SAF - Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu, mai 2022 - Société archéologique du Finistère

Plougonvelin, abbaye Saint-Mathieu, mai 2022

Excursion SAF 29 mai 2022.

Lors de l'excursion SAF du 29 mai 2022 à la Pointe Saint-Mathieu en Plougonvelin, Arnaud Ybert, enseignant-chercheur à l'UBO en histoire de l'art médiéval, spécialiste des modes de construction et de conception des structures, a présenté l'histoire générale du site et le résultat de ses dernières recherches sur Saint-Mathieu. Maria Kermanac'h a présenté une synthèse des études qu'elle a effectuées sur la tour à feu.

Jusqu'à la fin du Moyen-Âge, les bateaux longeaient les côtes au plus près. Si les conditions de navigation sont difficiles à Saint-Mathieu, elles le sont encore plus près des îles de Béniguet, Quéménès, Molène et Ouessant. Saint-Mathieu était un passage obligé. Les bateaux devaient emprunter le Chenal du Four qui longe la côte entre Lanildut et la Pointe Saint-Mathieu. C'est une zone périlleuse pour la navigation en raison de fonds peu profonds et d'écueils souvent invisibles à marée haute. Les courants y sont très forts et peuvent atteindre 10 noeuds.

Pour les embarcations de l'époque médiévale, le passage de Saint-Mathieu était infranchissable si les vents, les courants et la marée n'étaient pas favorables. Dans le meilleur des cas, ces conditions se rencontrent quelques heures par jour. On retrouve les mêmes conditions difficiles à la Pointe du Raz. Les bateaux médiévaux étant lents, il leur était impossible d'avoir dans la même marée des conditions favorables à la Pointe Saint-Mathieu et à la Pointe du Raz. Les bateaux devaient nécessairement s'arrêter dans au moins un des ports de l'ouest de la Bretagne, Le Conquet, Saint-Mathieu, Camaret ou Penmarc'h.

L'historien Jules Michelet écrivait en 1833 :

« Rien de sinistre et de formidable comme cette côte de Brest ; c’est la limite extrême, la pointe, la proue de l’ancien monde. Là, les deux ennemis sont en face, la terre et la mer, l’homme et la nature. Il faut voir quand elle s’émeut, la furieuse, quelles monstrueuses vagues elle entasse à la pointe de Saint-Mathieu, à cinquante, à soixante, à quatre-vingt pieds ; l’écume vole jusqu’à l’église où les mères et les sœurs sont en prière[9]. Et même dans les momens de trêve, quand l’Océan se tait, qui a parcouru cette côte funèbre sans dire ou sentir en soi : Tristis usque ad mortem?

C’est qu’en effet il y a là pis que les écueils, pis que la tempête. La nature est atroce, l’homme est atroce, et ils semblent s’entendre. »

En fait, la Pointe Saint-Mathieu vivait de sa position géographique, un lieu de passage obligé d'où elle tirait des revenus importants. Il existait ici un ensemble comprenant une abbaye, une église paroissiale, un bourg et un château. L'exploitation du goémon, et aussi la pêche jusqu'au XVe siècle, apportaient des ressources complémentaires. Ce n'est qu'à partir du XVIe siècle, quand les bateaux permettront d'atteindre Terre-Neuve, que la pêche côtière a décliné. En revanche, l'exploitation du goëmon est encore intense au XIXe siècle. La paroisse de Saint-Mathieu devait être florissante dès le XIIIe siècle avant de disparaître en 1780

Le site était occupé à l'époque romaine. La grande voie romaine qui traversait toute la Bretagne par Nantes, Vannes et Carhaix aboutissait à la Pointe Saint-Mathieu, un lieu appelé Gesocribate dans la Table de Peutiger. Le littoral pouvait être fortifié. Trois enceintes concentriques ont pu être repérées par des relevés topographiques LIDAR au lieu-dit Kastel Goz, le vieux château, à 1 km au nord de Saint-Mathieu.

Dès le début du Moyen-Âge, un bourg, une église abbatiale, une église paroissiale et une tour fortifiée existaient à la Pointe Saint-Mathieu.

La plus ancienne église abbatiale connue à ce jour est datée du second quart du XIe siècle. Les fouilles de 2017 ont montré qu'il y avait quelque chose avant, sans qu'on sache de quoi il s'agit. Les sondages de 1988 ont permis de retrouver l'abside de l'église du second quart du XIe siècle et de montrer que l'édifice avait une longueur de 33 m. Ses traces sont encore visibles dans l'église abbatiale actuelle. Son mur nord est presque intégralement conservé. Il est percé de deux portes qui datent peut-être du XIe siècle et donnaient peut-être accès à un cloître. Les maçons du Moyen-Âge ont utilisé la technique dite de l'appareil en arête-de-poisson, parfois appelée opus spicatum voire appareil en épi. La technique consiste à insérer dans le mur des rangées de pierres plates en les posant sur la tranche, inclinées de 45°. Si deux rangées sont superposées, on inverse l'inclinaison d'une rangée à l'autre, ce qui donne un aspect d'arête de poisson ou d'épi. Déjà utilisée par les Romains, cette technique a un rôle décoratif et probablement fonctionnel. En déviant les forces verticales successivement vers la gauche puis vers la droite, il est probable que le mur résiste mieux aux efforts verticaux et latéraux.

On y trouve regroupés, . C'est ainsi qu'on avait un château primitif au nord de Saint-Mathieu. Une église paroissiale est attestée de manière indirecte en 1296. Un armateur possède plusieurs bateaux dont l'un porte le nom de l'église. Cette dernière devait bénéficier d'une certaine opulence. Au début du XIVe siècle, on y trouve un portail à voussures, ce qui peu commun pour une église paroissiale. La pierre calcaire a été utilisée au XIIIe siècle pour deux arcs du mur nord. C'est seulement dans les cathédrales de Saint-Pol-de-Léon, Dol et Tréguier, et aussi dans la chapelle du château de Suscinio, qu'on peut trouver du calcaire au XIIIe siècle.

Une église datée du second quart du XIe siècle existait là où se trouvent aujourd'hui les vestiges de l'église abbatiale.