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Bulletin SAF 1877


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Les lépreux et les cacoux de la Basse-Bretagne

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à la ré:union, et apres une discussion prolongée, fas-
semçléè décidCil par un vote presque unanime, que la
réponse de M. Duchatellier ne sera pas insérée au
Bulletin de la Société. Elle laisse au bureàu le soin
. de la réponse à faire à M. Duchatellier .
M. le Président invite ensuite M. Le Men à donner
à l'ordre du jour
lecture de sa communication portée
sous le titre : .

LES LÉPREUX ET LES CACOUX DE LA BASSE-BRETAGNE.

La lèpre, ce terrible -fléau qùi fit tant de ravages en Orient
~t en occident pendant le moyen âge, n'épargna pas la
Bre'lagne, et l'on dut ètablir dans ce duché, comme dans le
, reste de l'Europe, .pour isoler des personnes saines les gens

entachés de cette infection., des asiles situés à quelque dis-

tance des lieux habités, et désignés sous les noms de Lépro-
series et de Maladreries. Cette dernière dénomination vient Ju

mot ladres 1 nom que l'on donnait aux lépreux parcequ'ils
invoquaient saint-Lazare ou saint-Ladre. On les appelait aussi
mezels ou mezeaux, au féminin mezelles, et le mot mezellerie
était synonyme de celui de lèpre. Les uns font venir mezel ou
mezeau, de l'italien mezzo (gâté, corrompu), d'autres lui .
donnent pour étymologie le latin miser, miseria et, misellus.
Quoi qu'~l en soit, les lépreux n'étaient pas les seuls hôtes
des tristes asiles que je viens de mentionner. Vers l'époque de
. Charlemagne, de nombreuses familles espagnoles ou peut-être

. sarrazines, par suite d'événflments qui ne sont pas connus,
émigrèrent en France et se' répandirent sur tnut le littoral

ouest de cette contrée, depuis les Pyrénées jusqu'en Bretagne.
Le peuple prenant ces malheureux pour une colonie de Goths,
les désigna parle terme injurieux ·de Ca-goths (chiens de
Goths). Ce surnom s'altéra / suivant les provinces où se fixèrent

les émigrants. Ainsi Jandis que dans les Pyrénées on les appelait

cagots, cagoux, t1'ansgots, on les désignait ailleun; sous les

noms de gahets, gavaches, gavots, et de colliberts dans le bas
Poitou. En Bretagne on les appela cacous, en breton, et

caq'ueux ou caquins, en français.

Cette race misérable ne put sortir de l'état d'injuste oppres·
sion auquel elle fut tout d'abord réduite., eL le préjugé popu-
laire ne tarda pas à confondre avec les lr.preux, ceux qui en
faisaient partie, et à leur imposel' les dures' conditions d'exis-

tence de ces derniers. En Bretagne les évêques, non moins
prévenus que le peuple contre les caqueux, leur ordonnèrent
de se:tenir en bas des églises, ne leur permettant de baisel' la

Paix, qu'après tous les 'autres; ils leur défendirent en outre
de toucher aux vases de l'autel sous peine de cent sols
d'amende (t).

Un mandement de l'année 1475 de la chancellerie de ce
pays, leur fit défenses de voyager dans le dnché, sans avoir une

pièce de drap rouge attachée à leur robe, afin que les per-
sonnes saines pussent les reconnaître de loin et éviter leur ,"
contact. Il leur défendit d'exercer d'autre m~tier que celui de
cordier, 'et de faire d'autre commerce que celui du fil et du

chanvre. Ils ne pouvaient cultiver que la terre de leur propre '
jal'din, et défenses expresses étaient faitAs de leur vendre
que du fil et du chanvre, et de leur
d'autres marchandises
affermer aucun bien sous peine de confiscation (2). ,
En Basse-Bretagne les caqueux fournissaient gratuitement les
cordes pour les exécutions des criminels, et moyennant cette
redevance ils ne payaient aucun droit pour les marchandises

qu'ils exposaient en vente dans' les foires eL marchés. Près de

trois sièçles se sont écoulés depuis la suppression des MaladrA'

t 7 2 __ ' $ ' 2 2 , , SiL •
(t) Dom: Lobineau, Hist. de Bretagne, T. II, col. 1610,

(2) Ibid. col. t 350 .

ries; mais si, dans d'autres provinces, le préjugé qui condam­
nait au mépris cette raCt; maudite, a cessé d'exister, il n'en est
Pas de même en Bretagne, où pendant longlemps encore, les
cordiers seront des cacouo! aux yeux des gens de la campagne.
Si je me suis longuement étendu sur les èaqueux, c'est qu'il
m'a paru utile de bien établir les caractères qui les distinguent
des lépreux, ladres C?U mezaux, avec lesquels on a souvent
confondu à tort cette population laborieuse, réduite il est vrai
à un état non moins abject, mais pour des causes toutes
la lèpre.
différentes de
Je reviens maint\3nant aux lépreux non pour reproduire ici

les généralités qui les concernent'et que l'ôn trouve imprimées"
un peu partout, mais pour relever, d'après un petit nombre de
documents inédits, certains détails qui peuvent jeter quelque

la_manière dont s'exerçait au XVe siècle, la jurispru­
jour sur.
dence relative à cette catégorie de personnes, dans la partie de'
la Basse-Bretagne que nous habitons.
Les causes des lépreux étaient en Bretagne, comme ailleurs,
soumises aux trib unaux ecclésiastiques. Le conciIe de Vougarot,

en Armagnac, tenu en 1270, défend par son Se canon., de
poursuivre les lépreux devant le juge laïque, pour ies actions
personnelles. C'est ici le lieu de fairé remarquer que si la sépa­
ration des lépreux était une dure nécessité et u"ne véritable
mesure de salut public, on ne disposait pas arbitrairement de
la personne des gens suspects de la maladie, et avant de pro­
noncer la terrible sentence qui retranchait en quelque sorte, un
homme du nombre des vivants, le juge d'église s;en~ourait de
tous les renseignements qui pouvaient l'éclairer sur la situa­
tion réelle de celui qui était en cause .

Le public était d'ailleurs, en cette matière, le meUleur
auxiliaire des tribunaux; car il avait le plus grand intérêt à
éviter la contagion, et dès que l'on soupçonnait une personne
d'être entachée de la maladie, èlle était iinmédiatement
au juge qui, après l'avoir fait ârrêter, lui faisait
dénoncée

régulièrement son procè&, comme si elle s'était rendue cou~
pable de quelque délit. Voici de quelle manière se fit en 1453
à Quimperlé, devant le chambrier. de l'abbaye Sainte-Croix, le
pro~ès pour la séparation d'un nommp. Yves Le Bihém, de la

p l'abbaye. . '

Cet homme que la 'fumeur publique (rama publica et cIa-
mosa), signalait comme atteint de la lèpre, ayant été dénoncé.
par les habitants de cette paroisse, au chambrier de Sain le­
Croix, celui·ci fit comparaître l'accusé devant lui, dans un
. champ appelé Locdeleau, en la paroisse de Trélivalaire, où ses
prédécesseurs avaient cO\ltume de connaître des causes de
séparation des lépreux. Quand Yves Le Bihan fut en sa pré­
~ence, le chamBrier luj dit qu'il était atteint de la maladie

incurable de la lèpre (morbo incurabili lepre nisi mirac'ulose),
qu'il l'avait reconnu lui-même devant témoins, qu'il allait le"
faire examiner par des . gens experts en la connaissance de
cette maladie, et que s'il était reconnu entaché d'infection, il

le séparerait des gens sains, et le condamnerait à demeurer
dans un petit hôpital (in hospiciolo) , ou uQe petite maison que
les, procureurs de la fabrique de sa paroisse lui feraient bàtir,
dans leur iéproserie, et où ils lui fourniraient des vêtements et
des vivres.
ces observations l'accusé Le Bihan répondit qu'il voulait
bien être examiné et que s'il était reconnu malade il consen·
tait à êtt'e séparé.

Le champrier . fi~ alors venir deux b'arbiers de Kemperlé, •
Gu~Uamrie Douazren el Goulven le Neveu, experts dans la con­

naissance de la lèpre, et un certain tl.ombre de lépreux qui de-

meuraient dans la léproserie de Kemperlé, située dalls la pa ..

roisse de Trelivalaire. Sur l'ordre du chambrier les deux bar-
biers se. retir'èrent alors à l'écarl, avec l'accusé Le Bihan, et l~
visitèrent près d'une maison .qui se tro~va\t là. I)ès qq'ils

eurent fini leur inspection, les lépreux, tant les hommes . que
les -femmes, s'approchèrent du malade, et l'examinèrent à leur
ils s'en vinrent en compagnie des
tour. Leur examen terminé,
barbiers trouver le chambrier devant lequ el ils déposèrent les
uns après les autres, sous la foi du serment, qu'ils avaient re- '
connu à certains signes qui leul' étaient familiers, que l'homme

qu'ils vellaient de visiter était réellement atteint de la lèpre.
Le chambrier de Sainte-Croix, invoquant le nom -du Christ,
prononça alors une sentence qui séparaient Yves Le-Bihan des

gens sains, et le condamnait à demeurer dans une maisonnette
que les procureurs de la fabrique de Saint-Michel, lui feraient
construire dans la léproserie de Kemperlé (1) .

Cette sentence est rendue en termes fort sÎrhples et sans ac-
compagnement de ces formules prohibitives que l'on remarque
hors de Bretagne dans des documents du même genre.

Dans certaines contrées, au dire des historiens et des chro-
nique lI rs, l'on construisait pour les lépreux, de vastes hôpitaux
. que les rois et les seigneurs dotaient richement. Comme on a
pu le voir par l'analyse qui précède, et comme on le verra par
les titres dont je donnerai plus bas le texte, cette coutume
n'existait pas en Basse-Bretagne. Au lieu de réunir dans un
même local tous les ladres d'une paroisse, les procureurs de la
fabrique, à qui incombait ce soin d'après les règlements, met­
taient à la disposition de chaque lépreux, une petite habita-
tion qu'ils faisaient construirA ou seulement réparer s'il s'en

de vacantes. L'ensemble de ces misérables chaumières
tmuvait
établies à quelque distance des lieux habités, formait des vil-
Jagea de lépreux dont les gens sains se gardaient bien de s'ap-
procher. .

[1] J'ai publié le texte latin de cette sentence dans mon édition de
l'Histoire de l'Abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, pal' Dom Placide Le

Duc. Un vol. in 80. Quimperlé, TH. CLAIRET. -

Lorsque la personne que l'on soupçonnait d'être entachée de
la lèpre consentait à être séparée, f:li les barbiers reconnaissait
qu'elle était réellement malade. le procès était bien vite ter­

miné eL le condamné après avoir été confessé, mis en extrême...,.

- onction el conduit à l'église où on le couvrait d'un drap noir et
où l'on récitait pour lui l'office des . morts, était emm'ené por··
tant sa croix qui, pendant la lugubr'e cérémonie, avaiLété en­
tourée de cierges. Un prêtre le conduisait ensuite à l'asile qu'il
ne devait plu~s quitter. .
Mais dans la plupart des cas, les lépreux ne se laissaient pas

séparer sans opposer la plus grande résistance, et alors il fail··

lait leur faire leur procès dans les formes. C'est ce qui eut lieu
en t·HO, pour une femme nommée Katherine Pencat, de la

paroisse de Saint-Melaine, de Morlaix. Les registres de cette
paroisse (1), nous ont conservé le détail des dépenses faites à
l'occasion de ce procès, par Guihoré Kerlehollarn et Alain
Hamon, procureurs de la fabrique:
« S'ensuilt la mise entour Ka therine Pencat, mésèle. D

il. Pour llng procès faict devant maistl'e Jehan
Jehannin , vicaire de ~jonseigneur de Tréguier » 1. 5S.DDd.
(Un des procureurs de la "fabrique passeJroisl'
jours à Tréguier pour la suite de ce procès).

« Pour son cheval pour troys jours à 16 de-

niers par jour (de location) . . . • • .

. «Pour les despens du cheval par jour . . » ' 11»

Ci Pour son avocat

« En vin pour l'~vocat . . . . . . . » D. al)
(t A maistee Philipe Guicaznou,pour la com-
mission de y avoir vacqué. sellon ledict derrain
procès~ comme commis par ledict vicaire à

l'effet de regarder et visiter ladite -Katherine
jouxte (selon) ladicte commission. . . . . • 6 8
" ELL'F' 7 ' ': •
"atU 2 !.. 1

(1) Aux archives du Finistère.

« A Bertelé Squiant et Alein Bern-au, ser­
giens et congnQissantz au fait de ladicte Kalhe~
rine, tllnt nour lellr commission qU(3 pour une
quarte de vin é\vant la visite . • . • . .
« A Jehan Le Granec, appelé par lesdictz

sergiens pOlIr visiter ladicle Katherine, pour
mieux e~amine.l' si elle e.stoit mésele ainsi qqe

op, avoit proposé. . . . • . . ! • • p 2 6
« Pour les despens desdictz commissaire et
p ocur.e.ur, le jour qu'elle fut visitée et.regardée,
et aultres de ladicte paroisse. • , • . •
« A la dicte Katherine pour des despens du­

fant son plect (procès) à - Lan tréguier. • •
CI Pour abiller et réparoir sa maison à la
maladerie. . . • . . . . . • . . 13 10
,.. (Le procureur de la fabrique passe 'encore
six jours à Tréguier pour la même cause).

« Pour la commission de maistre Alein
Cammic et Jehan Robichon qui estoient auxi
enquis pour visiter ladicte Katherine. • • •
« Pour la reommission dudict M~ Jehan
J ehannin, vicaire. ' . • • . . . . . . D, 25 ••
« POUl' deux sentences l'une pour ledict
pr-ocureur, l'autre pour ladicte Katherine.. »»»9
(1 En despens à ladicte Katherine, en atten-
en sa maison en buches et paille • n 3 6
dant aller
« Pour la commission de Me Ph. Guicaznou
qui estoit commis pO\l,r voyer (voir) séparer

la'dicte Katherine, et faire les aultres choses

nécessaires, le joux q~telle fut menée â S[l

maisOlJ, et pour ses despens ledi,ct j
ledict procureur. . . . . • . . . •
(e En despens audict procureu,r qui fut ~

environ six jours aménager ladicte maison et

mètre en ycelle les ustensiles de ladicte Kathe.

'rine, comme paille, buches et les euvoyer à .

ladicl.e maison, et comme ses draptz, et les
faÏl'e coudre et tailler • . . . . . . ' . '

« Pour une dùuzaine de drap de gris pour
robe et mantBau à ladicte Katherine. . . .

« A Jehan CouleHou, taillandier (tailleur)

pour une robe et un mallteau à ycelle. . .

« Au chapelain qui mict' Jadicte Katherine
en onction et la confessa par plusieurs foiz, et
la conduit (sic) juques à sa maison, et les

aultres debvoirs et solempnitez ac~~olltumées .
« Au m::tlars et cacous de Penanknec'h (1)
qui dévent et sont tenuz servir ladicte Kathe­
0 la manière accoutumée, pour
rine, ainsi et

le debvoir de ce faire, et la bienvenue de la-

dicte Katherine en leur' vestue. 6

Ainsi l'arrivée parmi eux, d'une nouvelle victime, était pour
ces d~shérités du sort l'occasion de réjouissances. Les procureurs
de la fabrique leur donnaient quelque argent pour fêter sa
bienvenue,inais il est clair que cette libéralité avait surtout pour
les lépreux à adoucir, par leurs 80ins et leurs
but d'engdger
attentions, la douleur que devait éprouver dans les premiers
jours leur nouveau compagnon d'infortune .
. L'exlrait de compte qui précède, nous donne le détail des
nombreuses formalités qui accompagnaient les procès de sépa~
ration des lépreux, formalités qui de.vaient laisser peu de place
Un point à relever c'est l'appel fait d'un troi- '
pour l'erreur.
sième expert pour contrôler l'examen fait de la malade par deux
autres sergiens. Ce vieux mot français dont l'équivalent est au-

[1 J Aujourd'hui Pencrec.'h.

jourd'hui chirurgien, s'est conservé dans l'anglais surgeon qui
a la mê'me signification. '
Il fauL remarquer dans le dernier article, les mots Malars (ma­
ladres) et Cacous, dont l'association pro1)ve bien que les deux
catégories d'individus, dont il est question dans cette note, ha-
la même léproserie. -
bitaient

Il résulte encore de ce titre que tous l~s frais du p:-ocès étaient
à la charge de la paroisse à laquelle appartenait le malade, et
, que les procureur~ de la fabrique étaient tenus de leur fournir
des vêtements, des aliments, et tous les accessoires d'un pau­
vre ménage. Les extraits suivants renferment d'autres indica-
tions sur le rôle que jouaient les procureurs des fabriques, dans
ces sortes de procès.
Eri 1465, J. Le Grannec et H. Criset., barbiers, appelés à vi­
siteur une femme de la paroisse de Saint-Mathieu de Morlaix,
nommée Marguerite, déclarèrent qu'elle t( estoit infectée de mé­
sélerie ", Les procureurs de la fabrique dépensèrent pour elle:
ft En sept aulnes de gris d'Angleterre pour
faire robbe et' petite 'cotte (jupon) à ladicle '
à 5 solz checune aulne. . . . » 1. 35 s. Il J) d.
Marguerite.
« Pour demi aulne de morègne pour cha-
pouron. . .. . . . . . . . . . .
« En trois quartz de toile grise pour mettre
entour sa petite cotte. • . . • • . . .

(1 Lesdictz ' procureu~s apportèren t II ladicte
Marguerite sur ce qu'elle demandoiL avoir man-
teau, lincelx (draps), couverture, pot et poelle,

et aultres ulensiles à elle nécessaires pour son
. gouvernement. . • . . . . . • . .

Cl Pour, communier ladiete Marguerite et luy
administrer le sacremrnt d'onction, le jour

qu'ell~ fut séparée. • . . . • • . . '.
« En cha'ndelle de cire mise entour sa croix

ledict jour qu'elle fut conduycte à sa maison.
" 1.»)l s.». d •

« Au vicaire de Sainet Melayne pour son deb·

voir de la prendre sur le pont de l'ospitaI. .

« A ceux de Penanknec'h pour leur debvoir
de la récepvoir. . . • . . . . . . . » 16 5 -
On voit par ce dernier article que la même léproserie servait
pour les deux paroisses de Saint~Mathieu et de Saint-Melaine
de Morlaix. On avait, en effet, tout intérêt à réunir sur un même
point, les malades appartenant à diverses paroisses, puisque l'on •
diminuait ainsi le nombre des fuyers d'infection. Dans ce cas le

prêtre qui avait célébré l'office des morts pour la personne dé-
clarée lépreuse. conduisait le malade jusqu'aux limites de sa
paroisse, où il était remplacé par le vicaire de la paroisse voi-

sme.
L'extrait suivant d'un compté de 1481, relatif à Marguerite
Bihan, femme Yvon Bay te « ladresse» de la paroisse de Saint­
Melaine de Morlaix, qui fut visitée par maître Giles et J ehan Le
Crisel, surgiens, et Pélr Alain Barneau, barbier, contient des dé-
penses analogues à celles mentionnées plus haut: .

« Aux habitans de Penanknec'h à cause de'
te 1 adresse. . . . . • . • . . . J») l. 25 s,»» d.
ladic
CL A l'official de Plougastel pour sa comis­
, sion pour ladicte ladress e. . • • . . .
CL Au promoteur de Plougastd. . . . .

« Au clerc pour le proceix de ladicte
l~dresse. . . . . . . . . . . . , » 0» »»

« A u vicaire de Saint Melaine pour conduy re

ladicte ladresse à Penanknec'h. . , . , . » » 1)

« En douze verges et demie de drap pour

vestir ladicte laùresse savoir Tobbe, mant~au,

petite cotte, chaperon el ChatlSSes . . . .

« En sept verges de toille pour faire linceulx

colle et traversier (traversin) pour
(draps)

ladicte ladresse .

« En ung trep~er pour ladicté ladresse . .
« En deux polz, deux écuelles, deux cuillers

et ung picher. • . .' • __ ~ . . • . .
«( En une cordée de boys pour ycelle. . .

, « En pain, cher (viande), gruel (gruau) et

sel. . '. . . . . . . . . . . .
' u Pour un langeau (lange; pièce d'étoffe) de

bureau (drap de bûre) . . . . . . . . » 8 4
û A Paul Pezron taillandier (tailleur) pour

la faczon des draps de ladicle ladresse. . . ) »)) »1)
1l Y avait au XVe siècle, dans l'é\'~ché de Tréguier, deux
de Tréguier et celle de Plougastel ou de Pou-
officialités, celle.
gastel, dont Morlaix était originai:ement le chef-lieu. ,C'est ail
tribunal de l'official de Plougastel, à Tréguier (Lantreguer),
qu'étaient déférées les causes des lépreux de M'orlaix. Le pro­
de cetfe l'OUf, à peu près les mêmes
moteur remplissait près
fonctions que celles qu 'exerce de nos· jours, le ministère public,
• devant d'autres juridictions •
Les « chausses» qui figurent dans la trisie garde robe d'e
Marguerit.e Bihan, sont ce que l'on appelleaujo'urd'hui des
. CI bas». Il y ayait autrefois des «( hauts de chausses » dont ,
personne n'ignore la destination, et des « bas de chausses 1>,
qui se faisaieut en étoffe. La petite cotte, ou jupon, était ainsi
appelée pour la distinguer de la grande c,otte ou robe, que les

hommes portaient aussi bien que les femmes. Le mot « petite
cotte» s'est conservé dans l'a!Jgla,is « pelty-coat » qui signi-

fie «( ju pon ». ' .

On a dans le dernier article de ce compte, un remarquable
exemple des changements qui s'opérèrent avec Je tempsdans
la signification des mot!? On y. voit en effet que les tailleurs
s'appelaient « taillandiers) en Bretagne, au XVe siècle. Dans
les siècles s~ivants, ils furent plus ordinairement désignés dans
le même pays, sous le nom de « cousturiers.» ,

En 1475 eu lieu à Tréguier, le procès de séparation d'Yvon
Riou, « laqre J) de la par.oisse de . Saint-Melaine, à Morlaix, et
v~ici le compte des dépenses ququel il donna lieu •
• A Me ArLhl.!r Corrac, comIPi~sair~ commis
du vicaire pour visiter le lieu 0"4 ledict Riou
éloit mis. . 0 0 • • • o. 0
» 1. )1) So»» d .

« Pour l'Qste~ dudict Riou par f~u et marché.

» A Berte)e, seryapt médecin, pour redar-
gu~;~ (r~gqrder). lediç~ Rlqq ~ ~ . . 0 • 10 J»)

~ A tlervé le Çl'i~~t pour vi~iter l~dict ma­
lade ~t le sai~gner.. . ~ . . . • . .
Ç(. ~ Pr~gent Niçolas, clerc qui fit le proceix
et s.entence de sepftration. . • . . • . » .~ .J)
fi Au vica~re d~ SaiQ.t-Melaine pou.r rnesner
l) 5 Dl)
ledict Riou à son ostel. , . . . . • •
"A e Aletp Harm~Hl, promoteur qe la visi­
~aç.ion pour conduyre le proceix v~rs ledict

malade. . . . . . . . . . , . .
" Pour les ferrementz et la claveQre (se~rure)
de la maison dudict malade. . . . . . » 5 1»)
CI 4udict Me Alein H~rmon et SO~l c~erc
qui.eulx vindrent de L~Ilt.reguer pOl.Ir envoyer.
ledict malade à son ostel à la maladerie. . •

. « A e Hervé Le MaraQt, pour rélacion du
r~fus qll~ ledict malade fit çle prendre la cleff
de son 4ict ostel à Penanknec'h, et en despens

aux tesmoins. . • . . . . . . . .
, Aux habitans de Penanknec'h, pour leur
droit de recepvojr et s~r~ir ledict rr!alade. . ~ ~2 4
« Audict malade pour les utensils à luy deus. 7 »D »,.,

. On voit. en lisant ce cOlnpte, que l'on est en pFésence d'llll
ças de rébellion de la Plirt d'un lép.reux. En effet l'accus~ Yvon
Riou est d'abord mis daqs un lieu particuliel', probablement
dans une sorte de prison, où il reçoit la visite d.es méd~cins .

Après la condamnation à Tréguier, le promoteur qui l'a fait
son clerc sont obligés de venir le conduire de
condamner et
cette ville jusqu'à Morlaix, et delà jusqu'à la misérable cabane
que l'on décore ici dU:nom d'hôtel. Mais même arrivé là, il
résiste encore, et pour conserver jm;qu'à la fin à la procédure
son caractère de légalité, l'on doit faire venir sur les lieux un
notaire, maÎlr'e Hervé Le Marant, pour prendre acte du refus
, du condamné de recevoir la clef de son ( ostel. »

Comme la lèpre commençait au dedans longtemps avant de
paraître au dehors, Ulle des épreuves auxquelles on soumettait
le malade, était la saignée. Le sang de ceux qui étaient réel-
lement, infectés, était en effet rempli de petits corps blancs et
luisant.s semblables à des grains de mi·lIets qui s'en séparaient
et demeuraient sur le linge qui serrait à le passer, Comme on
l'a vu plus haut, 'Yvon Riou fut saigné par Hervé Criset qui est ·
qualifié du titre de barbier dans un autre compte. Il est fait
mention du linge qui servait à passer le sang, dans le compte
. de JehanrreUe Dol, lépreuse de la paroisse de Saint-Melaine de
Morlaix qUI fut sépar,ée en .1481. On y remarque en effet l'arti-

cie suivant:
« Pour ung demi quartier de toile & passer le S:lllg, »

Grâce aux soins d'hygiènp. et aux précaut.ions prises par les
villes et par les paroisses rurales, la lèpre diminua rapidement
en Bretagne comme dans le res te de III France. Il y avait ce ·
pendant encore des lépreux en Bretagne au commencemènt du
XVIIe siècle, car une ordonnance de l'abbaye Sainte-Croix de
Quimperlé, du 8 janvier t 605, fait défenses ( à tous lépreux
et mezeaulx d'entrer parmi les gentz sains ) et lellr enjoint de
porter la marque « afin qu'ils soinct conneus, et pour la marque
porteront quatre doiblz de large en couleur rouge au costé
dextre, et de l'aultre costé ùn bleu de mesmc largeur, et en
tout cas en croix audict eusté dextre ) (t). Mais c'était là l'ex-

, Pt" ' 7 7 , _ 775 5"', ' C o ." , 2
• aL L
" T a ,7 ' i? -
lI] Archives du Finistère.

ception, et la maladie de la lèpre ayant presque cessé au XVIIe
siècle, les revenus des maladreries devinrent à peu près sans
emploi, et furent en bien des lieux usurpés par les seigneurs.
C'est alors que l'on vit des misérables se faire passer pour lé-
. preux afin de mendiér des pensions sur ces hÔpitaux. Les reve­
nus des maladreries furent unis à l'ordre du ' Mont·Carmel et
de Saint-Lazare par Edits des années 1664 et 1672. Un troisiè· .
me Edit de 1693 les en détacha pour les réunir aux hôpitaux
ordinaires .
En France beaucoup de maladreries furent dédiées à'Saint­
Lazare (S. Ladre), Sainle·~arLhe, et Sainte-Magdeleine. C'est

sous le vocable de c,ette dernière sainte, qu'étaient placées la

plupart des chapelles des anciennes maladreries de Bretagne.
Aussi les localités jadis habitées par les lépreux, ont-elles,
presque partout, conservé le nom de la Magdeleine. On y re­

marque souvent les vestiges d'auciennes corderies, souvenir du
mél iet' qu'exerçaient les hôtes de ces tristes demeures. Quant
aux chapelles que la libéralité des fidèles avait fait conslruire
à leur intention, t'llles ont presque toutes çlisparu, et celles qui
existent encore ont été pour la plupart affectées à des usages

profanes.
Il en est une cep~ndant, dans les limites du pays que j'ai
en en vue en écrivant cette note, qui a échappé au triste sort

qui paraissait lui être, comme aux autres, fatalement réservé,
et dont le propriétaire entrelient avec un soin jaloux, les sépul •
tures longtemps délaissées quelle renferme, et qu'il appelle les
tombeaux de ses ancêtres .

M. le Président fait observer à la suite de cette lec­
ture, qu'il existait une classe de lépreux qu'on appelait
lépreux royaux, et qu'il a .entendu chanter aux environs
de Quimperlé, une chanson bretonne où il était question
de cette catégorie de lépreux.