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Bulletin SAF 1878


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Jean de l’Epine ou Map an Spernen (1468-1472)

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de tout quoy, y eust grosse mise tant pour les despens

et salairz, cellny jour, et pour avoyr d'eulx retiré
procès. verbal pour l'apparoir en justicze, le tout calculé
avons mise 8 livres monnoie. » (1).
M. le Président donne ensuite lecture de la notice
suivante:
JEAN DE L'EPINE ou MAP AN SPERNEN
CALLIGRAPHE ET POÈTE BRETON

Il Y a bien des années, M. de Wailly, Conservateur de la
bibliothèqu.e de .la rue RicheÎieu et membre de l'Institut, remar­
vers bretons à la fin d'lm bréviaire latin manus­
qua quelques
crit de cetle bibliothèque et m'en adressa une copie en m'en
demandant la traduction; j'ignore si elle ful bonne, mais elle
me laisser des doutes, car .1 ui ayant écrit pour lui demander
. dùt
des renseignements sur le manuscrit, l'illustre paléographe me
fil l'honneur de me répondre :
« Monsieur, le manuscrit pour lequel j'ai eu recours à votre
., obligeance est un bréviaire à l'usage de l'église de Paris, copié
en 1472 par Jean de l'Epine, du diocèse de Cornouaille.
Cl C'est au bas du folio 198 que se trouvent les quatre lignes

de bas-breton. .
Cf Ce manuscrit est \Jn in-8 il porte le nO 1294 de l'ancien

fonds laLin.
Cl Je suis trop heureux, Monsieur, de pouvoir vous donner
vous prie d'agréer l'assurance de ma con~
ces indications, et je
sidératlon la plus distinguée. _. .

Cl N. DE WAILLY ••
Ce 4 juin (8H. •
----------------' -' a.~'_222 ____ ._iLLL ____ "._,_, ____ , __ , _______ , ___ 2.

(t) Archives du Finistère .

Muni de ces indications, je m'empressai de consulter le ma-
nuscrit lui-même •

On lit au folio 178 v , le nom YSPINE, et au-dessous: Ex-
plicit psalterium per me iohem Spine, corisopitens diocesis. Hic
liber e magri Guilli Goardet. « Ici finit le psautier par moi
Jean de l'Epine, du diocèse de Quimper. Ce livre appartient à
maître Guillaume Goardet. Il
Au bas du folio 198 vo, sont lea
vers brelons signalés par

M. de Wailly à mon attention.
Les voici:
Gruet eu tom heb chom an ceutu
Goude dilun an suzun gueu
Breman ez guellet guelet scIer
Na gueu quet ter map an Spernen .

Premier .vers : G1'uet eu (factus est) n'offre pas de difficulté;
ce participe passé du verbe irrégulier ober (écrit aujourd'hui
gréat, g1'et et groet, selon les ditllecles armoricains; en comi­
que gor1'is, en gallois gwnaet où l'n a remplacé l'r, comme

dans l'irlandais gni. (Zeuss, Grammatica celtica p. r>5 L) Eu
(est) répond à éo du dialecte de Léon, à e du dialecte d~ Van-

nes, à yu du gallois. Tom vient du latin tom us (l tome Il, « vo-
lume. J) Heb « sans II anciennement hep, en ·breton, en corni­
que et en galloi5; en irlandais sech, latin secus.(WhltleyStokes.)
Chom, en Léon choum, en gaëlic, cum, a le sens de moratus
dans le Catholicon,. M. Littré croit y voir la racine du verbe
français chômer (manquer de ... ). n semble avoir ici le sens de
CI m~uque de Il, « omission.» An (pour a + n) (l du J) est l'ar·
ticle défini breton au génitif singulier. Sa plus ancienne fprme

est inn (Cartulaire de Redon, p.34, 35, 148, 184). Sa forme
moyenne est enn. Coutu, abréviation de coutuer, n'est plus en
usage que dans le pluriel Kotuerou" « les Quatre-Temps ."
(Tronde) ; en latin Quatuor anni tempestatum jejunium, duquel
quatuor est venu le breton coutuer, en gaëlic keathair, en irlan­
dais cethar.

Deuxième vers: Goude « après ", en 'Vieax gallois, guetig,
, en gallois moyen, gwedy (Zeuss, p. 652). Dilun Cl le lundi ",
en gallois dyidllun, en irlandaIs dialuain, en latin dies lunœ.
An (a + n) « de la ), Suzun « semaine », aujourd'hui sizun,

anciennement se'Ïdhun (Carlul. de Landévennec, fol 142) ; en
moyen cornique seithum (Vocabulaire), plus tard 3ythyn (Nor­
ris) ; en gaëlic et en irlandais seachduin. (Zeuss, p. 736). Guen
« blanche., en comique guyn, en gallois gwyn, en irlandais
fin (W. Stokes). On dit maintenant ar sizun ven. Ce nom de
semaine blanche est donné par le peuple à la semaine des Roga­
tions u à cause qu'il voit, dit le P. Grégoire, les ecclésiastiques
en surplis, aller processionnellement aux chapelles de paroisse. »
Troisième vers: Breman « à présent J) anciennement pretman,
« en ee temps-ci J) hllC tempore (Zeuss, p. 574), en gallois
pryd hwn u maintenant •. Ez gueliet «vous pouvez) aujour­
d'hui e c'hellet (Troude), du verbe gallout, pouvoir; gallu en
comique et en gallois. Guelet « voir Il, en gallois moderne
gweled, dont la racine est guit, en latin vigilia (Zeuss, p. 1105).
Scler « clairement », d~ vieux français esclair, composé de
l'adjectif clair précédé de es préfixe (Littré), dont la voyelle ini­
est tombér. en breton.
tiale
Quatrième vers: Na gueu quet pour nag eu quet, aujourd'hui

ha n'eo ket (Troude) «s'il n'est pas ». Le P. Grégoire écrit eo et
gueo, et pour le dialecte de Vannes gueü, comme il l'est ici,
M. Whitley Stokes trouve l'équivalent de notre quet
armoricain, dont on ignorait l'origine, dans le gallois cat qui
répond au vieux fr'ançais, mie, goutte, brin, etc. Ter « vif »,
prompt Cl expéditif ", aujourd'hui ter en Cornouaille, An Léon
. tear, en gallois taer. Map « fils J) dans tous les dialectes,
en irlandais et en gaëlic où le p se change en c et où
excepté
map devient mac, comme dans le nom celtique Mac-Mahon,
qu'on ne s'attendait guère'à trouver ici à côté de Map an Spernen,
le fils de l' Yspine ou de l'Epine, Spine ou Spinœ. IJa traduc­
tion de notre quatrain serait donc, sauf erreur:

u Ce volume a été fait (ou achevé) sans omission des Quatre­
Temps après le lundi de la semaine Jes Rogations (1) .
« A présent vous pouvez bien voir si Map an Spernen (le fils
de l'Epine) est expéditif ••
J'ignorais_ quels étaient ces an Spernen, et j'attendais à le
savoir pour publier mon texte el sa traduction, quand une dé­
couverte toute récente de notre savant confrère M. Le Men, est
venue me réjouir et m'instruite.
Voici la note qu'il a bien voulu me communiquer; elle est
extraite de son intéressante Monographie d~ la Cathédrale de
Quimper, en ce moment sous presse; on y lit page 320, sous la
rubrique RELIEURS:
~ 1468. Domino Yvoni an Cam, presbytero, pro religando et _
cooperiendo librum Hymnorum in medio chori positum, 3 s.
te Item domino Yvoni Com, presbytero, et Y. AN SPEBNEN,

pro taxando religaciones librorum in presencia domini thesau­
taxa las, pro commissione, 4 s. 4 O. »
rarii
Jean de l'Epine, le calligraphe quimpérois, qui copia en 1472,
à Paris, le bréviaire à l'usage de l'église de cette ville, était donc
fils du relieur-expert du même nom, chargé à Quimper, en 1468, ./
par le trésorier de la Cathédrale de taxer les reliures de certains
livres dont il avait pu transcrire lui·même quelques-uns, avant
son départ pour la France.
Mais si le manuscrit parisien prouve qu'il excellait dans l'art
du copiste, les vers qu'on vient de lire ne lémoignent pas moins
en sa faveur comme versificateur breton. Il était poète, el même
de la bonne école de son temps; son système rhythmique atteste
qu'il connaissait tous les secrets et qu'il bravait toules les diffi­
cultés du genre : ses vers sont un modèle du quatrain octo­
syllabique, à rimes finales croisées et à rimes intérieures; outre
coutuer et scler, guen et Spernen, rimant ensemble, au bout des

(t) le volume du bréviaire finit effectivement avec les Quatre-Temps
la Trinité.

vers entrelacés, on remarque dans l'intérieur, tom et chom, au
premier, dilun et suzun, au second, guellet et guelet, au troi·
sième, ter et sper (dans an Spel'nen), au quatrième. Les auteurs
de sainte Nùnne, du Grand Mystère de Jés.us, du Tremenvan, du
Buhez mab den, etc., ne rimaient pas autrement, et certaine­
ment pas mieux que lui.
Je suis heureux d'avoir contribué à tirer son nom de l'oubli :
ne laissons perdre aucun de ceux qui honorent notre pays breton .
Sur l'invitation de M, le Président, M. Le Men donne
lecture du travail suivant:
LA CONFRÉRIE DES MAÎTRES-ÈS-ARTS DE L'ÉV:tCH1~ DE LÉON (1).
En m'entretenant, il y a quelques jours,:de notre art national,
avec MM. de la Villemarqué et Audran, je fus amflné par le
sujet de notre conversation à leur lite le chapitre de la Mono­
graphie de la cathedrale de Quimpe1', dont je viens de terminer
l'impression, qui a pour titre: les Maîtres de l'œuvre, les Devis
et les Mal'chés. Dans ce chllpitre je fais connaître l'existence, .

ignorée jusqu'ici, d'une Confrérie des arts dans l'évêché de
Léon, au commencement du XVIIe siècle. Frappés de l'impor­
de ce fait, MM. de la Villemarqué et Audran, ont pensé
tance
qu'il ne serait pas.sans intérêt d'en donner communication à la

Société dans notre prochaine réunion. C'eRt pour me conformer
à leur avis que je vais vous lire la partie de ce chapitre relative
à la Confrérie des arts:
« Un fait regrettable, mais qu'on ne saurait contester, c'est la
facilité avec laquelle les souvenirs qui se rattachaient à nos
grands monuments d'architecture religieuse, se sont effacés
ou altérés, et la tendance que l'on éprouve généralement, à
attribuer à ceux qui les ont construits, une origine étrangère.

(1) Cet article est en partie extrait de la Monographie de la cathé­
drale de Quimper, par R.-F Le Men; un volume in-S de 400 pages,
dont l'impression est terminée.