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Bulletin SAF 1879


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Les haches de pierre

M. de la Villemarqué

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considérer qu'ayant seulement deux mil neuf· cent trent et
neuf livres dix-sept sols ùe revenue, après les charges annuelles
paié, cette somme ne proùuit pour chaque religieuse que
cinquante et quatre livres huit sols, encore bien très·casuels,
ne consistant presque qu'en pention viagère; ce qui prouve
qu'il)lOlIô serait impossiblede subsister sy la divine Providence
n'estendoit ses soins à nous pourvoir des moyens casuels par la
réception des subjects qu'elle nons envoie. .
Il est li remarquer que depuis quarante années nous avons
un aisle de dortoir commencée, duquel nous aLLendons nos
logements réguliers comme: réfectoire, chapitre, chambre de
communauté et les chambres particulières, nombre de reli­
gieuses estant obligées, pal' deffdut de logement, d'estre trois
et quatre dans la même chambre.
à divers particuliers, suivant l'estal cerli·
Déclarons devoir
fié du général, la somme de sept mil cent quatre livres 7,104.
Monseigneur nous présentons à votre Grandeur, la juste situa,
tion de l'état du temporel de notre mona.stère qui est dans la
droiture tous ce que nous possédons, supplian t humblement
de l'hollneur de sa protection, la
votre Grandeur d'appuier
que nous déclarons cerliffiées, nous, supérieure et dis­
vérité
de la communauté des Ursulines de Quimperlé, soubs
crètes
signes, ce jour 5° décembre 1717 : sœur Françoise Le
nos
Gall de Sainte-Gertrude, supérieure, sœur Angélique )- )el'vou,
Hélène Gillart, sœur Louise Jacquelot,
souspl'ieure, sœllr
Agathe de Bodoyee, sœur Allgelle le Capiten, sœur
sœul'
Louise Gaultron de L'Annonciation, proclIl'ellse. .
M. de la Villemarqué commence la lecture de son
Mémoire sur les haches de pierre, porté à l'ordre .du
jour de la séance.
LES HACHES DE PIERRE.
Si c'est une grande science que de sa voir
Ignorel" nous

finirons par l'acquérir en Franoe. On y trouve moltls qu au-

trefois de ces gens qui ne doutent de rien et affirment d'un ton
tranchant, tandis qu'ils devraient répondre tout honnement :
Je ne saIS pas.
Plus on avance dans la vie, plus on devient modeste dans la
sciellee; plus on apprend à désapprendre ce que l'on cl'oyait

savoir: en Dieu seul on ne désappreucl rien.
L'ohservation soigneuse des ; faits conduit souvent à recon­
el l'on ahandonne les
naitre loyalement qu'on s'est trompé,
hypothèses séduisantes pour suil're la voie de l'expérience.
. Souveraine en certaines études, la méthode expérimentale ne
l'est, pas moins en archéologie, et les seuls résultats un peu
positifs ohtenus d.ans ces del;nières années sont dûs à celte
méthode appliquée aux temps primitifs de la Gaule.
Peut-être parviendra-t-on à soulever davantage le voile
qui cOllvre nos antiquités, par de nouvelles fouilles hi en faites
et des vérifications sérieuses.
Mais fouiller le soi, extraire et classer ce qu'il cache ne
suffit pas; il faut en même temps fouiller les vieux manus­
crits ; il faut.' iilierroger les témoins ou les échos du passé, et
même la mémoire humaine, partout où elle ne s'est pas
éteinte avec les langues du hérceau ; il faut demander à ces
langues, quand ' on possède la généalogie de leurs l'nots, un
surcroit d'information préférable à tous les systèmes.
. On commence à le faire ; des hommes d'un grand mérite
ont mis là main à. l'œuvre; vi eil ouvrier redevenu apprenti à
l'école de plus d'un jeune explorateur, j'ai voulu travailler avec
eux; je continuerai de mon mieux: après avoir tenlé d'expli­
quel', par les textes, les mon u ments primi 1 ifs de la Ga ule (1) 1
je vais essayer d'étudier, à la même lumière, quelques·uns
des objets qu'on a trouvés dans notre sol. •

Parmi ces objets je m'en tiendi'ai, pour aujourd'hui, à

. (1) Les piel'-res et les textes (Congrès celtiql1e international).

certaines pierres dont on voit à l'Exposition unil'eJ'selle une
collection remarquable.
Rien de curieux comme d'enlendre les questions de la plu­
pflrt des visiteurs à leur endroit: u PO\lrquoi faire ici ces
cailloux? » ; d'autres disent (( ces galets»; d'autres ( ces longs
œufs de pierre, aplalis, pointus et tranchants Il ; servaiellt-ils
à quelque chose? Quel est leur nom? D Les plus instruits, ou
ceux qui prétendent l'être parce qu'ils onl entendu parler o des
trois âges de la pierre, du 0 bronze et du fer, et qu'ils croient
il cette rêvede scandinave, répondent avec un aplomb magis­
tral. Sans avoir la même prétention, cherchons ce qu'on
peut trouvel' de plus vraisemblable à dire touchant le nom, la
provenance, l'usage et l'époque de ce que j'appellerai, pour ne
rien préj uger, les pierres polùls cuneiformes,

LEUR NOM.
Un ancien poële français a dit que la première chose à
faire, qnand on est devant un inconnu, c'est de Itli demander
son nom:
. Sachez d'abord comme il se nomme,
. Car par le nom l'on cognoit l'ho omme.
Je tiens pOUl' bon le conseil et je m'adresse à nos pierres;
par malheur elles ne rr\pondent pas. L'antiquaireCambry ne
s'est pas découragé pour si peu: lapo ides clamabunt! s'est-il
et comme il y voyait des haches druidiques, comme il
écrié;
aimait les druides au point d'avoir voulu être peint dans leur
il s'est constitué le parrain de leurs pierres et il leur
costume,
un nom: du mot latin Celtis, ablatif, Celte, que l'on
a donné
trouve dans le Glossaire de Philoxène et que M. Louis Qui­
par « burin de graveur sur pierre», il a fait
cherat traduit
Celtœ, et d'un bUl'in une hache, barbarisme et contre-sens qui
ne prouvent pas beaucoup en faveur ele l'inventeur.

Ses contemporains racontent, en effet, qu'il ne savait.. guères
latin CJue celui du Paroissien l'omain, forL négligé par
d'autre
lui depuis de longues années, et qu'il avait f iré son Celtee du
verset bien connu de Job (ch, XIX) : Quis lIlihi tl'ibuat ut
scribantur se1'llloncs mei ? ut exm'entw' in lib/'o, stylo rel'rco ...
vel celte sculpalltuf in silice (Office des morLs, leçon IX.)
Quoiqu'il en soit, le barbarisme a été adopté pal' quelqut1s
antiquaires anglais, suisses, et même bretons, et il supplante
le nom de hache da pit/Te, employé ordinairement.
souvent
Plus juste, assurément, et devant une sorte de consécrat.ion
à l'autorité .de Montfaucon, de dom Martin et de M, de Cau­
mont, le nom de hache de lJiel'l'e n'est pourtant pas â l'abri de
toute objection; s'il çonvient aux coins emmanchés, peut-on

l'appliquer Ir ceux qui ne le sont p,as? Convient·il en particu-
à ces petits bijoux cunéiformes de quelques millimètres,
lier
ne pourrait même pas appeler des
d'un travail achevé, qu'on
hachettes? Presque tous les archéologues en tombent d'ac·
cord; ils n'emploient du reste le mot hache que faute d'un
à trouver. .
meilleur, encore
A trouver! mais c'est fait, nous répond un des membl'es les

plus distingués de la Société ' polymathique du Morbihan,
M, de Closmadeuc (ct je l'ai cru avec lui, un moment, en par­
sa joie) ; qu'oll demande 1 eut' nom, dit le sayanL doc-
tageant
teur, à la langue bretonne, qu'un de nos collègues s'est efforcé
de nous faire cOl}sidérer comme la langue mère d'où dérivent
les autres, elle répondra.
Effectivement, la langue bretonne., non la mère d'aucune
autre que je sache, mais la fille de plusieurs pères, hélas! (je

le dis tout bas); la langue bretonne actuelle a un mot pour
désigner les étranges coins de pierre dont les savants igno-
rent le vrai nom; !VI. de Closmadeuc a raison : les paysans
bretons ,ne les appellent pas autrement que men-gUl'un,
pierre de foudre. Maintenant, poursuit-il, si nous interrogeons
la tradition populail'e, universellement acceptée dans nos

campagnes, elle nous apprend que les haches de piene,
men-gu1'un (1 pierres de foudre Il possèdent, entre autres ver­
tus merveilleuses, celle de garan tir les demeures des atteintes
de la)oudre et des maléfices, Etrange légende qui permet à
l'archéologie de s'en emparer pour expliquer ce qui, sans
elle, serait inexplicable. '
en effet, dont j'ai voulu constater l'exis­
Étrange légende,
tence pour voir quel parti on en pourrai t tirer.
La voici, telle qu'elle m'a été rapporlée le 17 juin 1878,
par un paysan breton du Morbihan, nommé Pierre Derrien, natif
d'Inguiniel, âgé de cinquante ans, '
Je l'abordai, tenant à la main une petite hache de pierre,
Après les banalités d'usage sur la pluie et le beau temps:

cr ' De quel nom appelle·t·on ceci en breton, l~ deman­
dai-je.
u Minn-gm'un, me:répondit-il.
cr ' Mean-,qUl'un, repris-je, dans le dialecte de Léon.
« Oui, minn-gut'un, répéta-t-il dans son dialecte van-
netais.
(l , - Et d'où cela vient-il ?
« Du ciel, Monsieur; dans mon enfance il en tomba une,
. avec le tonne1','e, un jour de grand orage; elle fendit même un
arbre, sillollna ensuite profondément la terre ,et disp:1l'ut sans
qu'on pût la retrouver; mais on en a rencontré d'autres, que
l'on garde soiglleusement dans le coffre,
cr Et pourquoi les garde-t-on si soigneusement? Est-ce
qu'elles peuvent servir à quelque chose.
cr - Oui, elles sont bonnes pour gllél'ir les tumeurs prove-
nant de la piqûre des reptiles venimeux.
« .- Et comment s'en sert-on?

cr On les fait chauffer au feu; puis on les appliq.ue sur la
tumeur, que l'on frotte avec elles jusqu'à ce que la guérison
s'ensuive.

Est-ctl qu'elles pa'ssent aussi pour préserver du ton-
nerre et des maléfices?
et _0 Je ne l'ai pas entendu dire; qu'elles viennent du ton-
nerre, je ne dis pas non ••
Tel fut notre curieux dialogue que j'ai traduit mot pour
mot, 0
Il justifie l'assertion de M. de Closmadeuc et la complète;
s'il ne constate pas la vertu préservatrice que possèderait la
mell-gw'un, il en fait du moins le produit du tonnerre, comme
la tradition recqeillie par le savan t docteur. Celui-ci Il'a pas
remarQué avec moins de satisfaction que, dans tous les idio-
mes de l'Europe, l'ohjet est désigné de la même fsçon au-

jourd'hui par le peuple: en NOl'wége, thondel'-kiler; en Alle-
magne, fiormer-keile,' en Ecosse, thundet' bolt·stone.. dam
les Pyrénées-Orientales, pedms de lamp,' dans le Rouergue,
peira deI tf·O. Il eut pu ajouter: dans le Pays de Galles,
maen taran, farme dialectique du mot men-gurull, et conclure
encore plus victorieusement: « partout pierre de foudre, •
Malheureusement, il ne !l'agit pas de ~avoir comment le
peuple appelle aujourd'hui partout les pierres qu'il àoit l'ou­
vrage de la foudre, mais comment les appelaient autrefois
les hommes qui les ont façonnées; il importe même assez
peu de retrouver leur nom breton actuel dans celui que leur
ont donné, du 1 au VOlliècle de notre ère, Pline, Juvénal,

Lucain, Saint-Sidoine Apollinaire et les écrivains latins du
. Moyen-Age; ce qui importe, c'est le nom qu'elles avaient à
l'époque an lé-historique. Evidemment, si les Romains, d'après
les Grecs, les ont appelées Céraunies ou pierres de foudre,

lapides fulminis, c'e,t qu'ils ne connaissaient .pas mieux que

nous leur nom véritable.
Ils les ont qualifiées comme elles devaient l'être par des peu ..
pies relativement modernes, par des gens superstitieux, igno­
quand elles étaient déjà devenues pour le vulgaire des
rants,
objets merveilleux, mystérieux, des talismans tombés du ciel

avec le tonnerre, ,du genre de ceux que Clalldien fail l'amasser
dans les cavernes des Pyrénées par les Nymphes de la foudre:
PY1'enœisque sub ontl'is
Ignea fulmineœ legel'e Cerflunia Nymphœ,
Tout en noyant que le poëte' latin a songé allx pierres po­
lies cunéiformes qui devaient être trouvées de nos jours dans '
la grolle d'Aurensan el dans d'autres cavernes des Pyrénées
par la Société RalUond; en admeltanf; même, avec M. Littré,
que les Cm'aunies des Anciens, similes secul'ibus, sont « peut-,

être les baches de pierre des temps ante-historiques », et en
-reconnaissant en elle~, avec M. de Closmadeuc, les men­
guru Il de nos paysans, je persiste à regarder leur nom ol'έ
ginel comme ignoré.
. Les fabricateurs des haches de pierre Il'ont pas pu les appe­
ler des ouvrages de la foudre-; leurs descendilnts seuls, long­
après' em" ont pu leur donner un nom pareil; entre les
temps
uns et, les autres il y a t0u1e la distance qllÏ 5épare le naturel
du merveilleux. Cela n'est-il pas de taule évidence?
Cherchons donc ailleurs la solution du problème.
A propos de cette lecture, M. Bourrassin présente à
la Société un fragment d'aréolithe trouvé à Telgruc, il
y a une quinzaine d'années. Il fait observer que les ha­
du pays ayant suivi la marche de cet aérolithe
bitants

n'oilt pu en dér-ouvrir que quelques fragments, les au­

di spersés et enfouis profondément en terre
tres s'étant
par la force de l'explosion. La pierre analysée par lui
de l'oxyde de manganèse, et de l'oxyde de fer
contient
amphibole.
Une disc'ûssion d'un vif intérêt a lieu sur le rap­
entrp. ces pierres et les pierres
port qui peut exister
Men-gurun. M. Pavot dit
façonnées dites vulgairement

que les pierres en question ne peuvent être cùmparées

aux météorites et établira le fait dans un travail qu'il
présent.era à la Snciété.
A ce moment M. de la Villemarqué reçoit une dépê­
che .. télégraphique de M. Pocart-Kerviler, ingénieur
des ponts et chaussées à Saint-Nazaire, si connu par ses
décou vertes scientifiques dans le bassiQ- de la Loire, et
membre de la Société d'archéolog'ie du Finistère.
La dépêche est ainsi conçue : ( Buffon et Mahudel
piet're de tonnerre pour outils aux hommes
donnent
primitifs; cela complète Pline, Suétone et Claudien;
voir ausi>i Marbode, sur les Céraunies, et Evans: les
âges de pierre, p. 37-66. KERVILER. »)
M. de la Villemal'qué remercie M. Kerviler, au nom
de la Société; il se propose à la proC' haine rfiu­
nion de continuer son travail sur les haches de pierre,
espérant retrouver leur véritable dénomination.
A la fin de la séance, M. le Président donne lecture
d'une lettre de M. de Montifault par laquelle il se

fonctions de secrétaire de la Société, '
démet de ses
remplir à cause de
fonctions qu'il ne peut désormais
ses nombreuses affaires et des déplacements qu'elles
lui suscitent, mais il continuera à faire' partie de la
Société. Le Président met à l'ordre du jour de la r-re­
mière séance la nomination d'un sécretaire en rem­
M. de Montifault dont la démission est
placement de
acceptée.
L'ordt'e du jour étant épuisé, la séance est levée à
4 heures 1/2. ,
I.e Secrétaire 1)(0" Î/lté1"im, .
A. CRÉAC'HCADIC.