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Après cette lecture:M. le comte de Bremond d'Ars
à la Société un dessin d'un fragment de
communique
représent~nt un des larrons du Calvaîre,
sculpture
trouvé à Kernével sur le mur du cimetière ~
M. le Président émet le vœu que cette sculpture soit
. transférée au Musée départemental.
. A ce propos, M. Pavot signale à la Société, l'exis-
tence d'un curieux calvaire en la commune de Briec
près du moulin du Lez (1). .
M. le Président prend ensuite la parole pour com
à l'assemblée quel ues recherches qu'il a
muniquer
faites sur la poésie des Cacoux ou Lépreux rie notre
pays. . . ' ,
POE SIE DES CAC 0 U X.
Dans la séa_ nce du 13 j,mvier 1817, M. Le Men a donné com
munication à la Société archéologique du Finistère .de docu- '
ments inédits du plus l'if intérêt concernant les lépreux et ca
coux de la Basse-Bl'etagne (2). J'avais fait suivre sa lecture de
le procès-verbal n'indique qu'une
quelques observations dont
. seule, et que j'ai mises depuis en écrit. Elles ont paru de na·
ture à compléter le travail de notre savant secrétaire et je vais
les rappeler; mais il est bon de résumer d'abord en peu de
mots les faits qu'il a mis dans une lumière nouvelle.
Selon lui (et il adopte l'opinion de -M. Francisque iche],
seigneur du Pont, dont je n'ai trouvé aucune trace. Elle fut adjugée.le ·
2 nivose an Il, ave~ Ls maisons y jointes, 167 cOl'des terre chaude et
3 t 5 eordes terre froide, au citoyen Pierre-Marie Barazer, de Quimper,
pour le prix de 157;; livres.
50 On m'.a indiqué dans une Pl'airie entre le bourg de Saint-Jean
Trolimon et Trolloen, une chapelle dont j'ai oublié le nom, et il l'inté-
rieur de laquelle se trouve une fontaine. .
(1) Voir le Bulletin, tome Il,. page IOj. .
(2) Voir le Bulletin, t. IV, page 138, et t. V, pages 40 et 132.
l'historien des Races maudites), nos Cacoux tireraient leur
nom des cagots c\~st-à-dire chiens de Goths de Gascogne,
espèce de parias venus d'Espagne, sous Charlemagne, et qui
pénétrèrent jusqu'en Bretagne, Ils y passèrent pour at,teinls de
la lèpre, en breLon mal de saint Lazm'e « celui dont les chiens
léchaient les ulcères » dit le Pète Grégoire, et on les confondit
avec les lépreux. Marqués, comme eux, d'une croix rouge, ils
se virent interdit tout autre métier que le métier de cordier,
et ceux qui l'exercent chez BOUg reçoivent encore aujourd'hui
de cacoux.
l'injurieux sobriquet
Passant aux lépreux proprement dits, M. Le Men relève des
détails curieux de la jurisprudence qui les concernait; il in-
sisle sur le respect que les juges ecclésiastiques, forcés à une
dure nécessité, à une véritable mesure de salut public, comme
• il le dit très-bien, portaient à la personne soupçonnée d'être at
teinte de la maladie; il donne des exemples du soin qu'ils pre
naient de la faire examiner très-attentivement, des épreuves
auxquelles on la soumettait, particulièrement par la saignée,
et constate enfin que la sentence de séquestration était loin
d'être prQnoncée à la légère. '
On se rappelle l'exécution de cette 'sentence et combien
elle étajt lugubre et dramatique.
Uri ecclésiastique se rendait chez le malade condamné, lui
adressait quelques paroles de . eOllsolation, l'exhor'tait à se
résigner à la volonté de Dieu, le dépouillait de ses vêtements
pour le revêtir d'une casaque noire, l'aspergeait d'eau bénite
le conduisait à l'église.
Là, le chœur était tendu de noir, comme pour les enterre-
mentsi le prêtre, revêtu d'ornements de même couleur, mon-
tait à l'autel; le malade entendait la messe à genoux, la tête
couverte du drap mortuaire, à la lueur des cierges~ .
Après l'office, le-prêtre l'aspergeait de nouveau d'eau bénite,.
chantait le Libera et l'e m'enait à la demeure qu'on lui desti·
qui avait pour meubles un lit, un bahut, une table, une
nait,
chaise, une cruche et une petite lampe. On donnait en outre
au malade un capuchon, une robe, une housse, un barillet, un _
entonnoir, des cliquettes, une ceinture de cuir et une baguette
de bouleau.
Arrivé au seuil de la porte, le prêtre, en présencA du peuple,
l'exhortait encore à ' la patience, le consolait de nouveau, l'en·
gageait à ne jamais sortir sans avoir son capuchon noir sur la
tête et sa' croix rouge sur l'épaule; à n'entrer ni dans les églises,
ni dans les maisons particulièr~s, ni dans les· tavernes pour
à n'aller ni au moulin ni au four banal, à ne
acheter du vin;
laver ni ses mains ni ses vêtements dans les fonlaines ou tdans
le courant des ruisseaux, à ne paraître ni aux fêtes, ni aux
pardons, ni aux autres assemblées publiques; à ne tourher aux
. denrées, dans les marchés, qu'avec le bout de sa baguette et
sans parler, à ne répondre que sous le vent, à ne point .errer
le soir dans les chemins creux~ à ne point · caresser les
enfants... à ne leur rien offrir, cruelle défense pour plus
d'un bon cœur f Puis il lui jetait urre pélletée de terre, le
bénissait une dernière fois au nom de Dieu et revenait avec la
foule.
Cette émouvante ,cérémonie eut lieu à Quimperlé en 1-453. à
propos d'Yves Le Bihan, de la paroisse ~e Saint-Michel, dont
le procès a été publié par M. Le Men. ' .
On ne s'étonnera donc pas si, aux environs de Quimperlé, les
cacoux sont le sujet de plusieurs chansons populaires;
M. Prosper Proux en a procur_ é une assez curieuse à . Fran~
cisque Michel.
Le héros de cette pièce est un jeune paysan si beau, que
lorsqu'il passe le dimanche pour aller à la messe. ses cheveux
blonds flottants sur ses épaules, on entend plus d'une jolie
fille soupirer. Le cœur de l'une d'elles, appelée Marie, est pris;
celui du jeune paysan ne tarde pas à répondre à l'amour de •
Marie; mais, par malheur elle a la lèpre; et lorsqu'elle se
présente chez le père de son amoureux, et qu'elle dit: « DOll-
. nez-moi un siége pour m'asseüir" et un linge pour m'essuyer
le fronl, car votre fils m'a promis de me prendrt1 pOlir femme, J)
Je vieillard assis au coin du feu lui répond d'un ton railleur':
Cf Soit dit sans VOllS fâcher, la belle, VOUg vous abusez: vous
n'aurez point mOIl fils, ni VOLIS ni aucune fille de lépreux
comrné vous! D Marie sort en pleurant et jure de se venger.
En effet elle se fend un doigt, et avec son sang elle donne la
lèpre à quatorze personnes de la famille qui l'a repoussée; et
son jeune amoureux en meurt. '
Une autre pièce plus connue, nous a conservé les tou-
pauvr.e kloarek atteint de
chantes et poétiques doléances d'un
la lèpre et qui se voit délaissé par la jeune fille qu'il aime •
LE JEUNE HOMME •
Créateur du ciel et de la terre! mon cœur est accablé de
douleur; je passe mes jours et mes, nuits à songer à ma douce .
à mon amour. -
belle,
La maladie, hélas! .me tient cloué sur mon grabat; si ma
douce belle venait, elle me consolerait bientôt.
Comme l'étoile du matin, après · une nuit d'angoisse, si
ma douce me venait voir, elle me soulagerait. ,
Si elle touchait seulement du bout des lèvres le bord du
vase de ma tisane, en buvant après elle je serais guéri à l'instant .
LA JEUNE FILLE.
parlt3 de la sorte, à moi, qui suis aussi
Qui est-ce qui me
noire qu'un corbeau.
LE JEUNE HOMME.
qu'une mûre, vous senez
Quand vous seriez plus uoire
blancha pour qui vous aime .
LA. JEUNE FILLE •
Jeune homme, vous en avez menti! je ne vous, ai point
mon cœur; je ne veux plus de vous, vous êtes un fé
donné
preux, je le sais bien !
• LE JEUNE HOMME •
A une pomme au bout dp. l'arbre ressemble le cœur de la
femme: la pomme est belle à voir, mais elie cache un ver
dans son sein.
une feuiHe sur la branche ressemble la beauté de la
jeune fille; la feuille tombe à terre; ainsi déchoit la beauté.
A la fleur bleue dli bord de l'
La petite fleur tourne parfois; la petite fleur tourne et re-
lourne;
La petite fleur tourne p'arfois, l'amour de la jeune fille
tourne toujours.
fleur, et la mortle traître.
L'eau emportera la
Je suis un pauvre jeune clerc; je suis fils de Jean Coran-
tin; j'ai . passé trois ans à l'école, mais mainten~nt je n'i-
rai plus. '
Dans un peu de temps je m'en irai encore, je m'en irai en
core loin du pays-; dans un peu de temps je serai mort, et
m'en irai en purgatoire (1). . '
Ait l'LAC'H .
ANN DEN IAOUANK.
Piou a r-omz ouz-in evel se.
Krouer ann nenv hag ann douar ! '
Mantret va c'haloll gant glac'hal'. Ha me ken du hag eur vran ve?
o kounan enn noz hag cnn de.
d'am (j'harante. ANN DENN IAOUANK.
D'am dousik koant,
Pa vec'h ken du hag ar mouar,
Me zo war va gwele chomet,
Gwenn-kannoc'h d'ann hiniho kar.
Dalc'het, .sioaz! gand ar e'hlenvet ;
Ma ve va dousik a deufe,
AR PLAC'H .
E berr-amzer am frealzfe.
Den iaouang, eur gaou a Ieret !
Evel gand ar werelaouen,
Va c'halon d'hac'h, n'em euz roèt!
Goude eunn nozvez a anken,
N'em euz ker mui ac hanoc'h,
Mal' deufe ma dous d'am gwelet,
E vizenngant hi diboaniet. Eur c'hakous a ouzonn-me oc'h;
- Ma lakafe beg he geno ANN DEN IAOUANK.
War .bordik skudel va louzo,
Da evan goude pa iefenn 'Vel enn avalou e beg ar ween.
Gwelleet raktal e vizenn.
E ma~kalon ar femelen ;
. Par allusion aux maisonneLtes isolées que les procUI'eors des
fabriques.fesaient bâtir pour les ladres, un de ces malheureux
à la fin de la chanson analysée plus haut:
dit,
a Elevez-moi une cabane au milieu de ]a grande lande;
percez dans le mur une fenêtre, pour que je puisse voir passer
• la procession, croix et bannière en tête; hélas! je ne les por-
terai plus!
Une dernière poésie sur les lépreux m'a été apprise par un
paysan de Baye, Jean Carel', poële lui .. même; je l'ai copiée
sous sa dictée.
La personne qui en est le sujet, et probablement l'auteur,
une jeune mère, attaquée de la contagion, se plaint d'être relé-
guée au . bas de l'église, pendant l'office divin, 'conformé
ment aux ordonnances épiscopales:
a , Dimanche matin, à la grand 'messe. Ah! c'est trop
certain, chère amie! mon cœur était comme déchiré:
. Hélas 1 hélas ! hélas!
• u Je voyais mon 1 cher frère [et ma sœur (en J.-C.), mon
frère le prêtre, à l'autel;
Cl Moi, j'étais à la porte de l'église, parmi les 'lépreux
du roi; .
, « Tenant un petit lépreux sur mon sein, lequel poussait des
cris affreux;
l{ arante al' plac'h tro ato.
Kaer ve ann aval da welet.
Ar bleun a ielo p-and ann dour
, zo kuet.
Hag eur prenv e kreiz
, Ha gand ann ankou ann traitour .
Evel eunn delien war ar brank,
Me a zo eur c'hloaregik pao ur,
E ma gened al' plac'b iaouank ;
Me a zo mab da lann Raoul' ;
war ann douar,
Ann delien a gouez
Beann onn bet tri bloa 0 studi,
Ar c'hened ive a ziskar.
Hogen breman na inn ket mui.
ar bleun glaz diouz lez al' stank.
'Vel
Benn eur pennad me iei endro,
Ma karante ar plac'h iaouauk ;
Me iei endro kuit deuz al' vro ;
Ar bleunig a dro wechigo,
Benn eul' pennadik vinn maro,
Ar bleunig a dro, a zistro;
Ha d'al' purkator me ielo.
Ar bleunig a dro wechigo,
(l Et moi de le . rouler dans· mes bras et de l'emporter à la
agdeleine. » (1) .
Près de cette chapelle de la MagdeleilJe, placée sous le vo
cable de la sainle pééheresse qui visita Jésus chez Simon
le lépreux, comm0 le remarque M. Le Men, un c'ordier attend
c'e:-t son père; lui montrant le rouet de la
\a jeulle femme;
corderie, il commence à chanter en dévidant son chanvre, et
en se balançant d'une jambe sur l'autre:
CI Ma ·fille, meltez votre robe bleue pour tournAr la roue,
au .bord du grand chemin. .
CI Ma fille, meltez votre robe blanche pour tourner la roue,
afin que je fasse des cordes.
« Ma fille, mettez votre robe brune pour tourner la roue du
lépreux. -
« Ma fille, mettez votre robe noire pour tourner la roue,
dans les deux sens, toujours! ) (2).
' %'7 i n ., m :
(t) Disul vinti.n, enn offern brei,
A dra sertcnua, ma dousik l
Ma c'halon oa gozik rannet:
Oh l la la la la la la la laïk !
Oh! la la la la la la 1
Gwelet ma breurik ha ma c'hoer,
Ma breur belek ouz ann oter 1
Me a oa me tou1 ann nor zall,
E touez ar gakouzed foeal;
Lapouz kakouz war ma barlenn ;
Hag hen skrijal war bouez he benn.
. Ha me hen gronn a em barIen,
Ha mont gant-han d'ar Vadalen.
(2) Ma merc'h, gwisket ho prozik c'hlaz
Da drei ar rod 'tal ann hent braz.
Ma Il1e!c'h, gwisket ho prozik wenl1
Da drel al' rod d'obel' kerden .
Ma merc'h, gwisket. ho pfozik rouz
Da drei al' rod 'vid ar c'hakouz .
Ma merc'h, gwisket 'ho prozik du
Da drei tao ar rod d'enn daou du.
Oui, toujours, qu'elle porte du bleu, du blanc, du brun ou
du noir, toujours il lui faudra tourner la roue fatale, et son
• père, les yeux fixés SUI' elle, el marchant à reculons, comme
pour ne pas la perdre de vue, semble-ra filer les jours infClr-
tunés de la pauvre fille. -
N'y a-t il pas ici une image navrante de la destin..ée de
tous les lépreux? Malan; vulgnires ou lépreux royaux, entre-
tenus sans doute aux frais des du-cs de Bretagne, puis des
mal n'en était pas moins incurable; le
rois de France, leur
seul remède était celui qui soutient le chrétien ici-bas, et lui
. assure, là-haut, une vie éternellp.men t heufcluse. -
Cette lecture donne lieu à une conversation géné
à laquelle prennent part M. Trévidy~ le
rale animée,
comte de Bremond, M. Pavot et M. Faty. Le premier
remarque un fait intéressant, c'est que la lèpre n'a
pas encore disparu complètement en Bretagne, et
à Paimbœuf, une enfant atteinte
qu'il a vu lui-même
maladie: on la distinguait, dit-il, à des petites
de la
croûtes ou pellicules au-dessous de l'œil, lesquelles
tombaient comme des écailles.
- M. de Bremond constate que les lépreux bretons n'a-
vaient pas seulement leur législation, mais leur poé-
sie, et une poésie très-touchante. que les cordiers ont
sauvée, en continuant à la chanter.
M. Pavot demande quelle est l'air de la dernière
chanson -traduite par M. de ·la Vil1emarqué. Pour
mieux répondre à sa question, M. le Président la
hante. Le . caractère profondément mélancolique de
cette mélodie paraît, autant que les. paroles, impres-
il rappelle à M. Pavot
sionner beaucoup l'auditoire;
et à M. Faty, des airs populaires remarquables, qu'ils
ont entendus à l'étranger, et ils émettent le vœu de
voir recueillir tons nos vieux airs bretons ,
A la fin de la séance, M. le Président appelle l'at
la Société s'ur l'excellent ou-
tention des membres de
vrage publié par M. Le Men: Monographie de la Ca-
thédrale de Quimper. (( Ce livre, dit-il, jette un jour
nouveau sur notre jntéressante basilique ; il a attjré
les regards de M. le Ministre de l'Instructiln publique .
qui y a souscrit pour cinquante exemplaires, mais un
,plus grand succès, lui est assuré, je l'espère. »
La séance est levée à 4, heures.
Le Secrétaire,
. LE MAIGRE •
LA MADELEINE, CHAPE,LLE DES LEPREUX •