Un serviteur du d-octeur

François RobaI Freyre, en fauchant de l'herbe pour sa mule,

fut mordu par Ull serpent d'une espèce si venimeuse que, en
moins d'une heure, ~on bras enfla tellement qu'il fallut cou­
per 1-3a manche pour le mettre à nu. Le malheureux souft'rait
des douleurs alr.oces et allait rendre l'â!lle, quand on Ilppliqua
sur la- piqûre la pierre à serpent,. grâce à elle, en peu de
le hras désenfla et le malade fut guéri, Cujus beneficio
temps,.
brevi . temp01'e detumescebat brachium, .œgel'que sanabatur.

(Pugillus rerum Indicarum, elc. qura Abraham Vatel'i, in ·4°,
WiLtemberg, 1572, .p, 24). .
Dans sa note su'r le Vichamaroundou, les pilules de Tanjore et .
les pier1'es à serpent.s (l)? le docteur Viaud-Grand-Marais
avait déjà reproduit· un récit du p, Desainl, où· ce missionnaire
constate que les sorciers indiens ont continué jusqu'à nos jours
à opérer contre' les morsures venimeuses 11 l'aide de la pierre à
serpent: Cl Pour se servir de ces pierres, dit-il, on les applique

sur la morsure; elles s'y collent, et ne tombent, d'après les
croyants, que lorsque tout le venin a été absorbé, Elles ont'une
grande l:éputatioo. (J Mais, remarque le missionnaire, je n 'y ai, .
pour moi, aucune confiance ». Et,après. nous avoir appris que

(1.) Journal de Médecine de l'Ouest, 1. CI' trimestre 1879.

les charlatans indiens en fabr;quent, et nous avoir même donné

la formule de la composition, il nous révèle 1e truc employé'

par les charmeurs de serpents pour les vcnd:re: «( Les pins habiles
de ces charmeurs, écrit-il, ne brisent point les crochets de
leurs serpents, comme font les jongleurs vulgaires. Ils ont même
bien soin, avant de commencer leurs exercices, de faire

constater par les spectateurs I présence de ces crochets dans
la gueule du reptile. (Les spectareurs s'imagi,nent que le venin
,du serpent est dans ces crochets, tandis qu'il est dans les
glandes que les cbarmeurs hahiles lui ont enlevées tout jeune.)

Au moment Ou le capel eslle plus furieux, ils se fonl mordre
comme par mégarde, crient, sedésespèrenl, se frappent la tête

et la poitrine, comme s'ils n'avaient plus que quelques instants

à vivre, sinlulent des défaillances~ des syncopes; puis, soudain,

ils glissent la main dans 1eul' sac, saisissent la pierre merveil'-

leuse et l'appliquent 'sur la plai.e; eHe y reste collée~ pompe
tout le venil:l et tombe d'elle-même, eL l'individu est subite­

Les assistants qui ont suivi avec une émotion, tau;'
ment guéri.

jours croissante les diff'érentes phases de ce drame, pousserit

des cris de joie el se précipitent pour avoircoûle que coûte

une de ces pierres merveilleu'ses». Le charlatan pousse la
myst.ification jusqu'au bout en engageant l'acheteur à mettre
sa pierre dans une tasse de lait de
pendant quelques heures

femme, pour qu'elle y dépose le prétendu venin qu'elle a

pompé, et même à enterrer ce lait comme du véritable poison.
1\'1. Hervé Vaschalde l'assure dans ses curieuses Recherches SUl'
les pierres mystérieuses, talismaniques et merveilleuses du'Vau--

phiné et du YI~va1'ais. ,

N'y a-t-il pas ici comme un trait d'union entre l'extrême

Orient et l'extrême Occident? Aussi -superstitieux l'un que
"l'anlre, ils tiennent peut-être l'un de l'autre des cr'oyances de­
venues générales et remoulaÎll primi'tÏ"ement à des phénomènes

naturels. ' J'aimerais à montrer à 'nos sorciers bretons, qui
emploient leur mengurun contre le venin des serpents, la mêmè '
pierre figurée trois fois à côté des. trois serpents de la grotte de

Gawriniz, et à leur demander ce qu'ils pensent de cet accou-

plement mystérieux ; E,'il s'est consen'é quelque part des
hommes en possession de traditions drnidiques,ce n'a pu être que
chez eux; ils :représentent à un degré aussi infime qu'on voudra,
mais ils représen Len t ellcore ceux qui, av an t de devenîr des thau- . '
l1Jaturges eL des magiciens avaient été honorés comme prêtres et
médecins chez les Gaulois; et il n'est pas téméraire de croire
que les haches de pierre accolées t" des serpents, qu'on .voit sculp-

tées dans Je tombeaU' de leurs ancêtres, sont l'emLlême de
ceux d'entre eux dont la science médicale était vénérée à l'égal
de celle d'Esculape.

III.

LEUR PROVENANCE .
. La provenance çes haches de pierre polies, leur matière

première surtout, offre moins de diffirulté. Les minéralogistes,
M. Damour en tête, indiquent le quartz, l'agathe, le silex, le

jade, l'obsidienne, l'aphanite, la fibrolite, la chloromélanite, la
jadéite et la diorite, parmi les substances qui les com'posent.

Ces quatre dernières espèces sont celles que l'on trouve le
plus ordinairement, dit M. de Limur, dans les lertres tumulaires
du Morbihan. Dans les Iles Britanniq.ues~ c'est le pétrosilex, le
schiste argileux,le porphyre et la serpentine qui dominent. A pro­
pos du jade, M. PavQt, notre confrère de la Société archéologique

du Finistère, nous a appris un fuit intéressant : une de ces
pierres et 'des plus rares, le jade verd, porte précisément, en
Nouvelle· Calédonie, le nom de pierre de hache; aussi les
minéralogistes l'ont-ils appelé ascien (d'ascia, « hache, ermi-
nelle. J») -
Les gisements qui ont fourni la matière de nos haches polies
communes existent toujours en Europe; mais il paraît que les

vraies pierres précieuses dont sont formées les plus rares se
trouvent seulement chez les insulaires de l'Indoustan qui au­

été en rapport de commerce avec nos ancêtres, et les
raient
leur auraient vend.ues. Si lâ mat.ière, est exotique, le prix des

armes fabriquées n'en était que plus considérable, quoiqu~on
puisse dire de plusieurs: materiam superabat opus. Il en existe
en effet d'un travail tellement fini qu'on les dirait coulées et
non laillées, témoin cette hache de jade vert oriental, unjque'
en SOR genre, découverte dans le Morbihan, qui servit un

. moment de presse-papier à l'empereur Napoléon III, après
avoir été sans doute l'arme de luxe et d'a pparat de quelque
grand chef de guerre armoricain.
Aucun souvenir, à ma connaissance, n'est resté chez les
Bretons des gisements d'où l'on tirait ces armes: une vague
réminiscence existe dans la légende irlandaise relative à la
pierre sainte sur laquelle a été célébrée ]a première messe en
Irlande et a été consacré, pour la première fois, le corps de
~otre-Seigneui' Jésus-Christ. ' '
Sillon cette légende, ici d'accord avec l'histoire, Patrice,
du pays, portait avec lui, dans ses voyages, une pierre
l'apôtre
des ornements d'église, de.s vases d'autel, une tente
sacrée,
grossière et des naLLes roulées qu'il déployait pour dresser sa
chapelle mobile. Les ornements lui avaient été offerts par
Germain d'Auxerre, la tente el les nattes par des néo­
saint
phytes irlandais; il en parle lui-même dans sa Confession, do­
que j'ai traduit dans la Légende celtique .
cument authentique
, Quant à la pierre d'autel, O'Curry, d'après d'anciens textes, en
raconte ainsi la provenance:

Un jour, Finn, le père d'Ossian, avait fait un~ chûte à la
.chasse; son pied avait glissé sur une roche polie propre à con­
des haches. Frappé de la nature de cette roche, il
fectionner
voulut en détacher un morceau pour s'en faire une arme, mais

elle résistait; et comme il s'obstinait à la frapper, une voix

vint du ciel qui l'arrêta; al,o,rs le poëLe inspiré se mit à prédire
mission de Patrice en Irland'e : '
ainsi'la
que mon pied a
« Ce n'est point dans le chemin du crime
glissé;

u Ce n'esi point la force qui m'a manqué; c'est l'homme

guerre que la pierre a repoussé;

BULLEIIN DE LA Soc. ARCHÉOL. DU FIl'USTÈRE.

« C'est à cause d'un saint personnage
qui sera revêtu d'une
haute dignité par l'Esprit-Saint: .

. Cl La pierre ne peut souffrir le contact du corps trop chargé
de graisse d'un guerrier ennemi de Dietl . .
• « Un ohœur d'anges assemblés devant la pierre fait entendre
une musique céleste et annonce une œuvre sublime;

« Au son d'instruments ornés, ils annoncent l'érection de
l'autel de tous les rois; de l'autel de Celui dont le, nom est le
Dieu fort qui juge;
« De Celui dont la puissance est supérieure à la puissance

du perfide ennemi des âmes;

• ~ De Celui qui est l'ami de la vérité, qui est le grand roi du

ciel, qui a pour siège le firmament et la terre pour marche-
pied~ » . .
. Pour le dire en passant, la pierre de l'aulel de Patrice, si
habilement tirée, par l'imagination des Irlandais convertis, de

la carrière d'où leurs ancêtres païens extrayaient leurs armes
de guerre, cette pierre sacrée avait conservé la vertu de la

pie1 re du guerrier; comme celle qu'enchanta le druide Kean­
Mhor et qui se changea en serpent, . elle .. pouvait subir des
métamorphoses non moins surprenantes. J'en remarque une
touchante que je veux citer à ce titre .
Au moment où il s'embarquait p.our une de ses missions en

Irlande, Patrice fut interpellé par un pauvre lépreux breton qui

demandait qu'on le prit à bord. Le saint lui donnait déjtl la '.
main pour monter, quand le pilote le repoussa brutalement et
. leva l'ancre. Ce que voyant, le pauvre lépreux se mit à pleurer,
et tendant les bras au navire, il continuait ses supplications .et

ses appels à la pitié. -
Le bon missionnaire aurait-il pu y rester insensible? « Tiens

ma pierre sacrée! » lui cria-t-il, en la lui jetant; elle te
portera, sois tranquille. J)
Et tranquillement assis sur la pierre, changée ~n nacelle, le
épreux suivit le saint jusqu'au lieu du débarquement; là elle

reprit sa première forme, après avoir sèrvi à faire le plus
charmant des miracles, un miracle de charité.

On 'voit dans un tableau de M. Yan d'Argent, de l'église de
Landernea'u, une autre barque en pierre, celle qui .porté\ en
Armorique l'apôtre saint Houardon; c'était aussi un miracle
de charité qu'il faisait, eomme saint Patrice; mais plus grand,
plus important encore; il venait sauver des âmes .

LEUR ÉPOQUE. . •

S'il est reconnu par les meilleurs jllges (M. Evans entre .
que les armes de pierre ont été employées chez cer-
autres)

taines nations celtiques, principalement dans quelque partie •
reculée de J'Irlande, un peu plus tard qu'ailleurs, il ne s'ensuil

pas qu'il faille adopter les dates imaginées par les historiens
du pays; la chronologie dite des Quatre Maîtres est fort con­
et ces annalistes sont loin d'être des maîtres dans
testable,
l'art de t'érifier les dates. Il est aussi difficile de déterminer
l'époque jusqu'à laquelle les instruments en pierre polie ont
persisté que de préciser le temps où l'on a commencé à s'en
servir. M. de Caumont pensait qU'OH en faisait encore usage
chez les Anglo-Saxons\ à la fin du onzième siècle; il s'est appuyé
sue r un passage de l 'historien de la bataille d'Hastings (1066),
Guillaume. de Poitiers, qui 0 dit des combattants anglais, postés

derrière leurs palissades: Jactant cuspides ac diversorum gene-
,'um tela, sœvissi!rlas quasqùe secures, ac lignis imposita saxa.

Qu'on traduise cuspides par « javelots JI, teta par u flèches J), et
secures par u haches 1), rien de mieux; mais rendre la péri-

phrase lignis imposita saxa par {( haches de pierres 1), tandis
qu'elle veut désigner des pierres placées dans des ma­
en bois, dans des balistes, et qu'on lançait (jactant), 0
chines
ce n'est pas traduire exactement; et l'argument de lVI. de Cau-

, mont ne semble pas concluant. Augustin Thierry n'auraii point

manqué un pareil trait 0 de couleur locale. Il est vrai que le

Glossaire latin saxon d'Aelfrid semble donner raison à M. de
Caumont; devant le mot latin Bipennis se trouvent les mots
saxons Twibille et Stan-aex, placés comme équivalents, et l'on
a voulu retrouver dans Stan-aex l'anglais moderne stone-axe,
• hache de pierre », en concluant que ces haches étaient 'en­
core employée's à l'époque où le glossaire a été écrit, c'est-à­
dire au XIe siècle; malheureusement, il n'en est rien, et,
Twibille comme Stan-aex sont des mots synonimes signifiant,
l'un «hache à deux tranchants », terme de même composition
que'bipennis / l'autre u hache à pierre », instrument de carrier,

en usage pour tailler la pierre.
toujours
. Le texte germanIque du 'combat d'Hildebrand et d'Hadebrand, ,
où le père et le fils se frappent" avec des haches de pierre, d'a- '
près la traduction d' Ampère~ serait 'décisif et offrirait un monu­
ment du VIlle siècle constatant un usage antique; mais cette
pas non plus à l'abri de tout reproche, et les
traduction n'est

philologues les plus compétents d'Alleniaglle en contestent

Evans ne cite même pas l'argument.
l'exactitude: M.
A vrai dire, ce savant pousse le septicisme un peu loin en dou­
que les coins de pierre trouvés dans des villas romaines de la
tant

Gaule, à Carnac, entr'autres, et en plusieurs lieux de l'Ile de Bre-
tagne soient une preule de leur persistance dans ces pays après

l'ère chrétienne, el en insinuant qu'elles n'y sont que par acci­

à l'état de débris perdus du passé; mais il y a bien du
dent,
.vrai dans ce qu'il dit de leur conservation partout, sous forme de
talismans, tant de vrai qu'il -a inspiré l'intéressant ouvrage de
M. Carlhailac sur l'A ge de pierre dans les souvenirs et sUJ,Jers-,

titions populaires. Notre compatriote le D:r de . Closmadeuc est
même allé jusqu'à soutenir que tous les coins de pierre polie

enfouis sous nos tertres funéraires du Morbihan sont des amu-
Jettes, exagération manifeste. Où il n'yen a pas, c'est à affir-
mer que nos ancêtres les Vénètes, dans leurs guerres contre
César, ne s'amusaient pas à employer les vieilles haches de
pierre,' en supposant que quelque tribu arriérée s'en servît en-

avaient des armes de fer et de bronze à leur
core, lorsqu'ils

disposition, comme nous l'apprend leur vainqueur lui-même.
Avant lui, l'histoire est muette en ce qui nous regarde en Armo-

. nque. '
La géologie peut-elle suppléer au silence de l'histoire, et les cou­
ches successives de notre sol, dans les terrains d'alluvion nous
permettent-elles de déterminer la date de nos pierres polies anté. .
à l'ère chrétienne? Un instrument, un chronomètre
rieurement
comme on l'a nommé, ést-il découvert? L'Aca.
préhistorique, •

démie des Sciences a chargé une commission de répondre à

cette question qùi préoccupe vivement le monde savant, et son
rapport ne manquera pas d'avoir sur les études préhistoriques
une influence décisive. Espérons qu'il ne tardera pas à paraître,
sera favorable, et ,que notre collègue, M. Kerviler, recueil­
qu'il

pour lui et pour son pays la gloire qu'a méritée Cuvier.
lera

Je ne veux pas allonger indéfiniment un mémoire déjà trop
long, où je ne pourrais qu'ajouter des hypothèses,; mais la
bonne foi m'engage à y faire une petite r.ectification. J'ai plaisanté,
en commençant, le chevalier de Cambry, et je lui ai attribué le
cellœ qui est effectivement de son crû; mais je dois
barbarisnie
le dire,il se trouve :50US la forme correcte de celtes dans le Thesau-

t'US Brandenburgictls de Beger, publié en 16!l6 (vol. III, p. 418),
à nos coins en bronze destinés à être em­
et l'auteur l'applique
Voici du reste les paroles text,uelles de Cambry :
manchés.
« CELT.tE (sic), nom des couteaux de silet qu'on trouve fréquem'
ment au pied des dolmin, el qui éLaient des instruments de sa~

crifice dans la religion Judaïque et dans toutes les religions. » .
Il s'exprime ainsi à la page 296 de ses onuments celtiques,

fantaisie qu'il dédie à Sa Majesté impériale et royale à laquelle
il croit devoir dire: « Ces monuments rappellent l'anêienneté

des droits que le ciel, voti'e épée, ta rec,onnaissance et l'amour

des peuples viennent de vous donner! »

Napoléon 1 qui avait autant de bon sens que de génie, dût

se demander comment les monuments des vieux Celtes pou-
vaient rappeler ses droits au trône de France; mais ce
n'était pas mal imaginé que de dédier au géant des batailles /

modernes un livre écrit sur les tombeaux des anciens géants
de la Gaule. Aux soldats qu'il entraînait de victoire en victoire,

en leur montrant les quarante siècles qui les contemplaient du

haut des Pyramides, un grand poëte rappelait plus tard nos
héros des dolmens, et faisait dire magnifiquement par l'un d'eux:

o guerriers! je suis né dans le pays des Gaules;
Mes· aïeux franchissaient le Rhin comme un

Ma mère me baigna dans la neige des pôles

Tout enfant, et mon père, aux robustes épaules,
De trois grandes peaux d'ours décora mon berceau,

A peine adolescent, sur les Alpes sauvages;
De rochers en rochers, je m'ouvrais des chemins,
Et souvent dans les cieux, épiant leurs passages,
J'ai pris des aigles dans mes mains •

Le barde (je n'ai pas besoin de nommer M~ Victor Hugo, on
l'a reconnu à son style), le barde après avoir dépeint le Gau­
lois, plus grand que nature, se roulant ·

Dans la poudre et le sang et l'ardente mêlée;

finit par le montrer ·enseveli .

, , ~Parmi des ~monts sublimes;
Afin que l'étranger cherèhe en voyant leurs cimes

dit 1~ géant,

Quelle montagne est mon tombeau. .

L'antiquaire fait comme l'étranger, à la vue des « monts
s.ublimes » de Carnac et de Locmariakèr, sous lesquels repo - .
sent les cendres et les armes de nos plus lointains aïeux •
En finissant sa lecture, M. de la Villemarqué

exprime dans Ull langage très-religieux la vénération
que doivent inspirer les cendres des morts. « Il. ne les

a jamais vues jeter au vent, dit-il, par ceux qui
fouillent nos dolmens, sans une impression-pénible. •

Ces ossements, ces débris humains -furent nos

pères; ils méri,tent notre respect; à quelque époque
qu'ils remontent, ils doivent être sacrés pour nous.
Aprè~ le culte de Dieu, il n'y a rien de plus élevé que
le culte des morts. »)
M. le commandant Faty se fait l'écho de la réunion
en appla~dissant aux paroles émues de M. le Président .
La séance est levée à 4 heures.

Le Secrétaire,

L. TANGUY .